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Les Singularitez de la France antarctique/Preface

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. lv-lx).


PRÉFACE AVX LECTEVRS.


Considerât à par moy, combien la longue experience des choses, et fidele obseruation de plusieurs païs et nations, ensemble leurs meurs et façons de viure, apporte de perfection à l’homme : comme s’il n’y auoit autre plus louable exercice, par lequel on puisse suffisamment enrichir son esprit de toute vertu heroïque et sciêce tressolide : outre ma premiere nauigation au païs de Leuant, en la Grece, Turquie, Égypte, et Arabie, laquelle autrefois ay mis en lumiere, me suis derechef soubs la protection et conduite du grand Gouuerneur de l’vniuers, si tant luy a pleu me faire de grace, abandonné à la discretion et mercy de l’vn des elemens le plus inconstant, moins pitoyable, et asseuré qui soit entre les autres, auec petis vaisseaux de bois, fragiles et caduques (dont bien souuent lon peut plus esperer la mort que la vie) pour nauiger vers le pole Antarctique, lequel n’a iamais esté decouuert ne congneu par les Anciens, comme il appert par les escrits de Ptolomée et autres, mesme le nostre de Septentrion, iusques à l’Equinoctal : tant s’en faut qu’ils ayent passé outre, et pource a esté estimé inhabitable. Et auons tant fait par noz iournées, que sommes paruenus à l’Inde Amerique, enuiron le Capricorne, terre ferme de bonne temperature, et habitée : ainsi que particulierement et plus au long nous deliberons escrire cy apres. Ce que i’ay osé entreprendre à l’imitation de plusieurs grands personnages, dont les gestes plus qu’heroiques, et hautes entreprises celebrées par les histoires, les font viure encores auiourd’huy en perpetuel honneur et gloire immortelle. Qui a donné argument à ce grand poete Homere, de tant vertueusement celebrer par ses escrits Vlysses, sinon ceste longue peregrination et loingtain discours, qu’il a fait en diuers lieux, auec l’experiêce de plusieurs choses, tât par eau que par terre, apres le sacagemêt de Troïe ? Qui a esté occasion à Virgile de tât louablemêt escrire le Troien Enée (combien que, selon aucuns Historiographes, il eust malheureusemèt liuré son propre païs es mains de ses ennemis) sinô pour auoir vertueusement resisté à la fureur des vndes impetueuses, et autres incôueniens de la marine, il y ait veu et experimêté plusieurs choses, et finablemêt paruenu en Italie ? Or tout ainsi que le souuerain Createur a composé l’home de deux essences totalement differentes, l’vne elementaire et corruptible, l’autre celeste, diuine, et immortelle : aussi a il remis toutes choses contenues soubs le caue du ciel en la puissance de l’homme pour son vsage : dessus, à fin d’en congnoistre autant qu’il luy estoit necessaire, pour paruenir à ce souuerain bien : luy laissant toutefois quelque difficulté, et varieté d’exercice : autremêt se fust abastardi par vne oisiueté et nôchallance. L’homme donc biê qu’il soit creature merueilleusemêt bien accôplie, si n’est il neâtmoins qu’organe des actes vertueux, desquelz Dieu est la premiere cause : de façon qu’il peut eslire tel instrument qu’il luy plaist, pour executer son dessein, soit par mer ou par terre. Mais il se peut faire, comme lon voit le plus souuèt aduenir, que quelques vns soubs ce pretexte, facent coustume d’en abuser. Le negociateur pour vne auarice et appetit insatiable de quelque biê particulier et temporel, se hazardant indiscretemêt, est autât vituperable, ainsi que tres biê le reprêd Horace en ses Epistres, côme celuy est louable, qui pour l’embellissement et illustration de son esprit, et en faueur du bien public, s’expose libremêt à toute difficulté. Ceste methode a bien sceu pratiquer le sage Socrates, et apres luy Platon son disciple, lesquels non seulemêt ont esté contens d’auoir voyagé en païs estranges, pour acquerir le comble de philosophie, mais aussi pour la communiquer au public, sans espoir d’aucun loyer ne recôpense. Cicerô n’a il pas enuoyé son fils Marc à Athenes, pour en partie ouyr Cratippus en Philosophie, en partie pour apprendre les meurs et façons de viure des citoyens d’Athenes ? Lysander eleu pour sa magnanimité, Gouuerneur des Lacedemoniens, a si vaillament executé plusieurs belles entreprises côtre Alcibiades, homme preux et vaillant : et Antiochus son lieutenant sur la mer, que quelque iacture ou detriment qu’il ait encouru, n’eut iamais le cueur abaissé, ains a tant poursuyui son ennemy par mer et terre, que finablement il a rendu Athenes soubs son obeïssance. Themistocles non moins expert en l’art militaire, qu’en philosophie, pour monstrer combien il auoit desir d’exposer sa vie pour la liberté de son païs, a persuadé aux Atheniens, que l’argent recueilly es mines, que lon auoit accoustumé de distribuer au peuple, fust conuerti et employé à bastir nauires, fustes, et galeres, côtre Xerxes, lequel pour en partie l’auoir deffait, et en partie mis en route, côgratulant à ceste heureuse victoire (contre le propre d’vn ennemy) luy a fait present de trois les plus apparêtes citez de son empire. Qui a causé à Seleuc Nicanor, à l’Empereur Auguste Cesar, et à plusieurs Princes et notables personnages de porter dans leurs deuises et enseignes le Daulphin, et l’anchre de la nauire, sinon donnans instruction à la postérité, que l’art de la marine est le premier, et de tous les autres le plus vertueux ? Voila sans plus long discours, exemple en la nauigation, côme toute chose, d’autant qu’elle est plus excellente, plus sont difficiles les moyens pour y paruenir : ainsi qu’apres l’experiêce nous tesmoigne Aristote, parlant de vertu. Et que la nauigation soit tousiours accompagnée de peril, côme un corps de son vmbre, l’a biê monstré quelquefois Anacharsis Philosophe, lequel apres auoir interrogé de quelle espesseur estoient les ais et tablettes, dont sont composées les nauires : et la response faicte, qu’ils estoient seulement de quatre doigts : De plus, dit-il, n’est elongnée la vie de la mort de celuy qui auecques nauires flotte sus mer. Or messieurs, pour auoir allegué tant d’excellens personnages, n’est que ie m’estime leur deuoir estre comparé, encor moins les egaler : mais ie me suis persuadé que la grandeur d’Alexandre, n’a empesché ses successeurs de tenter, voire iusques à l’extremité, la fortune : aussi n’a le scauoir eminent de Platon iusques là intimidé Aristote, qu’il n’aye à son plaisir traicté de la Philosophie. Tout ainsi, à fin de n’estre veu oyseux et inutile entre les autres, non plus que Diogenes entre les Atheniens, i’ay bien voulu reduire par escrit plusieurs choses notables, que i’ay diligemment obseruées en ma nauigation, entre le Midy et le Ponent : C’est à scauoir la situation et disposition des lieux, en quelque climat, zone, ou parallele que ce soit, tant de la marine, isles, et terre ferme, la temperature de l’air, les meurs et façons de viure des habitans, la forme et propriété des animaux terrestres, et marins : ensemble d’arbres, arbrisseaux, auec leurs fruits, mineraux et pierreries : le tout representé viuemêt au naturel par portrait le plus exquis, qu’il m’a esté possible. Quant au reste, ie m’estimeray bien heureux, s’il vous plaist de receuoir ce mien petit labeur, d’aussi bon cueur que le vous presente : m’asseurât au surplus que chacun l’aura pour agreable, si bien il pense au grand trauail de si longue et penible peregrination, qu’ay voulu entreprendre, pour à l’œil voir, et puis mettre en lumiere les choses plus memorables que ie y ay peu noter et recueillir, comme lon verra cy apres.