Aller au contenu

Les Villes à pignons/Les Soirs de Grande Fête

La bibliothèque libre.
Deman (p. 89-90).


Les Soirs de Grande Fête


 
On ferme ! On ferme ! Et les veuves de noir vêtues,
À pas feutrés et lents, s’en vont sous leurs manteaux,
Et font tinter de lourds deniers en des plateaux
Placés dans l’ombre, au pied de géantes statues,
Comme les larges mains mendiantes de Dieu.
Au fond, l’autel éteint ses fleurs étincelantes,
Et les veuves glissent lentes et dévalantes
Vers la ville du soir où s’allument les feux.

 

Alors tous les métaux strident ; leur bruit s’essore ;
Les pieds des chandeliers grincent sur le parvis,
Les lampes font crier leurs chaînes et leurs vis ;
On écoute les tabernacles blancs se clore,
Et des grappes de clefs baller à des fermoirs :
L’église est vide.

Et dans ces voix, oh ! si cruelles,
Si grinçantes et si torturantes entre elles,
N’est-ce pas, qu’on entend se déchirer l’espoir,
Et la douleur de ces veuves maigres et droites
Qui vont, à pas feutrés et lents, sous leurs manteaux,
La mémoire et le cœur traversés de couteaux,
Mais reviendront, demain, sur leurs chaises étroites,
À l’heure où l’aube éteint dans la ville les feux,
Prier les Jésus morts et les vierges dolentes,
Et baiser, tout comme hier, des blessures sanglantes,
Comme les larges mains mendiantes de Dieu !