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Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/41

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XLI


C’est sur le seul principe de la religion d’état que la Restauration, qui n’a su que faire de la réaction aussi enragée qu’inintelligente, dominée qu’elle était par la congrégation, décida d’abolir le divorce. Or le principe de la religion d’état conduit forcément à la persécution de ceux qui pensent autrement que les hommes qui contrôlent ou administrent l’État.

Le prêtre tient particulièrement au principe de la religion d’état parce qu’il confesse le roi, les ministres, les députés, et qu’en réalité c’est lui qui gouverne sous leur nom sur certaines questions. C’est, sur plusieurs détails, ce qu’il déclare péché qui règle le droit public. Et les fonctionnaires publics lui font leur cour parce qu’il tient l’oreille du roi. Un confesseur fanatique et intrigant réussira souvent à se mettre au-dessus des corps législatifs et des tribunaux, et c’est lui que le roi écoutera, comme l’a fait Charles x, et Louis XVI avant lui, et Louis XIV, et Philippe ii, et Charles-Quint, et le grand fanatique Ferdinand ii de la guerre de trente ans.

Il se passe là quelque chose comme ceci :

— Unissons-nous, dit le prêtre à l’État. Je serai le cocher, vous le cheval, et vous verrez comme tout marchera bien.

— Volontiers ! dit l’État bien confessé, et il se place dans le timon. Puis il dit : Tu peux fouetter, cocher !

Et le prêtre de s’écrier : « Comme cet État est intelligent ! »

Heureusement, les spectateurs vraiment intelligents ont un tout autre mot à la bouche !

Chose étonnante ! le prêtre n’a jamais pu comprendre cette chose si simple, que l’État n’a rien à voir dans les opinions individuelles ; qu’il ne peut contrôler que les actes, jamais la pensée puisqu’il ne peut la connaître. Mais le prêtre, inquisiteur par nécessité de système, veut contrôler la pensée et la conscience, et a trouvé moyen de se servir de l’État pour imposer à tous cette criminelle prétention.

On a fait deux fautes en 1816 : 1o une tyrannie évidente en abolissant le divorce pour les non catholiques ; 2o une ineptie de forte taille en ne rétablissant pas dans les lois celles au moins des anciennes causes de nullité qui étaient l’équivalent du divorce. On pouvait se séparer sous la loi religieuse pour certaines raisons que le code ne reconnaissait pas. En changeant de système il fallait au moins rendre complet celui que l’on substituait au premier. Mais l’assemblée de 1816, si justement appelée par Lerminier « idiote et forcenée », poussée qu’elle était l’épée dans les reins par un clergé plein de fiel et de rancune qui voulait à tout prix reprendre toutes les positions perdues, l’assemblée de 1816 n’a su faire qu’un coup de tête sans réfléchir à rien. Elle a aboli l’article VI du code sans même songer qu’il fallait au moins combler les lacunes que cette abolition créait dans le droit civil. Elle ne jugeait la question que du seul point de vue dogmatique, ne se préoccupait en aucune manière des droits individuels ; et elle commit par pur esprit sectaire une violation flagrante des droits des non catholiques. Elle n’a su que montrer l’étonnante incompétence de tout ce qui est clérical sur les questions de législation et de droit, et elle était trop furieusement fanatique pour songer seulement à remplacer ce qu’elle détruisait. Il faut lire les risibles raisons, exclusivement théologiques, données alors par M. Trinquelague, auteur du rapport sur le projet de loi abolissant le divorce, ou par M. l’avocat général Séguier, parlant au soutien du rapport, pour voir où la foi substituée à l’examen philosophique peut amener de bons esprits.

Au lieu de parler en hommes de loi sur une question purement légale, ces hommes de foi sortaient à tout instant du plus simple bon sens des choses pour substituer les prescriptions du dogme aux principes fondamentaux de droit et de justice dont ressortent exclusivement les questions de droit naturel.

Tout se réduisait au raisonnement que voici : « La France est catholique, donc il faut abolir le divorce. » Que l’on dise donc alors franchement que c’est le droit canon et non la loi civile qui régit le pays !

Le système des nullités n’avait été arrangé, organisé, que pour permettre à l’Église de faire des divorces sans prononcer le mot. Toujours l’hypocrisie ou l’astuce dans les moyens comme dans le but ! L’ecclésiastique ne touche jamais à une question de l’ordre temporel que pour l’embrouiller de manière à ce que la grosse masse n’y comprenne rien. De là toutes sortes de moyens pour ruser avec les situations. Voilà pourquoi les légistes ont toujours été tenus en si sainte horreur à Rome. Ils voient les choses telles qu’elles sont, les définissent au seul point de vue des droits individuels tempérés par le droit social, et ne décident les questions que sur leur mérite intrinsèque au lieu d’y introduire sans cesse un élément qui leur est étranger. Mais cela ne peut aller au prêtre, parce que le droit ecclésiastique est basé sur le principe prétendu primordial de la souveraineté de l’Église, qui concède des droits au lieu de les reconnaître loyalement là où ils sont. La base du droit civil, c’est le bon sens. La base du droit ecclésiastique, c’est l’absurde, c’est-à-dire l’infaillibilité d’un homme ou d’une réunion d’hommes. Or il y a nécessairement guerre fatale, éternelle, entre le bon sens et sa négation. Dès qu’un homme vient se déclarer infaillible chacun a le droit de lui demander la démonstration d’une prétention aussi exorbitante. Or cette démonstration n’est possible que dans l’ordre de la foi qui aveugle et non du raisonnement philosophique qui éclaire.

Ainsi, pour avoir voulu céder au clergé et faire de la législation civile sur des considérations purement dogmatiques, on a imposé pendant soixante ans tous les désagréments, toutes les difficultés, toutes les misères imaginables, et dans nombre de cas une vie immorale, à des milliers d’hommes et de femmes auxquels le législateur non contrôlé par le prêtre aurait permis de régulariser leur situation et de vivre honorablement. Pour avoir voulu céder au clergé on n’a laissé d’autre alternative à des milliers d’individus que de vivre dans le concubinage. Des divorcés se seraient remariés. Les statistiques constatent qu’ils le font presque tous. Mais les séparés légalement vivaient dans l’adultère, tacitement autorisé, vu qu’on le savait inévitable, et contaminant leurs propres enfants de la vue de leur vie immorale. Voilà des enfants bien dressés à mener une vie régulière plus tard !