Aller au contenu

Les fleurs poétiques, simples bluettes/01/02

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 5-16).

LA CHAPELLE ISOLÉE

poésie couronnée au concours de l’université laval de 1875

C’est alors que ta voix s’élève
Dans le silence de mon cœur,
Et que ta main, mon Dieu, soulève,
Le poids glacé de ma douleur.
Lamartine.


I


Il est, loin du chemin que suit la multitude,
Une antique chapelle à l’air mystérieux :
Souvent j’aime à porter, dans cette solitude.
Mes pas silencieux.


Elle s’élève au sein d’une forêt profonde
Où des cèdres plaintifs les murmures confus
Viennent s’harmoniser aux pleurs tristes de l’onde
Sous les sapins touffus :

Séjour perpétuel de la paix, du silence,
Où Dieu répand à flots la joie et le bonheur,
Où l’homme malheureux aspire l’espérance
Qui ranime son cœur !

La nature, plongée en un repos sublime,
Semble, là, méditer des hymnes éternels ;
Car il monte des bois une prière intime
Comme des saints Autels !


Ce doux recueillement, cette harmonie austère,
Plaît au cœur dont le monde a trompé les désirs,
Au cœur désabusé qui délaisse la terre
Et tous ses vains plaisirs !

L’âme sourit alors, et, méprisant les chaînes
Que tendait sur ses pas la fausse volupté,
Elle dit ses regrets sur les choses mondaines
Et sur leur vanité !

Elle s’élance au ciel, palpitante et joyeuse ;
Elle mêle sa voix à ces pieux accents
Qu’emporte vers les cieux la brise harmonieuse,
Soupirs attendrissants !


Dans cet isolement, la vie est moins amère ;
L’horizon de notre âme est parsemé d’azur ;
Le soleil est plus doux, L’onde paraît plus claire,
Le firmament plus pur !…

II


C’est là que, le matin, au lever de l’aurore,
Ma mère, en souriant, m’apprenait à prier ;
J’étais petit enfant : je me rappelle encore
Les détours du sentier.


Des rayons de soleil se jouaient dans la mousse ;
L’aurore étincelait sur les cimes des monts ;
Le souffle du matin, de son haleine douce,
Embaumait les vallons.

Les premiers feux du jour, tremblants, mélancoliques,
Éclairaient le saint lieu ; les voiles de la nuit
S’effaçaient lentement sous les voûtes rustiques
Comme un rêve qui fuit !

J’étais rempli d’amour, de respect et de crainte…
Ma prière, mêlée aux parfums du matin,
Pur encens s’élevait, de la modeste enceinte,
Vers le séjour divin !…


III


Je ne comprenais pas, dans ma candeur d’enfance,
La malice de l’homme au cœur ambitieux ;
Je ne prévoyais pas les dangers, la souffrance,
Le mensonge, le faux, ni les jours soucieux.

Je ne comprenais pas, dans ma candeur d’enfance,
Mais maintenant déjà j’ai coudoyé la foule ;
Et sans cesse battu comme un flot agité
Que le vent déchaîné brise, foule et refoule,
Je regrette l’enfance et sa félicité !


J’ai parcouru déjà les beaux jours de la vie.
Bientôt, déjà, pour moi, vingt printemps vont sonner !
Au souffle des pervers mon âme s’est flétrie
Et j’ai vu mes espoirs soudain m’abandonner !

J’avais bercé mon cœur de douces perspectives ;
Des fantômes brillants, des mirages trompeurs,
Étalaient à mes yeux des clartés fugitives :
Je croyais que c’était la gloire et ses splendeurs !

Mais je fus le jouet de vaines jouissances,
Et mon rire joyeux a fait place aux sanglots :
Tel un aventurier, sur les vagues immenses,
Voit son dernier esquif s’abîmer dans les flots !


IV


Parmi la foule indifférente
Je n’ai jamais trouvé qu’égoïsme et froideur,
Et jamais mon âme souffrante
N’y trouva son ami, ni son consolateur !

Je n’ai jamais goûté cette amitié fidèle
Qui console des pleurs, de l’exil, des chagrins,
Qui fait renaître au cœur une gaîté nouvelle
Et revenir les jours sereins !


Mais je fus abreuvé de noires calomnies,
Je fus le jouet des pervers,
De leurs infâmes tyrannies,
Et de leurs sarcasmes amers !

Comme un roseau brisé que le vent de l’orage
Entraîne après lui par les champs,
Mon âme subit maint outrage
De l’impudence des méchants !

Comme un esquif errant sur la vague profonde
Je fus sans cesse ballotté
Sur les flots orageux du monde
Au souffle de l’adversité !


Et puis quand vint le jour d’un périlleux naufrage,
Pas un frère, pas un ami,
Ne vint jamais sur mon passage
Réveiller mon cœur endormi…

C’est alors, ô mon Dieu ! que j’appris à connaître
L’homme et ses mesquins intérêts ;
Et moi qui viens presque de naître,
Déjà je m’abîme en regrets !…

Mais je te vis, Seigneur, au milieu de mes peines :
Tu venais me tendre la main ;
Tu venais dissiper les haînes
Qui m’arrêtaient dans mon chemin !…


V


Alors, brisé, déçu, je veux fuir ce vain monde
Et ses plaisirs trompeurs ;
Et près de toi, mon Dieu, dans une paix profonde,
Je cherche tes douceurs !

Ô chapelle des bois ! je reviens sous ton ombre,
Car mon cœur opprimé
Veut encor méditer sous ton portique sombre
Que j’ai toujours aimé !


Tout est tranquillité sous ton humble colonne ;
Tout est paix et bonheur
Dans l’air mystérieux même qui t’environne,
Dans ton site enchanteur !

En vain les ouragans grondent-ils sur la terre,
Je ne les crains jamais ;
Car la tempête meurt près de ton seuil austère
Où je vis désormais !…

Mai, 1875.