Les fleurs poétiques, simples bluettes/02/01

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 65-70).

LA ROSE

Mais qui peut refuser un hommage à la rose ?
Delille.


À la rose exhalant ses parfums précieux
Les Muses de tout temps ont offert leurs hommages ;
Et le barde inspiré, dans la langue des dieux,
À la reine des fleurs présente ses suffrages.
Poète sans renom, à la tremblante voix,
Pour la chanter aussi j’ose accorder ma lyre
Dont les fibres, hélas ! rebelles à mes doigts,
Ne rendent pas les sons que mon cœur leur inspire.


Je l’aime, cette fleur, doux présent que l’été
Dans un flot de lumière apporte à son aurore
Comme un gage éclatant de sa fécondité,
Par laquelle tout naît, tout vit et se colore
Dans l’empire de Flore !
Je l’aime, cette fleur aux attraits si touchants,
Dont le chimiste extrait un si suave arôme !…
Elle pare des grands les salons qu’elle embaume,
Et, modeste, elle sied à la fille des champs !

La rose, qu’elle soit jaune, blanche, écarlate,
Violette, lilas, pourpre, marron, carmin ;
Qu’un riche vermillon à sa corolle éclate,
Ou qu’elle ait le reflet velouté du jasmin ;
Qu’on l’appelle pompon, capucine ou trémière,
Et quel qu’en soit le genre ou la variété, —
Perle d’or ou coquette, aurore ou printanière, —

La rose est un emblème unique de beauté,
De candeur et d’amour. Dans les cœurs, son royaume,
Elle exerce un pouvoir qu’on ne peut déjouer.
La musquée, enivrant de son subtil arôme,
Nous parle d’inconstance, il faut bien l’avouer.
La rose capucine, il faut aussi le dire,
Ne représente aux yeux qu’un caprice d’un jour ;
Celle de tous les mois, qu’un éphémère amour
Qui naît en un moment, au milieu d’un sourire,
Et qui disparaît sans retour.

Mais comment faire un crime aux innocentes roses
De la noire inconstance et des faux sentiments
Des amoureux menteurs, volages ou moroses
Oubliant sans remords leurs éternels serments ?
Ici je vois plutôt un sujet de louange
Pour la rose fidèle à refléter le cœur,

Qu’il soit droit et sincère, ou que coupable il change.
Pour lui que l’homme garde un vice, hélas ! vainqueur,
Se jouant à dessein de sa pauvre nature,
Sans le faire peser de son poids infamant, —
Ce serait lâcheté, — sur une créature
Dont le front est candide aussi bien que charmant.

Si la rose, d’ailleurs, vraie image de l’âme,
Rappelle nos défauts mollement combattus,
Elle est impartiale, et vite elle proclame
Nos rares qualités, nos plus rares vertus.
Tout d’abord la mousseuse, ou rose sans épine,
Est le symbole heureux d’un amour sans revers
Remplissant un cœur droit, qui n’a rien de pervers.
Un cœur fidèle et tendre et que rien ne chagrine.
La blanche signifie innocence, candeur.
Avec le chaste lys, sous les reflets d’un cierge

Brûlant dans la chapelle, humble dans sa splendeur,
Dans le plus beau des mois elle pare la Vierge.
La rose de Provins évoque un sentiment
Sublime de grandeur : l’amour de la patrie !
Pour les enfants du sol, signe de rallîment,
Dans une poétique et noble allégorie,
Cette humble fleur redit les hauts faits des aïeux,
Leurs vertus, leurs travaux, leurs revers, leur souffrance,
Leurs combats répétés sur les champs glorieux
Teints de leur sang versé pour la croix et la France !

Quant à la rose jaune, unie à l’oranger,
Elle pare le front chaste des fiancées.
À ces couples aimants qui vont pour échanger
Leurs vœux et leurs serments, leurs intimes pensées,
Elle dira toujours qu’au moment solennel
Où deux cœurs sont unis dans la foi conjugale,

Ils se jurent l’un l’autre un amour éternel.
Elle trône au foyer dont, mystique vestale,
Elle entretient le culte, elle active les feux
Dans l’âme des époux, qui demeurent fidèles
Et tendres comme au jour de leurs premiers aveux.
Donc elle est dédiée aux ménages modèles !