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Les fleurs poétiques, simples bluettes/03/08

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 135-140).

LES MIJAURÉES

Mademoiselle Coqueluche,
Couverte d’or et de velours
Et d’un fier chapeau de peluche,
Raconte ses nobles amours
À mademoiselle Chlorose
Qui, distraite, effeuille une rose ;

« Il m’aime, ce joli garçon,
L’autre jour il m’a saluée ;
Sa douce voix m’a remuée.
Je lui chanterai ma chanson :

« Bel ami que j’implore
« En secret dans mon cœur,
« Ange consolateur,
« Je t’adore…

Au bal il a pressé ma main.
Bien sûr, je le verrai demain.
Mettez-vous donc à la fenêtre,
Bientôt il va passer peut-être… »

— « Il est joli, je le crois bien.
Répond Chlorose, un peu timide.
Mais j’aime encore mieux le mien,

Et mademoiselle Insipide
Peut vous donner son sentiment :
J’en appelle à son jugement… »

— « Ce n’est point du tout mon affaire ;
Qu’il soit blond, rouge, brun ou noir.
Je ne veux même le savoir.
J’ai le mien et je dois lui plaire.
Je vous assure qu’il est beau,
N’est-il pas vrai, chère Isabeau ?
Vraiment, plus d’une est envieuse.
Que sa démarche est gracieuse !
Que son sourire est engageant !
Et quel front large, intelligent !
Que de charme en sa voix touchante !
Que de rayons en ses beaux yeux !

J’aime à l’entendre quand il chante,
En jetant les regards aux deux :

« Écoute ma prière,
« Fais cesser mon tourment ;
« À toi mon âme entière,
« Je t’en fais le serment !…

Car il adore la musique,
Voyez-vous, surtout la classique.
Souvent je joue, au piano.
Une sonate de Finaud,
À la plaintive mélodie,
Que pour lui tout seul j’étudie.
Écoutez ! c’est très-beau, cela !
Ti-ti-ti-ti-tra-la-la-la !…
Il en est fou ; rien qu’à l’entendre, —
Muscadin a le cœur si tendre, —
Qu’alors je vois couler ses pleurs… »


— « Et Finfin raffole des fleurs,
Reprend la brunette Toupie,
Qui sait jaser comme une pie,
Et je porte dans mes cheveux
Celles qu’hier il m’a données ;
Je les garde, même fanées,
Pour témoigner de ses aveux…
Une pensée, une violette,
Cela ne parle pas si mal.
Quoique je change de toilette
Il les verra ce soir au bal…
Ah ! la fête sera brillante,
Et la musique pétillante.
Ne manquez pas au rendez-vous !…
Ce soir, je porte mes bijoux.
Mon bracelet d’or… quelle joie !…
Mon collier, ma robe de soie !… »


— « Pour moi, dit Jeanne, sans façon,
J’aime Baptiste, un bon garçon…
Et s’il n’a pas un teint d’albâtre.
Et s’il fuit la danse folâtre,
Du moins il n’est pas un flâneur.
Il est pauvre, mais très honnête.
Fort, courageux et… pas bête !
Cela suffit à mon bonheur…
Oui, c’est Baptiste que j’épouse ;
De vous, je ne suis pas jalouse.
Au lieu de tresser des bouquets
À tous vos galants freluquets,
Au lieu de courir des chimères.
Vous feriez mieux d’aider vos mères
Aux soins ardus de la maison.
Dites-moi, n’ai-je pas raison ? »