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Les fleurs poétiques, simples bluettes/04/09

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 175-178).

LE POÈTE

SUJET TIRÉ d’une ÉPÎTRE D’HORACE

La passion du jour, c’est donc la poésie.
Les jeunes et les vieux, saisis de frénésie,
Le front ceint de lierre, ou même de lilas,
Improvisent des vers en prenant leur repas.


Moi qui jurai cent fois de n’en plus jamais faire,
J’ai menti comme un Parthe. À peine la lumière
M’a-t-elle ouvert les yeux, qu’esclave du métier,
Il me faut à l’instant des plumes, du papier,
Aussi des cordes pour ma lyre.

Quand on ne sait comment diriger un navire,
On ne s’installe pas, la main au gouvernail,
Le modeste artisan parle de son travail ;
Et quant au médecin, il parle médecine !
Mais tous, instruits ou non, dans la langue divine,
Nous voulons bégayer et composer des vers.

C’est une folie, un travers ! —
Pourtant il a du bon, ce travers si bizarre.

Rarement verra-t-on un poète être avare :
Aux périssables biens il n’est pas attaché.
Il adore les vers, c’est là son gros péché.
Que son argent se fonde, ou que sa maison brûle,
Il en rit fort gaîment ; jamais il ne calcule.
Il ne s’exerce pas, — rempli d’un noir dessein, —
À dépouiller le faible, à tromper son voisin :
Son cœur sensible et droit ignore l’imposture.
Frugal, il lui suffit, pour toute nourriture,
De légumes, de fruits, avec du pain grossier.

Le poète n’est pas un héros, un guerrier.
Son œuvre, cependant, n’en est pas moins fertile ;
Une petite chose aux grandes est utile.
Aux enfants bégayants il apprend à parler ;
Et ses sages discours, qui savent formuler

La vertu, resteront dans leur jeune mémoire.
Au moyen des leçons que lui fournit l’histoire,
Il réforme les cœurs, qu’il rend plus purs, plus doux, —
Adoucissant les durs, raffermissant les mous.
Il en extirpe aussi les défauts et le vice,
La colère, l’envie et la blême avarice.
Sous des traits séduisants il dépeint la vertu,
Pour laquelle toujours il a bien combattu,
Et que, dans ses écrits, il sait faire reluire,
Même aux siècles futurs, qu’il a tâche d’instruire !