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Les gaités d’un pantalon/06

La bibliothèque libre.
(pseudo)
Librairie franco-anglaise (p. 49-57).

VI

Les erreurs d’un pantalon.


La belle défense de Mme Cayon avait causé quelque vacarme. Léa et son charbonnier en restèrent interdits, juste entre deux soupirs.

Pressés par la nécessité, ils terminèrent hâtivement la tâche commencée ; mais le dernier effort donné, Léa se sentit tourmentée par une indicible terreur.

— Sauve-toi, Çois-Çois en sucre ! m’man va s’amener et elle est si bégueule, tu sais !…

Joseph n’avait pas attendu la fin de ces explications pour courir à quatre pattes, sur le tapis, à la recherche de son pantalon.

Au hasard, il ramassa du linge, des étoffes et s’enfuit par où il était venu.

François Fard atteignait déjà le premier étage, lorsqu’il arriva sur le palier. Mais plus courageux que le jeune fiancé, il résolut de se vêtir sur-le-champ.

Hélas, par la plus extravagante des fatalités, il possédait exactement sa veste, une robe en tissu éponge, une fine chemise de batiste, mais point de pantalon.

Il demeura une minute atterré. Cependant, en honnête homme, il préféra descendre les cuisses au vent plutôt que de s’approprier une jupe ne lui appartenant pas. Il eut même l’attention de l’accrocher au bouton de la porte, où une voisine la chipa le lendemain matin.

Et il dévala les marches, en une course féline, sans bruit, en rasant les murs.

Au premier, son pied buta dans un objet insolite ; il se baissa et ramassa.

Oh ! bonheur ! c’était une paire de culottes, à coup sûr la sienne, jetée par la prudente Léa.

— Vou… grri ! En v’là une chance !

Homme d’action plutôt que rêveur contemplatif, il ne réfléchit pas davantage et enfila une jambe, puis l’autre.

Il s’étonna pourtant ; l’indispensable de velours s’était transformé en fin drap ; en outre il le serrait un peu. Mais bast ! la nuit pouvait parfaitement l’inciter à l’erreur.

En bas, François, le chapeau sur la tête, les souliers aux pieds, mais les pans de chemise battant les cuisses, se lamentait.

Il rampait, envoyant de droite et de gauche des mains inquisitrices.

— Bon Dieu de bon Dieu ! où est mon grimpant ? Tout était ensemble… J’ l’ai pas laissé chez belle-maman.

Soudain il entendit un bruit vague derrière lui ; il crut à la présence sournoise de Mme Cayon et, apeuré, s’aplatit sous la cage de l’escalier.

Il distingua l’ombre d’un homme filant vers la sortie. Il fut soulagé et reprit ses recherches.

— Si ’core j’avais des allumettes, mais elles sont dans la poche de c’ sacré falzar !

Pourtant il ne se découragea pas :

— Sur il est là l’ rossard ! s’ cache seulement pour m’ faire enrhumer.

Tantôt à plat ventre, tantôt de flanc, il rampait sur le pavé glacé, fouillant la nuit d’un regard sévère. Enfin il dut se rendre à l’évidence.

— Bonsoir d’ bonsoir ! J’ l’ai laissé chez la vieille. M’s’ amours sont fichues ! Jamais elle ne voudra d’un gendre qui lâche ses culottes un peu partout !… Faut être juste, c’est pas une recommandation.

Ému, il se rassit sur la première marche :

— Et j’ai soif !… Soif comme le monsieur qui suçait sa langue pour s’ faire de la salive !

Un sentiment d’amertume gonfla son cœur :

— Il y a bien un débit, tout près, mais ma galette est aussi dans mon grimpant !… À la rigueur, j’aurais huit sous, qu’ j’irais comme ça. J’ dirais que j’ suis Écossais… y a pas de déshonneur à être Écossais.

Un courant d’air glissa par la porte et vint balayer François, entre les genoux. Il frissonna.

— Non, jamais j’ pourrai rentrer comme ça chez moi, avec seulement mes deux petits tabliers !

Le vent souffla plus fort ! François cambra les reins :

— C’te brise me pénètre à l’intérieur par mes émonctoires… J’ me glace le péritoine…

Énergique, il se redressa :

— Tant pis, j’ vas réclamer un grimpant à belle-maman… Peut pas m’ refuser ça, si c’est une honnête femme.

Les mains derrière le dos, afin de se donner une attitude digne, il remonta l’escalier.

Devant la porte, il mit poliment le chapeau à la main et s’essaya à sourire avec amabilité. On peut être à demi en chemise, sans cesser d’être homme du monde.

L’huis était largement ouvert ; il avança d’un pas, mais s’arrêta aussitôt : des voix parvenaient jusqu’à lui.

— Y a du pied dans la chaussette… la maman engueule s’n’enfant.

Il tendit l’oreille et sourit :

— Bon, j’cours chercher mon « indispensable » dans la chambre à mâme Cayon et j’ bats en retraite. Ni vu, ni connu, j’ suis encore un homme d’honneur.

Pressé d’en finir, il trotta droit devant lui, le nez au vent, l’oreille aux aguets, pinçant de ses doigts discrets les deux pans de sa chemise, afin d’obtenir une hermétique fermeture.

Étudier au préalable la topographie des lieux aurait été sage ; par malheur, comme on a pu s’en apercevoir, il était une nature impulsive.

Victime encore une fois de son premier mouvement, il ouvrit une porte au hasard et se précipita en avant.

Après dix pas, il s’en fut cogner contre une table : sa malchance l’avait conduit dans la salle à manger.

— Zut ! c’est pas ici qu’est ma culotte !

La constatation de son erreur, au lieu de le décourager, réveilla sa soif.

— Le bon Dieu m’a dirigé près du buffet. Merci, Seigneur ! François Fard ne sera pas un ingrat.

De ses deux bras tendus il fouilla l’obscurité. Il rencontra des chaises ; ce point de repère suffit à le mener au but.

— V’là le buffet ! gouailla-t-il. L’ buffet à belle-maman !

Et il ouvrit une porte, plongeant à l’intérieur du meuble ses doigts arrondis en griffe.

La divinité protectrice des ivrognes favorisa sa tentative ; il atteignit une bouteille qu’il déboucha dextrement.

La langue sèche, il but goulûment.

On entendit un glou-glou sonore, puis tout repartit sur le tapis, accompagné d’une interjection :

— Pouah ! la saleté !

Il y avait erreur ; c’était l’huile à salade. Il résuma :

— Brrr ! c’est gras !

Après s’être essuyé la bouche, il reprit ses investigations. Rendu prudent par l’adversité, il sut choisir cette fois.

Déjà il espérait une honnête récompense de ses efforts, lorsque soudain résonna dans l’appartement une galopade effrénée.

Le litre serré contre sa poitrine, il ne songea plus qu’à fuir. Évidemment, ce n’était pas l’heure d’être surpris, sa tenue aurait pu paraître équivoque.

Cette retraite tactique le conduisit à une issue donnant sur le couloir sombre ; quelques pas plus loin, une autre porte se présentait, ouverte avec bienveillance.

Sans une hésitation, il entra. Le réduit était étroit ; deux secondes d’investigation, un reniflement prolongé suffirent à le renseigner.

— Parfait, j’suis dans l’ W.. C. Si on me surprend sans culotte, ça paraîtra naturel.

Les gestes lents, le front serein, il souleva la planchette et la chemise retroussée il s’installa commodément. Alors, il laissa échapper un « ouf » de satisfaction. Puis haussant le litre, il aspira goulûment le vin parfumé et frais.

Il conclut :

— Allons, tout s’arrange : la vie est belle, le w.-c. propice, le vin délicat.

Nature philosophique, il se sentit aussitôt heureux, et après avoir déposé la bouteille, il extirpa d’une poche de veston tabac et papier.

Il fuma, le dos au mur, l’arrière-train encastré dans l’orifice circulaire, les jambes pendantes et les genoux au frais.

Satisfait, il envoya un long jet de salive contre la porte.