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Les gaités d’un pantalon/13

La bibliothèque libre.
(pseudo)
Librairie franco-anglaise (p. 133-139).

XIII

Vengeance.


Mme Cayon ne pouvait longtemps se désintéresser du sort de son enfant.

Elle resta bien un instant le derrière par terre ; mais bien vite, elle songea que Léa seule risquait de graves dangers, comme par exemple d’avoir des petits noirs.

Péniblement, elle se remit debout, puis courageuse, marcha vers le vestibule.

Là, le bruit des voix suffit à la diriger. Le cœur étreint par l’émotion, elle s’approcha de la porte et, la main en cornet contre l’oreille, elle écouta.

Les trois amis n’ayant aucun soupçon, hurlaient leurs sentiments intimes, sur un diapason au-dessus de l’ordinaire.

La bonne mère ne tarda pas à avoir une opinion très nette ; elle grinça des dents.

— Les malpropres… s’attaquant à une innocente enfant ! Ce doit être encore cet impur de charbonnier.

Désolée, elle revint en arrière et s’arma d’une paire de pincettes, puis d’un parapluie.

Se voyant plus forte, elle partit hardiment. Comme une statue de commandeur maigre, elle parut soudain dans l’encadrement de la porte.

Joseph recula :

— Vou…grrri !

Et, prudent, se cacha sous la table. François, un peu énervé, s’effaça derrière le balai. Pourtant, il hurla :

— Tiens ! belle-maman !

Mme Cayon, très digne, les flagella de son mépris :

— Paillards ! Cochons !

Léa, blessée, s’effondra en arrière, sous l’évier, son petit derrière dans la boîte aux ordures. Elle larmoya :

— T’es injuste, m’man ! J’ t’assure, t’es injuste !

L’indulgente mère eut pitié :

— Viens, ma chérie ! viens contre mon sein !… Ils t’ont manqué de respect au moins ?

Elle secoua la tête, plaintivement :

— Non, t’es v’nue trop tôt…

— Rends grâces à Dieu !

La martyre daigna sourire :

— T’inquiète pas, m’man !

Profitant de cet attendrissant abandon, les deux coupables avaient tiré au large.

Ensemble, avec des ruses de sauvages, ils gagnèrent le vestibule et, là, échangèrent une étreinte cordiale :

— On les aura !

— Oui, mais où aller sans culotte ? gémit Joseph toujours pudique.

— Et pourtant, j’ai soif ! pleura François.

Plus sobre, le charbonnier rectifia :

— On n’a plus besoin de boire, on vient de siffler sept litres de vin.

Ils rirent, fort satisfaits de ce record. François proposa :

— Alors on va jouer à embêter belle-maman.

Joseph approuva.

— Oui, on va gueuler : mort aux vaches !

— Non, ouvrons la porte, elle croira que nous sommes dehors.

Doucement, ils exécutèrent ce premier exercice, puis François Fard se cacha derrière le battant ; le charbonnier, grâce à la teinte sombre de son épiderme, se dissimula aisément dans l’ombre.

Au signal du fiancé, ils entonnèrent gaillardement :

— Fè…è…erme tes jolis yeux !

L’effet fut immédiat, Mme Cayon repoussa son unique enfant.

— Oh ! les misérables ! ils vont nous déshonorer.

Elle courut à l’antichambre, suivie de Léa qui ricanait impudemment.

Ni l’une, ni l’autre, n’aperçurent les chanteurs ; d’ailleurs, la porte ouverte les induisit en erreur.

— Sont su’ l’ palier, clama la jeune fille, entre deux hoquets joyeux.

Le parapluie et les pincettes brandis, Mme Cayon s’élança.

À peine avait-elle les deux pieds sur le paillasson que, sous une poussée irrésistible, mystérieuse même, l’huis se referma avec un bruit sec.

La mère, bafouée, se retourna ; il était trop tard. Et derrière cette cloison s’éleva vers le ciel un chœur joyeux :

— Partir, c’est mourir un peu !

En même temps, les traîtres se livraient à la plus infâme débauche chorégraphique.

Se tenant par la main ; ils exécutaient une ronde échevelée, où les pans de chemises voletant n’étaient pas les moins remarquables ornements.

Mlle Léa, la tête renversée en arrière, la bouche ouverte, faisait entendre un petit gloussement puéril.

Les deux hommes, plus sérieux, ponctuaient de coups de talons vigoureux les bémols du chœur :

— C’est mourir à ceux qu’on aime !

Léa, à bout de forces, glissa doucement sur le parquet ; les autres incontinent l’imitèrent.

Ainsi rassemblés, ils tinrent conseil :

— Hein, c’t’ envoyé ça, assura François, orgueilleux de son initiative.

« Lui apprendra à belle-maman, à faire de la rouspétance. Ni Dieu, ni maître, Cupidon et la galette !

Le charbonnier s’inquiéta :

— Et maintenant, à quoi on va rigoler ?

Léa, essoufflée, se grattait le genou débarrassé du bas de soie.

— J’ai une puce, murmura-t-elle. Çui qui m’ l’attrapera aura ma fleur.

— On va la chercher, crièrent-ils à l’unisson.

Déjà ils relevaient leurs manches ; Léa souriait, montrant ses dents.

Retirant entièrement son bas, elle les arrêta :

— ’Tendez !… V’s’ allez voir. Seulement, faut m’obéir comme si j’étais l’ Saint-Esprit.

Ils levèrent la dextre en signe d’assentiment.

Autoritaire, elle ordonna :

— Bougnia, va dans cette pièce !

D’un index pointé, elle indiqua la chambre de Mme Cayon.

— Toi, Çois-Çois, trotte dans la cuisine !

De loin, elle lança son dernier avertissement.

— Et attendez-moi ou garde à vous !

Alors, elle compta jusqu’à dix, à haute voix, bien sagement.

Puis, agile, elle courut rejoindre le charbonnier. Et enfin, mutine, elle clama :

— Maintenant !… Installe l’ chauffage central !