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Les invisibles de Paris (Aimard)/IV/XIII

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Roy et Geffroy (p. 707-716).
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XIII

LUCILE GAUTHIER

Demeuré seul, le colonel Martial Renaud écouta le bruit des pas de la jeune fille, qui allait s’affaiblissant.

Lorsqu’il fut sûr de son complet éloignement, il rentra chez lui et referma la porte secrète.

Il n’avait plus besoin de se rendre dans le pavillon du duc de Dinan.

Edmée s’était chargée de lui porter les fonds destinés à les mettre à l’abri de la gêne, en l’absence des deux frères. Ses plans étaient modifiés.

Il rentra dans son cabinet de toilette et changea de vêtements.

Tout en procédant à ce changement, il murmurait :

— Pauvre enfant ! ce secret qu’elle croit enfoui au fond de son cœur, je l’ai pénétré. Ai-je eu raison en n’insistant pas pour qu’elle me le fît partager ? Oui. Mon devoir était de la détourner de son entreprise ardue. Elle aime Noël ! Elle sera sa femme ! Après tout, n’est-il pas juste que la femme prenne sa part, ou cherche à la prendre, dans la délivrance de son mari, de celui qui l’aime tant de son côté ?

Sa toilette tirait à sa fin.

Le colonel Martial Renaud venait de faire place à ce bon M. Lenoir, le commis-voyageur.

Personne ne l’eût reconnu, tant les nécessités de leur existence mystérieuse avaient donné d’habileté aux membres de l’association des Invisibles pour tout ce qui concerne l’art de la transformation.

Après avoir allumé une lanterne, M. Lenoir prit son chapeau et sortit.

Il avait bien soin de faire le moins de bruit possible.

Il traversa rapidement le corridor.

Puis, ayant atteint l’escalier, il le descendit quatre à quatre.

À coup sûr, le commis-voyageur tenait à ne pas éveiller les autres locataires de la maison.

En passant devant la loge du père Pinson, il aperçut de la lumière.

Le vieillard veillait encore.

Son chien Hurrah reposait, étendu à ses pieds.

Le colonel gratta à la fenêtre de la loge.

La fenêtre s’entre-bâilla.

Hurrah ouvrit à moitié les yeux, regarda M. Lenoir, le reconnut et rentra dans ses velléités dormitives.

— C’est vous, monsieur Lenoir ?

— Moi-même, mon brave.

— Vous y allez ?

— Oui.

— Elle vous attend.

— C’est bien.

Il passa devant la loge et pénétra dans le corps du logis de droite.

Quelques instants après, au troisième étage de ce corps de logis, il frappait deux coups discrets à la porte d’un petit appartement sous laquelle on voyait filtrer un rayon de lumière.

— Entrez ! fit une voix de femme.

La clef avait été laissée à dessein dans la serrure.

Le commis-voyageur entra.

Il se trouva en face de Lucile Gauthier.

La jeune femme, assise devant un guéridon, cousait à la lueur d’une lampe garnie d’un abat-jour.

Auprès d’elle se trouvait le berceau de son fils.

L’enfant dormait, le sourire aux lèvres, de ce sommeil qui est une des bénédictions du Seigneur.

Une grande pâleur régnait encore en maîtresse ennemie sur le visage de la jeune femme.

Mais ses traits, naguère encore atrophiés par la misère, avaient repris leurs lignes régulières, leur calme et leur placidité.

Elle était belle comme la Niobé antique.

On sentait qu’une douleur irrémédiable avait passé par là, mais l’expression mélancolique de sa physionomie, les épais bandeaux de sa chevelure noire, ajoutaient encore à l’attrait irrésistible s’échappant, s’exhalant comme un parfum de toute sa personne.

— Vous le voyez, monsieur, je vous attendais, dit-elle à M. Lenoir en le priant de s’asseoir.

Le commis-voyageur obéit.

— Vous à ma droite, d’un côté, mon enfant, de l’autre, je suis tranquille. Je me sens presque heureuse ! et pourtant, hélas ! Dieu seul sait si le bonheur est encore fait pour moi.

— Vous ne m’en voulez donc pas trop de vous faire veiller si tard ?

— Vous en vouloir, moi qui vous dois tant !

— Ne parlons pas de cela.

— J’ai supposé que d’importantes affaires vous retenaient.

— C’était vrai.

— D’ailleurs, je dors peu. Vous le savez, monsieur, mon seul plaisir, ma seule joie, est de veiller sur le sommeil de mon fils, le seul bien qui me reste au monde.

M. Lenoir la regardait avec un certain attendrissement.

— Vous êtes ingrate pour vos amis, Lucile ! lui dit-il, vous les oubliez, mais ils ne vous oublient pas, eux.

— Mes amis ! en ai-je ?

— Que suis-je donc ?

— Vous, monsieur !… C’est vrai, je suis ingrate…, mais vous vous intéressez à moi depuis si peu de temps, cher monsieur Lenoir, que je n’ai pas encore pris l’habitude de votre sympathie.

— Ma visite de cette nuit n’en est-elle pas une preuve irrécusable ?

— Il faut me pardonner, monsieur…, malgré les bienfaits dont vous m’accablez, sans que je devine la raison de votre bienfaisance, je souffre beaucoup.

— Vous manque-t-il quelque chose ?

— Rien.

— Est-ce le moral ou le physique qu’il faut soigner en vous ?

— Ah ! cher monsieur…, ce portrait ! ce portrait ! pourquoi s’est-il rencontré sous mes yeux ! murmura-t-elle d’une voix étouffée.

— Hasard ! pur effet du hasard !

— Non pas !

— Du reste, que vous ayez ou que vous n’ayez pas rencontré ce portrait qui vous a bouleversée, en quoi votre position, que vous acceptiez chrétiennement hier, est-elle changée aujourd’hui ? Voyons, mon enfant, soyez raisonnable.

Lucile s’essuya les yeux sans répondre.

M. Lenoir rompit les chiens.

— Voyons, ma chère enfant, continua-t-il, écoutez-moi.

— Dites, monsieur.

— Je suis envoyé près de vous par votre ami le plus cher…

— Par qui ?

— L’homme qui vous a sauvée.

— Pourquoi ne vient-il pas lui-même ?

— Vous le saurez plus tard.

— Pourquoi ne l’ai-je pas revu depuis cette triste nuit ? Pour quelle raison s’est-il obstinément, malgré le désir que je vous ai exprimé, malgré mes prières, soustrait au témoignage de ma reconnaissance ?

— Le lendemain même, quelques heures après s’être occupé de vous et de votre enfant, il s’est vu contraint de partir pour un long voyage.

— Quand viendra-t-il ?

— Je l’ignore.

— Vous avez de ses nouvelles pourtant ?

— Oui…, puisque je vous apporte ses instructions.

— Aurait-il découvert… ? demanda-t-elle vivement, ne pouvant contenir l’agitation nerveuse qui peu à peu s’emparait de tout son être.

— Rien encore, mon enfant.

— Hélas ! c’est pour mon fils seul que je désire savoir…

— Mais prenez courage, continua Martial Renaud ; la vengeance, ou plutôt la justice divine marche d’un pas lent mais toujours sûr. Un jour, l’homme qui a causé vos malheurs sera puni. Vous serez vengée.

— Vengée ! fit-elle tristement ; cette vengeance me rendra-t-elle ma vie perdue, ma félicité détruite, tous les rêves d’avenir que je faisais, brillants et purs ?

— Elle vous donnera toujours une réparation nécessaire à votre bonheur entaché ; elle donnera peut-être un nom honoré, sinon honorable, à votre fils.

— Et si je n’accepte pas cette humiliante réparation, si je préfère que mon fils se fasse un nom, plutôt que de prendre celui du bourreau de sa mère ?

— Vous serez libre, Lucile…, et à partir de ce jour-là vous marcherez la tête plus haute, le cœur plus léger.

Lucile pleurait.

Les paroles de M. Lenoir calmaient sa douleur, l’endormaient, mais elles ne parvenaient pas à l’effacer, à la chasser complètement.

Elle reprit :

— Excusez-moi, monsieur, je ne suis pas encore maîtresse de mes sensations quand je me reporte au souvenir de l’horrible attentat qui a fait tout mon malheur.

— Votre douleur est si légitime, que je n’ai rien à excuser dans vos paroles.

— Je me sens plus forte maintenant. Parlez, monsieur, je vous écoute.

— Chère enfant, votre protecteur inconnu veille sur vous de loin, comme il y veillerait de près. Voici la mission dont il m’a chargé.

— Parlez.

— Tout d’abord, persuadez-vous-le bien, vous êtes tout à fait libre de refuser ou d’accepter les propositions que je viens vous faire en son nom.

— Je les accepte d’avance.

— Votre situation demeurera la même. On ne désire qu’une seule chose.

— Laquelle ?

— Vous voir heureuse. On ne vous impose rien.

— Cher monsieur Lenoir ! fit-elle en lui saisissant la main et en la serrant avec affection.

Elle laissa aller ensuite cette main amie, et, se penchant sur le lit de son fils, elle l’embrassa tendrement.

— Continuez, dit-elle. De quoi s’agit-il ?

— Je vais vous rapporter les propres paroles de celui qui s’intéresse tant à vous. Notez-le bien, Lucile, c’est à moi que ces paroles ont été adressées ; je ne suis ici qu’un écho fidèle. Écoutez-moi comme si vous entendiez votre sauveur lui-même.

Lucile lui prêtait une attention religieuse.

— Lucile Gauthier, m’a-t-on dit, est une enfant des grèves bretonnes. Élevée sur les bords de l’Océan armoricain, sa vue s’est accoutumée de bonne heure à contempler les grands horizons. Dès sa plus tendre enfance, elle respirait les acres senteurs, les rudes saveurs de la mer. C’est ce qui la mine, ce qui la tuerait, si l’on ne remédiait rapidement à cette nostalgie de l’Océan.

La jeune femme suivait avec stupéfaction la parole claire de M. Lenoir.

Son ancienne vie lui apparaissait subitement ; elle se revoyait enfant, courant dans le sable mouillé ; jeune fille, aidant les pêcheurs par les gros temps. Elle voyait défiler devant ses yeux éblouis par les miroitements du passé toutes ses joies et ses douleurs d’enfant et de jeune fille.

Puis une espérance pointait pour elle à l’horizon de son avenir.

Elle attendait haletante ce que M. Lenoir allait lui dire encore.

M. Lenoir reprit :

— On ajoutait : Aujourd’hui, la pauvre enfant, reléguée à Paris, dans une chambre étouffée, vivant seule avec son enfant, qui lui fait négliger le soin de sa propre santé, renfermée comme une plante exotique dans une serre chaude, se sent décliner de jour en jour. Elle souffre, et sans le vouloir elle fait souffrir la créature innocente, sa seule affection, son seul souci sur la terre.

— Mon enfant !… Vous dites, monsieur, que mon fils…

— Pardon… je ne dis rien… On dit…

— Oui, oui… Je suis si troublée rien qu’à l’idée que cette chère créature peut se ressentir de mes douleurs…

— Tout cela est-il vrai ? demanda le mandataire de ce protecteur inconnu.

— J’en conviens, répondit Lucile avec une expression désespérée… J’essayerais vainement de vous donner le change.

— Je ne vous demande que de la franchise.

— J’en aurai.

— Il nous faut combattre le mal qui vous mine.

— Ce mal est-il donc sans remède, selon vous ?

— Laissez-nous tenter de le guérir.

— Vous ne le pourrez pas.

— Qui sait ?

— Oh ! s’écria Lucile dans un état exalté touchant presque à l’hallucination, si je pouvais revoir la Bretagne.

— Attendez ! interrompit M. Lenoir.

Elle ne l’entendait plus.

Elle continua :

— Si je respirais les brises du large, si j’étais libre de courir avec lui — elle montrait son fils — sur la plage déserte, en cherchant du goëmon et du varech !

— Espérez !

— Oh ! sainte Vierge d’Auray, je crois que je serais presque heureuse ! je crois que je parviendrais à recommencer ma vie !

— Écoutez-moi.

Elle s’arrêta dans son élan, et étouffant un soupir de découragement :

— Parlez… Je suis folle… Je ne vous interromprai plus.

— Ne vous ai-je pas dit : Qui sait ?

— Eh bien ! fit-elle avec une lueur d’espérance dans le regard.

— Vous êtes une forte nature, n’est-ce pas ?

— J’ai supporté bien des privations, des fatigues, des malheurs inouïs… et je ne suis pas morte !

— Avec vous les ménagements sont superflus ?

— La destinée ne m’a pas ménagée, vous le savez, répliqua-t-elle amèrement.

— On peut aller droit au but ?

— Oui, répondit-elle fiévreusement, je suis prête à tout entendre.

— Alors…

Elle l’arrêta une dernière fois et lui dit :

— Mais, prenez-y garde, mon ami.

— Dites.

— Je commence, malgré moi, à sentir un espoir inconnu se glisser dans mon âme. Que puis-je espérer ? Je l’ignore, je le cherche et ne le trouve pas. Mais vos encouragements, vos préparations m’entr’ouvrent la porte bénie d’une existence nouvelle…, d’un paradis que je croyais fermé pour moi.

— Mais je n’ai pas voulu…

— Prenez-y garde, répéta Lucile, dont toute l’essence nerveuse se révélait dans son langage saccadé, dans son débit rapide, avant d’aller plus loin, arrêtez-vous, il en est temps encore ! Si cet espoir indistinct prenait une forme dans vos discours pleins de promesses, et que la désillusion dût arriver ensuite, je le sens, malgré tout mon courage, malgré le désir que j’ai de vivre pour lui, ce coup serait le dernier, il me tuerait.

M. Lenoir avait laissé passer cette avalanche de sentiment et de nervosité sans essayer de l’arrêter.

Il comprenait que c’eût été un effort inutile.

Lorsqu’elle eut fini, il saisit la main de la jeune mère et lui dit d’une voix douce et sympathique :

— Eh bien ! Lucile, cet espoir peut se réaliser !

— Grand Dieu !

— Aujourd’hui même.

— Vous ne me trompez pas ?

— Dans quelques heures.

Lucile se leva tremblante.

— Tant de bonheur serait-il possible ! fit-elle d’une voix étouffée. Non. Je ne vous crois pas… C’est impossible !


Une femme se tenait immobile sur le seuil de la porte.

Elle hocha tristement la tête.

Elle retomba sur sa chaise, et incapable de supporter une joie aussi inattendue, elle éclata en sanglots.

M. Lenoir voulut la convaincre par des preuves irréfutables.

Il prit son portefeuille, l’ouvrit et il en tira plusieurs papiers.

— Regardez.

Elle obéit.

Il lui montra l’acte de vente régularisé de la maison qui appartenait à son père et des sept arpents de terrain y attenant.

L’achat de la terre et de la maison avaient été faits au nom de Lucile Gautier.

Il n’y avait rien à répondre à cela.

Lucile prit le papier, le parcourut, le baisa à plusieurs reprises.

Son visage rayonnait au milieu des larmes qui l’inondaient.

Par un mouvement spontané, elle tomba à genoux devant le berceau de son enfant.

Et elle pria.

M. Lenoir essuya ses lunettes d’or.

Il se sentait en ce moment aussi heureux, sinon plus, que la pauvre mère elle-même. Il se disait :

— Ô fortune ! ô puissance sans seconde ! voilà les vrais bonheurs que tu donnes à ceux qui te possèdent ! Ô richesse que je méprisais, sois bénie ! Malheureux ceux qui te gardent enfouie dans leurs caves ou dans leurs coffres-forts ! Ils ne connaissent pas tes plus doux fruits !

Lorsqu’elle eut fini son ardente prière, la jeune femme, sans se relever, se tournant vers celui qui lui représentait la Divinité descendue sur la terre, elle lui prit la main et la lui baisa.

Le mandataire de son protecteur inconnu, voulant se soustraire aux démonstrations de cette reconnaissance, qui ne lui appartenait qu’en second, reprit vivement :

— La maison est telle que vous l’avez laissée, Lucile. Vous y trouverez les vieux meubles qui vous étaient si chers, votre chambre de jeune fille telle que vous l’avez quittée ; rien ne manque : ni la barque et ses agrès, ni les engins de pêche. Il y a un cheval dans l’écurie, deux vaches et une chèvre dans l’étable. Dans la basse-cour se trouvent des poules, des lapins, des canards… tous les animaux que vous nourrissiez et avec lesquels vous jouiez. Tout est comme autrefois, rien n’est changé. Vous étiez deux dans la maison, vous serez deux encore. Espérons que vous y vivrez plus tranquilles, plus heureux.

— Oh ! mon père ! mon père ! vous ne serez point là pour me recevoir, pour m’ouvrir vos bras en signe de pardon.

— La bénédiction qu’il n’aurait pas manqué de vous donner, Lucile, c’est votre fils qui la rapportera dans la maison, par sa seule présence.

— Vous savez guérir toutes les blessures, mon ami.

— Avec la rente qui vous a été constituée lors de votre installation dans cet appartement, ajouta M. Lenoir, vous vivrez à votre aise dans ce pays, où, vous le savez, il faut si peu pour vivre.

— Quand puis-je partir ?

— Quand il vous plaira. Vous pouvez disposer de tous les objets qui sont ici. Ils vous appartiennent. Maintenant, Lucile, acheva-t-il en se levant, ma mission est accomplie.

« Il ne me reste plus qu’à prendre congé de vous, en vous renouvelant l’assurance que votre protecteur ne cessera pas de veiller sur vous.

Il allait se retirer.

Lucile le retint timidement.

— Un mot encore, un seul, avant de nous séparer, pour longtemps sans doute, pour toujours peut-être !

— Que désirez-vous ?

— Un nom.

— Le nom de qui ?

Celui de ce protecteur qui veut rester inconnu.

— J’ai promis de le taire.

— Je vous supplie de me l’apprendre.

— Dans quel but ?

— Afin que je puisse le mêler au vôtre dans mes prières.

M. Lenoir hésitait.

Elle continua en le pressant, en le suppliant avec une chaleur croissante.

— Afin de l’apprendre à mon enfant en même temps que celui de Dieu.

— Vous allez me faire manquer à une promesse sérieuse.

— Par grâce ! dit la jeune femme en joignant les mains.

Elle était si touchante dans son attitude de suppliante, que le commis-voyageur ne se sentit pas la force de résister plus longuement.

— Vous le voulez absolument ? dit-il.

— Je vous en supplie à mains jointes.

— Eh bien ! Lucile, j’assume sur moi la responsabilité de l’indiscrétion que je vais commettre.

— Oh ! dites ! dites !

— Votre protecteur, votre sauveur, l’homme qui n’a cessé de vous suivre dans tout le cours de votre pénible existence, celui qui s’est révélé à vous, qui vous a tendu la main à l’heure où le désespoir vous poussait au suicide, au crime…

— C’est ?

— C’est celui que vous avez connu autrefois…

— Là-bas ?

— Oui.

— En Bretagne ?

— Oui.

— Il se nomme Noël, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Oh ! s’écria-t-elle avec ferveur, j’en étais sûre ! Mon cœur ne m’avait pas trompée.

Elle cacha sa tête dans ses mains.

M. Lenoir sortit, ne voulant pas essuyer des pleurs qui, cette fois, coulaient sans la moindre amertume.

Des pleurs rares !

Des pleurs de joie !

Il ferma derrière lui la porte de ce logis où il venait d’apporter, de ramener la lumière de l’amour, la gaieté de l’espérance, et il s’arrêta sur le seuil.

Alors son visage changea subitement d’expression.

— Adieu, mes œuvres de paix et de clémence, adieu ! Je viens d’avoir affaire à deux anges d’ici-bas, dont le premier, la douce et tendre Edmée, ne le cède en rien aux anges du paradis ; dont le second, la malheureuse Lucile, se relève d’une chute profonde. Heures bénies, adieu ! Il me reste de rudes devoirs à remplir, une cruelle vengeance à exercer, une implacable justice à mettre en jeu. Ne songeons plus qu’aux coupables qui ont commis le crime et aux moyens qu’il me faut employer pour arriver à l’expiation de ce crime.

Et, froid, impassible comme le destin, il descendit lentement, pour marcher à la vengeance, cet escalier qu’il venait de monter si rapidement pour apporter l’oubli et le pardon.