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Les jours et les nuits/V/III

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Société du Mercure de France (p. 218-220).

iii
l’émail des poupées

Deux ans et demi après, Sengle entra avec Nosocome dans l’hôpital des petits enfants. Il vêtit, comme son camarade, une longue veste d’interne en toile blanche, semblable à un bourgeron militaire ; et ils passèrent d’abord dans la salle de Nosocome, agacés par des infirmières à des détours d’escaliers. Dans tous les lits, des petites filles regardaient devant elles, comme est le principal exercice des malades ; et dans un lit central, une grande poupée, plutôt plus grande que les petites filles, était la seule qui suivit d’un regard intelligent les visiteurs, du moins comme un portrait.

Dans une salle de petits garçons, Sengle prit un bistouri et Nosocome demanda à l’infirmière s’il y avait un malade qui desquamât bien. Elle fit basculer le côté droit du lit d’un petit de quatre ans, abaissa les couvertures et releva la chemise. Comme Sengle lui posait le bistouri sur le ventre :

« Vous allez me faire mal, Monsieur, » dit le petit, suivant des images ailleurs, au-dedans de sa tête transparente.

Nosocome dit quelques bonnes banales paroles, et Sengle, avec des gestes de barbier, commença de raser les petites écailles paille, du côté droit du ventre, vers l’aine, et les recueillait dans une enveloppe de lettre.

L’infirmière ouvrit l’autre balustrade de fer du lit machiné, et on recueillit aussi les écailles sénestres.

« Ce n’est pas la peine, vous savez, Madame, dit Nosocome, de dire au Chef que Monsieur le docteur étranger a recueilli des squames ; c’est pour des recherches qu’il ne faut pas ébruiter sur le bacille de la scarlatine. »

Sengle de ses ongles poudrés de squames pinça la gorge de l’infirmière en un geste apparent de viol ; elle rit et ne sut pas. Puis, s’étant lavé les mains, ils partirent.