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Les plantes insectivores/01

La bibliothèque libre.
Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 1-20).

LES PLANTES INSECTIVORES


chapitre premier.

Le drosera rotundifolia.

Nombre des insectes capturés. — Description des feuilles ; leurs appendices ou tentacules. — Remarques préliminaires sur l’action des divers organes et sur le mode de capture des insectes. — Durée de l’inflexion des tentacules. — Nature de la sécrétion. — Procédé par lequel les insectes sont amenés au centre de la feuille. — Preuve que les glandes ont une puissance d’absorption. — Petitesse des racines.


Me trouvant pendant l’été de 1860 dans les landes du comté de Sussex, je remarquai, avec une grande surprise, le nombre considérable d’insectes saisis par les feuilles du Rossolis (Drosera rotundifolia). J’avais entendu dire que les feuilles de cette plante capturent les insectes ; mais là se bornait tout ce que je savais à ce sujet[1]. Je pris au hasard une douzaine de plantes portant cinquante-six feuilles bien ouvertes, sur trente et une desquelles se trouvaient des insectes morts ou des débris d’insectes. Sans aucun doute, ces mêmes feuilles auraient saisi encore un grand nombre d’insectes, et les feuilles qui
Fig. 1. — Drosera rotundifolia.[2]
Feuille vue de face ; grossie quatre fois.
n’étaient pas développées au moment où je les vis en auraient infailliblement pris un plus grand nombre encore. Les six feuilles que portait l’une des plantes avaient saisi chacune sa proie ; sur d’autres plantes, beaucoup de feuilles avaient attrapé plus d’un insecte. Je trouvai, en effet, sur une grande feuille, les restes de treize insectes différents. Les mouches (Diptera) sont capturées beaucoup plus souvent que les autres insectes. L’insecte le plus gros que j’aie vu saisir par une feuille est un petit papillon (Cœnonympha pamphilus) ; mais le Rév. H.-M. Wilkinson m’apprend qu’il a trouvé une grosse libellule vivante emprisonnée entre deux feuilles. Cette plante est extrêmement commune dans quelques districts ; aussi le nombre des insectes détruits par elle chaque année doit-il être prodigieux. Beaucoup de plantes causent la mort des insectes, les bourgeons visqueux du marron d’Inde (Æsculus hippocastanum), par exemple ; mais, autant toutefois que nous pouvons le savoir, sans en tirer aucun avantage. Il devint, au contraire, bientôt évident pour moi que le Drosera est tout particulièrement adapté à un but spécial, celui de saisir les insectes, et ce sujet me sembla digne de recherches attentives.

Ces recherches m’ont permis d’obtenir des résultats très-remarquables, dont les principaux sont : 1o la sensibilité extraordinaire des glandes quand on les soumet à une légère pression ou quand on les traite par des doses infinitésimales de certaines liqueurs azotées, sensibilité qui se traduit par les mouvements des poils ou tentacules ; 2o la faculté que possèdent les feuilles de rendre solubles ou de digérer les substances azotées, puis de les absorber ; 3o les changements qui se produisent à l’intérieur des cellules des tentacules, quand on excite les glandes de différentes façons.


Fig. 2. — Drosera rotundifolia.
Vieille feuille, vue de côté, grossie environ cinq fois.
Mais il est tout d’abord indispensable de décrire brièvement la plante. Le Rossolis porte deux ou trois, et quelquefois cinq ou six feuilles, étendues ordinairement dans une position plus ou moins horizontale, mais quelquefois aussi se dressant verticalement. La figure 1 représente la forme et l’aspect général d’une feuille vue de face, et la figure 2 une feuille vue de côté. Les feuilles sont ordinairement un peu plus larges que longues ; mais tel n’est pas le cas dans celle que représente la figure 1. Toute la face supérieure de la feuille est recouverte de filaments portant des glandes ; j’appellerai ces filaments des tentacules, à cause de leur mode d’action. J’ai compté les tentacules de trente et une feuilles, et le nombre moyen des glandes s’est trouvé être de 192 ; mais quelques-unes de ces feuilles étaient extraordinairement grandes. Le nombre le plus considérable de glandes trouvées sur une feuille est de 260 et le plus petit de 130. Chaque glande est entourée de larges gouttes d’une sécrétion extrêmement visqueuse : ces gouttes, brillant au soleil, ont valu à la plante son nom poétique de rossolis[3].

Les tentacules du disque ou partie centrale de la feuille sont courts, et droits ; leurs pédicelles sont verts. Ils deviennent de plus en plus longs à mesure qu’ils se rapprochent davantage du bord de la feuille, et s’inclinent de plus en plus en dehors ; les pédicelles de ces derniers sont pourpres. Les tentacules, placés sur le rebord même de la feuille, s’étendent dans le même plan que celle-ci, ou plus ordinairement ils sont considérablement réfléchis (voir fig. 2). Quelques tentacules s’élèvent de la base, de la queue ou pétiole ; ce sont les plus longs de tous, car ils atteignent quelquefois près d’un quart de pouce (6 millim.) de longueur. Sur une feuille portant 252 tentacules, le nombre des tentacules courts du disque, ayant des pédicelles verts, était au nombre des tentacules plus longs du bord et de l’extrême bord, ayant des pédicelles pourpres, comme 9 est à 16.

Un tentacule consiste en un pédicelle, droit, mince, ressemblant à un poil, et portant une glande à l’extrémité supérieure. Le pédicelle est quelque peu aplati et est formé par plusieurs rangées de cellules allongées, remplies d’un fluide pourpre ou de matières granuleuses[4]. On remarque cependant chez les longs tentacules, juste au-dessous de la glande, une zone étroite de couleur verte, et, près de la base, une zone plus large, verte aussi, Des vaisseaux spiraux, accompagnés de simples tissus vasculeux, partent des membranes vasculaires de la feuille et traversent les tentacules pour aboutir dans les glandes.

Plusieurs physiologistes éminents ont longuement discuté sur la nature homologique de ces appendices ou tentacules ; la question est, en effet, de savoir s’il faut les considérer comme des poils (trichomes) ou comme des prolongements de la feuille. Nitschke a démontré qu’on trouve dans ces appendices tous les éléments propres à la feuille, et le fait qu’ils contiennent des tissus vasculaires eût été autrefois une preuve suffisante que ce ne sont que de simples prolongements de la feuille ; mais on sait aujourd’hui que ces vaisseaux pénètrent quelquefois dans les vrais poils[5]. La faculté de se mouvoir que possèdent ces appendices est un fort argument pour ne pas les considérer comme des poils. Je donnerai, dans le chapitre xv, la conclusion qui me semble la plus probable, c’est-à-dire que ces appendices étaient, dans le principe, des poils glandulaires ou de simples formations de l’épiderme, et qu’il faut encore considérer ainsi leur partie supérieure ; mais que la partie inférieure, la seule qui soit douée de la faculté du mouvement, est un prolongement de la feuille, les vaisseaux en spirale s’étendant de cette partie jusqu’à l’extrémité supérieure. Nous verrons ci-après que les
Fig. 3. — Drosera rotundifolia.
Coupe longitudinale d’une glande grossie considérablement, d’après le Dr Warming.
tentacules terminaux des feuilles dentelées de la Roridula se trouvent encore dans une condition intermédiaire.

Les glandes, à l’exception de celles portées par les tentacules situés au bord extrême de la feuille, sont ovales et ont une grandeur presque uniforme, à peu près 4/500e de pouce de longueur (0,2 millim.). Leur conformation est remarquable et leurs fonctions complexes, car elles sécrètent et elles absorbent divers stimulants et sont affectées par eux. Ces glandes consistent en une couche extérieure de petites cellules polygonales, contenant des matières pourpres à l’état granuleux ou à l’état fluide ; les cloisons qui séparent ces cellules sont plus épaisses que celles des pédicelles. À l’intérieur de cette couche de cellules, il y a une seconde couche d’autres cellules qui ont une forme différente et qui sont aussi remplies d’un fluide pourpre ; mais cette liqueur a une teinte quelque peu différente et le chlorure d’or l’affecte différemment aussi. Parfois, on peut très-bien voir ces deux couches quand on a écrasé la glande ou qu’on l’a fait bouillir dans une solution de potasse caustique. Selon le Dr Warming, il y a encore une autre couche de cellules beaucoup plus allongées, ainsi qu’on le voit dans la coupe ci-dessus (fig. 3), que j’ai empruntée à son ouvrage. Toutefois, Nitschke n’a pas vu ces cellules et je ne les ai pas vues plus que lui. Au centre de la glande, se trouve un groupe de cellules cylindriques allongées, de longueur inégale, terminées en pointe grossière à leur extrémité supérieure, et tronquées ou arrondies à leur extrémité inférieure ; elles sont étroitement pressées les unes contre les autres. Il est à remarquer qu’elles sont entourées par une ligne en spirale que l’on peut isoler comme une fibre distincte.

Ces dernières cellules sont remplies d’une liqueur limpide, laquelle, après une longue immersion dans l’alcool, dépose une quantité considérable de matières brunes. Je suppose que ces cellules sont en relation immédiate avec les vaisseaux spiraux qui se prolongent jusqu’à l’extrémité des tentacules ; car, dans plusieurs occasions, j’ai vu ces derniers se diviser en deux ou trois branches extrêmement minces, dont on pouvait suivre la trace jusqu’aux cellules spirales. Le Dr Warming a décrit leur développement. Le Dr Hooker m’apprend qu’on a observé des cellules de la même espèce dans d’autres plantes ; j’en ai observé moi-même dans les bords de la feuille de la Pinguicula. Quelle que puisse être la fonction de ces cellules, elles ne sont nécessaires ni à la sécrétion de la liqueur digestive, ni à l’absorption, ni à la communication d’une impulsion motrice à d’autres parties de la feuille, comme la structure des glandes dans quelques autres genres de Droséracées nous autorise à le penser.

Les tentacules qui se trouvent sur le bord extrême de la feuille diffèrent légèrement des autres. Leur base est plus large, et, outre leurs propres vaisseaux, ils comprennent un prolongement très-mince de ceux qui pénètrent dans les tentacules qui les entourent. Leurs glandes sont très-allongées et se trouvent enfouies dans la surface supérieure du pédicelle au lieu de reposer sur le sommet. Sous les autres rapports, ces tentacules ne diffèrent pas essentiellement des tentacules ovales ; sur un échantillon, j’ai trouvé toutes les transitions possibles entre les deux états ; sur un autre spécimen je n’ai pas trouvé de glandes allongées. Ces tentacules du bord de la feuille perdent leur irritabilité plus tôt que les autres ; quand on applique un stimulant au centre de la feuille, ils se mettent en mouvement après les autres. Quand on plonge dans l’eau des feuilles coupées, ce sont souvent les seuls qui s’infléchissent.

La liqueur pourpre ou la matière granuleuse qui remplit les cellules des glandes diffère, jusqu’à un certain point, de celle qui remplit les cellules des pédicelles. En effet, quand on plonge une feuille dans l’eau chaude ou dans certains acides, les glandes deviennent entièrement blanches et opaques, tandis que les cellules des pédicelles tournent au rouge brillant, à l’exception de celles qui se trouvent immédiatement au-dessous des glandes. Ces dernières cellules perdent leur teinte rouge pâle ; les matières vertes qu’elles contiennent en commun avec les cellules de la base, prennent une teinte verte plus brillante. Les pétioles portent beaucoup de poils multicellulaires, dont quelques-uns, selon Nitschke, sont surmontés par quelques cellules arrondies qui paraissent être des glandes rudimentaires. Les deux surfaces de la feuille, les pédicelles des tentacules, surtout les côtés inférieurs des tentacules extérieurs et les pétioles, sont couverts de petites papilles (poils ou trichomes) ayant une base conique, et portant à leur sommet deux et parfois trois ou même quatre cellules arrondies, contenant beaucoup de protoplasma. Ces papilles sont ordinairement incolores ; quelquefois, cependant, elles renferment un peu de liqueur pourpre. Leur grandeur varie et, comme le constate Nitschke[6] et ainsi que je l’ai observé bien des fois, elles se transforment graduellement en longs poils multicellulaires. Ces derniers, aussi bien que les papilles, sont probablement les rudiments de tentacules qui existaient autrefois.

Je puis ajouter ici, afin de n’avoir plus à m’occuper des papilles, qu’elles ne sécrètent pas de liqueur, mais qu’elles se laissent facilement traverser par différents fluides ; ainsi, quand on plonge des feuilles mortes ou vivantes dans une solution composée d’une partie de chlorure d’or ou d’azotate d’argent et de 437 parties d’eau, les papilles noircissent rapidement, et la décoloration s’étend bien vite aux tissus environnants. Les longs poils multicellulaires ne sont pas affectés aussi rapidement. Après une immersion de dix heures dans une faible infusion de viande crue, les cellules des papilles avaient évidemment absorbé des matières animales ; car, au lieu de contenir une liqueur limpide, elles contenaient alors de petites masses agglutinées de protoplasma, qui changeaient constamment mais lentement de forme. On obtient le même résultat par une immersion de quinze minutes seulement, dans une solution d’une partie de carbonate d’ammoniaque et de 218 parties d’eau ; les cellules avoisinant les tentacules sur lesquels reposent les papilles, contiennent alors aussi des masses agglutinées de protoplasma. Nous pouvons conclure de ces faits que, lorsqu’une feuille s’est complètement refermée sur un insecte qu’elle vient de saisir de la façon que nous allons décrire, les papilles qui font saillie sur la surface supérieure de la feuille et des tentacules absorbent probablement quelques parties des substances animales dissoutes dans la sécrétion ; mais il n’en peut être de même pour les papilles placées à la surface inférieure des feuilles ou sur les pétioles.

Observations préliminaires sur l’action des diverses parties et sur le mode de capture des insectes.

Si on place un objet organique ou inorganique sur les glandes qui se trouvent au centre d’une feuille, ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules marginaux. Les tentacules les plus rapprochés sont les premiers affectés et s’inclinent lentement vers le centre de la feuille ; ce mouvement se communique progressivement jusqu’à ce qu’enfin tous les tentacules de la feuille s’infléchissent pour reposer sur l’objet. Ce résultat final se produit en un temps très-variable, c’est-à-dire en une heure, ou bien en quatre ou cinq heures, ou même plus. Cette différence de temps dépend de beaucoup de circonstances : d’abord de la grosseur de l’objet et de sa nature, c’est-à-dire s’il contient des matières solubles qui conviennent à la plante ; de la vigueur et de l’âge de la feuille ; du laps de temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a agi ; et, enfin, selon Nitschke[7], de la température, observation que j’ai été à même de confirmer. Un insecte vivant fait infléchir les tentacules plus rapidement qu’un insecte mort, parce qu’en se débattant il appuie sur les glandes de beaucoup d’entre eux. Un insecte tel qu’une mouche, dont les téguments sont minces et à travers lesquels, par conséquent, les substances animales en solution passent facilement pour se mêler à la sécrétion épaisse qui les environne, cause une inflexion plus prolongée qu’un insecte à l’armure épaisse, tel qu’un scarabée. Les tentacules s’infléchissent indifféremment à la lumière et dans l’obscurité, la plante n’étant pas sujette au mouvement nocturne qu’on désigne ordinairement sous le nom de sommeil.

Si l’on touche plusieurs fois, ou si l’on chatouille les glandes qui se trouvent sur le disque, bien qu’on n’y laisse aucun objet, les tentacules marginaux s’infléchissent vers le centre. Si l’on place sur les glandes centrales des gouttes de différents liquides, par exemple quelques gouttes de salive ou d’une solution d’un sel d’ammoniaque, le même résultat se produit rapidement, quelquefois même en moins d’une demi-heure.


Fig. 4. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont tous les tentacules sont complètement infléchis par suite d’une immersion dans une solution de phosphate d’ammoniaque (une partie de phosphate pour 87,500 parties d’eau).
Les tentacules, quand ils s’infléchissent, traversent un large espace ; ainsi, un tentacule marginal s’étendant dans le même plan que la feuille décrit un angle de 180° ; j’ai vu les tentacules très-réfléchis d’une feuille qui, à l’état naturel, se tenaient parfaitement droits, décrire un angle de 270°. La partie apte à se courber est confinée à un court espace auprès de la base ; toutefois, une portion un peu plus grande des tentacules extérieurs plus longs se courbe légèrement ; la moitié libre restant droite. Les tentacules courts, placés au centre du disque, ne s’infléchissent pas quand on les excite directement, mais ils peuvent s’infléchir s’ils sont excités par un mouvement qui leur a été communiqué par d’autres glandes placées à une certaine distance. Ainsi, si on plonge une feuille dans une infusion de viande crue, ou dans une faible solution d’ammoniaque (si la solution est un peu forte, la feuille est paralysée), tous les tentacules extérieurs s’infléchissent vers le centre de la feuille (voir fig. 4), excepté, toutefois, ceux situés près du centre qui restent droits ; mais ces derniers se courbent vers un objet placé sur un des côtés du disque comme on peut le voir dans la figure 5. On peut remarquer, dans la figure 4, que les glandes forment un véritable anneau autour du centre ; cela provient de ce que les tentacules extérieurs augmentent en longueur, proportionnellement à leur éloignement du centre.


Fig. 5. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont une partie des tentacules sont infléchis sur un morceau de viande placé le disque.
On peut étudier avec plus de fruit le mode d’inflexion des tentacules si l’on excite la glande de l’un des longs tentacules extérieurs, parce que, dans ce cas, ceux qui l’environnent ne sont pas affectés. La figure 6 représente un tentacule sur lequel on a placé une parcelle de viande ; il s’incline vers le centre de la feuille tandis que les deux autres conservent leur position originelle. On peut exciter une glande en la touchant simplement 3 ou 4 fois, ou en la mettant en contact prolongé avec des objets organiques ou inorganiques et avec différents liquides. Au moyen d’un verre grossissant, j’ai pu observer distinctement qu’un tentacule commence à s’infléchir dix secondes après qu’un objet a été placé sur la glande ; j’ai remarqué souvent une inflexion fortement prononcée en moins d’une minute. Il est à remarquer qu’un morceau fort petit d’une substance quelconque, tel qu’un fil, un cheveu, ou un éclat de verre, placé en contact immédiat avec la surface d’une glande, suffit pour faire infléchir le tentacule. Si l’objet que ce mouvement a transporté au centre de la feuille n’est pas très-petit, ou s’il contient des substances azotées solubles, il agit sur les glandes centrales ; celles-ci transmettent à leur tour une impulsion aux tentacules extérieurs et les font s’infléchir vers le centre. Quand une substance très-excitante ou qu’un liquide est placé sur le disque, les tentacules ne sont pas les seuls à s’infléchir ; la feuille elle-même se recourbe
Fig. 6. — Drosera rotundifolia.
Diagramme montrant un des tentacules extérierieurs complètement infléchi ;. les deux tentacules adjacents ont conservé leur position ordinaire.
souvent, mais pas toujours. Une goutte de lait ou une goutte d’une solution d’azotate d’ammoniaque ou de soude sont particulièrement aptes à produire cet effet. La feuille se transforme alors en une sorte de petite coupe. Le mode d’incurvation varie beaucoup. Quelquefois le sommet seul de la feuille, quelquefois un des cotés, quelquefois même les deux côtés s’infléchissent vers l’intérieur. Par exemple, j’ai placé quelques parcelles d’œuf dur sur trois feuilles ; chez l’une d’elles, le sommet s’est incliné vers la base ; chez la seconde les deux bords se sont considérablement infléchis, de telle sorte que la feuille était presque devenue triangulaire, c’est là, d’ailleurs, le cas le plus commun ; la troisième n’a pas été affectée, bien que les tentacules se soient aussi complètement infléchis que dans les cas précédents. D’ordinaire aussi, la feuille entière se soulève ou se redresse, et forme avec la tige un angle plus petit qu’auparavant. À première vue, on pourrait prendre ce mouvement pour un mouvement distinct, mais il provient de l’inflexion de cette partie de la feuille qui est attachée à la tige, inflexion qui amène la feuille entière à éprouver un mouvement de bas en haut.

Le laps de temps pendant lequel les tentacules, aussi bien que la feuille elle-même, restent infléchis sur un objet placé sur le disque dépend de diverses circonstances ; c’est-à-dire de la vigueur et de l’âge de la feuille, et, selon le docteur Nitschke, de la température ; en effet, pendant le froid, alors que les feuilles sont inactives, elles reprennent leur position normale beaucoup plus rapidement que lorsque le temps est chaud. Toutefois, la nature de l’objet est de beaucoup la circonstance la plus importante ; de nombreuses observations m’autorisent à conclure que les tentacules restent fixés beaucoup plus longtemps sur des objets qui fournissent des matières azotées solubles que sur ceux, organiques ou inorganiques, qui ne fournissent pas de matières semblables. Après une période variant de un à sept jours, les tentacules et la feuille reprennent leur position normale et sont prêts à agir une seconde fois. J’ai vu la même feuille s’infléchir trois fois de suite sur des insectes placés sur le disque, et il est probable qu’elle aurait pu agir un bien plus grand nombre de fois.

La sécrétion des glandes est si visqueuse qu’elle peut s’étirer en longs fils. Elle paraît incolore, cependant elle tache le papier en rose pâle. Dès qu’un objet, quel qu’il soit, est placé sur une glande, celle-ci, je crois pouvoir l’affirmer, émet toujours des sécrétions plus abondantes ; mais la présence même de l’objet rend la preuve de cette assertion très-difficile. Dans quelques cas, cependant, l’effet est très-marqué, quand on met, par exemple, sur la glande une parcelle de sucre ; il est vrai que, dans ce cas, l’abondance de la sécrétion est probablement due à l’exosmose.

La présence de parcelles de carbonate et de phosphate d’ammoniaque et de quelques autres sels comme, par exemple, le sulfate de zinc, augmente aussi la sécrétion. L’immersion dans une solution contenant une partie de chlorure d’or ou de quelques autres sels pour 437 parties d’eau augmente aussi considérablement la sécrétion des glandes ; d’autre part, le tartrate d’antimoine ne produit aucun effet semblable. L’immersion dans beaucoup d’acides (dilués dans la proportion d’une partie d’acide pour 437 parties d’eau) cause aussi une sécrétion si abondante que, quand on sort la feuille du liquide, on y voit pendre de longs fils de liqueur très-visqueuse. D’autre part, quelques acides n’agissent pas de cette façon. L’augmentation de la sécrétion ne dépend pas nécessairement de l’inflexion des tentacules, car les particules de sucre et de sulfate de zinc ne provoquent aucun mouvement.

Il est beaucoup plus à remarquer que, quand on place sur le disque d’une feuille un objet tel qu’un morceau de viande ou un insecte, les glandes des tentacules environnants produisent une sécrétion beaucoup plus abondante dès qu’ils sont très-infléchis. J’ai observé ce fait en choisissant des feuilles dont les gouttes de sécrétion étaient égales de chaque côté et en plaçant des morceaux de viande sur un des côtés du disque ; dès que les tentacules de ce côté étaient très-infléchis, mais avant que les glandes ne touchassent la viande, les gouttes sécrétées devenaient beaucoup plus grosses. J’ai répété cette observation bien des fois, mais je n’ai enregistré que les résultats de treize expériences, sur lesquelles la sécrétion s’est augmentée visiblement neuf fois ; dans les quatre autres cas, j’ai attribué le défaut d’augmentation, soit à ce que les feuilles étaient peu actives, soit à ce que les morceaux de viande étaient trop petits pour causer une grande inflexion. Il faut donc conclure de ces faits que les glandes centrales, quand elles sont fortement excitées, transmettent quelque influence aux glandes des tentacules de la circonférence et provoquent chez elles des sécrétions plus abondantes.

Un fait encore plus important, comme nous le verrons avec plus de détails quand nous traiterons de la puissance digestive de la sécrétion, c’est la sécrétion des tentacules qui s’infléchissent, non-seulement devient plus abondante, mais change de nature et devient acide, soit parce que les glandes centrales ont été stimulées mécaniquement, ou qu’elles se trouvent en contact avec des matières animales ; ce changement se produit avant que les glandes aient touché l’objet placé au centre de la feuille. Cet acide a une nature différente de celui qui est contenu dans le tissu des feuilles. Aussi longtemps que les tentacules restent fortement infléchis, les glandes continuent à sécréter, et la sécrétion est acide ; de telle sorte que, si on neutralise cette acidité au moyen du carbonate de soude, la sécrétion redevient acide au bout de quelques heures. J’ai observé sur une feuille dont les tentacules étaient étroitement infléchis sur des substances assez indigestes, telles que de la caséine préparée chimiquement, que ces tentacules ont déversé sur ces matières leurs sécrétions acides pendant huit jours consécutifs et pendant dix jours sur des morceaux d’os.

Cette sécrétion, comme les sucs gastriques des animaux plus élevés, semble posséder quelque puissance antiseptique. J’ai placé, tout auprès l’un de l’autre, par un temps très-chaud, deux morceaux d’égale grosseur de viande crue, l’un sur une feuille de Drosera, l’autre sur de la mousse humide. Je les ai examinés au bout de quarante-huit heures ; le morceau placé sur la mousse grouillait d’infusoires et était si putréfié qu’on ne pouvait plus distinguer les stries transversales des fibres musculaires ; au contraire, le morceau placé sur la feuille et qui baignait dans les sécrétions ne contenait pas un seul infusoire et les stries étaient parfaitement distinctes dans les parties centrales non encore dissoutes. J’ai expérimenté de la même façon sur des petits cubes d’albumine et de fromage ; ceux que j’ai placés sur de la mousse humide ont présenté bientôt des signes de moisissure et leur surface décolorée semblait sur le point de se désagréger ; tandis que ceux placés sur les feuilles de Drosera ont conservé leur couleur sans montrer aucun signe de moisissure, l’albumine se transformant en un liquide transparent.

Dès que les tentacules, après être restés étroitement infléchis pendant plusieurs jours sur un objet, commencent à se redresser, la sécrétion diminue ou cesse même complètement et les glandes restent sèches. Dans cet état, elles sont recouvertes d’une couche de substance blanchâtre demi-fibreuse qui se trouvait en solution dans la sécrétion. Le dessèchement des glandes pendant l’acte du redressement rend quelques petits services à la plante ; j’ai remarqué souvent, en effet, que le moindre souffle d’air suffit alors pour enlever les objets qui adhèrent aux feuilles ; elles sont ainsi débarrassées et libres de recommencer leurs fonctions. Néanmoins, il arrive souvent que toutes les glandes ne se sèchent pas complètement ; dans ce cas, les objets délicats, tels que les petits insectes, sont quelquefois déchirés en morceaux par le redressement des tentacules, et ces morceaux sont répandus sur toute la feuille. Dès que le redressement est complet, les glandes se remettent immédiatement à sécréter, et du moment que les gouttes de sécrétion ont atteint leur grosseur normale, les tentacules sont prêts à saisir un nouvel objet.

Quand un insecte se pose sur le disque central il est immédiatement englué par la sécrétion visqueuse ; quelques moments après, les tentacules environnants commencent à s’infléchir et finissent par l’enserrer de tous côtés. D’après le docteur Nitschke, un quart d’heure suffit ordinairement pour tuer un insecte, parce que les trachées sont fermées par la sécrétion. Si un insecte se pose sur quelques glandes des tentacules extérieurs, ceux-ci s’infléchissent bientôt et portent leur proie aux tentacules situés plus près de l’intérieur de la feuille ; ceux-ci, à leur tour, s’inclinent et font passer l’insecte, par une sorte de curieux mouvement de rotation, jusqu’au centre de la feuille. Puis, après un certain intervalle, tous les tentacules s’infléchissent et viennent baigner leur proie dans leurs sécrétions, comme si l’insecte s’était posé d’abord sur le disque central. Un insecte très-petit, et c’est là un fait fort curieux, suffit pour provoquer cette action ; par exemple, j’ai vu un jour un cousin, appartenant à une des plus petites espèces (Culex), qui venait de poser délicatement ses pattes sur les glandes des tentacules les plus extrêmes ; ceux-ci commençaient déjà à s’infléchir quoique pas une glande n’eût encore touché le corps de l’insecte. Si je n’étais pas intervenu, ce petit cousin aurait été certainement porté au centre de la feuille et saisi de tous côtés. Nous verrons, ci-après, quelle dose excessivement petite de certains liquides organiques et de certaines solutions salines suffisent pour causer de fortes inflexions.

Je ne saurais dire si les insectes se posent sur les feuilles par pur hasard et pour se reposer, ou s’ils sont attirés par l’odeur de la sécrétion. J’ai lieu de penser que l’odeur les attire d’après le nombre des insectes capturés par quelques espèces anglaises de Drosera, et d’après ce que j’ai pu observer sur quelques espèces exotiques que je cultive dans mon orangerie. Dans ce dernier cas, on pourrait comparer les feuilles à un piège amorcé ; dans le premier cas, on pourrait les comparer à un piège placé sur une route fréquentée par beaucoup de gibier, mais sans amorce.

Les glandes changent presque immédiatement de couleur et prennent une teinte plus foncée quand on leur donne une petite quantité de carbonate d’ammoniaque, ce qui prouve qu’elles possèdent la faculté d’absorption ; ce changement de couleur est principalement ou exclusivement dû à l’agrégation rapide de leur contenu. Quand on ajoute certains autres liquides, elles deviennent roses. Ce qui prouve le mieux, d’ailleurs, cette faculté d’absorption, ce sont les résultats si divers que l’on obtient quand on place des gouttes de divers liquides azotés ou non azotés, ayant la même densité, sur les glandes du disque ou sur une seule glande marginale ; ce sont aussi les longueurs de temps si différentes pendant lesquelles les tentacules restent repliés sur des objets selon qu’ils contiennent ou non des substances azotées solubles. On aurait pu, d’ailleurs, tirer cette même conclusion de la conformation et des mouvements des feuilles qui sont si admirablement adaptées pour capturer les insectes.

L’absorption des substances animales fournies par les insectes qu’elles capturent, explique comment il se fait que le Drosera puisse vivre dans les terrains tourbeux très-pauvres, dans les endroits même où rien ne pousse à l’exception des mousses, et on sait que les mousses tirent absolument toute leur nourriture de l’atmosphère. Bien qu’au premier abord les feuilles du Drosera ne paraissent pas vertes à cause de la couleur pourpre des tentacules, un examen plus attentif révèle, cependant, que les surfaces supérieures et inférieures du limbe de la feuille, les pédicelles, les tentacules du centre et les pétioles contiennent de la chlorophylle, de telle sorte que, sans aucun doute, la plante se procure et s’assimile l’acide carbonique contenu dans l’air. Néanmoins, si l’on considère la nature du sol où elle pousse, la plante ne pourrait se procurer qu’une fort petite quantité d’azote, en admettant même qu’elle pût s’en procurer si elle n’avait pas la faculté de trouver cet important élément dans les insectes qu’elle capture. Cela nous explique comment il se fait que les racines du Drosera sont si peu développées ; ces racines, en effet, ne consistent d’ordinaire qu’en deux ou trois radicelles peu divisées, ayant de 12 à 25 millimètres de longueur et garnies de filaments absorbants. Il semble donc que les racines ne servent qu’à absorber l’humidité, bien que, sans aucun doute, elles absorberaient d’autres substances nutritives si elles en trouvaient dans le sol, car nous verrons ci-après qu’elles absorbent une faible solution de carbonate d’ammoniaque. On peut dire qu’un pied de Drosera, avec ses feuilles recourbées de façon à former un estomac temporaire, dans lequel les glandes des tentacules étroitement infléchis déchargent leurs sécrétions acides qui dissolvent les substances animales pour les absorber ensuite, se nourrit exactement comme un animal. Mais, au contraire d’un animal, il boit par ses racines et il doit boire beaucoup pour pouvoir former tant de gouttes de liquide visqueux autour des glandes ; or, j’en ai compté quelquefois plus de deux cent soixante, exposées toute la journée aux rayons brûlants du soleil.


  1. Le Dr Nitschke ayant donné (Bot. Zeitung, 1860, p. 229) la bibliographie du Drosera, il est inutile que j’entre ici dans aucun détail à ce sujet. La plupart des mémoires publiés avant 1860 sont très-courts et très-peu importants. Le mémoire le plus ancien, publié à ce sujet, semble être aussi celui qui a le plus de valeur ; il a été écrit par le Dr Roth en 1782. Le Dr Milde a publié, en 1852, dans la Bot. Zeitung, p. 540, un mémoire fort intéressant, mais malheureusement trop court, sur les habitudes du Drosera. MM. Grœnland et Trécul ont inséré, en 1855, dans les Annales des sc. nat. bot., t. III, p. 297 et 304, des mémoires accompagnés de figures sur la conformation des feuilles du Drosera ; mais M. Trécul va jusqu’à douter que ces feuilles possèdent aucune faculté de mouvement. Les mémoires du Dr Nitschke dans la Bot. Zeitung, 1860 et 1861, sont de beaucoup les plus importants qui aient été publiés sur les habitudes et la conformation de cette plante, et j’aurai fréquemment l’occasion de les citer. Ses aperçus sur plusieurs points, par exemple sur la transmission de l’excitation d’une partie de la feuille à l’autre, sont tout particulièrement excellents. Le 11 décembre 1862, M. J. Scott a lu un mémoire devant la Société botanique d’Édimbourg, mémoire publié plus tard par le Gardener’s Chronicle, 1863, p. 30. M. Scott a démontré que si l’on irrite un peu les poils qui recouvrent la feuille, ou que si l’on place un insecte sur la feuille, les poils tendent à s’infléchir en dedans. M. A.-W. Bennet a lu aussi, en 1873, devant l’Association britannique pour l’avancement des sciences, un intéressant mémoire sur les mouvements des feuilles du Drosera. Pendant la même année, le Dr Warming a publié un mémoire dans lequel il décrit la structure des prétendus poils, intitulé : Sur la différence entre les Trichômes, etc., extrait des Annales de la Société d’histoire naturelle de Copenhague. J’aurai aussi bientôt occasion de parler d’un mémoire de Mme Treat, de New-Jersey, sur quelques espèces américaines de Drosera. Le Dr Burdon Sanderson a lu devant l’Institution royale (publié dans Nature, 14 juin 1874), un mémoire sur la Dionée, dans lequel a paru pour la première fois un court résumé de mes observations sur la vraie puissance digestive que possèdent le Drosera et la Dionée. Le professeur Asa Gray a appelé l’attention sur le Drosera et d’autres plantes ayant des habitudes analogues dans la Nation (1874, p. 232 et 261) et dans d’autres publications scientifiques. Le Dr Hooker, dans son important discours sur les plantes carnivores (British Association, Belfort, 1874), a tracé l’historique des travaux faits sur ces plantes. (Ce dernier mémoire a été publié par la Revue des cours scientifiques, 21 nov. 1874. — Note du traducteur.)
    Depuis la publication du présent ouvrage en anglais, quelques mémoires ont paru sur le même sujet. Nous les mentionnerons ici dans l’intérêt du lecteur désireux de connaître l’état actuel de la question. Abbé Bellynck, les plantes carnivores (Précis historiques, t. XXIV, février 1875). — Éd. Morren, Observations sur les procédés insecticides des Pinguicula (Bulletin de l’Académie de Belgique, juin 1875. La Belgique horticole, 1875, p. 290). — Éd. Morren, Note sur les procédés insecticides du Drosera rotundifolia, Bulletin de l’Académie de Belgique, juillet 1817, et Belgique horticole, 1875, p. 308). — Éd. Morren, Note sur le Drosera binata, Lab., sa structure et ses procédés insecticides (Bulletin de l’Académie de Belgique, novembre 1875). — Éd. Morren, La théorie des plantes carnivores et irritables (Bulletin de l’Académie de Belgique, novembre 1875). — Th. Balfour, Account on some experiments on Dionaea muscipula. — Th. Balfour, Venus’ Fly-trap (Gardeners chronicle, 3 juillet 1875. — Transactions of the botanical Society of Edinburgh, vol. XII, p. 334.) — Rees und Will, Einige Bemerkungen über fleischfressende Pflanzen (Botanische Zeitung 1875, n° 44). — Lawson Tait, Experiments (Nature, 29 juillet 1875). — J. E. Planchon, Les plantes carnivores (Revue des Deux Mondes, 1er février 1876)
    Ch. M.
  2. Mon fils, George Darwin, s’est chargé de dessiner les figures du Drosera et de la Dionée représentées dans ce volume ; mon fils Francis a dessiné l’Aldrovandie et les diverses espèces d’Utricularia. Ces dessins ont été admirablement gravés sur bois par M. Cooper, 188, Strand.
  3. Nous possédons en France quatre espèces de Drosera ; savoir : 1o D. rotundifolia, ; L., la plus commune de toutes ; 2o D. obovata, M. K. ; 3o D. longifolia, L., et 4o D. intermedia, Hayn. Elles habitent toutes les marais tourbeux, et les prairies spongieuses. Ainsi aux environs de Paris on trouve l’une ou l’autre des quatre espèces, à Montmorency, Dampierre, Saint-Léger, Rambouillet, Compiègne, Russe-Montigny, Malesherbes, etc. Le Drosera obovata est le plus rare de tous. La première et la dernière espèce sont signalées en Bretagne et en Vendée par M. Lloyd. La première est commune en Bourgogne, la dernière y est rare. Aux environs de Lyon, M. Balbis mentionne la première et la troisième au Pilat et dans les marais de Dessines. Communs dans les Alpes, le Jura et les montagnes de l’Auvergne, les Drosera disparaissent avec les marais tourbeux dans les plaines de la Provence et du Languedoc. Le Drosera rotundifolia seul existe encore sur les derniers contre-forts des Cévennes vers le Sud et de la montagne Noire ; il reparaît ensuite dans toute la chaîne des Pyrénées. Cette espèce s’étend en latitude, du Cap nord, de la Laponie jusqu’en Portugal et en Syrie ; en longitude, des îles Aléontiennes au Canada, c’est-à-dire sur presque toute la circonférence du globe. Ce petit végétal, doué de propriétés physiologiques si extraordinaires, est originaire du Nord et s’est propagé vers le sud pendant l’époque glaciaire. Où peut consulter à cet égard mes observations sur l’origine glaciaire des tourbières du Jura neuchâtelois et la végétation spéciale qui les caractérise, insérées dans le Bulletin de la Société botanique de France, t. XVIII, p. 406, et celles de M. Magnin sur la flore des marais tourbeux du Lyonnais, ibid., t. XXI, p. 46, 1874. Les autres espèces du genre Drosera, au nombre de 50 environ, sont toutes exotiques et distribuées en Australie, dans les deux Amériques, en Asie et en Afrique.
    Ch. M.
  4. Selon Nitschke (Bot. Zeitung, 1861, p. 224), le fluide pourpre provient de la métamorphose de la chlorophylle. M. Sorby a examiné cette matière colorante à l’aide du spectroscope, et il me dit qu’elle se compose de l’espèce la plus commune d’érythrophylle « que l’on trouve souvent dans les feuilles qui ont peu de vitalité et dans les parties de la feuille, telles que le pétiole, qui accomplissent de façon imparfaite les fonctions propres à la feuille. Tout ce que l’on peut donc dire, c’est que les poils (ou tentacules) sont colorés comme l’est la partie d’une feuille qui ne remplit pas ses fonctions. »
  5. Le Dr Nitschke a discuté ce sujet dans la Bot. Zeitung, 1861, p. 241, etc. Voir aussi le Dr Warming (Sur la différence entre les Trichomes, etc., 1873), qui renvoie à diverses autres publications. Voir aussi Groenland et Trécul, Annales des sc. nat. Bot. (4e série), t. III, 1855, p. 297 et 303.
  6. Nitschke a admirablement décrit et figuré ces papilles ; Bot. Zeitung, 8611, p. 234, 253, 254.
  7. Bot. Zeitung, 1860, p. 216.