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Les plantes insectivores/03

La bibliothèque libre.
Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 41-71).

CHAPITRE III.

agrégation du protoplasma à l’intérieur des cellules des tentacules.

Nature du contenu des cellules avant l’agrégation. — Différentes causes qui excitent l’agrégation. — Cette agrégation commence à l’intérieur des glandes et se propage le long des tentacules. — Description des masses agrégées et de leurs mouvements spontanés. — Courants de protoplasma le long des parois des cellules. — Action du carbonate d’ammoniaque. — Les granules du protoplasma qui circulent le long des parois se confondent avec les masses centrales. — Une quantité extrêmement petite de carbonate d’ammoniaque suffit pour déterminer l’agrégation. — Action des autres sels d’ammoniaque. — Action d’autres substances, de liqueurs organiques, etc. — Action de l’eau, de la chaleur. — Redissolution des masses agrégées. — Causes immédiates de l’agrégation du protoplasma. — Résumé et conclusions. — Observations supplémentaires sur l’agrégation dans les racines des plantes.


J’interromprai ici la description des mouvements des feuilles pour étudier les phénomènes d’agrégation auxquels j’ai déjà fait allusion. Si l’on examine les tentacules d’une plante jeune, bien que complètement développée, mais qui n’a jamais été excitée, ou dont les tentacules ne se sont jamais infléchis, on voit que les cellules composant les pédicelles sont remplies d’une liqueur pourpre homogène. Les parois sont garnies d’une couche de protoplasma incolore douée d’un certain mouvement de circulation ; mais on aperçoit ce protoplasma beaucoup plus distinctement quand l’agrégation a été provoquée en partie. La liqueur pourpre qui sort d’un tentacule écrasé est quelque peu adhésive et ne se mélange pas avec l’eau ; elle contient beaucoup de matière floconneuse ou granuleuse. Mais il se peut que ces matières aient été engendrées par l’écrasement des cellules, car une certaine agrégation a dû se produire instantanément pendant cet écrasement.

Si l’on examine un tentacule quelques heures après que la glande a été excitée par des attouchements répétés ou parce qu’on a placé sur elle des particules organiques ou inorganiques, ou qu’on lui a fait absorber différents liquides, son aspect est tout autre. Les cellules, au lieu d’être remplies d’un liquide pourpre homogène, contiennent alors des masses de matières pourpres affectant différentes formes, suspendues dans un liquide incolore ou presque incolore. Ce changement est si évident qu’on peut l’observer en se servant d’une loupe très-faible ou quelquefois même à l’œil nu ; les tentacules ont alors une sorte d’apparence bigarrée qui permet de les distinguer facilement de tous les autres. On obtient le même résultat si, par un moyen quelconque, on excite les glandes du disque de façon à ce que les tentacules extérieurs s’infléchissent ; leur contenu, en effet, s’agrège alors, bien que leurs glandes n’aient été en contact avec aucun objet. Toutefois, comme nous allons le voir tout à l’heure, l’agrégation peut se produire indépendamment de l’inflexion. Quelle que soit la cause qui produise l’agrégation, elle commence dans les glandes et se propage ensuite le long des tentacules. On peut observer cette agrégation beaucoup plus distinctement dans les cellules supérieures des pédicelles que dans les glandes elles-mêmes, car celles-ci sont quelque peu opaques. Peu de temps après que les tentacules ont repris leur position naturelle à la suite d’une inflexion, les petites masses de protoplasma se dissolvent toutes et le liquide pourpre contenu dans les cellules devient aussi homogène et aussi transparent qu’il l’était auparavant. Cette dissolution commence à la base des tentacules pour se diriger vers les glandes et suit, par conséquent, une direction contraire à celle de l’agrégation. J’ai soumis au professeur Huxley, au docteur Hooker et au docteur Burdon Sanderson des tentacules agrégés ; ils en ont observé les changements au microscope et ont été très-frappés de ce phénomène.

Les petites masses de matières agrégées affectent les formes les plus diverses ; elles sont souvent sphériques ou ovales, quelquefois très-allongées ou tout à fait irrégulières avec des projections qui ressemblent à des fils, à des colliers ou à des bâtons. Elles consistent en une matière épaisse, évidemment visqueuse, qui, dans les tentacules extérieurs, revêt une couleur pourprée et, dans les courts
Fig. 7. — Drosera rotundifolia.
Dessins faits d’après une même cellule d’un tentacule indiquant les formes que revêtent successivement les masses agrégées de protoplasma.
tentacules du disque, une couleur verdâtre. Ces petites masses ne restent jamais au repos, elles changent incessamment de forme et de position. Une seule masse se sépare souvent en deux parties qui se réunissent ensuite. Leurs mouvements sont assez lents et ressemblent à ceux des corpuscules blancs du sang. Nous pouvons donc conclure que ces masses sont composées de protoplasma. Si on les dessine à l’intervalle de quelques minutes, on observe invariablement que ces masses ont considérablement changé de forme ; or, j’ai observé les mêmes cellules pendant plusieurs heures. J’en ai fait huit dessins à des intervalles de deux ou trois minutes ; ces dessins sont représentés par la fig. 7 ; ils indiquent les changements les plus simples et les plus ordinaires.

Quand je dessinai pour la première fois la cellule A elle renfermait deux masses ovales de protoplasma pourpre en contact l’une avec l’autre. Ces deux masses se séparèrent, comme il est indiqué en B, puis se réunirent comme l’indique la fig. C. Après un court intervalle, le protoplasma prit un aspect très-habituel D, c’est-à-dire qu’il se forma une boule très-petite à l’extrémité d’une masse allongée. Cette boule augmenta rapidement, comme il est indiqué en E, puis fut réabsorbée ainsi qu’il est indiqué en F ; en même temps une autre boule se formait à l’autre extrémité.

La cellule que je viens de représenter faisait partie d’un tentacule surmontant une feuille d’un rouge foncé, lequel
Fig. 8. — Drosera rotundifolia.
Dessins faits d’après une même cellule d’un tentacule indiquant les formes que revêtent successivement les masses agrégées de protoplasma.
tentacule avait saisi un petit insecte et fut examiné sous l’eau. Je pensai d’abord que les mouvements du protoplasma pouvaient être dus à l’absorption de l’eau ; je plaçai donc une mouche sur une feuille, et quand, au bout de dix-huit heures, tous les tentacules se furent infléchis, je les examinai sans les plonger dans l’eau. La cellule que représente la fig. 8 appartenait à cette feuille, et les huit formes différentes qu’elle affecte ont été dessinées dans l’espace de quinze minutes.

Ces dessins indiquent les changements les plus remarquables que subit le protoplasma. Tout d’abord, j’observai à la base de la fig. n° 1 une petite masse surmontant une petite tige et une plus grosse masse à l’extrémité supérieure ; ces deux masses semblaient absolument isolées. Il se peut, néanmoins, qu’elles aient été réunies par un filament de protoplasma assez fin pour être invisible, car, dans deux autres occasions, tandis qu’une des masses augmentait rapidement et qu’une autre masse de la même cellule diminuait non moins rapidement, j’ai pu, en variant l’illumination et en employant un grossissement plus fort, observer un filament extrêmement ténu qui servait évidemment de moyen de communication entre les deux masses. D’autre part, ce filament se brise quelquefois, et alors ses extrémités revêtent promptement la forme de boules. La fig. 8 représente les formes qu’a revêtues successivement le protoplasma.

Dès que le liquide pourpre qui remplit les cellules s’est agrégé, les petites masses flottent dans un liquide incolore ou presque incolore. On peut alors observer beaucoup plus distinctement la couche de protoplasma blanc granuleux qui se meut le long des parois. Le courant circule avec une vitesse irrégulière, s’élevant le long d’une des parois, et descendant le long de la paroi opposée ; il traverse d’ordinaire plus lentement les extrémités étroites des cellules allongées, mais il décrit toujours un mouvement circulaire. Toutefois, le courant s’arrête quelquefois. Le mouvement affecte parfois la forme de vagues dont la crête s’étend alors à travers toute la cellule, puis se calme presque immédiatement. Souvent aussi de petites boules de protoplasma qui semblent tout à fait isolées sont entraînées par le courant autour des cellules ; les filaments attachés aux masses centrales s’agitent de toutes parts comme s’ils essayaient de s’échapper. En un mot, ces cellules avec leurs masses centrales changeant constamment de forme et le courant de protoplasma circulant le long des parois, présentent une scène étonnante d’activité vitale.

J’ai fait de nombreuses observations sur le contenu des cellules pendant l’agrégation du protoplasma ; mais je me contenterai d’indiquer quelques cas sous différents chefs. J’ai coupé une petite partie d’une feuille, puis j’ai comprimé lentement les glandes tout en les examinant avec un fort grossissement. Au bout de quinze minutes, j’ai vu distinctement des boules extrêmement petites de protoplasma s’agréger dans le liquide pourpre ; ces boules augmentaient rapidement en grosseur à l’intérieur des cellules des glandes et des cellules de l’extrémité supérieure des pédicelles. J’ai placé des parcelles de verre, de liège et de charbon sur les glandes de nombreux tentacules : au bout d’une heure, plusieurs étaient infléchis, mais, au bout d’une heure trente-cinq minutes, je n’ai pu apercevoir aucune agrégation. J’ai examiné, au bout de huit heures, des tentacules portant des parcelles analogues ; toutes les cellules présentaient alors des phénomènes d’agrégation. Il en était de même des cellules des tentacules extérieurs qui s’étaient infléchis par suite de l’impulsion qui leur avait été transmise par les glandes du disque sur lesquelles reposaient les parcelles. J’ai observé le même phénomène à l’intérieur des cellules des tentacules courts, qui entourent le disque, bien qu’aucun d’eux ne se fût encore infléchi. Ce dernier fait prouve que les phénomènes d’agrégation se produisent indépendamment de l’inflexion des tentacules ; nous en avons, d’ailleurs, de nombreuses preuves. Dans une autre expérience, j’ai examiné avec beaucoup de soin les tentacules extérieurs de trois feuilles et j’ai pu m’assurer qu’ils ne contenaient que du liquide pourpre homogène ; je plaçai alors des petits morceaux de fil sur les glandes de trois de ces tentacules ; au bout de vingt-deux heures, le fluide pourpre de leurs cellules jusqu’à la base des pédicelles s’était transformé en innombrables masses sphériques allongées ou filamenteuses de protoplasma. Les morceaux de fil avaient été, depuis quelque temps, transportés jusqu’au disque central, ce qui avait causé l’inflexion plus ou moins prononcée de tous les autres tentacules ; les cellules de ces derniers présentaient aussi quelques traces d’agrégation, mais j’ai pu observer que cette agrégation ne s’étendait pas jusqu’à la base des pédicelles et était restreinte aux cellules placées immédiatement au-dessous des glandes.

Non-seulement les attouchements répétés opérés sur les glandes et le contact de parcelles extrêmement petites produisent l’agrégation[1], mais, si on coupe, sans les blesser, les glandes qui surmontent les pédicelles, on provoque par ce fait une certaine agrégation dans les tentacules décapités qui commencent par s’infléchir. D’autre part, si on écrase soudainement les glandes avec des pinces, comme je l’ai essayé dans six cas différents, une blessure aussi subite semble paralyser les tentacules, car ils ne s’infléchissent pas et ne présentent aucun signe d’agrégation.

Carbonate d’ammoniaque. — De toutes les causes qui provoquent l’agrégation, celle qui agit le plus rapidement et qui est la plus énergique, autant toutefois que j’ai pu en juger, est une solution de carbonate d’ammoniaque. Quelle que puisse être la force de cette solution elle agit immédiatement sur les glandes qui deviennent assez opaques pour paraître noires. Par exemple, j’ai placé une feuille dans quelques gouttes d’une forte solution, c’est-à-dire contenant une partie de carbonate pour cent quarante-six parties d’eau (ou trois grains de carbonate pour une once d’eau, 195 milligr. de carbonate pour 31 grammes d’eau) et j’ai observé la feuille au microscope avec un fort grossissement. Au bout de dix secondes, toutes les glandes commencèrent à noircir ; au bout de treize secondes, elles étaient noires. Au bout d’une minute, j’ai pu voir se former des petites masses sphériques de protoplasma dans les cellules placées immédiatement au-dessous des glandes, aussi bien que dans les renflements sur lesquels reposent les longues glandes marginales. Dans quelques cas l’agrégation s’est propagée, en dix minutes environ, le long des pédicelles sur une longueur deux ou trois fois aussi grande que celle des glandes. Il est intéressant d’observer que le phénomène s’arrête momentanément à chaque cloison transversale qui sépare deux cellules ; puis le contenu transparent de la cellule inférieure se transforme presque immédiatement en une masse nuageuse. Cette action se propage plus lentement dans la partie inférieure des pédicelles, de telle sorte qu’il s’écoule environ vingt minutes avant que les cellules situées à moitié de la longueur des tentacules marginaux et sous-marginaux présentent des traces d’agrégation.

Nous pouvons conclure de ces faits que les glandes absorbent le carbonate d’ammoniaque, non-seulement parce que son action est très-rapide, mais encore parce que les effets qu’il produit sont quelque peu différents de ceux produits par les autres sels. Comme les glandes quand on les excite, sécrètent un acide appartenant à la série acétique, il est probable que le carbonate est immédiatement transformé en un sel de cette série ; nous verrons, d’ailleurs, tout à l’heure, que l’acétate d’ammoniaque provoque l’agrégation aussi énergiquement que le fait le carbonate. Si on ajoute quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau (ou un grain de carbonate pour une once d’eau, 65 milligr. pour 34 grammes d’eau) au liquide pourpre qui découle des tentacules écrasés, ou sur du papier qu’on a teinté en le frottant sur ces tentacules, le liquide et le papier prennent une teinte vert-pâle sale. Cependant, j’ai pu encore distinguer, au bout d’une heure trente minutes, quelque coloration pourpre dans les glandes d’une feuille plongée dans une solution ayant le double de la force de celle dont je viens de parler (c’est-à-dire deux grains de carbonate pour une once d’eau) ; et, vingt-quatre heures après, les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes contenaient encore des boules de protoplasma ayant une belle teinte pourpre. Ces fails prouvent que l’ammoniaque n’avait pas pénétré dans les cellules sous forme de carbonate, car autrement la couleur aurait disparu. Toutefois, j’ai observé quelquefois, et surtout sur les tentacules à tête allongée situés sur le bord de feuilles peu colorées, plongées dans une solution, que les glandes aussi bien que les cellules supérieures des pédicelles perdent leur couleur ; je présume, dans ce cas, que le carbonate a été absorbé sans modification. J’ai indiqué tout à l’heure que la propagation de l’agrégation subit un court temps d’arrêt à chaque cloison transversale ; cela imprime à l’esprit l’idée de matières transportées de cellule à cellule. Mais comme l’agrégation se propage dans les cellules superposées les unes aux autres quand on place sur les glandes des parcelles inorganiques et insolubles, cette agrégation doit provenir, au moins dans ces cas, d’une modification moléculaire transmise par les glandes, indépendamment de l’absorption d’une matière quelle qu’elle soit. Il peut en être de même pour le carbonate d’ammoniaque. Toutefois, comme l’agrégation provoquée par ce sel se propage beaucoup plus rapidement dans les tentacules que lorsqu’on place des parcelles insolubles sur les glandes, il est probable que l’ammoniaque, sous une forme quelconque, n’est pas seulement absorbée par les glandes, mais qu’elle pénètre dans les tentacules.

Ayant examiné une feuille dans l’eau, et trouvé le contenu des cellules parfaitement homogène, je la plongeai dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau, puis j’examinai les cellules placées immédiatement au-dessous des glandes, mais sans employer un fort grossissement. Au bout de trois minutes, je ne remarquai aucun signe d’agrégation ; au bout de quinze minutes, des petites boules de protoplasma se formèrent, plus particulièrement au-dessous des glandes allongées de la marge, mais la transformation dans ce cas s’opéra avec une lenteur extraordinaire. Au bout de vingt-cinq minutes, il y avait des masses sphériques dans les cellules des pédicelles sur une longueur à peu près égale à celle des glandes, au bout de trois heures, l’agrégation s’était étendue à un tiers, ou même à une moitié, des tentacules entiers.

Si l’on place dans quelques gouttes d’une faible solution, contenant une partie de carbonate pour quatre mille trois cent soixante-quinze parties d’eau (un grain de carbonate pour dix onces d’eau) des tentacules dont les cellules ne contiennent qu’un liquide rose très-pâle et apparemment peu de protoplasma, et que l’on examine avec soin, en se servant d’un grossissement considérable, les cellules très-transparentes qui se trouvent au-dessous des glandes, on observe bientôt qu’elles deviennent légèrement nuageuses par suite de la formation de granules innombrables : ceux-ci sont d’abord à peine perceptibles, puis s’accroissent rapidement, soit en raison d’une agrégation, soit parce qu’ils attirent le protoplasma qui peut se trouver dans le liquide environnant. Dans une expérience, je choisis une feuille particulièrement pâle et je plaçai sur elle, pendant que je l’examinais au microscope, une seule goutte d’une solution plus forte, c’est-à-dire contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau ; dans ce cas, le contenu des cellules ne devint pas nuageux, mais, au bout de dix minutes, je pus observer des granules irréguliers de protoplasma qui, se développant rapidement, se transformèrent en masses irrégulières et en globules affectant une coloration verdâtre ou pourpre très-pâle ; toutefois, ces globules ne se transformèrent jamais en boules parfaites bien qu’ils changeassent incessamment de forme et de position.

Le premier effet d’une solution de carbonate sur les feuilles modérément rouges est ordinairement la formation de deux, trois ou plusieurs boules pourpres très-petites, dont la grosseur augmente rapidement. Pour donner une idée de la rapidité avec laquelle ces boules augmentent en grosseur, je puis relater que je plaçai une goutte d’une solution contenant une partie de carbonate pour 292 parties d’eau, sur une feuille pourpre pâle, que j’avais disposée sous une plaque de verre ; au bout de treize minutes, quelques petites boules de protoplasma s’étaient formées ; au bout de deux heures et demie une de ces boules occupait environ les 2/3 du diamètre de la cellule. Au bout de quatre heures vingt-cinq minutes, elle occupait presque le diamètre de la cellule, et une seconde boule s’était formée ayant à peu près la moitié de la grosseur de la première et quelques autres petites boules commençaient à paraître. Au bout de six heures, le liquide dans lequel flottaient ces boules était devenu presque incolore ; au bout de huit heures trente-cinq minutes (en comptant toujours du moment où j’avais placé la solution sur la feuille), 4 nouvelles petites boules s’étaient formées. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, je pus observer outre les 2 grosses boules, 7 autres plus petites flottant dans un liquide absolument incolore, qui tenait en suspension quelques matières floconneuses verdâtres.

Au commencement de l’agrégation, plus particulièrement dans les feuilles rouge foncé, le contenu des cellules présente souvent un aspect différent, comme si la couche de protoplasma (utricules primordiaux) qui garnit les cellules s’était séparée de la paroi en se ratatinant, ce qui provoque la formation d’un petit sac pourpre à forme irrégulière. La solution de carbonate n’est pas la seule qui produise cet effet ; d’autres solutions agissent de même, une infusion de viande crue, par exemple. Mais il y a certainement erreur quand on se figure que l’utricule primordial se ratatine et se sépare de la paroi[2] ; en effet, avant d’ajouter la solution j’observai, dans plusieurs occasions, que les parois sont recouvertes d’une couche de protoplasma incolore en circulation et, après la formation des masses ressemblant à un sac, le protoplasma circulait encore le long des parois d’une façon très-apparente plus même qu’auparavant. Il semble même que le courant de protoplasma est augmenté par l’action du carbonate, mais il m’a été impossible de déterminer si tel est réellement le cas. Les masses en forme de sac se mettent à circuler lentement autour des cellules dans lesquelles elles se sont formées ; quelquefois il se forme sur elles des petites projections qui se séparent et constituent des petites boules ; d’autres boules paraissent dans le liquide qui enveloppe les sacs et ces dernières ont un mouvement de translation beaucoup plus rapide. Le fait que, parfois, une boule, puis une autre, avance plus rapidement, et que, parfois, elles tournent l’une autour de l’autre, prouve que les petites boules sont absolument indépendantes les unes des autres. J’ai observé quelquefois des boules de cette espèce montant et descendant le long de la même paroi d’une cellule au lieu de tourner autour d’elle. Les masses en forme de sac se divisent ordinairement, au bout d’un certain temps, en deux masses ovales ou arrondies et ces dernières subissent les transformations indiquées dans les fig. 7 et 8. D’autres fois, des boules se forment à l’intérieur des sacs, se réunissent et se séparent et subissent ainsi des transformations perpétuelles.

Quand les feuilles ont plongé pendant quelques heures dans une solution de carbonate et que l’agrégation est complète, on cesse d’apercevoir le courant de protoplasma le long des parois des cellules ; j’ai observé ce fait bien des fois, je me contenterai toutefois de citer un seul exemple. Je plaçai une feuille pourpre pâle dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour 292 parties d’eau ; au bout de deux heures, quelques belles boules pourpres s’étaient formées dans les cellules supérieures des pédicelles et le courant de protoplasma autour des parois était encore parfaitement distinct ; mais, quatre heures après ces deux premières heures, pendant lequel laps de temps beaucoup d’autres boules s’étaient formées, l’examen le plus attentif ne me permit plus de distinguer le courant ; cela provenait sans doute de ce que les granules s’étaient unis aux boules, de telle sorte que le protoplasma étant devenu parfaitement limpide, il ne restait plus rien qui pût faire apercevoir les mouvements, qui l’agitaient. Toutefois, des petites boules isolées circulaient toujours dans les cellules, ce qui prouve qu’il y avait encore un courant. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, les choses étaient encore dans le même état, bien qu’il se fût formé de nouvelles petites boules qui oscillaient de place en place et qui changeaient de position ; donc le courant n’avait pas cessé bien qu’il fût impossible de distinguer la circulation du protoplasma. Dans une autre expérience, j’ai pu, cependant, observer le courant circulant autour des parois des cellules d’une vigoureuse feuille de couleur foncée après une immersion de vingt-quatre heures dans une solution un peu plus forte, c’est-à-dire une partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Cette feuille n’avait donc pas été attaquée ou l’avait été très-peu par une immersion aussi prolongée dans une solution de 2 grains de carbonate par once d’eau (13 centigrammes pour 34 grammes d’eau) ; je plongeai ensuite cette feuille dans de l’eau pure et l’y laissai pendant vingt-quatre heures ; au bout de ce temps, les masses agrégées dans la plupart des cellules s’étaient dissoutes et elles présentaient le même aspect que présentent les feuilles à l’état de nature, quand elles se redressent après avoir capturé des insectes.

Je pressai légèrement avec une plaque de verre, puis j’examinai sous un grossissement considérable des boules de protoplasma (formées par la division naturelle d’une masse en forme de sac) appartenant à une feuille qui était restée pendant vingt-deux heures dans une solution d’une partie de carbonate pour 292 parties d’eau. Ces boules étaient alors distinctement séparées par des fissures rayonnantes bien définies, ou se trouvaient brisées en fragments séparés ayant des bords très-nets ; elles étaient solides jusqu’au centre. La partie centrale des plus grosses boules brisées était plus opaque, plus foncée et moins cassante que les parties extérieures ; dans quelques cas, les fissures n’avaient pénétré qu’à une petite distance à l’intérieur. Dans beaucoup de boules la ligne de séparation entre la partie intérieure et la partie extérieure était assez bien définie. Les parties extérieures affectaient exactement la même teinte pourpre pâle que revêtent les petites boules formées en dernier lieu ; ces dernières n’ont aucun noyau central plus foncé.

Nous pouvons conclure de ces divers faits que, lorsqu’on soumet des feuilles foncées vigoureuses à l’action du carbonate d’ammoniaque, le liquide contenu dans les cellules des tentacules s’agrège souvent extérieurement en une matière cohérente visqueuse formant une sorte de sac. Des petites boules apparaissent quelquefois à l’intérieur de ce sac et le tout se divise ordinairement bientôt en deux ou plusieurs boules qui se réunissent et se séparent incessamment. Après un laps de temps plus ou moins long, les granules en suspension dans la couche de protoplasma incolore qui coule le long des parois, se trouvent attirés vers les masses plus grosses et s’unissent avec elles, ou forment des petites boules indépendantes ; ces dernières ont une couleur beaucoup plus pâle et sont plus cassantes que les masses primitivement agrégées. Après que les granules contenus dans le protoplasma ont été ainsi attirés, on ne peut plus apercevoir la couche de protoplasma en circulation, bien qu’un courant de liquide limpide circule encore le long des parois.

Si l’on plonge une feuille dans une solution très-forte, presque concentrée, de carbonate d’ammoniaque, les glandes noircissent immédiatement et produisent d’abondantes sécrétions, mais il ne se produit aucun mouvement des tentacules. Deux feuilles traitées ainsi devinrent flasques au bout d’une heure et me semblèrent mortes ; toutes les cellules de leurs tentacules contenaient des petites sphères incolores de protoplasma. Deux autres feuilles plongées dans une solution un peu moins forte présentèrent des signes d’agrégation bien distincts au bout de trente minutes. Au bout de vingt-quatre heures, les masses de protoplasma sphériques, ou plus communément oblongues, devinrent opaques et granuleuses au lieu d’être translucides comme à l’ordinaire ; les cellules inférieures ne contenaient que d’innombrables granules sphériques très-petits. Il est évident que la force de la solution s’était opposée à la marche naturelle du phénomène, et nous verrons que l’application d’une trop grande chaleur produit le même effet.

Toutes les observations précédentes s’appliquent aux tentacules extérieurs qui ont une couleur pourpre ; toutefois, le carbonate d’ammoniaque ou une infusion de viande crue agissent exactement de la même façon sur les pédicelles verts des tentacules courts du centre de la feuille, avec cette seule différence que les masses agrégées affectent une couleur verdâtre. On peut donc conclure que cette transformation ne dépend aucunement de la couleur des liquides contenus dans les cellules.

Enfin, le fait le plus remarquable relativement à ce sel est la quantité extrêmement petite qui suffit pour causer l’agrégation. Nous entrerons à ce sujet, dans le VIIe chapitre, dans des détails complets ; il suffira de dire ici que, si on emploie une feuille active, l’absorption par une glande de 1/134400e de grain (0,000482 de milligr.) suffit pour causer, au bout d’une heure, une agrégation bien marquée dans les cellules situées immédiatement au-dessous de la glande.

Effets de certains autres sels et d’autres liquides. — J’ai placé deux feuilles dans une solution contenant une partie d’acétate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau environ ; cette solution agit sur les feuilles aussi énergiquement que le carbonate, mais peut-être pas aussi rapidement. Au bout de dix minutes, les glandes étaient noires et on pouvait distinguer des signes d’agrégation dans les cellules situées au-dessous d’elles ; au bout de 15 minutes, cette agrégation était très-prononcée et elle s’étendait dans les tentacules sur une longueur égale à celle des glandes. Au bout de deux heures, le contenu de presque toutes les cellules, dans tous les tentacules, s’était transformé en masses de protoplasma. J’ai plongé une feuille dans une solution contenant une partie d’oxalate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; au bout de vingt-quatre minutes, j’ai pu observer un changement très-minime dans les cellules situées au-dessous des glandes. Au bout de quarante-sept minutes, beaucoup de masses sphériques de protoplasma s’étaient formées et elles s’étendaient le long des tentacules sur une longueur égale à peu près à celle des glandes. Ce sel n’agit donc pas aussi rapidement que le carbonate. Quant au citrate d’ammoniaque, une feuille plongée dans une solution, au même degré que celui que je viens d’indiquer, ne présenta une trace d’agrégation dans les cellules situées au-dessous des glandes qu’au bout de cinquante-six minutes ; mais l’agrégation était bien marquée au bout de deux heures vingt minutes. Dans une autre expérience, je plongeai une feuille dans une solution plus forte, c’est-à-dire contenant une partie de citrate pour 109 parties d’eau (4 grains pour 1 once), et, en même temps, une autre feuille dans une solution de carbonate préparée au même degré. Les glandes de cette dernière étaient devenues noires en moins de deux minutes et au bout d’une heure quarante-sept minutes des masses agrégées sphériques et très-foncées de protoplasma s’étendaient dans tous les tentacules sur la moitié ou les 2/3 de leur longueur ; au contraire, au bout de trente minutes, les glandes de la feuille plongée dans la solution de citrate étaient encore rouge foncé et les masses, dans les cellules inférieures, roses et allongées. Au bout d’une heure quarante-cinq minutes, ces masses s’étendaient seulement sur le 1/5e, ou tout au plus sur le 1/4 de la longueur des tentacules.

J’ai plongé deux feuilles, chacune dans 10 minimes d’une solution composée d’une partie d’azotate d’ammoniaque pour 5250 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 12 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçut 1/576 de grain (0,1124 de millig.) du sel. Cette quantité suffit pour faire infléchir tous les tentacules, mais au bout de vingt-quatre heures on ne pouvait apercevoir qu’une légère trace d’agrégation. Une de ces mêmes feuilles fut alors plongée dans une faible solution de carbonate et, au bout d’une heure quarante-cinq minutes, les tentacules présentaient un degré extraordinaire d’agrégation sur la moitié de leur longueur. Deux autres feuilles furent alors plongées dans une solution beaucoup plus forte d’azotate d’ammoniaque composée d’une partie d’azotate pour 146 parties d’eau (3 grains d’azotate pour 1 once d’eau). Une de ces feuilles ne présenta aucune trace de changement au bout de trois heures ; dans l’autre feuille, j’observai quelques signes d’agrégation au bout de cinquante-deux minutes et ces signes devinrent parfaitement distincts au bout d’une heure vingt-deux minutes ; toutefois, au bout même de deux heures douze minutes il n’y avait certainement pas plus d’agrégation dans cette feuille qu’il n’y en aurait eu après une immersion de cinq à dix minutes dans une solution également forte de carbonate.

Enfin, une feuille fut plongée dans 80 minimes d’une solution contenant une partie de phosphate d’ammoniaque pour 43750 parties d’eau (1 grain de phosphate pour 100 onces d’eau), de telle sorte qu’elle reçoive 1/1600 de grain (0,04079 de milligr.) de phosphate. Sous l’action de ce sel les tentacules s’infléchirent bientôt fortement et, au bout de vingt-quatre heures, le contenu des cellules était agrégé en masses ovales ou en globules irréguliers et un courant de protoplasma très-distinct circulait le long des parois. Toutefois, je dois faire remarquer qu’après un laps de temps aussi considérable l’agrégation devait se faire, quelle qu’ait été d’ailleurs la cause qui ait fait infléchir les tentacules.

Outre les sels d’ammoniaque, je n’ai expérimenté qu’avec fort peu d’autres sels au point de vue des phénomènes d’agrégation. Au bout d’une heure d’immersion dans une solution contenant une partie de chlorure de sodium pour 218 parties d’eau, le contenu des cellules d’une feuille se trouvait agrégé en petites masses brunâtres affectant la forme de globules irréguliers ; au bout de deux heures, ces masses avaient presque disparu pour faire place à une sorte de matière pulpeuse. Il était évident que le protoplasma avait été profondément affecté ; bientôt après, quelques cellules semblèrent se vider complètement. Ces effets diffèrent absolument de ceux produits par les divers sels d’ammoniaque, ainsi que de ceux causés par différents liquides organiques et par des parcelles inorganiques placées sur les glandes. Des solutions de la même force de carbonate de soude et de carbonate de potasse agirent à peu près de la même façon que la solution de chlorure de sodium ; je remarquai encore qu’au bout de deux heures et demie les cellules extérieures de quelques-unes des glandes s’étaient vidées. Nous verrons, dans le VIIIe chapitre, que les solutions de plusieurs sels de soude, ayant la moitié de la force de celles dont nous venons de parler, causent l’inflexion des tentacules, mais n’attaquent pas les feuilles. De faibles solutions de sulfate de quinine, de nicotine, de camphre, de poison du cobra, etc., produisent bientôt une agrégation bien marquée ; certaines autres substances, au contraire, une solution de curare, par exemple, n’ont aucun effet semblable.

Beaucoup d’acides, bien que très-étendus d’eau, font l’effet de poisons. Comme on le verra dans le VIIIe chapitre ils produisent l’inflexion des tentacules, mais ne causent pas une véritable agrégation. Ainsi, j’ai plongé les feuilles dans une solution contenant une partie d’acide benzoïque pour 437 parties d’eau ; au bout de quinze minutes, le liquide pourpre contenu dans les cellules s’était un peu séparé des parois ; cependant, malgré l’examen le plus attentif, au bout d’une heure vingt minutes, je ne pus découvrir aucune trace de véritable agrégation ; au bout de vingt-quatre heures, la feuille était évidemment morte. D’autres feuilles plongées dans l’acide iodique, étendu d’eau dans les mêmes proportions, présentèrent, au bout de deux heures quinze minutes, le même aspect de séparation du liquide pourpre que dans le cas précédent ; en examinant les cellules avec un fort grossissement, au bout de six heures quinze minutes, je vis qu’elles étaient remplies de boules extrêmement petites de protoplasma rougeâtre terne ; le lendemain matin, c’est-à-dire, au bout de vingt-quatre heures, ces boules avaient presque disparu, la feuille étant évidemment morte. Je ne distinguai aucune agrégation véritable dans des feuilles plongées dans l’acide propionique étendu d’eau dans les mêmes proportions ; toutefois, dans ce cas, le protoplasma se réunit en masses irrégulières vers la base des cellules inférieures des tentacules.

Une infusion filtrée de viande crue provoque une forte agrégation, mais non pas très-rapide. Une petite agrégation se produisit chez une feuille plongée chez une infusion semblable après un délai d’une heure vingt minutes et dans une autre feuille après un délai d’une heure cinquante minutes. Chez d’autres feuilles, le délai nécessaire pour la production de l’agrégation est beaucoup plus considérable ; par exemple, une feuille plongée pendant cinq heures dans une infusion de viande ne présenta aucun signe d’agrégation et cette même feuille fut attaquée, au bout de cinq minutes, par quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau. J’ai laissé quelques feuilles dans une infusion de viande pendant vingt-quatre heures ; l’agrégation est alors extrême, car les tentacules infléchis, vus à l’œil nu, semblent tachetés. Dans ce cas, les petites masses de protoplasma pourpre sont ordinairement ovales et affectent rarement la forme sphérique que l’on remarque chez les feuilles soumises à l’action du carbonate d’ammoniaque ; en outre, ces masses subissent des changements de forme incessants et le courant de protoplasma incolore le long des parois de la cellule est encore parfaitement visible après une immersion de vingt-cinq heures. La viande crue est un stimulant trop puissant ; des morceaux très-petits suffisent pour blesser et même quelquefois pour tuer les feuilles sur lesquelles on les place. Dans ce cas, les masses agrégées de protoplasma deviennent ternes, presque incolores, et présentent un aspect granuleux extraordinaire qui rappelle l’aspect d’une feuille qui a été plongée dans une solution très-forte de carbonate d’ammoniaque. Le liquide contenu dans les cellules d’une feuille plongée dans du lait s’est quelque peu agrégé au bout d’une heure. Une feuille plongée dans la salive humaine pendant deux heures et demie, et une autre, plongée dans un blanc d’œuf cru pendant une heure et demie, ne présentèrent aucune trace d’agrégation ; mais il est plus que probable que cet effet se serait produit si je les avais laissées plus longtemps dans ces liquides. Ces deux mêmes feuilles furent plongées ensuite dans une solution de carbonate d’ammoniaque (3 grains de carbonate pour 1 once d’eau) ; le liquide de leurs cellules s’agrégea, chez l’une, au bout de dix minutes, chez l’autre, au bout de cinq minutes.

Je plongeai plusieurs feuilles dans une solution contenant une partie de sucre blanc pour 146 parties d’eau, et je les y laissai quatre heures et demie sans qu’il se produisît aucune agrégation ; une solution de carbonate d’ammoniaque faite dans les mêmes proportions a agi sur ces feuilles au bout de cinq minutes ; il en a été de même pour une feuille que j’avais laissée pendant une heure quarante-cinq minutes dans une solution assez épaisse de gomme arabique. Je plongeai plusieurs autres feuilles dans des solutions plus denses de sucre, de gomme et d’amidon, et, au bout de quelques heures, le contenu de leurs cellules s’était complètement agrégé. On peut attribuer cet effet à l’exosmose ; car les feuilles plongées dans un sirop deviennent tout à fait flasques ; celles qui sont plongées dans la gomme et dans l’amidon deviennent aussi un peu flasques et leurs tentacules se contournent de la façon la plus irrégulière, les plus longs affectant absolument la forme de tire-bouchons. Nous verrons, ci-après, que ces solutions placées sur le disque des feuilles ne causent pas l’inflexion des tentacules. Des parcelles de cassonade placées sur la sécrétion qui entoure les glandes se dissolvent bientôt et la sécrétion augmente dans une proportion considérable, sans doute par suite de l’exosmose ; au bout de vingt-quatre heures, on remarque un certain degré d’agrégation dans les cellules, bien que les tentacules ne s’infléchissent pas. La glycérine provoque, au bout de quelques minutes, une agrégation bien prononcée qui commence, comme à l’ordinaire, à l’intérieur des glandes et qui se propage le long des tentacules ; on peut, je crois, attribuer cet effet à la grande attraction que la glycérine exerce sur l’eau. L’immersion dans l’eau, prolongée pendant plusieurs heures, produit un certain degré d’agrégation. J’ai examiné 20 feuilles avec beaucoup de soin, puis je les ai étudiées de nouveau après les avoir laissées dans l’eau distillée pendant des espaces de temps différents ; j’ai obtenu les résultats suivants : il est rare de trouver des traces d’agrégation à moins que les feuilles n’aient été plongées dans l’eau pendant quatre ou cinq heures et même ordinairement pendant plus longtemps. Toutefois, quand une feuille s’est rapidement infléchie après l’immersion, ce qui arrive quelquefois, surtout quand il fait très-chaud, l’agrégation peut se produire au bout d’une heure à peu près. Dans tous les cas, les glandes des feuilles plongées dans l’eau pendant plus de vingt-quatre heures sont complètement noircies, ce qui prouve que le liquide qu’elles contiennent est complètement agrégé ; dans les spécimens dont je viens de parler et qui ont été examinés avec soin, j’ai pu remarquer des traces d’agrégation bien marquées dans les cellules supérieures des pédicelles. Ces essais, ayant été faits avec des feuilles coupées, il me parut que cette circonstance était de nature à influencer les résultats, car les tiges ne pouvaient peut-être pas absorber l’eau assez rapidement pour subvenir aux besoins des glandes qui continuent à sécréter. Toutefois, cette hypothèse ne se vérifia pas ; j’expérimentai, en effet, sur une plante portant 4 feuilles et dont les racines étaient en parfait état ; je la plongeai dans l’eau distillée pendant quarante-sept heures ; au bout de ce temps, les glandes avaient noirci bien que les tentacules ne fussent que fort peu infléchis. Chez l’une de ces feuilles, je ne remarquai que quelques traces d’agrégation dans les tentacules ; chez la seconde, l’agrégation était un peu plus marquée et le liquide pourpre des cellules s’était un peu séparé des parois ; chez la troisième et chez la quatrième, qui étaient des feuilles pâles, l’agrégation des parties supérieures des pédicelles fut marquée. Les petites masses de protoplasma contenues dans les cellules étaient pour la plupart ovales et changeaient lentement de forme et de position ; une immersion de quarante-sept heures n’avait donc pas tué le protoplasma. Dans une expérience précédente faite sur une plante submergée, les tentacules ne présentèrent aucune trace d’inflexion.

La chaleur provoque l’agrégation. Une feuille dont les cellules des tentacules ne contenaient que du liquide homogène fut agitée, pendant une minute environ, dans de l’eau portée à 130° F (54°,4 centig.) et examinée ensuite au microscope aussi rapidement que possible, c’est-à-dire au bout de deux ou trois minutes ; le contenu des cellules présentait alors quelques traces d’agrégation. Une seconde feuille agitée pendant deux minutes dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) fut examinée aussi rapidement que dans le cas précédent ; le liquide pourpre de toutes les cellules s’était un peu écarté des parois et contenait plusieurs masses ovales et allongées de protoplasma avec quelques petites boules. Une troisième feuille fut plongée dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) et y fut laissée jusqu’à ce que l’eau se fût refroidie ; examinés au bout d’une heure quarante-cinq minutes les tentacules infléchis présentaient quelques traces d’agrégation ; au bout de trois heures, elle était beaucoup plus marquée, mais elle n’augmenta pas davantage. Enfin, j’agitai une feuille pendant une minute dans de l’eau portée à 120° F. (48°,8 centig.), puis je la plongeai pendant une heure vingt-six minutes dans de l’eau froide ; les tentacules n’étaient que peu infléchis et on ne remarquait que ça et là quelques traces d’agrégation. Dans tous ces essais avec l’eau chaude, le protoplasma a montré beaucoup moins de tendance à s’agréger en masses sphériques que lorsqu’on l’excite avec du carbonate d’ammoniaque.

Redissolution des masses agrégées de protoplasma. — Dès que les tentacules qui ont saisi un insecte ou un objet inorganique, ou qui ont été excités de quelque façon que ce soit, se sont complètement redressés, les masses agrégées de protoplasma se dissolvent et disparaissent ; les cellules sont alors de nouveau remplies d’un liquide pourpre homogène de même qu’elles l’étaient avant l’inflexion des tentacules. Dans tous les cas, la dissolution commence à la base des tentacules et se propage jusque dans les glandes. Toutefois, dans les vieilles feuilles, et surtout dans celles qui ont agi plusieurs fois, le protoplasma des cellules supérieures des pédicelles reste plus ou moins agrégé de façon permanente. J’ai fait les observations suivantes pour observer la marche de la dissolution : je laissai une feuille pendant vingt-quatre heures dans une faible solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; comme d’ordinaire, le protoplasma s’était agrégé en innombrables globules pourpres qui changeaient incessamment de forme. Je lavai alors la feuille et je la plaçai dans de l’eau distillée ; au bout de trois heures quinze minutes, quelques globules perdirent leurs contours bien définis, indice certain que la dissolution allait commencer. Au bout de neuf heures, la plupart des globules s’étaient allongés et le liquide des cellules avait repris quelque peu sa coloration, ce qui indiquait évidemment que la dissolution avait commencé. Au bout de vingt-quatre heures, bien que beaucoup de cellules continssent encore des globules, on pouvait en observer quelques-unes qui ne contenaient plus que du liquide pourpre sans trace de protoplasma agrégé ; tout le protoplasma s’était dissous. Une feuille contenant des masses agrégées par suite de son immersion, pendant deux minutes, dans de l’eau portée à la température de 125° F. (54°,6 centig.), fut plongée dans de l’eau froide, et, au bout de onze heures, le protoplasma commença à se dissoudre. Examinée trois jours après son immersion dans l’eau chaude, cette feuille présentait un aspect tout différent, bien que le protoplasma fût encore quelque peu agrégé. Je plongeai, pendant trois ou quatre jours, dans un mélange que je sais être inoffensif, contenant un drachme (1,771 gram.) d’alcool pour 8 drachmes d’eau, une feuille dont tout le liquide des cellules était fortement agrégé par suite de l’action d’une faible solution de phosphate d’ammoniaque ; au bout de ce temps, toute trace d’agrégation avait disparu et les cellules étaient de nouveau remplies de liquide homogène.

Nous avons vu que, lorsque l’on plonge les feuilles pendant quelques heures dans une épaisse solution de sucre, de gomme ou d’amidon, le contenu des cellules s’agrège fortement, que les feuilles deviennent plus ou moins flasques et que les tentacules se contournent irrégulièrement. Après une immersion de quatre jours dans l’eau distillée ces feuilles deviennent moins flasques, leurs tentacules reprennent en partie leur position naturelle, et les masses agrégées de protoplasma sont dissoutes en partie. Je plongeai, dans un peu de vin de Xérès, une feuille dont les tentacules étaient étroitement refermés sur une mouche et dont les cellules étaient fortement agrégées. Au bout de deux heures, la plupart des tentacules s’étaient redressés, et ceux qui ne l’étaient pas encore, pouvaient l’être avec le doigt : toute trace d’agrégation avait disparu, les cellules étant remplies de liquide rose parfaitement homogène. Dans ce cas la dissolution est due probablement à l’endosmose.

Des causes immédiates de l’agrégation.


La plupart des stimulants qui déterminent l’inflexion des tentacules produisant aussi l’agrégation du liquide contenu dans les cellules, on pourrait supposer que l’agrégation est le résultat direct de l’inflexion ; il n’en est cependant pas ainsi. Si on plonge les feuilles dans des solutions assez fortes de carbonate d’ammoniaque, contenant 3 ou 4 grains de carbonate ou même quelquefois 2 grains seulement par once d’eau (c’est-à-dire une partie de carbonate pour 109, pour 146 ou pour 218 parties d’eau), les tentacules sont paralysés et ne s’infléchissent pas ; cependant, il se produit bientôt une agrégation très-marquée. En outre, les tentacules courts de la partie centrale d’une feuille qui a été plongée dans une faible solution d’un sel quelconque d’ammoniaque, ou dans un liquide quelconque contenant des matières azotées organiques, ne s’infléchissent en aucune façon ; toutefois, ces tentacules présentent tous les phénomènes de l’agrégation. D’autre part, on connaît plusieurs acides qui causent une inflexion très-marquée, mais qui ne donnent lieu à aucune agrégation.

Il est un fait important qu’il faut remarquer tout d’abord, c’est que si l’on place une substance organique ou inorganique sur les glandes du disque et que l’on provoque ainsi l’inflexion des tentacules extérieurs, non-seulement les sécrétions des glandes de ces derniers augmentent en quantité et deviennent acides, mais encore le liquide contenu dans les cellules de leurs pédicelles s’agrège. Ce phénomène commence toujours dans la glande, bien qu’elle n’ait encore touché aucun objet. Il faut donc admettre que les glandes centrales transmettent aux tentacules extérieurs quelque force ou quelque impulsion qui, agissant d’abord sur un point rapproché de la base, fait infléchir cette partie et qui, agissant ensuite sur les glandes les fait sécréter plus abondamment. Au bout de quelques instants les glandes excitées indirectement de cette façon transmettent ou réfléchissent cette impulsion à leurs propres pédicelles, ce qui produit une agrégation qui se propage de cellule en cellule jusqu’à la base.

Il semble probable, à première vue, que l’agrégation provient de ce que l’irritation provoquant des sécrétions plus abondantes chez les glandes, il ne reste plus dans leurs cellules et dans les cellules des pédicelles une quantité suffisante de liquide pour dissoudre le protoplasma. À l’appui de cette hypothèse on peut citer le fait que l’agrégation suit l’inflexion des tentacules et que, pendant ce mouvement d’inflexion, les glandes sécrètent ordinairement ou toujours même, je le crois, plus abondamment qu’elles ne le faisaient auparavant. En outre, pendant le redressement des tentacules les glandes sécrètent moins abondamment ou cessent complètement de sécréter ; or, c’est à ce moment que les masses agrégées de protoplasma se dissolvent. Enfin, quand on plonge les feuilles dans des solutions végétales assez épaisses, ou dans la glycérine, le fluide contenu dans les cellules des glandes s’échappe et il se produit une agrégation ; quand les feuilles sont ensuite plongées dans l’eau ou dans un liquide inoffensif, ayant une densité moindre que celle de l’eau, le protoplasma se redissout, phénomène qui est dû sans doute à l’endosmose.

On peut opposer à l’hypothèse que l’agrégation est causée par l’exosmose du liquide des cellules, les quelques faits suivants. Il ne semble y avoir aucun rapport entre le degré de l’augmentation des sécrétions et celui de l’agrégation. Ainsi, une parcelle de sucre placée sur le liquide sécrété qui entoure une glande cause une bien plus grande augmentation de sécrétion et beaucoup moins d’agrégation que ne le fait une parcelle de carbonate d’ammoniaque placée dans les mêmes conditions. Il ne paraît pas probable que l’eau pure provoque une exosmose considérable ; cependant l’agrégation résulte souvent d’une immersion dans l’eau prolongée de seize à vingt-quatre heures et toujours d’une immersion prolongée de vingt-quatre à quarante-huit heures. Il est encore moins probable que de l’eau portée à une température de 125° à 130° F. (51°,6 à 54°,4 centig.) fasse sortir le liquide non-seulement des glandes, mais encore de toutes les cellules des tentacules jusqu’à la base, assez rapidement pour que l’agrégation se produise en deux ou trois minutes. Il est un autre argument puissant contre cette hypothèse, c’est que, après l’agrégation complète, les sphères et les masses ovales de protoplasma flottent dans un liquide incolore, peu dense, et qui se trouve en quantité considérable ; la dernière partie du phénomène, tout au moins, ne peut donc pas être causée par l’absence d’une quantité suffisante de liquide pour tenir le protoplasma en solution. Toutefois, on peut citer une preuve encore plus forte que l’agrégation se produit indépendamment de la sécrétion ; en effet, les papilles décrites dans le premier chapitre et qui recouvrent toute la feuille ne portent pas de glandes, elles ne sont donc le siège d’aucune sécrétion ; cependant, elles absorbent rapidement le carbonate d’ammoniaque ou une infusion de viande crue, et leur contenu subit rapidement une agrégation qui se propage ensuite dans les cellules des tissus environnants. Nous verrons bientôt que le liquide pourpre contenu dans les filaments sensitifs de la Dionée, filaments qui ne sont le siège d’aucune sécrétion, s’agrège aussi sous l’action d’une faible solution de carbonate d’ammoniaque.

L’agrégation est un phénomène vital. J’entends par là que le contenu des cellules doit être vivant et bien portant pour être affecté ainsi et qu’il doit être, en outre, à l’état oxygéné pour pouvoir transmettre assez rapidement cette agrégation. Je pressai, sous un morceau de verre, quelques tentacules plongés dans une goutte d’eau ; plusieurs cellules se rompirent et des matières pulpeuses de couleur pourpre s’échappèrent, en même temps que des granules ayant toutes les grosseurs et toutes les formes ; cependant, aucune des cellules ne se vida complètement. J’ajoutai alors une petite goutte d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau et, une heure après, j’examinai les spécimens. Çà et là, quelques cellules des glandes et des pédicelles avaient échappé à la rupture ; leur contenu s’était parfaitement agrégé en sphères qui changeaient constamment de forme et de position et on pouvait voir encore un courant circuler le long des parois ; le protoplasma était donc vivant. D’autre part, les matières expulsées, devenues presque incolores au lieu d’être pourpres, ne présentaient pas la moindre trace d’agrégation. On n’en trouvait pas non plus une trace dans les nombreuses cellules rompues, mais qui ne s’étaient pas complètement vidées. Malgré un examen attentif, je n’ai pu observer aucun signe de courant à l’intérieur de ces cellules rompues. Évidemment, la pression les avait tuées et les matières qu’elles contenaient encore ne s’agrégèrent pas plus que les matières qui en étaient sorties. Je puis ajouter que, dans ces spécimens, je fus à même d’observer l’individualité de la vie de chaque cellule.

Je donnerai, dans le chapitre suivant, des détails complets relativement à l’action de la chaleur sur les feuilles ; je me contenterai donc de dire ici que des feuilles plongées d’abord pendant quelques instants dans de l’eau portée à une température de 120° F. (48°,8 centigr.), température qui, comme nous l’avons vu, ne cause pas une agrégation immédiate, furent ensuite plongées dans quelques gouttes d’une forte solution de carbonate d’ammoniaque, contenant une partie de carbonate pour 109 parties d’eau ; une belle agrégation se produisit bientôt. D’autre part, des feuilles plongées dans cette même solution, après une immersion dans de l’eau portée à 150° F. (65°,5 centigr.) ne présentèrent aucune trace d’agrégation ; les cellules se remplirent de matières brunâtres, pulpeuses ou boueuses. On peut, d’ailleurs, observer chez des feuilles soumises à des températures variant entre ces deux extrêmes, 120° et 150° F. (48°,8 et 65°,5 centigr.), des gradations complètes dans la marche de l’agrégation ; température plus basse n’empêche pas l’agrégation causée par l’action subséquente du carbonate d’ammoniaque, la température plus élevée s’y oppose au contraire absolument. Ainsi, des feuilles plongées dans de l’eau portée à 130° F. (54°,4 centig.), puis, dans la solution, présentèrent des boules parfaitement définies, mais certainement plus petites que dans les cas ordinaires. D’autres feuilles plongées dans de l’eau portée à 140° F. (60° centigr.) présentèrent des sphères très-petites quoique bien définies ; toutefois, beaucoup de cellules contenaient, en outre, des matières pulpeuses brunâtres. Dans deux expériences où les feuilles furent plongées dans de l’eau portée à 145° F. (62°,7 cent.), quelques tentacules présentaient, dans quelques-unes de leurs cellules, des sphères très-petites, tandis que les autres cellules et des tentacules entiers ne contenaient plus que des matières brunâtres ou pulpeuses.

Il est nécessaire que le liquide contenu dans les cellules des tentacules soit à l’état oxygéné pour que la force ou l’influence qui cause l’agrégation se transmette assez rapidement d’une cellule à l’autre. J’ai placé, pendant quarante-cinq minutes, un plant dont les racines plongeaient dans l’eau sous une cloche contenant 122 onces d’acide carbonique (1729 cent. cubes.) Je plongeai ensuite, pendant une heure, dans une solution assez forte de carbonate d’ammoniaque, une feuille détachée de ce plant et une autre feuille d’un plant qui n’avait pas été exposé à l’acide et dont je me servais comme terme de comparaison. Je comparai les deux feuilles au bout d’une heure ; or, il s’était produit certainement beaucoup moins d’agrégation dans la feuille soumise à l’action de l’acide carbonique. J’exposai un autre plant, pendant deux heures, à l’action de l’acide carbonique, puis je plongeai une de ses feuilles dans une solution contenant une partie de carbonate pour 437 parties d’eau ; les glandes noircirent immédiatement, ce qui indique qu’elles avaient absorbé le carbonate et que leur contenu s’était agrégé ; toutefois, je ne pus distinguer aucune trace d’agrégation dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes, même après un intervalle de trois heures. Au bout de quatre heures quinze minutes, quelques petites boules de protoplasma se formèrent dans ces cellules, mais, au bout de cinq heures trente minutes, l’agrégation ne s’était pas propagée le long des pédicelles sur une longueur égale à celle des glandes. Dans mes innombrables essais sur des feuilles fraîches plongées dans une solution de cette force, je n’ai jamais vu l’agrégation se propager aussi lentement. Une autre plante plongée pendant deux heures dans l’acide carbonique fut ensuite exposée pendant vingt minutes à l’action de l’air ; pendant ce temps les feuilles avaient rougi, ce qui indique qu’elles avaient absorbé de l’oxygène. Je détachai l’une d’elles et je la plongeai en même temps qu’une feuille fraîche dans la solution que je viens d’indiquer. J’observai très-fréquemment la feuille qui avait été soumise à l’action de l’acide carbonique ; au bout de soixante-cinq minutes, j’aperçus quelques sphères de protoplasma dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes, mais seulement dans 2 ou 3 des plus longs tentacules. Au bout de trois heures, l’agrégation s’était propagée le long des pédicelles de quelques-uns des tentacules sur une longueur égale à celle des glandes. D’autre part, dans la feuille fraîche soumise au même traitement, l’agrégation était parfaitement distincte dans beaucoup de tentacules au bout de quinze minutes ; au bout de soixante-cinq minutes, elle s’était propagée dans les pédicelles, sur 4 ou 5 fois la longueur des glandes ou même plus, et, au bout de trois heures, les cellules de tous les tentacules étaient affectées sur 1/3 ou sur 1/2 de leur longueur totale. Il est donc évident que l’exposition des feuilles à l’acide carbonique arrête pour un temps la marche de l’agrégation, ou empêche la transmission de l’impulsion nécessaire quand les glandes sont subséquemment soumises à l’action du carbonate d’ammoniaque ; or, on sait que cette substance agit plus promptement et plus énergiquement qu’aucune autre. On sait que le protoplasma des plantes continue ses mouvements spontanés aussi longtemps seulement qu’il est à l’état oxygéné ; il en est de même pour les globules blancs du sang, ils n’agissent qu’aussi longtemps qu’ils reçoivent de l’oxygène des globules rouges[3] ; mais les exemples ci-dessus rapportés sont quelque peu différents, car ils ont trait au retard apporté dans la formation ou l’agrégation des masses de protoplasma par suite de l’exclusion de l’oxygène.

Résumé et conclusions.

Le phénomène de l’agrégation est indépendant de l’inflexion des tentacules et de la sécrétion plus considérable des glandes. L’agrégation commence dans les glandes, soit qu’elles aient été directement excitées, ou qu’elles soient soumises à l’influence indirecte des autres glandes. Dans les deux cas, l’agrégation se propage de haut en bas, passant d’une cellule à l’autre, tout le long des tentacules, avec un court temps d’arrêt à chaque cloison transversale. Chez les feuilles à couleur pâle, le premier changement perceptible, et cela seulement avec un grossissement très-considérable, est l’apparition de granules très-petits dans le liquide contenu dans les cellules, ce qui rend ce liquide quelque peu nuageux. Ces granules s’agrègent bientôt en petits globules. J’ai vu un nuage de cette sorte apparaître dix secondes après qu’une goutte d’une solution de carbonate d’ammoniaque avait été posée sur une glande. Chez les feuilles rouge foncé, le premier changement visible consiste souvent dans la conversion de la couche extérieure du liquide contenu dans les cellules en masses ressemblant à un sac. Toutefois, quel qu’ait pu être le mode de développement des masses agrégées, elles changent incessamment de forme et de position. Ces masses ne sont pas remplies de liquide, mais sont solides jusqu’au centre. Enfin, les granules incolores, en suspension dans le protoplasma qui circule le long des parois, se réunissent aux sphères ou aux masses centrales, mais un courant de liquide limpide continue encore à circuler dans les cellules. Aussitôt que les tentacules se sont complètement redressés, les masses agrégées se dissolvent et les cellules se remplissent d’un liquide pourpre homogène, comme elles l’étaient précédemment. La dissolution commence à la base des tentacules et se propage de bas en haut jusqu’aux glandes ; elle marche donc en direction inverse de celle de l’agrégation.

Les causes les plus diverses produisent l’agrégation ; ainsi, par exemple : les attouchements répétés sur les glandes ; la pression de parcelles de quelques matières que ce soit, et comme ces parcelles reposent sur la sécrétion visqueuse, c’est à peine si la pression qu’elles exercent sur la glande peut s’évaluer à un millionième de grain[4] ; la section des tentacules immédiatement audessous des glandes ; l’absorption par les glandes de différents liquides ou de diverses substances extraites de certains corps ; l’exosmose ; un certain degré de chaleur. D’autre part, une température d’environ 150° F. (65°,5 centigr.) ne provoque pas l’agrégation ; l’écrasement soudain d’une glande ne la cause pas non plus. Si on rompt une cellule, ni les matières qui en sortent, ni celles qui restent dans la cellule ne s’agrègent quand on les soumet à l’action du carbonate d’ammoniaque. Une solution très-forte de ce sel et des morceaux de viande crue assez gros empêchent les masses agrégées de se bien-développer. Nous pouvons conclure de ces faits que le liquide protoplasmique contenu dans une cellule ne s’agrège qu’autant qu’il est en pleine santé, et qu’il ne s’agrège qu’imparfaitement si la cellule a été blessée. Nous avons vu aussi que le liquide doit être oxygéné pour que l’agrégation se propage assez rapidement de cellule à cellule.

Divers liquides organiques azotés et plusieurs sels d’ammoniaque causent l’agrégation, mais à divers degrés et avec une rapidité différente. De toutes les substances connues, le carbonate d’ammoniaque est la plus puissante ; l’absorption de 1/134400e de grain (0,000482 de millig.) par une glande, suffit pour faire agréger toutes les cellules d’un même tentacule. Le premier effet du carbonate et de certains autres sels d’ammoniaque, aussi bien que de quelques autres liquides, est de faire prendre un ton plus foncé aux glandes ou de les noircir. Cet effet accompagne même une longue immersion dans l’eau distillée froide. Il semble provenir en grande partie de la forte agrégation du contenu de leurs cellules, qui deviennent opaques et ne réfléchissent plus la lumière. Quelques autres liquides donnent aux glandes une couleur rouge brillant ; tandis que certains acides, bien que très-étendus d’eau, le poison du cobra, etc., rendent les glandes parfaitement blanches et opaques ; cela semble résulter de la coagulation de leur contenu sans aucune agrégation. Néanmoins, avant d’être ainsi affectées, les glandes, dans quelques cas tout au moins, peuvent transmettre à leurs tentacules l’impulsion qui les fait s’agréger.

Le plus intéressant peut-être de tous les faits cités dans ce chapitre, c’est que les glandes centrales, à la suite d’une irritation, communiquent aux glandes extérieures une impulsion qui s’étend du centre à la circonférence, impulsion qui les excite à provoquer une autre impulsion centripète qui détermine l’agrégation. Toutefois, la marche de l’agrégation constitue en elle-même un phénomène remarquable. Quand on touche ou que l’on presse l’extrémité périphérique d’un nerf et qu’il en résulte une sensation, on admet qu’un changement moléculaire invisible se propage d’une extrémité du nerf à l’autre ; or, quand on touche plusieurs fois ou qu’on presse doucement une glande du Drosera, on peut voir distinctement un changement moléculaire se propager de la glande jusqu’à la base du tentacule, bien que ce changement soit probablement d’une nature toute différente de celui qui affecte le nerf. Enfin, comme tant de causes si complètement différentes excitent l’agrégation, il semblerait que la matière vivante contenue dans les cellules de la glande se trouve dans une condition si peu stable que le moindre trouble peut suffire pour modifier sa nature moléculaire, comme on le voit chez certains composés chimiques. Or, ce changement dans les glandes, qu’elles soient excitées directement, ou indirectement par une impulsion reçue d’autres glandes, se transmet d’une cellule à l’autre, produisant la formation de granules de protoplasma dans le liquide précédemment limpide, ou l’agrégation de ces granules qui deviennent alors visibles.

Observations supplémentaires sur le phénomène de l’agrégation dans les racines des plantes.


Nous verrons bientôt qu’une faible solution de carbonate d’ammoniaque provoque l’agrégation dans les cellules des racines du Drosera. Cette observation me conduisit à faire quelques essais sur les racines d’autres plantes. Dans la dernière partie d’octobre je déterrai la première plante qui me tomba sous la main, c’était une Euphorbia Peplus ; je fis grande attention à ne pas endommager les racines, je les lavai avec soin, puis je les plongeai dans une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau. En moins d’une minute, je vis un nuage se propager avec une rapidité étonnante d’une cellule à l’autre dans toute l’étendue des racines. Au bout de huit ou neuf minutes, les petits granules qui produisaient cette apparence nuageuse s’agrégèrent vers les extrémités des racines en masses quadrangulaires de matière brune ; quelques-unes de ces masses changèrent bientôt de forme et devinrent, sphériques. Quelques cellules cependant ne furent pas affectées. Je répétai l’expérience sur une autre plante de la même espèce : mais, avant d’avoir pu disposer le microscope pour mettre la racine au foyer, des nuages de granules et des masses quadrangulaires de substances brunes et rougeâtres s’étaient formés et s’étaient propagés tout le long des racines. Je plongeai une autre racine dans un drachme (18 centigr.) d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau, de telle façon que 1/8 de grain ou 2,024 millig. de carbonate agissaient sur la racine ; je la laissai dix-huit heures dans cette solution. Au bout de ce temps, les cellules de toutes les racines, dans toute la longueur de ces dernières, contenaient des masses agrégées de matières brunes et rougeâtres. Avant de faire ces expériences, j’avais examiné avec soin plusieurs racines et je n’avais pu découvrir dans aucune d’elles la moindre trace d’apparence nuageuse ou de granules. Je plongeai aussi des racines dans une solution contenant une partie de carbonate de potasse pour 218 parties d’eau et je les y laissai pendant trente-cinq minutes ; mais ce sel ne produisit aucun effet.

Je puis ajouter ici que des sections très-minces de la tige de l’Euphorbia placées dans la même solution subissent une modification ; les cellules vertes deviennent immédiatement nuageuses, tandis que d’autres, précédemment incolores, se nuancent de brun, grâce à la formation de nombreux granules de cette couleur. J’ai observé aussi sur plusieurs espèces de feuilles, plongées pendant quelque temps dans une solution de carbonate d’ammoniaque, que les grains de chlorophylle se précipitent les uns sur les autres et se confondent en partie, ce qui semble une autre forme d’agrégation.

Je plongeai des plants de lentilles d’eau (Lemna) dans une solution de carbonate d’ammoniaque contenant une partie de carbonate pour 446 parties d’eau et je les y laissai séjourner de trente à quarante-cinq minutes ; j’examinai alors trois de leurs racines. Chez deux de ces racines, dont les cellules ne contenaient précédemment qu’un liquide limpide, je trouvai alors des petits globules verts. Au bout d’une heure et demie ou deux heures, des globules semblables apparurent dans les cellules sur le bord des feuilles ; mais je ne saurais dire si l’ammoniaque s’était propagée le long des racines ou si elle avait été absorbée directement par les feuilles. Comme une espèce, la Lemna arrhiza n’a pas déracines, cette dernière hypothèse est sans doute la plus probable. Au bout de deux heures et demie, quelques-uns des petits globules verts contenus dans les racines se brisèrent en petits granules animés du mouvement brownien. Je plongeai aussi quelques plants de Lemna pendant une heure trente minutes dans une solution contenant une partie de carbonate de potasse pour 218 parties d’eau, mais je ne pus discerner aucun changement dans les cellules des racines ; toutefois, ces mêmes racines plongées pendant vingt-cinq minutes dans une solution de carbonate d’ammoniaque, faite dans les mêmes proportions, contenaient des petits globules verts.

Je laissai, pendant quelque temps, dans cette même solution, une algue marine verte ; l’effet produit fut très-douteux. D’autre part, une algue marine rouge, aux frondes admirablement pennées, fut très-fortement affectée. Les matières contenues dans les cellules s’agrégèrent en anneaux irréguliers, conservant une teinte rouge, et qui changeaient très-lentement et très-légèrement de forme ; l’espace contenu dans ces anneaux devenait nuageux par suite de la formation de granules rouges. Je ne sais si les faits que je viens d’indiquer sont nouveaux ; en tout cas, ils prouvent qu’on pourrait obtenir sans doute d’intéressants résultats en observant l’action de diverses solutions salines et d’autres liquides sur les racines des plantes.


  1. À en juger d’après certaines observations de M. Heckel, dont je viens de lire le détail dans le Gardener’s Chronicle (10 octobre 1874), un phénomène semblable se produit dans les étamines du Berberis après qu’elles ont été excitées par un attouchement et qu’elles se sont mises en mouvement ; il dit en effet « Le contenu de chaque cellule individuelle se groupe au centre de la cavité. »
  2. J’ai observé souvent chez d’autres plantes ce qui paraît être une vraie séparation de l’utricule primordial des parois des cellules ; cette séparation causée par une solution de carbonate d’ammoniaque peut être aussi le résultat de moyens mécaniques.
  3. Voir pour les plantes, Sachs, Traité de Bot., 3e éd., 1874, p. 864. Pour les globules du sang, voir : Quarterly Journal of Microscopical Science, avril 1874, p. 185.
  4. Selon Hofmeister (cité par Sachs, Traité de Bot., 1874, p. 958), une pression très-légère exercée sur la membrane cellulaire arrête immédiatement les mouvements du protoplasma et détermine même sa séparation des parois de la cellule. Mais l’agrégation est un phénomène différent, car elle affecte le contenu des cellules et n’affecte que secondairement la couche de protoplasma qui circule le long des parois ; bien que, sans aucun doute, les effets d’une pression ou d’un attouchement exercé sur l’extérieur doive se transmettre à travers cette couche.