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Les trois cocus/Chapitre XI

La bibliothèque libre.
Librairie populaire (p. 73-77).


CHAPITRE XI

DEUX CONFESSEURS POUR UNE PÉNITENTE


Une présidente qui ne se confesserait pas serait un phénomène. Marthe Mortier avait donc un confesseur : l’abbé Romuald Chaducul, vicaire à Saint-Germain-l’Empalé.

C’était un gros homme raplot, à la trogne rouge, entre quarante et quarante-cinq ans. Il levait bien le coude et administrait le sacrement d’extra-mariage à toutes ses pénitentes. La présidente ne faisait pas exception à la règle.

Justement, l’abbé l’attendait chez lui, tandis que notre ami Laripette exposait à la plumassière sa façon de comprendre la cosmographie.

Il était environ quatre heures du soir.

— Ne viendra-t-elle pas ? se disait le galant tartufe… Ce serait la première fois qu’elle me ferait poser… Elle viendra…

Pour passer le temps et aussi pour bien se pénétrer de ses devoirs, l’abbé Chaducul relisait attentivement un chapitre de la Mœchialogie. Ce livre, dont le titre veut dire « cours de luxure », a pour auteur un religieux trappiste, le R. P. Debreyne : c’est le manuel que les évêques donnent aux prêtres pour leur apprendre leur métier de confesseurs. On l’enseigne et on l’explique dans les séminaires, notamment à Saint-Sulpice. L’ouvrage, par exemple, n’est délivré qu’aux ecclésiastiques[1].

L’abbé Chaducul tenait l’ouvrage à la main, ouvert à la page 338. Ce qu’il lisait, nonchalamment étendu sur un canapé, était intitulé :

De la conduite des confesseurs à l’égard des personnes mariées et de celles qui se disposent à entrer dans L’état de mariage.

« Un confesseur, disait le livre, ne saurait trop se pénétrer de la connaissance des nombreuses et difficiles obligations des époux. Il faut surtout qu’il les leur représente et les leur inculque suivant l’occasion et le besoin. »

— Parfaitement, conclut le vicaire.

Il lut un autre passage que nous ne reproduisons pas par respect pour nos lectrices. Ce passage tient trois pages après les lignes que nous venons de citer.

Il en vint à la page 342, qui indique comment un confesseur doit s’y prendre pour tirer les vers du nez à une pénitente.

« Chez certaines femmes, dit le livre, on peut s’y prendre de la manière suivante, c’est-à-dire d’une manière plus couverte et plus délicate. On feint d’entrer dans quelques détails relatifs aux enfants de la pénitente, car très souvent ce sont les femmes elles-mêmes qui ne veulent pas la fin du mariage ; on l’interroge sur la façon dont elle les élève et s’ils le sont bien chrétiennement, etc. On ajoute ensuite : — Vous seriez sans doute bien heureuse si Dieu vous en donnait encore quelques autres pour les élever de même, afin qu’ils vous procurassent de nouvelles et abondantes consolations ? — Souvent, à ce dernier mot, il leur échappe cet aveu involontaire : Ah ! mon Dieu, j’en ai bien assez ! Cette réponse vous instruit suffisamment et vous dispense d’en dire davantage. »

L’abbé en était là de sa lecture quand on sonna ; la gouvernante alla ouvrir et fit entrer madame la présidente ; car c’était elle.

Ursule, servante discrète, se retira.

Le vicaire fit asseoir Marthe auprès de lui.

— Eh bien ! ma chère enfant, vous voilà ! dit-il tout joyeux. Je croyais que vous ne viendriez plus.

— Cependant, mon père, je ne suis pas en retard.

— C’est vrai… c’est moi qui suis toujours impatient de vous voir… chère Marthe !

Il lui prit les mains.

— Mon père !

— Plus près, placez-vous plus près !… Mettez-vous à genoux… là… sur ce coussin… et récitez votre Confiteor

La présidente s’agenouilla et récita le Confiteor, en s’arrêtant à l’endroit marqué par le rituel.

— Ma chère enfant, reprit l’abbé Chaducul, ne me cachez aucun de vos péchés… Vous voyez que j’ai pour vous des trésors d’indulgence… Dites-moi bien tout…

— Oui, mon père.

— Combien de fois avez-vous trompé votre mari, depuis votre dernière confession ?

— Dame ! mon père, le compte est difficile… Il y a aujourd’hui quinze jours que je ne me suis plus approchée du tribunal de la pénitence…

— Avez-vous commis quinze fois le péché d’adultère ?

— Attendez, mon père, je vais vous dire cela au juste.

— Comptez, mon enfant, je ne suis pas pressé.

— Trois… et quatre… et deux… et cinq.. Non, ce n’est pas tout… Là, j’y suis… cela fait vingt-sept !…

— Vingt-sept péchés mortels !… C’est trop, mon enfant, c’est trop !

Marthe se mit à rire.

— Vous croyez ? fit-elle.

— Comment ! si je le crois ?… Mais c’est-à-dire que votre inconduite n’a pas de nom !… Et le neuvième commandement, qu’en faites-vous alors ?… Non, vrai, ce n’est pas raisonnable…

— Puisque vous me donnez l’absolution !…

L’abbé réfléchit.

— Elle a raison, fit-il tout haut… puisque je lui donne l’absolution !…

— Et vous me la donnerez encore aujourd’hui, n’est-ce

— À une condition, mon enfant.

— Laquelle ?

— C’est que vous allez me promettre de ne plus retomber dans le péché…

— Je vous le promets ; mais je pose une condition, à mon tour, mon père.

— Laquelle ?

— C’est que vous ne m’y ferez plus retomber.

— Par exemple !

— Eh ! eh ! c’est que dans mon compte, mon père, vous figurez pour deux péchés mortels…

— Sapristi !

À ce mot, la porte d’un cabinet s’ouvrit brusquement, et une seconde soutane entra. L’homme qui la portant était-sec, maigre, et se tordait littéralement, tant il était en proie à un accès de belle humeur.

— Monsieur le curé ! s’écrièrent à la fois le confesseur et la pénitente.

Le nouveau-venu n était autre que le premier officiant de la paroisse, l’abbé Jérôme Huluberlu, curé de Saint-Germain-l’Empalé.

Le vicaire et la présidente semblaient atterrés, le vicaire surtout. Son supérieur avait surprit un de ses secrets. Sans doute, il s’était introduit là en faisant usage de quelque fausse clef ; mais un simple vicaire, pris en flagrant délit de confession trop joviale, pourrait-il oser élever la voix contre son curé, relativement au moyen employé par celui-ci pour découvrir les preuves de sa culpabilité ? Il était fautif, voilà ce qu’il y avait de plus clair. Quant au truc employé par le ruse Huluberlu, pas mèche de s’en indigner. La loi de l’Eglise est là : la fin justifie les moyens.

Il courbait donc son front, monsieur le vicaire, pareil à l’accusé qui sait que le jury vient de le déclarer coupable, et qui n’attend plus que la condamnation dont la Cour va formuler l’arrêt.

— Pincé ! murmurait-il, en faisant vers le sol un nez lamentable, honteux, confus.

Mais, au lieu de sortir sa bonne foudre de Tolède pour le pulvériser, le curé, très gai, se tapa sur la cuisse droite, leva la jambe gauche à une bonne hauteur et se mit à danser un cavalier seul en chantant :

Ci-gît la mère Cresson !
Qui f’sait de la boxe ! et du chausson !

Les deux coupables levèrent la tête, se demandant ce que cela voulait dire.

Le curé partit d’un éclat de rire, fit à son vicaire un pied de nez, et reprit son cancan en chantant sur un autre air :

Un, deux, trois !
La culotte en bas.
Quatr’, cinq, six !
Levez la chemise,
Sept, huit, neuf !
Je tap’, comme un bœuf.
Diz, onz’, douze !
La fesse est tout’ rouge.

Marthe s’était levée du coussin sur lequel elle était agenouillée. Romuald avait quitté sa posture nonchalante sur le canapé.

— Debout ! lui dit le curé. Avancez à l’ordre !

Puis, se rapprochant du vicaire, il frappa tour à tour sa poitrine et la sienne en psalmodiant la ronde des enfants de salle d’asile :

Une poule sur un mur
Qui picote dû pain dur ;
Picoti,
Picota,
La poule s’envola,
Et le pain resta… là.

En prononçant la dernière syllabe, il frappait sur sa poitrine pour indiquer que c’était lui que le sort avait désigné.

— Mais, monsieur le curé !… glapit le vicaire.

— Le sort vous est contraire, Romuald, répondit l’abbé Huluberlu ; c’est moi qui donnerai l’absolution… Rentrez dans le cabinet…

Et, joignant le geste à la parole, il poussa son vicaire dans la petite pièce dont il venait de sortir et dont il referma la porte.

— Maintenant, ma chère enfant, dit-il avec gravité en s’adressant à la présidente, terminez votre confession.




  1. Malgré cela, nous possédons un exemplaire authentique de cet ouvrage, que nous avons réussi à nous procurer. Il porte comme nom d’imprimeur : Victor Goupy, 5, rue Garancière, Paris ; et comme nom d’éditeur : Poussielgue frères, 27, rue Cassette, Paris, 1874. Les lecteurs qui seront curieux de voir ce qu’est ce Manuel de la Confession, devront se procurer notre ouvrage La Confession et les Confesseurs, qui reproduit presque en entier cet étrange livre des séminaires.