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Les vertus du républicain/03

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Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 14-18).


iii.

LE COURAGE.


Citoyens,

On peut dormir insoucieusement à l’ombre des monarchies : il faut qu’un Républicain soit debout, et qu’il ait du courage.

Le premier de tous en ce moment, c’est le courage de son opinion. Ayant qu’il soit longtemps, je veux qu’il ait perdu ce nom. Je veux qu’il soit entendu et reconnu sans conteste que le droit de dire fait partie du droit de penser. Je veux que le même sanctuaire les enveloppe tous deux d’un même mur d’airain, et que le poltron lui-même arrive à penser tout haut, sans y faire seulement attention.

Il y a un grand, un formidable, un glorieux courage, celui de la bataille, celui qui tue, celui qui sauve la patrie. Chapeau bas devant celui-là, sainte relique de notre histoire ! Les temps approchent, s’ils ne sont déjà venus, où nous n’allons plus savoir qu’en faire : richesse inutile que nous garderons en magasin.

Place à celui qui s’avance ; l’avenir est à lui : c’est le courage du travail. À lui bientôt l’honneur, à lui les arcs de triomphe, et les colonnes, et les chants des poètes qui donnent l’immortalité. Et pourtant, noble vertu, ton tour viendra aussi. Un jour se lèvera où le travailleur, régénéré par l’amour, redemandera en vain à sa tête, à son cœur, à ses bras, leurs vieux courages d’à présent, et s’indignera, en souriant, de les voir détrônés par le plaisir du travail.

Citoyens, à cette heure, il nous faut tous les courages :

À ceux qui perdent, pour pardonner à ceux qui gagnent, du courage !

À ceux qui attendent, pour attendre noblement, du courage !

À ceux qui avaient les Yeux fermés, pour habituer leurs yeux à la lumière nouvelle, du courage !

À ceux qui faisaient, le cœur en feu, du roman, pour entrer avec sang-froid dans la vie, et faire de l’histoire, du courage !

À ceux qui gouvernent, pour aller droit devant eux, dédaignant résolument tout guide qui ne s’appellerait pas la justice, à ceux-là qui ont entre les mains notre sort à tous, du courage ! du courage ! Seigneur ! s’ils voulaient en manquer, ne le permettez pas !

À ceux qui sont gouvernés, et qui lèvent un œil inquiet, défiant peut-être, vers le Sinaï du haut duquel les destinées de la patrie vont sortir une à une, en éclairs fulgurants, de la nuée mystérieuse, à vous tous, mes Frères de tout rang, de tout âge, de toute profession, du courage ! du courage !

Dieu est bon ; il ne commande pas les larmes.

Au nom de la peur, je vous adjure tous d’avoir du courage. Ah ! dites-moi d’effacer cette phrase impie, qui n’est pas française. J’en ai là une toute prête qui vaut cent fois mieux : Au nom de l’amour, armez-vous de courage !

Allez, ne doutez pas de vous-mêmes. Nous sommes d’un pays où le courage est facile, quand on est côte à côte, et qu’on marche au pas, en chantant d’une seule voix le même air. Serrons les rangs, l’hymne d’aujourd’hui est un hymne de paix. Celui-là porte au cœur aussi, et nous ferons encore une fois des prodiges.

Le seul courage qui nous soit impossible, c’est celui de l’humiliation, et j’en jure Dieu, nul de nous n’en aura besoin. Si des insensés demandaient qu’un seul de nos frères fût condamné à rougir, non, mille fois non, nous ne le souffririons pas. Nous irions tous lui tendre nos mains, afin qu’il sache bien qu’il n’est pas déshonoré. Un seul acte méchant, et notre cause est perdue.

S’il fallait qu’un tel malheur arrivât, mon Dieu, donnez-nous du courage à tous, un courage qui n’a pas de nom, et que l’imagination refuse d’inventer. Ou plutôt, mon Dieu, écartez de nous ce calice : il serait trop amer pour vos enfants. Du courage, il nous en faudrait trop !

Allons, amis, pas de fausse alarme. Encore un peu de temps, et tout ce dur enfantement sera terminé. La mère tiendra dans ses mains tremblantes le fruit de ses entrailles, et ses dernières larmes se sécheront dans un ineffable sourire.

Dans l’attente de ce moment suprême, gardons-nous de l’avortement.

Encore un peu temps, et de cette armée de courages, un seul restera debout. Le courage de n’être rien, quand nous pourrons tous être tout.