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Lettres à une inconnue/10

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(1p. 38-40).
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X

Sans doute, sans doute, envoyez à M. V… ce que vous me faites espérer depuis si longtemps. Joignez-y une lettre, une longue lettre, car, si vous m’écriviez à Paris, il est probable que je me croiserais avec elle. Prévenez M. V… qu’il garde cette lettre et le paquet et que j’irai le chercher chez lui en personne à la fin de la semaine prochaine. Ce qui serait encore plus aimable de votre part, et ce que vous n’écrivez pas, ce serait de me faire dire où et comment je pourrais vous voir. Au reste, je n’y compte pas et je vous connais trop bien pour attendre de vous cette preuve de courage. Je ne compte que sur le hasard, qui me donnera peut-être un talisman ou un peloton de fil.

Je vous écris couché sur un canapé et fort souffrant ; couleur de pré brûlé par le soleil ; c’est de moi et non du canapé que je vous donne la couleur. Il faut que vous sachiez que la mer me rend fort malade, et que the glad waters of the dark blue sea ne me sont agréables que lorsque je les vois du rivage. La première fois que je suis allé en Angleterre, j’avais été si malade, que je fus bien quinze jours avant de reprendre ma couleur ordinaire, qui est celle du cheval pâle de l’Apocalypse. Un jour que je dînais en face de madame V…, elle s’écria tout à coup : Until to day, I thought, you were an Indian. Ne vous effrayez pas et ne me prenez pas pour un spectre.

Je vous demande pardon de vous parler toujours du diamant. Quels doivent être les sentiments de quelqu’un qui n’est pas connaisseur en pierres, à qui des joailliers ont dit : « Cette pierre est fausse, » et qui pourtant la voit briller admirablement ; qui se dit quelquefois : « Si les joailliers ne se connaissaient pas en diamants ! s’ils s’étaient trompés ou s’ils voulaient me tromper ! ». Je regarde donc de temps en temps (le moins que je puis) mon diamant, et, toutes les fois que je le regarde, je le trouve un vrai diamant en tous points. C’est dommage qu’il ne me soit pas possible de faire une expérience chimique concluante. Qu’en dites-vous ? Si je vous voyais, je vous expliquerais ce que cette affaire a d’obscur et vous me donneriez quelque bon conseil ou, ce qui vaudrait peut-être mieux, vous me feriez oublier mon diamant vrai ou faux, car il n’y a pas de diamant qui soutienne la comparaison avec deux beaux yeux noirs. Adieu ; j’ai horriblement mal au coude gauche, sur lequel je m’appuie pour vous écrire ; et puis vous ne méritez pas qu’on vous écrive trois pages petit texte. Vous ne m’envoyez que quelques lignes d’écriture très-lâches, et, de vos trois lignes, il y en a toujours deux qui me mettent en colère.