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Lettres à une inconnue/99

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(1p. 235-237).

XCIX

Paris, 14 septembre 1844.

Tout était prêt et nous allions partir aujourd’hui, quand est venue une bourrasque qui a jeté nos projets au vent. Il y a conflit entre la guerre et l’intérieur. La guerre ne veut point de nous. Nous restons, ou, pour mieux dire, je ne vais pas en Afrique. Je vais passer une quinzaine de jours en courses et je reviendrai à Paris. À part la vexation qui accompagne tout projet avorté, et le regret très-vif d’avoir employé deux mois à apprendre un tas de choses inutiles, j’ai pris mon parti avec la plus grande impassibilité. Peut-être devinerez-vous pourquoi.

J’ai trouvé dans votre dernière lettre quelques phrases malsonnantes pour lesquelles je pourrais bien vous faire la guerre, si je ne trouvais, comme vous, qu’il est inutile et, qui plus est, dangereux et triste de se disputer à distance. — Je ne me représente pas trop comment vous passez les vingt-quatre heures de la journée. Je trouve bien l’emploi de seize, mais il y en a dix sur lesquelles je voudrais des détails. Lisez-vous toujours Hérodote ? Mais quel dommage que vous n’essayiez pas un peu de l’original avec la traduction de Lanher, que vous avez, je pense ! vous n’aurez guère d’autre difficulté que l’excès des ioniens. Si vous avez à votre disposition l’Anabase de Xénophon, vous pourrez y prendre plaisir, surtout si vous avez une carte d’Asie sous les yeux. Je ne me rappelle guère les dialogues marins. Lisez plutôt Jupiter confondu, ou bien Jupiter tragique, ou bien le Festin ou les Lapithes, à moins que vous ne m’en gardiez l’étrenne.

Je suis sûr que vous êtes florissante, toute robes et fleurs, et j’ose vous conseiller des lectures grecques ! Adieu ; écrivez-moi vite et ne vous moquez pas de moi. Je partirai lundi pour aller je ne sais où, mais pas trop loin, selon tous mes calculs.