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Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/2

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DEUXIÈME LETTRE.


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Alexandrie, le 14 septembre 1828.


Mon départ pour le Caire est définitivement arrêté pour demain, tous nos préparatifs étant heureusement terminés, ainsi que ce que je puis appeler l’organisation de l’expédition, chacun ayant sa part officielle d’action pour le bien de tous. Le docteur Ricci est chargé de la santé et des vivres ; M. Duchesne, de l’arsenal ; M. Bibent, des fouilles, ustensiles et engins ; M. Lhôte, des finances ; M. Gaëtano Rosellini, du mobilier et des bagages, etc. Nous avons avec nous deux domestiques et un cuisinier arabes ; deux autres domestiques barabras ; mon homme à moi, Soliman, est un Arabe, de belle mine, et dont le service est excellent.

Deux bâtiments à voile nous porteront sur le Nil ; l’un est le plus grand maasch du pays, et il a été monté par S. A. Mehemed-Ali : je l’ai nommé l’Isis ; l’autre est une dahabié, où cinq personnes logeront assez commodément ; j’en ai donné le commandement à M. Duchesne, en survivance du bon docteur Raddi, qui doit nous quitter pour aller à la chasse des papillons dans le désert libyque. Cette dahabié a reçu le nom d’Athyr : nous voguerons ainsi sous les auspices des deux déesses les plus joviales du Panthéon égyptien. D’Alexandrie au Caire, nous ne nous arrêterons qu’à Kérioun, l’ancienne Chereus des Grecs, et à Ssa-el-Hagar, l’antique Saïs. Je dois ces politesses à la patrie du rusé Psammétichus et du brutal Apriès ; enfin, je verrai s’il reste quelques débris de Siouph à Saouafé, où naquit Amasis, et à Saïs, quelques traces du collège où Platon et tant d’autres Grecs allèrent à l’école.

Notre santé se soutient, et l’épreuve du climat d’Alexandrie, qui est une ville toute libyque, est d’un très-bon augure. Nous sommes tous enchantés de notre voyage, et heureux d’avoir échappé aux dépêches télégraphiques qui devaient nous retarder. Les circonstances de mauvaise apparence ont toutes tourné pour nous ; quelques difficultés inattendues sont aplanies[1] : nous voyageons pour le Roi et pour la science ; nous serons heureux partout.

Je viens à l’instant (8 heures du soir) de prendre congé du vice-roi. S. A. a été on ne peut pas plus gracieuse ; je l’ai priée d’agréer notre gratitude pour la protection ouverte qu’elle veut bien nous assurer. Le vice-roi a répondu que les princes chrétiens traitant ses sujets avec distinction, la réciprocité était pour lui un devoir. Nous avons parlé hiéroglyphes, et il m’a demandé une traduction des inscriptions des obélisques d’Alexandrie. Je me suis empressé de la lui promettre, et elle lui sera remise demain matin, mise en langue turque par M. le chancelier du consulat de France. S. A. a désiré savoir jusqu’à quel point de la Nubie je pousserai mon voyage, et elle m’a assuré que nous trouverions partout honneurs et protection ; je lui ai exprimé ma reconnaissance dans les termes les plus flatteurs, et je puis dire qu’il les repoussait d’une manière fort aimable ; ces bons musulmans nous ont traités avec une franchise qui nous charme. Adieu.

  1. À la veille du départ, les firmans étaient presque refusés ; le commerce des antiquités redoutait un concurrent. Une lettre vigoureuse, écrite par Champollion au ministre du vice-roi, détruisit bien vite les effets de cette machination : les firmans furent délivrés le 10 septembre.(C. F.)