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Lettres de Fadette/Première série/11

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Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 21-23).

X

Oiseaux perdus


Quand je relis les « Oiseaux perdus » de Louis Mercier, j’ai toujours la même vision : ce ne sont pas les grands oiseaux que la tempête surprend et qui s’égarent parmi les nues que je vois, ce sont les pauvres âmes humaines que la peur saisit dans la tourmente et qui ne


« … voient que du noir
Et de l’ombre ajoutée à l’ombre ! »
Qui ne s’est senti un jour comme ces oiseaux affolés,
« Loin des routes qu’ils ont connues », si seuls qu’ils n’entendent rien.
« Hors le froissement de la nuit par l’ouragan qui court l’espace ».


En passant, l’ouragan a tout détruit, tout balayé : amour, confiance, joie de vivre, confiance en soi, et les âmes dépouillées et palpitantes, seules dans l’espace vide sont comme les pauvres oiseaux perdus :


« Alors, hagards, tendant le cou
Pris d’un vertige d’épouvante.
Ils plongent dans un élan fou
Aux profondeurs du ciel qui vente.

Et par les airs une clameur
De désespoir et d’agonie,
Rauque, s’échappe, vibre et meurt,
Déchirante en l’ombre infinie. »


Mais quand cette clameur éperdue s’échappe des âmes en détresse, quand « d’un élan fou elles plongent dans le ciel », ce n’est pas pour disparaître dans l’ombre infinie comme les pauvres oiseaux perdus. Le fracas d’aucune tempête, la profondeur d’aucun abîme n’empêchent leur cri d’atteindre Dieu et de l’attirer vers elles. Et les âmes humaines ne mesurent toute leur faiblesse et ne soupçonnent toute la puissance divine que lorsque, des profondeurs de leur être, est sorti ce cri qui remue le cœur de Dieu. En le lançant elles ont dépouillé tous les artifices dont nous entourons nos joies et nos chagrins : aussi longtemps qu’inconsciemment, nous jouons la comédie en nous parant de nos bonheurs ou de nos douleurs, nous ne sommes pas touchées à fond et au vif, et nos prières sont de vains mots.

La révélation du fond de nous est dans ce cri de l’âme épouvantée, aux abois, désespérée, autour de qui tout ce qui est humain, s’écroule et qui ne peut attendre de secours que d’en haut.

Cette heure vient pour tous : les moins religieux, les plus frivoles, ceux dont la foi semble morte la poussent à leur tour, la clameur qui déchire les ténèbres et fait pencher le Seigneur sur leur misère.

Il vient, si prompt à l’appel, que l’une des choses les plus étonnantes de ce monde, c’est que pleurant si souvent, nous sachions si peu prier !