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Lettres de Fadette/Première série/25

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Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 56-58).

XXIV

Âmes d’enfants


Après la pluie très douce a paru un soleil bienfaisant qui remplit le monde de vie frémissante : sur les arbres, les bourgeons se gonflent, dans la terre chaude, les plantes poussent patiemment leur petite tête verte et voilà qu’elles brisent la croûte brune, qu’elles pointent si délicatement, si exquisément frêles qu’on les voudrait protéger toutes contre les atteintes brutales.

Ont-elles une petite âme vague qui est éblouie d’air et de lumière au sortir de la prison de terre où elles ont préparé leur beauté ?

C’est parce que je le crois que j’aime le plus petit brin d’herbe, et que j’évite d’écraser la moindre fleurette.

Ainsi suis-je revenue de la montagne les mains vides : sur mon chemin les anémones rosées et les violettes fines n’ont pas été cueillies ; je me suis agenouillée pour respirer leur parfum et leur fraîcheur et j’ai continué ma route sans un regret de ne leur avoir point fait de mal.

Que n’avons-nous le même scrupule avec les âmes des enfants et les âmes des jeunes filles, encore éblouies et grisées de la beauté qu’elles découvrent en ce monde.

Trop souvent, par nos désenchantements, nos dégoûts, nos rancunes, nous atteignons rudement leurs âmes fraîches et nous les meurtrissons irréparablement.

Je ne pardonne pas aux pères leurs diatribes contre l’universelle malhonnêteté des hommes ; aux mères, leurs discours fulminants contre l’égoïsme des hommes ; aux blasés, leurs rires sardoniques, aux découragés, leur tristesse qui se refuse à l’espoir ; aux malveillants, leurs lunettes fumées au travers desquelles ils voient noirs le ciel et la terre.

Il serait plus sage, plus efficace et moins dangereux de mettre dans le cœur des enfants le culte de l’honneur et la religion du dévouement, d’y développer la foi, l’espérance et l’amour, les laissant croître, ainsi dans la Vérité, mais en laissant subsister la Beauté.

Permettons à ces âmes frêles de se développer en se fortifiant contre la Vie : elle se révélera bientôt à elles, grave et triste, mais profondément belle si nous leur avons appris à l’aimer comme le plus beau don de Dieu.

Quel sera l’effet de ces déclamations outrées contre les hommes avec qui il leur faudra vivre, contre la vie qui les attend, contre les devoirs qu’on leur présente comme des épouvantails ? Pensez-vous que cela les aidera ? Autre chose est de les éclairer avec tact et prudence, de dissiper les illusions dangereuses, ou de les éclabousser en remuant devant eux toutes les tristesse et toutes les vilenies.

Certains enfants de vingt ans me navrent avec leur défiance, leur esprit critique, leur parti-pris de révolte contre toutes les autorités : ils ont perdu leur fraîcheur d’impression, leur gaieté, leur confiance dans la sincérité et la bonté humaines : que leurs parents se demandent, si, inconsciemment, ils ne sont pas les auteurs du mal ?