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Lettres de Fadette/Première série/39

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Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 91-93).

XXXVIII

Désillusion


Une pluie fine et continue bat les vitres et le bruit de l’averse sur le toit me rend le silence de mon petit salon presque insupportable. C’est comme si la chère solitude tant aimée devenait aujourd’hui agressive et méchante et me disait : « Enfin, je te tiens ! Tu ne m’échapperas pas et je te ferai souffrir si je veux ! »

Et je lui demande en vain le vague de ses rêves, la magie de ses souvenirs, l’écho des joies heureuses ; elle s’y refuse rudement, et son langage austère m’écrase le cœur, m’enlève mon courage et ma belle ardeur à vivre ! Je sais qu’il y a, de par le monde, des êtres à l’écorce épaisse qui ne se laissent pas affecter par la couleur du ciel. Mais on les trouve peu parmi les femmes qui sont rarement assez raisonnables pour ne pas se laisser attrister par les choses tristes, et qu’y a-t-il de plus triste qu’un ciel qui pleure en faisant la terre noire et lamentable et une solitude qui, à la ritournelle monotone de la pluie, se fait perspicace et trop brutalement sincère ? Nous avons tant besoin de nous aveugler sur les mobiles des actions et des opinions humaines ; à trop réfléchir, à trop analyser nous déchirons les voiles nécessaires à nos admirations, à nos estimes et à nos confiances. Ils sont si rares les êtres vrais et sincères jusqu’au fond, qui vivent ce qu’ils pensent et ce qu’ils croient ! Ceux qui se flattent d’être plus sincères que les autres et qui s’en vantent, sont si souvent ceux qui ne s’interrogent pas pour découvrir le pourquoi de leurs beaux gestes.

Derrière tant de charités admirables, de grands dévouements, d’affections à l’air fidèle, qu’y a-t-il souvent si ce n’est de la vanité, de l’intérêt et du mensonge ?

On va dans la vie agités, affairés, empressés, évitant ainsi de voir plus loin et plus profond que le dessus enjolivé et qui « paraît bien ».

Et tout à coup, quand il pleut, qu’on ne remue plus et que l’on n’est plus étourdie par les belles phrases, on voit, et d’autant plus nettement que c’est involontaire, que tous tant que nous sommes, nous nous payons de mots, et que, sans nous en douter, tant cela nous est naturel, nous mentons à la journée et à la vie longue !

Nous mentons aux autres en leur jouant la comédie, et à nous-mêmes en retissant sans cesse autour des seules choses vraies les voiles épais qui les rendent si vagues qu’elles disparaissent presque, pour nous permettre de vivre comme si elles n’existaient pas.

…Mais là-bas, c’est un peu de bleu qui troue le gris, et sans se montrer encore, le soleil nous fait signe qu’il va venir et le souvenir de ma bonne petite vieille dame passe par ce bleu et ce rayon qu’on pressent, et me fait sourire. C’est pour le coup, si elle lisait ce qui précède, qu’elle me dirait sa phrase favorite. Soyez simple, ma petite ; vous compliquez, vous analysez, vous subtilisez et à quoi cela vous mène-t-il ? Et je lui répondrais : Mon Dieu, madame, aujourd’hui au moins, à faire la lettre de FADETTE.