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Lettres de Fernand Cortes à Charles-Quint/Lettre IV

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Traduction par Désiré Charnay.
Hachette et Cie (p. 243-289).

LETTRE QUATRIÈME

Que Don Fernand Cortes, gouverneur et capitaine général pour Sa Majesté, en la Nouvelle-Espagne de la mer Océane, envoya au Très Haut et Très Puissant et Glorieux Seigneur Don Carlos, Empereur toujours Auguste et Roi d’Espagne notre Seigneur.

Très Haut, Très Puissant, Très Excellent Prince, Empereur Invincible, Seigneur et Roi Très Catholique : dans la relation que j’envoyai à Votre Majesté par Juan de Ribera, au sujet des choses qui m’étaient arrivées depuis ma seconde lettre, je disais comment, pour amener au service de Votre Majesté les provinces de Guatusco, Tuxtepec et Guatasca et autres, voisines de la mer du nord, j’avais envoyé le grand alguazil avec un corps de troupe ; ce qui lui était arrivé en chemin, comment je lui avais ordonné d’établir des colonies dans ces provinces et d’y fonder une ville qu’il appellerait Médellin. Il me reste à dire à Votre Altesse comment cette ville fut peuplée et comment fut pacifiée la contrée tout entière.

Je lui envoyai un renfort et lui ordonnai de suivre la côte jusqu’au Goatzacoalco, qui se trouve à cinquante lieues de la ville nouvellement fondée et à cent vingt lieues de Mexico, parce que, lorsque j’étais dans cette ville, du vivant de Muteczuma, cherchant à pénétrer tous les secrets de ce pays, pour en informer Votre Majesté, j’y avais envoyé Diego de Ordas qui était alors à Mexico. Les caciques et les naturels du pays l’avaient accueilli le mieux du monde et s’étaient déclarés vassaux et sujets de Votre Altesse. De plus, j’avais appris qu’à l’embouchure d’une grande rivière qui se jette à la mer, il y avait un fort bon port pour les navires. Ordas s’en était assuré en en faisant le tour ; le pays lui avait paru tout à fait propre à l’établissement d’une colonie ; et par suite de manque de havres sur cette côte, je désirais vivement en trouver un et y fonder une ville.

J’ordonnai donc à Gonzalo de Sandoval d’entrer dans la province, en se faisant précéder d’agents que je lui envoyai, chargés de dire aux habitants que le grand alguazil se rendait chez eux d’après mes ordres, et de leur demander s’ils se donnaient encore pour nos amis et les serviteurs de Votre Majesté. Ils devaient leur dire que la guerre que j’avais eue avec Mexico et ses alliés m’avait tellement occupé, que je n’avais pas eu le temps d’envoyer personne les visiter de ma part ; mais que je les considérais toujours comme des amis et fidèles sujets de Votre Majesté, et que, comme tels, ils me trouveraient toujours prêts à les aider en quelques difficultés qu’ils se trouvassent, et que je leur envoyais de mes gens pour s’établir dans le pays. Sandoval et sa troupe se mirent en route et firent ce que je leur avais mandé ; mais loin de trouver ces gens dans les mêmes dispositions, ils se heurtèrent à des hommes de guerre qui leur défendirent l’entrée du pays. Grâce à l’habileté de Sandoval l’affaire fut presque immédiatement terminée ; car, dans un assaut de nuit, s’étant emparé d’un village, il y fit prisonnière une princesse à qui tout le monde obéissait. Celle-ci fit appeler les caciques et leur ordonna de faire tout ce que je commanderai de la part de Votre Majesté.

Mes hommes arrivèrent donc au Goatzacoalco et ils fondèrent à quatre lieues de l’embouchure de cette rivière, faute d’emplacement meilleur, une ville qu’ils appelèrent Espiritu Santo, où le grand alguazil séjourna jusqu’à ce qu’on eût pacifié et amené à l’obéissance de Votre Majesté Catholique, d’autres provinces environnantes, à savoir, la province de Tabasco sur le Grijalva, celle de Chimatlan, de Quechula, de Quezaltepec et autres de moindre importance dont je ne parlerai pas. Les Indiens de ces localités se mirent à la disposition des Espagnols, les ont servis et les servent encore à l’exception de ceux de Tabasco, de Cimatlan et de Quezaltepec qui se révoltèrent. Il y a un mois que j’ai envoyé un de mes lieutenants pour châtier cette rébellion et ramener ces Indiens à l’obéissance. Jusqu’à présent je n’en ai pas de nouvelles : je crois, grâce à Dieu, qu’ils feront une bonne besogne, car ils ont emmené de l’artillerie, de la cavalerie et des arbalétriers.

Dans la relation que vous a portée Juan de Ribera, Seigneur Très Catholique, je disais à Votre Majesté Impériale, qu’une grande province appelée Michoacan et dont le roi se nomme Catzolcin, m’avait envoyé des ambassadeurs pour s’offrir lui et ses sujets comme vassaux de Votre Césaréenne Majesté, et qu’ils m’avaient apporté divers présents que j’envoyai à Votre Majesté par les procureurs que j’avais expédiés de cette Nouvelle-Espagne. Je disais, d’après les renseignements reçus des Espagnols que j’avais envoyés là-bas, que la province du roi Catzolcin était grande et riche, et qu’ayant reçu des renforts en hommes et en chevaux, cette province étant voisine de Mexico, j’y avais envoyé soixante-dix cavaliers et deux cents fantassins, bien fournis d’armes et de munitions pour qu’ils parcourussent le pays et en étudiassent les ressources. Je voulais en même temps, que, s’ils trouvaient la contrée propice à une colonisation, ils s’établissent dans la ville principale, appelée Huicicila. Mes troupes furent bien accueillies par le roi et les habitants qui les installèrent dans les palais de la ville. Outre les vivres qu’on leur fournit en abondance, on leur donna pour plus de trois mille marcs d’argent mélangé de cuivre, et près de cinq mille piastres de lingots d’or mélangé d’argent, des étoffes de coton et autres objets de leur industrie. On en retira le cinquième pour Votre Majesté ; le reste fut réparti entre les soldats de l’expédition. Le pays ne leur plaisant pas, plusieurs de mes hommes se refusèrent à y coloniser et se livrèrent à quelques mutineries ; on en châtia un certain nombre et je fis revenir ceux qui se refusaient à rester ; quant aux autres, je les envoyai sous les ordres d’un capitaine, à la mer du sud, où j’avais fondé une ville appelée Zacatula, située à cent lieues de Huicicila, où j’avais sur chantiers quatre navires destinés aux découvertes dans cette mer du sud, pour la plus grande gloire de Dieu, Notre Seigneur, et de Votre Majesté. En se rendant à la côte, mon capitaine et ses hommes entendirent parler d’une province appelée Coliman, assez éloignée du chemin qu’ils suivaient, à leur droite, c’est-à-dire au couchant et à cinquante lieues de là. Mon lieutenant s’y rendit sans me consulter, accompagné d’une nombreuse troupe des Indiens de Michoacan ; il en parcourut diverses parties, où il eut quelques rencontres avec les habitants ; et quoiqu’il eût avec lui quarante chevaux, plus de cent fantassins, arquebusiers et arbalétriers, il fut battu et dut se retirer après avoir perdu trois Espagnols et beaucoup d’Indiens ; il se rendit alors à Zacatula. Lorsque je connus cette affaire, je me fis amener le lieutenant et le punis de son insubordination.

Dans ma précédente relation, je racontai à Votre Impériale Majesté que j’avais envoyé Pedro de Alvarado dans la province de Tututepec sur les bords de la mer du sud, comment il y était arrivé et s’était emparé du cacique et de son fils ; je parlais aussi d’échantillons d’or et de perles qu’on lui avait remis. À cette époque, il n’avait pas d’autres nouvelles à me donner. Je dois dire aujourd’hui à Votre Grandeur, que, en réponse aux lettres qu’il m’avait écrites, je lui ordonnai de choisir un site convenable dans cette province, pour y former un établissement. En même temps, je fis passer à Tututepec les colons de la ville Segura de la Frontera parce que cette ville ne m’était plus d’aucune utilité. Ils s’en allèrent là-bas et appelèrent la nouvelle ville, Segura de la Frontera comme la précédente. Des Indiens d’Oaxaca, de Coatlan, de Coasclahuaca et de Tachquiaco, furent répartis entre les nouveaux habitants de cette ville, et s’empressèrent de les servir avec la meilleure volonté. Pedro de Alvarado en fut en mon lieu et place le chef-justice et le capitaine.

Pendant que je m’occupai de la conquête du Panuco comme je le dirai plus tard à Votre Majesté, les alcades et officiers municipaux de la nouvelle ville prièrent Alvarado de leur confier ses pouvoirs pour venir traiter avec moi au sujet de leurs intérêts ; ce qu’il accepta. Les alcades et conseillers se liguèrent entre eux et au moyen de certaines manœuvres et malgré l’opposition du gouverneur qu’Alvarado avait nommé, ils abandonnèrent la ville et se transportèrent dans la province d’Oaxaca, ce qui fut cause des plus grands troubles dans cette province.

Le capitaine qui commandait la place me mit au courant de ce qui s’était passé ; j’envoyai Diego Docampo, grand alcade, pour qu’il instruisît l’affaire, et châtiât les coupables. Ceux-ci, étant avertis, disparurent pendant plusieurs jours, mais pour tomber entre mes mains, de sorte que Diego Docampo ne put saisir que l’un des rebelles qu’il condamna à mort ; celui-ci en appela près de moi ; quand je pris les autres je les remis à l’alcade, qui les condamna également et qui en appelèrent aussi. La cause entendue, ils furent condamnés une seconde fois par devant moi, et, bien que leur faute fût très grave, considérant qu’ils avaient fait une longue prison préventive, je commuai la peine de mort en mort civile, qui comportait l’exil de ce pays, avec nouvelle condamnation s’ils y rentraient sans la permission de Votre Majesté.

Sur ces entrefaites, le cacique de Tututepec mourut : les Indiens de cette province et des lieux voisins se révoltèrent ; j’envoyai contre eux Pedro de Alvarado et l’un des fils de leur cacique que j’avais en mon pouvoir. Il y eut diverses rencontres dans lesquelles nous perdîmes quelques Espagnols, mais Alvarado ramena ces Indiens au service de Sa Majesté ; ils sont aujourd’hui pacifiques et tranquilles et se tiennent aux ordres des Espagnols. La ville cependant est restée déserte faute d’habitants et parce que je n’en avais nul besoin ; mais domptés par le châtiment qu’ils ont reçu, ils viennent à cette ville sur simple avis.

Aussitôt après la prise de Mexico et de ses dépendances, deux provinces qui se trouvent à quarante lieues dans le nord et qui confinent à Panuco furent réunies à la couronne de Votre Majesté Impériale ; ce sont les provinces de Tututepec et Metztithlan : la terre y est bonne et les gens du pays sont fort entraînés dans l’exercice des armes, par suite des ennemis qui les entourent. Comme rien ne les éloignait de Votre Majesté, ils m’envoyèrent des messagers pour se déclarer vos sujets et vassaux ; je les reçus en cette qualité au nom de Votre Majesté, et ils restèrent soumis jusqu’à l’arrivée de Tapia qui causa les troubles dont j’ai parlé. Alors, ceux-ci renoncèrent non seulement à leur obéissance, mais causèrent les plus grands dommages aux populations voisines restées fidèles à Votre Majesté ; ils brûlèrent plusieurs villages et tuèrent un grand nombre de gens. Quoique, à cette époque, j’eusse peu de monde sous la main par suite de la division de mes forces, considérant combien il serait mauvais de les laisser persévérer dans cette voie, craignant que leurs voisins ne se joignissent à eux par terreur des dommages qu’ils en pourraient recevoir, et moi-même, fort peiné de leur conduite, j’envoyai un capitaine avec trente chevaux, cent fantassins, arquebusiers et arbalétriers accompagnés de milliers de nos amis indiens. Il y eut rencontres et batailles, dans lesquelles nous perdîmes deux Espagnols et quelques-uns de nos alliés. Grâce à Dieu ces gens demandèrent la paix et m’amenèrent leurs chefs auxquels je pardonnai, puisque c’étaient leurs sujets eux-mêmes qui me les avaient livrés. Plus tard, me trouvant dans la province de Panuco, les Indiens répandirent le bruit que je m’en retournais en Castille, ce qui causa une grande agitation. L’une de ces provinces, celle de Tututepec, se souleva de nouveau ; le cacique descendit de ses montagnes avec de nombreuses troupes, incendia plus de vingt villages de nos alliés, tua et s’empara d’une foule de gens. Je fus donc obligé de me retourner contre eux pour les soumettre ; et, quoique dans le principe ils nous tuassent quelques Indiens de l’arrière-garde et que nous eussions perdu une douzaine de chevaux dans les âpres défilés des montagnes, je soumis la province, m’emparai du cacique, de son jeune frère et d’un capitaine préposé à la défense de la frontière. Je fis pendre le cacique et son capitaine, et tous nos prisonniers au nombre de deux cents furent marqués comme esclaves. Ils furent vendus à l’encan et le cinquième de la vente attribué à Votre Majesté ; le reste fut réparti entre les soldats qui avaient fait la campagne, encore n’y eut-il pas de quoi payer le tiers de la valeur des chevaux perdus dans l’action, car, le pays étant fort pauvre, il n’y eut pas d’autre butin. Les autres habitants se soumirent et je leur donnai pour cacique le jeune frère de celui que j’avais pendu. Le pays étant fort pauvre, comme je l’ai dit ; nous n’eûmes d’autre profit, dans cette affaire, que d’assurer notre sécurité en empêchant les naturels d’inquiéter leurs voisins ; je crus même prudent d’y installer des Indiens amis d’autres provinces.

À cette époque, César Invincible, arriva au port et à la ville del Espiritu Santo dont j’ai fait mention plus haut, un tout petit navire qui venait de Cuba, ayant à bord un certain Juan Bono de Quéjo qui se trouvait comme commandant de navire dans la flotte de Panfilo de Narvaez. Selon ses dépêches, il était envoyé par don Juan de Fonséca, évêque de Burgos, qui croyait que Cristobal de Tapia, qu’il avait recommandé, était gouverneur de la Nouvelle-Espagne, et qu’il y résidait. Pour que la réception de son envoyé ne souffrît pas d’empêchement, comme il avait tout lieu de le craindre, il le fit passer par l’île de Cuba afin de s’entendre avec Diego Velazquez, qui lui donna le brigantin pour le transporter. Ce Juan Bono apportait une centaine de lettres de la même teneur signées de l’évêque Fonséca. Il y en avait aussi en blanc, pour distribuer aux personnes de la Nouvelle-Espagne à qui Juan Bono jugerait bon de les remettre, en leur disant qu’elles serviraient les intérêts de Votre Majesté en acceptant l’autorité de Tapia, leur promettant en outre mille faveurs. Il devait leur dire, qu’en continuant à m’obéir, elles allaient contre les intérêts de Votre Excellence, et autres propos destinés à provoquer le désordre. Il m’écrivait une lettre personnelle dans le même sens, me disant, qu’en reconnaissant Tapia je m’attirerais les bonnes grâces de Votre Majesté, que sinon, je pouvais le compter comme mon plus mortel ennemi.

L’arrivée de Juan Bono et les lettres qu’il apportait, causèrent une telle effervescence parmi mes gens, que si je ne les avais rassurés en leur en expliquant le but, leur disant qu’ils n’avaient rien à craindre de ces menaces, et que le plus grand service qu’ils pussent rendre à Votre Majesté, était de ne pas souffrir que l’évêque se mêlât de nos affaires, parce que son intention était de dissimuler la vérité à Votre Majesté et de lui arracher des faveurs sans qu’elle en sût le motif. J’eus donc toutes les peines du monde à les apaiser ; d’autant plus que j’avais été informé, encore que je n’en fisse rien voir, que quelques-uns d’entre eux avaient émis l’idée que, puisqu’on ne payait leurs services que par des menaces, ils n’avaient, en ce cas, qu’à imiter les communes de Castille en se constituant en communes, jusqu’à ce que Votre Majesté fût informée de l’état des choses.

L’évêque avait un tel intérêt dans cette affaire, qu’il empêchait nos réclamations de parvenir jusqu’à Votre Majesté ; il avait dans sa main les offices de commerce de Séville, où on maltraitait nos envoyés ; on les dépouillait de leurs rapports, de leurs lettres et de leur argent, et l’évêque s’opposait à ce qu’on nous envoyât aucun secours d’hommes, d’armes ou de munitions.

Je fis donc savoir à mes hommes ce que je dis plus haut, ajoutant que Votre Majesté l’ignorait certainement ; mais qu’ils devaient être persuadés qu’aussitôt que Votre Majesté saurait la vérité, ils seraient payés de leurs services et recevraient les récompenses que tout bon et loyal serviteur du roi mérite de recevoir.

Ils se rassurèrent, et furent très heureux des pouvoirs que Votre Grandeur a daigné me conférer, et servent avec un zèle que confirme le résultat de leurs travaux. Ils méritent donc que Votre Majesté les comble de grâces tant pour leurs services passés que ceux qu’ils désirent vous rendre encore ; et j’en supplie très humblement Votre Majesté, l’assurant que, pour toute faveur accordée à mes camarades, j’éprouverais la même gratitude que si elle m’eût été accordée à moi-même ; car, sans eux, quels services aurais-je pu rendre à Votre Majesté ? Je supplie donc de nouveau Votre Altesse, de vouloir bien leur faire écrire pour les assurer que, leurs services ont été appréciés et que les récompenses allaient suivre ; car, outre le paiement d’une dette que leur doit Votre Majesté, ce sera les encourager à déployer pour l’avenir encore plus de zèle et de meilleure volonté.

Par suite d’une cédule que Votre Majesté voulut bien émettre sur la demande de Juan de Ribera touchant Francisco de Garay, j’ai compris que Votre Altesse avait été informée que j’étais sur le point de partir, ou d’envoyer des gens à la rivière Panuco, pour m’emparer de la province, parce qu’il y avait là un bon port et qu’on y avait massacré des Espagnols, tant de ceux qu’avait envoyés Francisco de Garay que d’autres appartenant à un navire qui vint échouer sur la côte et dont pas un n’avait échappé. Les Indiens vinrent plus tard me trouver pour se disculper, me disant qu’ils ignoraient que ces gens étaient de ma compagnie et que, d’ailleurs, ils en avaient été fort maltraités ; mais que si je voulais leur envoyer des hommes de ma troupe, ils les recevraient avec plaisir, se mettraient à leur disposition, et qu’ils me seraient reconnaissants de les leur envoyer ; ils craignaient, disaient-ils, que ceux qu’ils avaient battus, ne revinssent pour en tirer vengeance et comptaient sur mes Espagnols pour les défendre contre des voisins avec lesquels ils étaient en guerre. Quand les Indiens vinrent me trouver, je manquais d’hommes et je ne pus leur accorder ce qu’ils me demandaient, le leur promettant pour le plus tôt possible. Ils s’en retournèrent satisfaits, m’ayant amené comme sujets et vassaux de Votre Majesté, une douzaine de villages situés près de la frontière de Mexico.

Peu de jours après ils revinrent, me pressant de leur envoyer du monde pour coloniser chez eux, puisque j’en envoyais en d’autres provinces ; ils avaient, disaient-ils, beaucoup à souffrir de leurs ennemis, ainsi que des Indiens de la côte qui leur en voulaient d’autant plus, qu’ils s’étaient déclarés mes alliés. Me trouvant quelques troupes sous la main, je résolus de remplir ma promesse et de fonder une colonie dans cette province. Je choisis donc l’un de mes lieutenants à qui je donnai L’ordre de se rendre au Panuco ; lorsqu’au moment où il partait, j’appris par un navire qui arrivait de l’île de Cuba, que l’amiral Don Diego Colon et les gouverneurs Diego Velazquez et Francisco de Garay, réunis dans l’île de Cuba, s’étaient alliés avec mes ennemis, pour me faire tout le mal qu’ils pourraient. Voulant annuler leurs mauvais desseins et empêcher que leur arrivée ne causât des troubles comme il s’en était produit autrefois à l’arrivée de Narvaez, je résolus de laisser à Mexico une forte garnison, de me transporter moi-même à la côte, de manière qu’eux ou leurs envoyés me rencontrassent plutôt que tout autre, me croyant plus apte que personne à surveiller nos intérêts.

Je partis donc avec cent vingt chevaux, trois cents fantassins, de l’artillerie et quarante mille Indiens de nos alliés. Arrivé à la frontière des provinces mexicaines, à vingt-cinq lieues au moins du Panuco, près d’un grand village appelé Coscatlan, je fus attaqué par une forte armée indienne ; comme j’avais moi-même une troupe nombreuse, que le terrain était propice à la cavalerie, le combat ne dura qu’un instant ; et si j’eus quelques hommes et chevaux blessés et si l’on nous tua quelques-uns de nos amis, la rencontre coûta cher à nos adversaires qui perdirent des milliers des leurs. Je restai dans le village deux ou trois jours, tant pour soigner mes blessés que pour recevoir des envoyés d’Indiens qui venaient se déclarer sujets et vassaux de Votre Majesté. Ils me suivirent jusqu’au port, se mettant à ma disposition pour tout ce dont j’avais besoin, et pendant notre marche jusqu’au port, nous ne rencontrâmes pas un ennemi. Loin de là, nous ne trouvions que des gens venant implorer leur pardon et se mettre au service de Votre Altesse.

Arrivé à la rivière et au port, je m’arrêtai dans un village appelé Chila, à cinq lieues de la mer. Il était incendié et désert ; c’était là que les Indiens avaient massacré le capitaine et les gens de Francisco de Garay. De là, j’envoyai des messagers de l’autre côté de la rivière chargés de dire aux habitants de grands villages qui se trouvent au milieu des lagunes, qu’ils n’avaient rien à craindre du passé, que je ne leur ferais aucun mal ; que je savais bien que le village n’avait été détruit qu’à la suite d’une révolte, et que ce n’était point leur faute. Ils ne voulurent rien entendre, maltraitèrent mes envoyés et en tuèrent quelques-uns ; et comme l’eau douce, dont nous nous approvisionnions, se trouvait de l’autre côté de la rivière, ils s’y mettaient en embuscade et attaquaient mes hommes. J’attendis près de quinze jours, pensant les amener à moi et qu’ils traiteraient mes gens comme je traitais les leurs. Mais ils avaient une telle confiance dans la force de leur position au milieu des lagunes, qu’ils refusèrent de se rendre. Voyant toutes mes avances inutiles, je cherchai le moyen d’en finir. J’avais quelques canoas, je réussis à m’en procurer d’autres, de sorte qu’une nuit, je pus faire passer à l’autre bord des hommes et des chevaux, de manière qu’au matin, sans que l’ennemi s’en doutât, j’y avais réuni une forte troupe d’infanterie et de cavalerie, tout en laissant une bonne garnison dans mes quartiers. Quand ils nous aperçurent, ils se jetèrent sur nous par masses énormes et nous attaquèrent avec une telle vigueur, que je ne me souviens d’avoir été abordé de telle façon ; ils me tuèrent deux chevaux et en blessèrent dix autres si gravement qu’ils furent inutilisés. Dans cette journée, grâce à Dieu, les ennemis furent battus ; nous les poursuivîmes pendant plus d’une lieue et nous en tuâmes un grand nombre. Avec les trente chevaux qui me restaient et une centaine de fantassins, je continuai ma route et j’allai camper dans un village à trois lieues de là, où dans les temples nous trouvâmes une foule de choses venant des Espagnols qu’on avait tués à Francisco de Garay. Le jour suivant, je longeai la côte d’une lagune pour chercher un passage qui me permît d’atteindre certains villages que nous apercevions de l’autre côté. Je continuai tout le jour sans trouver ce passage, quand, vers le soir, nous vîmes un très beau village vers lequel nous nous dirigeâmes en suivant le bord de la lagune ; il était tard quand nous l’abordâmes ; il paraissait désert. Pour m’en assurer, je fis avancer dix cavaliers par la route qui nous y conduisait tout droit, pendant qu’avec dix autres, je faisais un détour, ceux de l’arrière-garde n’étant pas encore arrivés.

En entrant dans le village, nous y trouvâmes une foule de gens qui s’étaient cachés dans les maisons pensant nous surprendre ; ils nous attaquèrent si vivement, qu’ils nous tuèrent un cheval, blessèrent tous les autres et un grand nombre d’Espagnols ; ils se battaient avec une rage sans pareille, et, quoique trois ou quatre fois rompus, ils revenaient toujours à la charge ; puis se groupant par masses, ils s’agenouillaient et sans une parole, sans un cri comme les Indiens en poussant d’habitude, ils nous attendaient et nous ne pouvions les aborder sans être couverts de flèches ; de sorte que, si nous n’avions été défendue par nos armures, je crois qu’aucun de nous n’eût échappé.

Enfin, grâce à Dieu, quelques-uns se jetèrent dans une petite rivière qui débouche dans la lagune que j’avais suivie tout le jour, d’autres les imitèrent et ce fut une débandade ; cependant ils s’arrêtèrent au delà de la rivière, et nous d’un côté, eux de l’autre nous restâmes en présence jusqu’à la nuit, car le ruisseau étant très profond, nous ne pouvions le passer. Nous étions du reste fort contents de les voir de l’autre côté ; nous retournâmes au village qui est à une portée de fronde du ruisseau, et nous y passâmes la nuit sous bonne garde et nous mangeâmes à notre souper le cheval qu’on nous avait tué, n’ayant pas autre chose.

Le jour suivant, nous prîmes un chemin où l’on ne voyait personne, et qui nous conduisit, à trois ou quatre villages abandonnés par leurs habitants, mais où nous trouvâmes des magasins contenant de grands vases pleins d’un vin que fabriquent les Indiens. Ce jour-là, nous ne rencontrâmes personne, et nous dormîmes en plein champ où se trouvaient d’amples moissons de maïs, au milieu desquelles chevaux et gens purent se refaire ; je continuai deux ou trois jours de la même façon, ne rencontrant personne quoique traversant beaucoup de villages ; mais comme nous manquions de vivres, car nous n’avions pas entre tous cinquante livres de pain, nous retournâmes au village où je trouvai mes hommes en bon état et n’ayant eu à repousser aucune attaque des Indiens ; puis, voyant que toute la population se trouvait de l’autre côté de la lagune que je n’avais pu atteindre, je fis embarquer la nuit, hommes et chevaux, arquebusiers et arbalétriers avec ordre de traverser la lagune pendant que d’autres de mes gens les rejoindraient par terre. Ils arrivèrent ainsi à un grand village dont ils surprirent les habitants et dont ils tuèrent un grand nombre ; les autres furent tellement effrayés de se voir enlevés par surprise au milieu de leurs lagunes, qu’ils vinrent demander la paix, et en moins de vingt jours toute cette population se reconnut sujette de Votre Majesté.

Cette province étant pacifiée, j’envoyai de toutes parts des émissaires pour en étudier les ressources et me faire des rapports sur les villages et les gens. Lorsqu’ils me furent livrés, je choisis l’endroit le plus propice, et j’y fondai une ville que j’appelai Santisteban del Puerto ; quant à ceux qui voulurent l’habiter, je leur distribuai au nom de Votre Majesté tous les villages des environs à titre de serfs. Je nommai les alcades et les conseillers municipaux, avec un de mes lieutenants comme capitaine ; les premiers habitants se composèrent de trente cavaliers et une centaine de fantassins à qui je laissai une barque et des filets de pêche que l’on m’avait envoyés de la Veracruz. L’un de mes serviteurs m’envoya également un navire chargé d’approvisionnements, viande, pain, huile, vinaigre et autres choses, qui fut perdu corps et biens, à l’exception de trois hommes qui se réfugièrent sur une île déserte à cinq lieues de la côte ; je les envoyai chercher. On les trouva en bonne santé ; ils avaient vécu de loups marins qui abondaient dans l’île et d’un fruit qui ressemble à une figue. Je puis assurer Votre Majesté, que cette expédition me coûta personnellement plus de trente mille piastres d’or, comme Votre Majesté pourra le faire vérifier par l’examen des comptes. Ceux qui me suivirent dépensèrent tout autant en chevaux, munitions, ferrures, etc., parce qu’à cette époque tout se payait au poids de l’or ; mais nous eussions tous accepté de plus grands sacrifices encore pour le service de Votre Majesté.

Ces sacrifices, du reste, furent des plus féconds en résultats ; car au moment où le joug impérial était imposé aux Indiens, un grand navire chargé d’hommes et de provisions fut jeté à la côte ; pas un de ces hommes n’eût échappé, si le pays n’avait été pacifié, et ils auraient subi le sort de ceux qui avaient été précédemment massacrés par les Indiens, et dont nous trouvions les dépouilles dans leurs temples ; je veux parler de leurs peaux et de leurs figures, tannées et préparées de telle manière, qu’on pouvait encore les reconnaître. À l’époque où Francisco de Garay vint en cette province, comme je le dirai plus tard à Votre Majesté, il ne fût pas resté un seul de ses compagnons vivant, lorsque le vent les poussa à plus de trente lieues du Panuco, où ils perdirent quelques navires, et tous auraient été massacrés au débarquement, si les Indiens n’eussent été pacifiés ; loin de là, ils les amenèrent eux-mêmes, les portant et s’empressant à les servir, jusqu’à ce qu’ils les eussent remis au village des Espagnols. Sans cette guerre, ils eussent tous été perdus. C’était donc rendre un grand service que de pacifier la contrée.

Dans les chapitres précédents, Très Excellent Prince, je disais comment, en revenant de pacifier le Panuco, je conquis la province de Tututepec qui s’était révoltée et je racontais tout ce qui s’y était passé. Je reçus alors la nouvelle que dans une autre province près de la mer du sud, appelée Impilcingo, et située comme celle de Tututepec au milieu de montagnes âpres et difficiles, les habitants faisaient la guerre aux sujets de Votre Majesté Impériale, leurs voisins, qui étaient venus réclamer mon secours. Quoique mes gens fussent bien fatigués et qu’il y eût d’une mer à l’autre deux cents lieues de distance, néanmoins, je réunis immédiatement vingt-cinq chevaux et quatre-vingts piétons que je confiai à l’un de mes lieutenants pour se rendre en cette province. Je lui donnai pour instruction de s’efforcer d’amener les habitants à nous par la douceur, sinon de leur faire la guerre. Il partit, eut avec eux quelques rencontres, mais vu la difficulté des lieux, ne put en achever la conquête. Je le chargeai en même temps, l’affaire terminée, de se rendre à la ville de Zacatula et de poursuivre avec tous les hommes qu’il pourrait s’adjoindre, jusqu’à la province de Coliman, où les Indiens avaient battu les capitaines qui du Michoacan s’étaient avancés chez eux sans ma permission, ainsi que j’en ai fait mention dans un chapitre précédent. Je lui donnai l’ordre de traiter avec eux s’il se pouvait, ou de les réduire par la force.

Il partit, après avoir réuni une troupe de cinquante chevaux, et de cent cinquante fantassins avec lesquels il se dirigea vers cette province située à soixante lieues de la ville de Zacatula. En chemin, il pacifia quelques villages et arriva dans le Coliman à l’endroit même où mon premier capitaine avait été défait ; il y trouva une forte armée indienne qui l’attendait. Les Indiens, espérant qu’il en serait de celui-là comme de l’autre, l’attaquèrent ; mais il plut à Dieu qu’ils fussent battus, sans perte d’aucuns de nous, quoique nous eussions plusieurs hommes et chevaux blessés. Les ennemis payèrent cher le mal qu’ils nous avaient fait et le châtiment leur fut si sensible, qu’ils demandèrent immédiatement la paix et que d’autres provinces, effrayées par l’exemple, se hâtèrent de se déclarer sujettes de Votre Majesté Impériale ; c’étaient les provinces de Aliman, Colimonte et Ceguatan.

De là, mon capitaine m’écrivit tout ce qui lui était arrivé ; de mon côté, je lui mandai de choisir un bel emplacement pour y fonder une ville, qu’il appellerait Coliman du nom de la province. Je lui envoyai la nomination des alcades et des conseillers municipaux et lui ordonnai de visiter les villages et les gens de cette province, d’en étudier les ressources et de venir m’en rendre compte. Il vint et m’apporta des échantillons de perles, et je répartis au nom de Votre Majesté tous les villages de cette province aux habitants de cette nouvelle ville qui comptait vingt-cinq cavaliers et cent vingt piétons.

Dans sa relation, mon capitaine me donnait une bonne nouvelle : c’est qu’il avait trouvé un port sur la côte ; ce dont je me réjouis fort, car ils sont très rares. Il m’envoyait aussi un rapport des caciques de la province de Ceguatan, qui affirmait posséder une île uniquement peuplée de femmes ; de temps à autre, des hommes de la terre ferme s’embarquent pour les visiter ; quand elles deviennent enceintes et accouchent de filles, elles les gardent ; si ce sont des garçons, elles les chassent de leur compagnie. Cette île, me disait-on, est à dix journées de la province, et plusieurs de mes hommes étaient allés la visiter. On disait encore que cette île était riche en or et en perles. Je m’efforcerai de m’éclairer sur cette affaire afin d’en adresser une relation complète à Votre Majesté.

À mon retour de Panuco, me trouvant à Tuspan, je reçus la visite de deux Espagnols, que j’avais envoyés avec un certain nombre de Mexicains et autres Indiens de la province de Soconusco qui se trouve sur la côte de la mer du sud, auprès de Pedrarias Davila, gouverneur de Votre Altesse, à plus de deux cents lieues de la grande ville de Mexico, pour qu’ils s’informassent de villes situées soixante lieues plus loin et dont j’avais entendu parler sous le nom de Utatlan et Guatemala. Ces Espagnols m’amenaient plus d’une centaine d’habitants de ces deux villes, chargés par leurs caciques de se déclarer sujets et vassaux de Votre Impériale Majesté. Je les reçus en votre nom royal et je les assurai que s’ils restaient fidèles à leur promesse, moi et les miens nous efforcerions de les protéger et de les servir : puis je leur fis présent pour eux et leurs maîtres de divers de nos produits d’Espagne qu’ils tiennent pour précieux. Quand ils partirent, je les fis accompagner par deux Espagnols pour que pendant leur voyage on leur donnât tout ce dont ils pourraient avoir besoin.

Je reçus à cette époque des nouvelles de mes Espagnols de la province de Soconusco ; ils me disaient que les villes et provinces, ainsi que celle de Chiapas qui leur est voisine, ne semblaient plus dans les mêmes dispositions bienveillantes à notre égard ; qu’au contraire, elles s’étaient liguées contre le Soconusco, parce que les habitants étaient de nos amis. D’autre part, on me disait que les révoltés envoyaient des courriers pour se disculper à mes yeux, rejetant leurs fautes sur d’autres Indiens. Pour m’assurer de la vérité, j’envoyai sur les lieux Pedro de Alvarado avec quatre-vingts chevaux et deux cents fantassins, des arquebusiers, des arbalétriers et quatre pièces de campagne avec beaucoup de poudre et de munitions. J’organisai en même temps une flottille sous le commandement de Cristobal de Oli, que j’envoyai sur la côte nord pour fonder une colonie à la pointe de Hibueras, qui se trouve à soixante lieues de la baie de l’Ascension, au delà du Yucatan, du côté de la terre ferme et du Darien, où l’on dit la contrée riche et où les pilotes affirment que l’on doit trouver un passage à la mer du sud, ce que je désirerais le plus au monde, à cause des avantages inappréciables qui en résulteraient pour le service de Votre Majesté.

Au moment où ces deux capitaines étaient prêts à partir, je reçus de chacun d’eux un message de Santisteban del Puerto que j’avais fondé sur la rivière Panuco, message par lequel les alcades me faisaient savoir que le gouverneur Francisco de Garay était arrivé au Panuco avec cent vingt chevaux, quatre cents fantassins et une nombreuse artillerie ; qu’il se donnait comme gouverneur du pays et qu’il le faisait proclamer par un interprète qu’il avait amené avec lui.

Il faisait dire aux Indiens qu’il les vengerait du mal que je leur avais fait dans la dernière guerre et qu’ils s’unissent à lui pour chasser du pays les Espagnols que j’y avais laissés, ainsi que ceux que je pourrais y envoyer, et autres incitations scandaleuses. Les naturels commençaient à s’agiter ; pour mieux confirmer mes soupçons sur l’alliance de Garay avec l’amiral et Diego Velazquez, une caravelle venant de Cuba arriva quelques jouis après à la rivière Panuco ; elle avait à bord des amis et des serviteurs de Diego Velazquez et une créature de l’évêque de Burgos, qui se disait gouverneur du Yucatan ; enfin tout l’équipage n’était composé que d’amis, de parents et de serviteurs de Diego Velazquez et de l’amiral.

À cette nouvelle, quoique le bras en écharpe d’une chute de cheval et au lit, je résolus d’aller trouver Garay et tâcher d’arranger l’affaire. J’y envoyai de suite Pedro de Alvarado avec tout son monde : pour moi, je devais partir deux jours après. Mon lit et mes bagages étaient en chemin et se trouvaient à dix lieues de Mexico où je devais les rejoindre, quand vers les minuit m’arriva un courrier de la Veracruz. Il m’apportait une lettre arrivée d’Espagne par un navire, en même temps qu’une cédule portant le sceau de Votre Majesté qui ordonnait à Francisco de Garay de n’avoir point à se mêler des affaires du Panuco ni de quelque autre province où j’aurais colonisé, et dont Votre Majesté me donnait le commandement ; faveur pour laquelle je baise cent mille fois les pieds royaux de Votre Impériale Majesté.

À l’arrivée de cette cédule, je renonçai à mon voyage, ce qu’exigeait du reste le soin de ma santé, car il y avait soixante jours que je ne dormais pas ; j’étais surchargé de travail, et me mettre en route dans ces conditions, c’était exposer ma vie. Mais j’aurais passé sur toutes ces considérations, préférant mourir en ce voyage, plutôt que de ne pas faire mon possible pour empêcher le scandale, les troubles et les morts qui en eussent été la conséquence. Je dépêchai immédiatement Diego Docampo, grand alcade, chargé de la cédule, avec ordre de rejoindre Alvarado ; je lui donnai une lettre pour ce capitaine, lui enjoignant de ne pas s’approcher des troupes de Garay sous quelque motif que ce fût, et cela pour prévenir toute rencontre entre les deux armées.

Le grand alcade devait notifier la cédule à Francisco de Garay avec ordre de me faire connaître sa réponse. Il partit en toute hâte et arriva dans la Huasteca, qu’Alvarado venait de quitter. Celui-ci apprit que j’étais resté à Mexico et que Diego Docampo était parti en mon lieu et place ; il lui fit savoir que l’un des capitaines de Garay nommé Gonzalo Dovallé parcourait le pays avec vingt-deux chevaux, pillant les villages, nous aliénant les Indiens et semant de guets les chemins où il devait passer ; Alvarado s’en offensa, pensant que Gonzalo Dovallé voulait l’attaquer ; il poussa donc en avant avec tout son monde et arriva à un village appelé Las Layas où il trouva Dovallé et sa troupe. Alvarado lui dit qu’il était au courant de ses faits et gestes, qu’il en était fort étonné, attendu que Cortes et ses capitaines n’avaient aucunement l’intention d’offenser les gens de Garay, mais au contraire, de les aider et leur prodiguer ce dont ils auraient besoin ; mais que, puisque les choses avaient pris une telle tournure, et pour prévenir tout scandale ou échauffourée entre les deux troupes, il voulait bien consentir à ce que les chevaux de ses hommes et leurs armes fussent mis sous séquestre jusqu’à règlement des difficultés pendantes.

Gonzalo Dovallé s’excusa, jurant qu’Alvarado avait été mal informé, mais acceptant les conditions qu’il lui imposait. Les deux troupes se réunirent donc, les hommes vivant et mangeant ensemble, sans qu’aucune contestation s’élevât entre eux. Dès que le grand alcade connut l’affaire, il se mit en route avec un de mes secrétaires nommé Francisco de Orduna pour rejoindre les capitaines Alvarado et Dovallé ; en arrivant, il fit lever le séquestre, fit rendre à chaque individu les armes et les chevaux, et assura Dovallé que je ferais mon possible pour lui être agréable, à la condition qu’il ne jetterait pas le trouble dans le pays ; en outre, il recommanda à Alvarado de vivre avec Dovallé en bonne intelligence et de ne se mêler en rien de ses affaires : ce qu’il fit.

Vers ce temps, Très Puissant Seigneur, les navires de Francisco de Garay restaient ancrés à l’embouchure de la rivière Panuco, comme une menace aux habitants de la ville de Santisteban que j’avais fondée à trois lieues en amont, où se rendent tous les navires qui arrivent à ce port ; ce que voyant, Pedro de Valléjo, mon représentant dans cette ville, voulant parer aux inconvénients que pouvait susciter la singulière conduite de ces navires, engagea les capitaines et pilotes à se rendre au port afin que les Indiens ne pussent croire à un malentendu, et que, s’ils avaient des pouvoirs de Votre Majesté pour s’établir en cet endroit, ils voulussent bien les lui montrer, les assurant qu’il s’y conformerait en toutes choses. Les capitaines et pilotes répondirent évasivement, se refusant à faire ce que leur demandait mon lieutenant. Sur quoi, il leur adressa une sommation, d’avoir sous peine de représailles à se conformer à sa première demande. Ceux-ci se bornèrent à faire à cette sommation la même réponse.

Alors, deux pilotes de la flotte, nommés l’un Castromocho et l’autre Martin de San Juan, Guipuzcoin, voyant que le séjour des capitaines et de leurs navires dans les parages de la ville, soulevait des troubles parmi les Espagnols, comme parmi les Indiens des environs, envoyèrent secrètement un message à mon lieutenant pour lui dire qu’ils désiraient la paix et se tenaient prêts à obéir à des ordres qu’ils croyaient justes ; qu’ils le priaient de passer à bord de leurs navires, qu’ils s’y mettraient à sa disposition, ajoutant qu’ils s’engageaient à entraîner les autres navires dans la même voie de soumission. À cette nouvelle, mon lieutenant résolut de se rendre à bord des vaisseaux, accompagné de cinq hommes seulement ; il y fut reçu par les pilotes avec toutes déférences et de là, il envoya à Juan de Grijalva, général de la flotte qui résidait dans la galère capitane, sommation d’avoir à se soumettre à tous les ordres qu’il lui avait déjà communiqués.

Le général, loin d’obéir, ordonna aux autres navires de se joindre à lui, de préparer leurs pièces d’artillerie et de couler les deux vaisseaux qui s’étaient rendus aux ordres de mon lieutenant ; le commandement de Grijalva fut fait à haute voix, tout le monde l’entendit et mon lieutenant y répondit en faisant pointer les canons des deux vaisseaux qui lui étaient fidèles. Mais les officiers et pilotes des navires qui entouraient la galère capitane refusèrent d’obéir à l’ordre de Grijalva ; ce que voyant, celui-ci envoya un notaire appelé Vicente Lopez auprès de mon lieutenant pour tâcher d’arranger l’affaire. Mon lieutenant lui répondit qu’il n’était venu que pour négocier la paix, éviter les scandales et les troubles que soulevait la présence de ces navires en dehors du port de la ville où ils avaient l’habitude de se rendre ; qu’on pouvait les prendre pour des corsaires prêts à tenter un mauvais coup dans les possessions de Sa Majesté et que cela était d’un exemple déplorable.

Ces raisons eurent un tel effet, que le notaire Vicente Lopez alla retrouver Grijalva, lui répéta ce que lui avait dit mon lieutenant et l’engagea à se rendre. Il est évident, lui dit-il, que cet officier représentait Votre Majesté comme chef-justice de la province, et que le capitaine Grijalva savait bien que ni lui, ni Francisco de Garay ne pouvait exhiber aucun pouvoir de Votre Majesté, auxquels le lieutenant et les habitants de la ville de Santiesteban seraient tenus d’obéir, et que c’était chose scandaleuse que la conduite de ces navires, se comportant comme des corsaires dans les possessions de Votre Majesté Impériale. Convaincu par ces raisonnements, le capitaine Grijalva ainsi que les maîtres et capitaines des autres navires se conformèrent aux ordres de Valléjo, mon lieutenant, et remontèrent jusqu’à la ville. Une fois les navires ancrés dans le port, il fit arrêter Grijalva pour désobéissance à ses ordres ; aussitôt que le grand alcade eut appris cette nouvelle, il fit lever la condamnation et remettre Grijalva en liberté avec recommandation qu’on prît soin de lui et des siens, et qu’on ne touchât à rien de ce qui leur appartenait ; ce qui fut fait.

Le grand alcade, Diego Docampo, écrivit à Francisco de Garay qui se trouvait dans un autre port, à dix ou douze lieues de là, pour lui dire que je n’avais pu me rendre près de lui et qu’il me remplacerait, ayant tous mes pouvoirs pour régler les affaires pendantes ; Docampo et Garay devaient mutuellement se montrer leurs actes officiels et en terminer au mieux des intérêts de Votre Majesté.

Lorsque Francisco de Garay reçut la lettre de l’alcade, il vint le trouver et celui-ci le reçut avec empressement, ainsi que les gens de sa suite qui furent défrayés de toutes choses. Après une conférence entre les deux, Francisco de Garay avant vu la cédule que Votre Majesté m’a fait l’honneur de m’accorder, dit à l’alcade qu’il s’empresserait d’obéir et qu’il allait réunir ses vaisseaux et ses gens pour aller coloniser une autre contrée en dehors de celles dont Votre Majesté m’avait nommé gouverneur ; il ajoutait que, puisque j’étais tout disposé à lui rendre service, Docampo voulût bien faire assembler ses hommes, dont une partie voulait rester dans le pays, et dont plusieurs avaient disparu ; il demandait en même temps des munitions et des vivres pour ses navires et pour ses gens.

L’alcade s’empressa de lui fournir ce qu’il demandait et fit publier par la ville et les environs, que tous les gens qui étaient venus avec la flotte de Francisco de Garay eussent à rejoindre leur capitaine, sous peine, pour les cavaliers, de perdre leurs armes et leurs chevaux, pour les fantassins de recevoir cent coups de bâton et tous d’être arrêtés et livrés à leur capitaine.

Garay demanda également que le grand alcade lui fit rendre les chevaux et les armes que ses hommes avaient vendus à Santisteban et dans les environs, sans lesquels ses gens lui devenaient inutiles. Docampo s’efforça de découvrir ces armes et ces chevaux ; il les fit rendre par ceux qui les avaient achetés et remettre au gouverneur Francisco de Garay. Docampo fit de plus surveiller les routes par des alguazils, qui arrêtaient les gens en fuite et les ramenaient à leurs navires.

Puis, il envoya le grand alguazil à la ville de Santisteban avec l’un de mes secrétaires, pour y faire les mêmes diligences, arrêter les fuyards, recueillir le matériel, faire rentrer armes et chevaux, approvisionner les navires, etc., etc… tout se fit avec la plus grande célérité, et le gouverneur Francisco de Garay partit pour s’embarquer. Quant au grand alcade, il fit son possible pour que les ressources de la ville ne fussent point épuisées et déploya la plus grande vigilance pour l’approvisionnement des navires. Docampo écrivit au gouverneur à ce sujet, le priant de spécifier ce dont il pourrait avoir besoin avant qu’il partît pour Mexico, où il venait me rejoindre.

Garay lui envoya de suite un courrier pour lui annoncer qu’il n’avait rien de ce qu’il fallait pour appareiller ; qu’il lui manquait six navires et que ceux qui lui restaient, n’étaient pas en état de naviguer ; qu’il faisait faire une enquête pour certifier le cas et prouver comment il ne pouvait quitter le pays. Il me disait en même temps que ses gens soulevaient mille difficultés, prétendant qu’ils n’étaient pas obligés de le suivre ; qu’ils en avaient appelé de la sommation que leur avait faite Docampo, disant qu’ils avaient une infinité de raisons pour ne point y obtempérer. L’une de ces raisons était que plusieurs de leurs camarades étaient morts de faim au service du gouverneur, ainsi que d’autres attachés à sa personne. Il ajoutait que toutes les précautions pour retenir ses hommes étaient inutiles ; qu’ils disparaissaient le soir sans reparaître le matin et que ceux qu’on ramenait prisonniers désertaient de nouveau, de sorte qu’en une seule nuit il lui manqua deux cents hommes : qu’en conséquence, il me priait très affectueusement de ne point partir, parce qu’il voulait venir me voir en cette ville, et que, si je l’abandonnais, il se noierait de douleur.

Docampo, au reçu de cette lettre, résolut de l’attendre ; il vint deux jours après ; de là, ils me dépêchèrent un courrier pour me dire que Garay désirait me voir à Mexico et que, venant à petites journées, l’alcade et lui attendraient ma réponse à Cicoaque, village situé sur la frontière mexicaine. De là, le gouverneur m’écrivit pour me signaler le mauvais état de ses navires et la mauvaise volonté de ses gens, comptant sur moi comme sur la seule personne pouvant le sauver d’un désastre. Ayant donc résolu de venir me trouver, il m’offrait son fils aîné, avec tout ce qu’il possédait, me l’offrant comme époux de l’une de mes filles. Au moment où il se dirigeait sur Mexico, le grand alcade me signalait la présence dans l’entourage de Garay de divers individus serviteurs et obligés de Diego Velazquez, mes ennemis, qu’on voyait de mauvais œil dans la province, et dont les propos pouvaient soulever des troubles. En vertu des pouvoirs que Votre Majesté daigna me conférer, m’autorisant à chasser du pays toute personne nuisible à ses intérêts, j’ordonnai l’expulsion de la Nouvelle-Espagne de Gonzalo Figuéroa, Alonzo de Mendoza, Antonio de la Cerda, Juan de Avila, Lorenzo de Ulloa, Taborda, Juan de Grijalva, Juan de Médina et… qui trouvèrent ma lettre d’expulsion au village de Cicoaque. Dans cette lettre, je disais à Francisco de Garay, combien je me réjouissais de sa venue à Mexico, où nous pourrions nous entendre sur toutes choses, et où, conformément à ses désirs, je ferais mon possible pour l’expédier dans les meilleures conditions.

J’eus soin que, pendant son voyage, on eût pour lui tous les égards, ordonnant aux caciques des villages de pourvoir à tous ses besoins. À son arrivée à Mexico, je l’accueillis de la meilleure grâce, m’empressant à lui être agréable de toutes façons, le traitant comme un frère. J’éprouvais, en effet, la plus grande contrariété de la perte de ses navires et de la désertion de ses hommes, et je lui offrais en toute conscience, de faire mon possible pour remédier à cet état de choses. Comme Francisco de Garay avait à cœur le mariage de son fils avec ma fille, il insistait chaque jour pour que nous en terminions. Voyant combien ce projet lui souriait, et pour lui faire plaisir, je l’assurais que j’étais tout à sa disposition, sur quoi, avec le consentement des deux parties et avec force serments (mais avec réserve de l’adhésion de Votre Majesté), la chose fut conclue. De sorte que, en dehors de notre ancienne amitié, nous nous trouvâmes liés par nos contrats mutuels et les engagements que nous avions pris pour nos enfants, satisfaits tous deux des avantages que nous y trouvions, mais le gouverneur, plus que je ne saurais le dire.

Dans un précédent chapitre, Seigneur Très Puissant, je disais à Votre Majesté Catholique, tout ce que le grand alcade avait fait, pour que les hommes de Garay qui s’étaient disséminés un peu partout fussent rappelés auprès du gouverneur et la diligence qu’on apporta dans cette affaire ; soins inutiles, qui ne purent apaiser le mécontentement qu’avait conçu la plus grande partie de ces gens contre Francisco de Garay. Sachant d’après les proclamations faites à ce sujet, qu’ils seraient forcés de rejoindre leur commandant, ces hommes se dispersèrent aussitôt dans l’intérieur et dans des lieux divers, par troupes de trois et de six, se cachant si bien, qu’on ne pouvait les découvrir. Les Indiens de la province furent indignés de voir ces Espagnols répandus dans leurs villages où ils commettaient mille exactions, enlevant les vivres, violant les femmes et autres turpitudes qui soulevèrent la contrée tout entière. La rébellion parut d’autant plus facile aux Indiens, qu’ils nous croyaient divisés, se rappelant les proclamations de Garay dont j’ai parlé plus haut.

Ils s’informèrent donc avec soin des endroits divers où se retiraient les Espagnols, après quoi, de jour et de nuit, ils se mirent à leur poursuite, et comme les malheureux étaient dispersés et sans armes, ils en massacrèrent un grand nombre. Leur audace s’en accrut à tel point qu’ils vinrent assiéger la ville de Santisteban que j’avais fondée au nom de Votre Majesté, et à laquelle ils livrèrent des assauts si furieux que les habitants se crurent à deux doigts de leur perte ; ils ne durent le salut qu’à leur union qui leur permit de prendre l’offensive, où dans de vigoureuses sorties ils finirent par disperser leurs adversaires.

Les choses en étaient là, quand je reçus la nouvelle de ce qui s’était passé par un de nos piétons qui avait échappé en une défaite et qui me conta comment tous les naturels de la province de Panuco avaient levé l’étendard de la révolte ; qu’ils avaient tué une foule des Espagnols de Garay qui étaient restés là-bas, ainsi que des habitants de la ville, et je crus à l’entendre que pas un n’avait survécu. Dieu sait quel fut mon désespoir, prévoyant quels désastres un tel événement verserait sur une province qui pouvait dès lors nous échapper. Mais cette nouvelle affecta plus profondément encore le gouverneur Francisco de Garay, lui qui sentait combien tout cela était de sa faute, et qui avait laissé un fils dans cette province avec tout ce qu’il avait apporté ; il en tomba malade et mourut au bout de trois jours.

Mais je voudrais éclairer plus encore Votre Grandeur au sujet de cet événements : l’Espagnol qui m’apporta la nouvelle du soulèvement des gens du Panuco, me racontait que, se trouvant lui, un fantassin et trois cavaliers, dans un village appelé Tacetuco, ils avaient été surpris par les Indiens, qui avaient tué deux cavaliers, le cheval du troisième et le fantassin, et que lui et le cavalier survivant s’étaient dérobés à la faveur de la nuit ; qu’ils avaient remarqué une maison du village où devaient les attendre un lieutenant avec quinze chevaux et quarante fantassins, que la maison étant incendiée, il avait cru, d’après certaines apparences, que ces hommes avaient été massacrés. J’attendis cinq ou six jours d’autres nouvelles ; je reçus un courrier de ce lieutenant qui se trouvait en un village appelé Teneztequipa, dépendant de Mexico et situé sur la frontière ; il me disait dans sa lettre que, se trouvant dans le village de Tacetuco avec quinze chevaux et quarante piétons attendant de nos hommes qui venaient le rejoindre pour aller de l’autre côté de la rivière, soumettre certains villages qui n’étaient pas encore pacifiés, ils avaient été cernés vers le matin par une foule d’Indiens qui avaient incendié leur quartier ; croyant la contrée sûre, ils avaient été surpris et si vivement attaqués, que tous avaient été massacrés, sauf lui et deux cavaliers qui se sauvèrent. On lui avait tué son cheval et son camarade le prit en croupe : et s’ils avaient pu se sauver, c’est qu’à deux lieues de là, se trouvait un alcade de Santistehan avec quelques gens qui les secourut ; ils s’arrêtèrent peu, et l’alcade s’enfuit avec eux de la province. Que du reste, il ne savait rien des gens qui étaient restés dans la ville, pas plus que des hommes de Garay qui avaient été disséminés dans les environs ; il craignait qu’ils ne fussent tous morts.

J’ai eu l’honneur de l’écrire à Votre Majesté : dès que Francisco de Garay a son arrivée eût fait dire aux naturels que je n’avais point à me mêler de leurs affaires ; qu’il était lui, le gouverneur à qui l’on devait obéir et qu’en se réunissant à lui, on jetterait hors de la province tous les Espagnols que j’y avais envoyés et que je pourrais y envoyer, tous les Indiens s’étaient révoltés ; et depuis ce temps, ils n’obéirent jamais de bon gré à aucun Espagnol. Ils en avaient déjà massacré quelques-uns de ceux qui rôdaient seuls par les chemins. Ce lieutenant croyait que les Indiens s’étaient entendus et avaient comploté ce qu’ils avaient fait, et comme ils l’avaient attaqué lui et les siens, ils devaient avoir agi de même avec les habitants de la ville, comme avec ceux qui étaient répandus dans les villages voisins, qui n’avaient pas la moindre idée d’un pareil soulèvement, ayant toujours trouvé ces Indiens dociles et soumis.

Persuadé de la gravité de cette rébellion et désireux de venger la mort des Espagnols, j’envoyai en toute hâte cinquante chevaux, cent arbalétriers et arquebusiers et quatre pièces d’artillerie sous les ordres d’un capitaine espagnol qu’accompagnaient deux corps de nos alliés, de quinze mille hommes chacun. Je donnai au capitaine l’ordre de gagner la province à marches forcées, sans s’arrêter nulle part qu’il n’eût atteint la ville de Santisteban pour avoir des nouvelles des habitants et des gens que nous y avions laissés ; car il pouvait arriver qu’étant assiégés, ils se défendissent encore et qu’on arrivât pour les secourir.

En effet, le capitaine fit diligence, pénétra dans la province, se battit deux fois avec les naturels qu’il dispersa, et entra dans Santisteban où il trouva vingt-deux chevaux et cent fantassins qui, assiégés par les Indiens, avaient déjà fait plusieurs sorties, et les tenaient en échec avec quelques pièces d’artillerie. Mais ils avaient toutes les peines du monde à se défendre, et si le capitaine avait tardé trois jours, pas un d’eux n’aurait survécu. C’est qu’ils mouraient de faim ; ils avaient envoyé un brigantin des navires de Garay à la Veracruz, pour me donner de leurs nouvelles, car c’était la seule voie qui leur fût ouverte ; ils demandaient aussi des vivres qui leur arrivèrent après que mon lieutenant les eût déjà secourus.

Ce fut là que mes gens apprirent comment les hommes que Francisco de Garay avait laissés dans un village appelé Tamiquil au nombre d’une centaine, tant piétons que cavaliers, avaient tous été massacrés à l’exception d’un Indien de la Jamaïque qui s’enfuit dans les bois et qui put raconter comment ils avaient été surpris pendant la nuit. Il se trouva, après enquête, que Garay avait perdu en cette affaire deux cent dix hommes, et nous quarante-trois qui se trouvaient dans les villages qui leur avaient été attribués. On croyait même que le gouverneur avait perdu plus de monde, parce qu’on ne put se les rappeler tous.

Les cavaliers de mon lieutenant, ceux du grand alcade et ceux qui restaient à Santisteban montaient à quatre-vingts, ils les répartirent en trois escouades qui firent aux Indiens de la province une guerre acharnée ; ils s’emparèrent de plus de quatre cents caciques et personnages principaux sans compter les petites gens. Les premiers furent tous brûlés vifs après avoir confessé être les auteurs du soulèvement et avoir pris part au massacre des Espagnols, après quoi ils rendirent la liberté à ceux qu’ils tenaient prisonniers et ramenèrent tous les habitants dans leurs villages. Alors le capitaine, au nom de Votre Majesté, nomma de nouveaux caciques pris parmi les héritiers de ceux qui avaient été exécutés. À cette époque, je reçus des lettres de ce capitaine et d’autres personnes de sa compagnie qui m’assuraient que la province était soumise et pacifiée, que les Indiens se montraient empressés près de leurs maîtres et que, toute rancune étant apaisée, nous pouvions compter sur une année de tranquillité.

Votre Majesté Impériale saura que ces gens sont si remuants qu’un rien les émeut et les révolutionne, suite de l’habitude qu’ils avaient de se révolter contre leurs seigneurs ; mais j’espère que le passé leur servira de leçon.

Dans les chapitres précédents, Seigneur Très Catholique, je disais que, lorsque je reçus la nouvelle de l’arrivée de Francisco de Garay au Panuco, j’étais sur le point d’envoyer une flotte et des hommes à la pointe des Hibueras, et dans quel but je les envoyais. La venue de Garay arrêta l’expédition ; croyant qu’il voulait s’emparer du pays, je pensais avoir besoin de toutes mes troupes pour lui résister.

L’affaire du gouverneur étant terminée, je voulus donner suite à mes projets, et malgré la dépense causée par la consommation des approvisionnements, la solde des marins et des soldats, j’achetai d’autres navires ; j’en réunis cinq d’un fort tonnage, plus un brigantin, je les chargeai de quatre cents hommes avec de l’artillerie, des munitions et des armes, des vivres et des victuailles ; j’envoyai deux de mes serviteurs à l’île de Cuba, avec huit mille piastres d’or, pour acheter des chevaux et des vivres et me les amener en un premier voyage, de sorte que mes navires en feraient aussitôt le chargement, de manière que tout abondât et qu’on n’eût pas d’excuse à me donner pour n’avoir pas rempli mes ordres.

Je voulais ainsi que, faute de vivres, mes hommes ne dépouillassent point les gens du pays et qu’au contraire, ils pussent leur en céder. Tout étant prêt, les vaisseaux mirent à la voile et quittèrent le port de San-Juan, de Chalchiqueca[1], le 11 du mois de janvier 1524 ; mes capitaines devaient d’abord se rendre à la Havane qui est à la pointe de l’île de Cuba, où ils prendraient ce qui leur manquait, des chevaux surtout ; ils devaient y rallier quelques navires et de là avec la bénédiction de Dieu, suivre leur route vers le Honduras.

En arrivant dans le premier port de ce pays, ils devaient débarquer et mettre à terre toutes leurs cargaisons, hommes, chevaux et provisions ; choisir le meilleur emplacement, s’y fortifier avec leur artillerie qu’ils avaient bonne et nombreuse, et fonder une ville.

Aussitôt, les trois plus grands navires devaient se rendre à Cuba, dans le port de la Trinité, parce qu’il est le mieux placé, et parce que là, ils trouveraient un de mes serviteurs pour leur préparer le chargement de tout ce que le chef de l’expédition pourrait demander. Les autres navires plus petits, ainsi que les brigantins, sous la direction du chef pilote et d’un de mes cousins nommé Diego de Hurtado, devaient longer toute la côte, à partir de la baie de l’Ascension, à la recherche de ce fameux détroit qu’on dit exister. Ils devaient continuer leur croisière, jusqu’à ce qu’on eût tout vu et tout examiné ; ils devaient alors rejoindre le capitaine Cristobal de Oli, puis Hurtado, avec l’un des navires, devait venir me trouver avec un rapport complet sur ce que Oli avait appris de la contrée et ce qui lui était arrivé ; de manière que je pusse envoyer une longue relation à Votre Majesté.

Je disais aussi comment j’avais confié des troupes à Pedro de Alvarado, pour aller soumettre les villes de Guatemala et Utatlan dont j’ai déjà fait mention et autres provinces qui sont au delà. J’avais arrêté l’expédition par suite de l’arrivée de Francisco de Garay, et j’avais fait d’énormes dépenses en artillerie, armes, munitions et argent pour secourir la province menacée ; mais croyant devoir employer toutes mes ressources au service de Dieu, Notre Seigneur, et de Votre Majesté, espérant découvrir de ce côté, de nouvelles contrées et de nouvelles traces, je poursuivis mes desseins. J’organisai de nouveau l’armée d’Alvarado et je le fis partir de Mexico le 6 du mois de décembre de l’année 1523. Il emmenait cent vingt cavaliers que je portai à cent soixante et trois cents fantassins, dont cent trente arbalétriers et arquebusiers ; il avait quatre pièces de canon, une grande quantité de poudre et de munitions et je l’avais fait accompagner de seigneurs, tant de Mexico que des enviions et de quelques Indiens seulement, car la route est longue.

J’ai su qu’ils étaient arrivés le 12 janvier dans la province de Tehuantepec et que tout allait bien. J’espère que Notre Seigneur les guidera, parce que, enrôlés au service de Votre Majesté, ils ne peuvent compter que sur des succès.

Je recommandai à Alvarado de m’envoyer un rapport succinct de tout ce qui lui arriverait, pour que je pusse moi-même en faire une relation détaillée à Votre Majesté.

Je tiens pour certain, selon les renseignements que j’ai du pays, que Pedro de Alvarado et Cristobal de Oli doivent se rencontrer, s’ils ne se trouvent séparés par le détroit en question.

J’aurais déjà fait bien des expéditions de ce genre en cette contrée, dont nous aurions approfondi les mystères, si l’affaire de Garay ne nous avait retardé.

Ce fut en vérité un grand dommage aux intérêts de Votre Majesté que ce retard dans nos découvertes, qui nous eussent procuré pour le trésor royal, quantité d’or et de perles ; mais à l’avenir, si d’autres difficultés ne surviennent, je m’efforcerai de réparer le temps perdu ; car en ce qui me concerne, je puis assurer Votre Majesté Impériale et Sacrée, qu’après avoir dépensé tout ce que je possédais, je dois, pour avoir pris sur les fonds de Votre Majesté, pour mes dépenses, comme Votre Altesse pourra s’en assurer par la tenue de mes comptes, la somme de soixante et tant de mille piastres d’or, sans parler de douze mille piastres que j’ai empruntées de diverses personnes.

En parlant des provinces voisines de la ville del Espiritu Santo, et de celles qui avaient été attribuées aux habitants, je disais que quelques-unes s’étaient révoltées, et que pour les réduire au service de Votre Majesté, comme pour y amener les voisines, les gens de la ville n’étant pas suffisants pour garder celles déjà conquises et soumettre les autres, j’envoyai un capitaine avec trente chevaux, cent piétons, quelques arquebusiers et arbalétriers, deux pièces d’artillerie et force poudre et munitions. Ceux-là partirent le 8 décembre de l’année 1523. Jusqu’à présent, je n’ai point de leurs nouvelles ; j’espère qu’ils feront une bonne besogne et que de ce côté, Dieu Notre Seigneur et Votre Majesté seront bien servis et qu’on y fera de belles découvertes, car c’est une partie placée entre la conquête d’Alvarado et celle de Cristobal de Oli. Ce qui est pacifié du côté de la mer du nord constitue un territoire de quatre cents lieues soumis à Votre Majesté ; du côté du sud, la partie conquise allant d’une mer à l’autre, s’étend sans interruption sur près de cinq cents lieues, à l’exception de deux provinces qui se trouvent enclavées entre Tehuantepec, Chinantla, Oaxaca et Goatzacoalco ; les habitants de l’une se nomment Zapotecs et les habitants de l’autre Mixes. Ils vivent au milieu de montagnes si âpres et si difficiles qu’on peut à peine les aborder à pied ; j’y ai deux fois envoyé des gens pour les conquérir, mais ils n’ont rien pu contre ces Indiens munis de bonnes armes et retranchés dans leurs montagnes. Ils se battent avec des lames longues de plus de quinze pieds, solides, bien faites et terminées par une pointe de silex.

C’est avec des lances qu’ils se sont défendus et qu’ils m’ont tué des Espagnols ; ils ont fait et font beaucoup de mal à leurs voisins qui sont sujets de Votre Majesté, les attaquant de nuit, incendiant les villages et massacrant les habitants ; ils ont si bien fait, qu’un grand nombre de villages se sont révoltés et se sont alliés avec eux.

Je manquais d’hommes, en ayant envoyé un peu partout ; cependant, je réunis cent cinquante fantassins, presque tous arquebusiers et arbalétriers ne pouvant utiliser les chevaux ; j’emmenai quatre pièces d’artillerie avec quantité de munitions pour les pièces et pour mes hommes, que je mis sous le commandement de Rodrigo Rangel, alcade de la ville Espiritu-Santo, qui déjà l’année précédente avait marché contre ces mêmes Indiens qu’il ne put atteindre à cause de la saison des pluies et qu’il dut abandonner après deux mois de séjour dans leur province.

Ce capitaine quitta la ville, le 5 février de la présente année, et j’espère que, partant en la bonne saison, avec une troupe nombreuse de vétérans en parfaite tenue et bien approvisionnée, appuyée d’un corps d’Indiens alliés, il mènera l’expédition à bonne fin et rendra d’immenses services à la couronne impériale de Votre Altesse, parce que non seulement ces gens refusent de nous obéir, mais font le plus grand mal à ceux qui nous sont fidèles.

La contrée est riche en mines d’or ; une fois pacifiée, les Espagnols s’en empareront pour punir les habitants de s’être révoltés, après s’être déclarés sujets de Votre Majesté, et nous avoir fait tant de mal ; ils seront réduits en esclavage. J’ordonnai même, que ceux qui seraient pris seraient en partie marqués au fer de Votre Majesté et le reste distribué à chacun des membres de l’expédition. Très Excellent Seigneur, je puis assurer Votre Majesté que la moindre des expéditions dont je viens de parler, me coûte plus de cinq mille piastres d’or, et celles de Pedro de Alvarado et de Cristobal de Oli plus de cinquante mille, sans compter d’autres frais que je passe sous silence ; mais comme tout fut employé au service de Votre Majesté, je ne peux que m’en réjouir et quand j’y userais ma personne même, je le tiendrais pour une insigne faveur, et jamais occasion ne se présentera pour me dévouer au service de Votre Altesse, que je ne la saisisse.

Dans la relation précédente et dans celle-ci, j’ai parlé à Votre Altesse de quatre navires, dont j’ai commencé la construction dans l’un des ports de la mer du sud : en apprenant qu’ils ne sont pas encore achevés, Votre Majesté pourra penser qu’il y a négligence de ma part, en voici la raison : la mer du sud, là où l’on construit les navires, est à plus de deux cents lieues des ports de la mer du nord où viennent se décharger toutes les choses venant d’Espagne, et cette longue route est coupée d’âpres montagnes, de défilés, de torrents et de grandes rivières ; et comme tout le matériel nécessaire à la construction des navires doit être transporté d’une mer à l’autre, Votre Majesté peut juger de la difficulté. J’eus en outre à subir un affreux contretemps : car le magasin où j’avais abrité tout le matériel, voiles, câbles, agrès, poulies, ferrures, ancres, poix, suif, étoupes, huile, bitume, etc., fut détruit par un incendie sans que nous ayons rien pu sauver que les ancres qui ne pouvaient brûler.

Je m’occupe en ce moment de rassembler un autre matériel : il y a quatre mois, que m’arriva de Castille, un navire chargé de tout ce qu’il fallait pour la construction de ma flottille, car prévoyant l’accident qui m’arriva, j’avais depuis longtemps mandé qu’on l’envoyât. Je puis assurer Votre Majesté que ces navires qui sont encore en chantier me coûtent déjà plus de huit mille piastres d’or, sans parler de dépenses extraordinaires. Mais loué soit Dieu, ils sont en tel état, qu’à la Pâques de l’Esprit-Saint ou que pour la Saint-Jean de juin ils pourront naviguer si les barils ne me manquent pas, car jusqu’à ce jour je n’ai pu remplacer ceux qui avaient été brûlés.

J’espère néanmoins les recevoir d’Espagne où je les ai commandés. Je tiens à ces navires plus que je ne saurais dire ; car avec l’aide de Dieu, je suis certain de découvrir pour Votre Majesté plus de royaumes et de seigneuries que tous ceux découverts jusqu’à ce jour. Qu’il lui plaise donc de les bien guider et je crois que si mes projets réussissent au gré de mes désirs, Votre Grandeur sera souverain Monarque du monde.

Depuis qu’il plut à Dieu que nous ayons conquis cette grande ville de Mexico, je crus bien de ne pas l’habiter pour le moment, et j’établis ma résidence à Culuacan, située sur le bord du lac et dont j’ai déjà parlé. J’ai toujours désiré reconstruire cette ville sur le merveilleux emplacement qu’elle occupait ; je m’empressai donc de rassembler les naturels disséminés depuis la guerre, quoique j’eusse toujours gardé près de moi le dernier empereur, et je chargeai un capitaine général que j’avais connu du temps de Muteczuma du soin de repeupler la ville.

Pour donner plus d’autorité à sa personne, je lui rendis le même office qu’il occupait, au temps de Muteczuma, qui était celui de Ciguacoatl, ou lieutenant de l’empereur ; je nommai en même temps d’autres personnages que je connaissais, à des emplois principaux qu’ils avaient déjà remplis. Je donnai à ces nouveaux officiers des seigneuries d’hommes et de terres, assez pour vivre avec dignité, pas assez pour devenir dangereux. Je me suis toujours appliqué à les honorer et à les protéger ; et de leur côté, ils ont si bien fait, que la ville, aujourd’hui, contient déjà trente-cinq mille habitants et que l’ordre y règne comme autrefois dans les marchés et les transactions. Je leur ai donné tant de privilèges et de liberté, que la ville prend chaque jour un accroissement considérable, parce que chacun vit selon ses goûts et que les ouvriers des arts mécaniques fort nombreux, charpentiers, maçons, potiers, joailliers et autres vivent de leur salaire au milieu des Espagnols.

Les autres vivent de la pêche, ce qui est une grande industrie dans la ville ; d’autres vivent de l’agriculture, car un grand nombre d’entre eux ont des jardins, où ils cultivent tous les produits d’Espagne dont nous avons pu nous procurer les semences ; et je puis assurer Votre Majesté Impériale que s’ils avaient les plantes et graines que j’ai déjà demandées dans ma précédente, les Indiens qui sont grands amis des jardins, les feraient en peu de temps fructifier en abondance, ce qui jetterait un nouveau lustre sur la couronne impériale de Votre Altesse, nous attacherait le pays et assurerait à Votre Majesté une plus belle seigneurie et de plus gros revenus que ceux que possède aujourd’hui Votre Altesse par la grâce de Notre Seigneur. Votre Majesté peut être assurée que pour arriver à un tel résultat, je ferai mon possible et que j’y emploierai toutes les forces qui me restent.

Aussitôt cette ville conquise, je fis commencer la construction d’une forteresse dans la lagune, d’un côté de Mexico où mes brigantins pussent être abrités ; pour de là, courir sus à la ville s’il en était besoin et que je pusse à mon gré les envoyer au dehors ou les rappeler : ce qui fut fait. Cette construction est telle, que, quoiqu’ayant déjà vu bien des chantiers et des citadelles, je n’en ai pas vu qui l’égalent ; d’autres qui en ont vu davantage, l’affirment comme moi. Cette citadelle a, du côté de la lagune, deux tours très fortes avec leurs meurtrières et embrasures ; ces deux tours sont reliées par une construction formant trois nefs où se trouvent des brigantins avec entrées pour aller et venir dans la lagune. Tout ce bâtiment a également ses meurtrières, et tout auprès, du côté de la ville, se trouve une grande tour avec de nombreux logements dans le haut et le bas ; elle est construite pour l’offensive et la défensive. Je n’en dirai pas davantage à Votre Majesté, puisque je lui en enverrai le plan ; j’ajouterai néanmoins, que cette tour en notre pouvoir, nous il imposons de la paix et de la guerre, ayant en mains les navires et l’artillerie.

La construction de cette citadelle me parut remplir toutes les conditions de sécurité que je pouvais désirer, et voulant encourager l’extension de la ville, j’allai m’y installer avec tous les gens de ma compagnie. Je répartis les terrains entre les habitants, et à chacun des conquérants, au nom de Votre Majesté, je distribuai un lot selon l’importance de ses mérites, outre les Indiens que je lui accordai pour le servir. On a mis à construire des maisons une telle diligence, qu’il y en a quantité de terminées et que les autres avancent rapidement. Comme ces constructions se composent de pierres, chaux, bois et briques, que fabriquent les naturels qui sont de merveilleux architectes, je puis assurer Votre Majesté, que dans cinq ans, Mexico sera la ville la plus peuplée de beaux édifices qu’il y ait au monde. Le quartier des Espagnols est distinct du quartier des Indiens ; ils sont séparés par un canal ; mais toutes les rues qui y aboutissent ont des ponts de bois qui facilitent la circulation. Il y a deux grands marchés, l’un dans le quartier indien, l’autre dans le quartier espagnol ; on y trouve tous les produits que la contrée peut fournir, car les Indiens en apportent de toutes parts ; tout abonde comme au temps de la grandeur de la ville. Il est vrai que les bijoux d’or et d’argent, que les belles étoffes de plumes et les choses riches ont disparu ; cependant on y trouve encore quelques petites pièces d’or et d’argent, mais loin de la splendeur d’autrefois.

Par suite de l’inimitié que m’a vouée Diego Velazquez et de la mauvaise volonté que, sur ses instances, m’a toujours montrée Don Juan de Fonséca, évêque de Burgos, les officiers du ministère des colonies de Séville et notamment le trésorier, Juan Lopez de Récaldé, de qui tout dépendait du temps de l’évêque, ont toujours refusé de m’envoyer l’artillerie et les armes dont j’avais besoin, quoique plusieurs fois j’eusse envoyé de l’argent pour cela. Mais rien n’affine le génie de l’homme comme la nécessité : celle-ci était extrême et sans espoir de remède, car on se gardait bien, à ce sujet, de rien faire connaître à Votre Majesté ; je cherchai donc comment je pourrais veiller à la conservation et à la sûreté de ce que nous avions eu tant de peine à gagner ; comment je pourrais éviter un tel désastre aux intérêts de Dieu Notre Seigneur et à ceux de Votre Majesté, et comment nous pourrions échapper au péril qui nous menaçait tous.

Je mis donc tous mes soins à faire chercher du cuivre dans les provinces, et je prodiguai les encouragements pour qu’on en trouvât le plus vite possible. On en découvrit et on m’en apporta une grande quantité. Je le confiai à un maître fondeur, qui par bonheur se trouvait là, pour m’en faire des pièces d’artillerie ; il m’en fit deux demi-couleuvrines, si bien réussies, qu’on ne saurait en fabriquer de meilleures.

Mais il me manquait de l’étain, car on ne peut rien sans lui ; pour ces deux pièces, je me l’étais procuré avec difficulté et je l’avais payé fort cher à ceux qui possédaient des vases et des plats, et puis, je n’en trouvai plus à aucun prix. Je m’informai donc de toutes parts si on en pourrait découvrir dans les provinces, et grâce à Dieu qui nous a toujours protégés d’une si éclatante façon, on en trouva de petites pièces minces qui servaient de monnaie dans la province de Tazco. Poursuivant mes recherches, j’appris que là et dans une province voisine, ce métal servait de monnaie ; et continuant mes investigations, j’appris que ce métal venait de la province de Tazco à vingt-six lieues de Mexico. On découvrit les mines, j’y envoyai des Espagnols avec des instruments et l’on m’en apporta des échantillons. Je donnai des ordres pour que dorénavant, au fur et à mesure de mes besoins, on en tirât la quantité nécessaire, mais ce n’était pas sans grandes difficultés.

En même temps qu’on cherchait l’étain, le bonheur voulut qu’on trouvât du fer en grande quantité selon l’appréciation de mes spécialistes. Je fabrique donc chaque jour quelques nouvelles pièces ; j’en ai cinq jusqu’à présent : les deux demi-couleuvrines, deux autres un peu moins grandes, un canon serpentin, deux fauconneaux que j’apportai en venant ici et une autre demi-couleuvrine que j’achetai à la vente du gouverneur Juan Ponce de Léon. Je me suis procuré des navires qui ont abordé à Veracruz, en pièces de bronze petites et grandes, du fauconneau et au-dessus, trente-cinq pièces ; quant à celles de fer, bombardes, couleuvrines, fauconneaux et autres, j’en ai soixante et dix. Ainsi, Dieu soit loué, nous pouvons nous défendre. Ce même Dieu favorable nous pourvoit des munitions qui nous manquaient. Nous trouvâmes quantité de salpêtre et de la meilleure qualité. Quant au soufre, j’ai parlé à Votre Majesté de cette montagne de la province de Mexico qui lance de la fumée ; un Espagnol qu’on attacha avec des cordes, descendit à soixante et dix ou quatre-vingts brasses dans l’intérieur du volcan d’où il nous en a rapporté en quantité suffisante pour nos besoins présents. Dorénavant, nous n’aurons plus à nous exposer à ce péril, car je fais venir du soufre d’Espagne où grâce à Dieu il n’y a plus d’évêque qui en arrête l’envoi.

Après avoir assuré la tranquillité de la ville de Santisteban que j’avais fondée dans le Panuco, achevé la conquête de la province de Tutepec et dès que j’eus expédié le capitaine qui s’en fut à Impilcingo et Coliman, dont j’ai longuement parlé dans un chapitre précédent, et avant de revenir à Mexico, je me rendis aux villes de Veracruz et de Médellin pour les visiter et pourvoir aux besoins de ces deux ports. Je remarquai que, faute d’une population espagnole près du havre de Chalchiqueca, autre que celle de la Veracruz, tous les navires venaient débarquer en cette dernière ville. Ce port est loin d’être sûr et il s’y perd beaucoup de navires par suite des vents du nord qui y soufflent fréquemment. Je cherchai donc près du port de San-Juan un endroit favorable pour y fonder une ville, et quoi que nous fissions, nous ne trouvions que collines de sable mouvant, lorsque, grâce à Dieu, nous découvrîmes à deux lieues de là, un endroit des plus favorables, où le bois, l’eau et les pâturages abondaient ; mais il n’y avait ni bois de construction ni pierre pour bâtir, que très loin de là. Nous trouvâmes tout auprès, un estuaire où j’envoyai une canoa, pour nous assurer s’il communiquait avec la mer et si des barques pouvaient arriver jusqu’au village. Cet estuaire donnait dans une rivière qui se jetait à la mer ; de sorte qu’en le débarrassant des arbres et de la végétation qui l’obstruaient, les barques pourraient venir décharger leurs cargaisons au pied même des maisons.

Voyant ce bel emplacement et les facilités qu’y trouveraient les navires, je déplaçai la ville de Médellin qui se trouvait à vingt lieues de là dans la province de Tatalpletelco ; j’en fis venir les habitants qui bâtirent leurs maisons, et je fis nettoyer l’estuaire. Je fis ensuite construire un magasin de douane, parce que si les navires devaient attendre pour leur déchargement et qu’ils eussent à remonter deux lieues avec les barques pour arriver au port, ils pourraient se perdre. Je crois que ce port, après celui de la Veracruz, sera le meilleur que nous ayons dans cette Nouvelle-Espagne, parce que les barques et les brigantins eux-mêmes viennent décharger leurs marchandises au cœur de la ville. Je ferai du reste, tout ce que je pourrai pour rendre le port commode, le déchargement sûr et que les navires ne courent plus aucun danger. On se hâte également de faire des routes qui de la Veracruz conduiront à cette ville ; la rapidité des transactions y gagnera, parce qu’avec cette nouvelle route nous épargnerons une journée de transport.

Dans les chapitres précédents, Très Puissant Seigneur, j’ai dit à Votre Excellence en quelles parties de cette contrée j’avais envoyé des gens tant par terre que par mer, ce dont Votre Majesté, je l’espère, tirera les plus grands avantages ; et comme en toutes choses je suis poursuivi par le même désir de servir les intérêts de Votre Majesté, voyant qu’il ne me restait plus qu’à faire explorer la côte, du Panuco à la Floride découverte par Juan Ponce de Léon, et de la Floride à la mer du nord en remontant jusqu’aux îles des Morues, parce qu’il paraît certain qu’il doit y avoir sur cette côte un détroit conduisant à la mer du sud, et qu’on le trouverait, selon certains documents que je possède, près de cet archipel que découvrit Magellan par ordre de Votre Altesse.

Certains le croient près d’ici, et si par la grâce de Dieu, le fait était exact, la traversée du pays des épices à ces royaumes de Votre Majesté serait facile et courte, réduite de plus des trois quarts, et sans risque, ni péril pour les navires qui iraient et viendraient, parce qu’ils se trouveraient toujours dans les royaumes et seigneuries de Votre Majesté, où ils pourraient se ravitailler, se réparer selon leurs besoins, en quelque port qu’ils abordassent, étant dans les possessions de Votre Majesté.

J’ai conçu une si haute idée des services qu’une telle découverte rendrait à Votre Majesté, que quoique me trouvant aujourd’hui fort endetté par suite des sommes que j’ai dépensées en expéditions de terre et de mer, en munitions de guerre et artillerie amassées dans cette ville et que j’envoie de tous côtés et autres dépenses qui se présentent chaque jour, je suis prêt à m’engager encore ; car tout s’est fait et se fait à mes frais, et toutes les choses que nous avons à nous procurer sont d’un prix si excessif, que, quoique le pays soit riche, les revenus que j’en tire, ne peuvent suffire aux grandes dépenses qui m’incombent. Mais répétant ce que j’ai dit plus haut, et mettant tout intérêt personnel de côté, je jure à Votre Majesté que c’est grâce à de nouveaux emprunts, que j’ai pu consacrer à cette expédition trois caravelles et un brigantin dont la dépense va monter à plus de dix mille piastres d’or.

J’ajoute ce nouveau service à ceux que j’ai déjà rendus, et je le tiens pour le plus important, si comme je l’espère on trouve le détroit ; et sinon, on ne pourra manquer de découvrir de grandes et riches contrées qui étendront encore les royaumes et seigneuries de Votre Majesté. On saura toujours ceci, c’est que le détroit n’existe point ; et dans ce cas, Votre Majesté pourrait aviser à ce qu’on s’emparât en son nom des terres des épices et de celles qui les confinent. Pour cela je me tiens au service de Votre Majesté, très heureux qu’elle veuille bien me le commander, et à défaut du détroit, j’espère lui conquérir ces terres, à moins de frais que personne. Mais je prie le Seigneur que ma flottille atteigne le but que je poursuis, qui est de découvrir le détroit, parce que ce serait le résultat le plus heureux ; je l’espère encore, car rien ne saurait manquer à l’heureuse fortune de Votre Majesté, et je n’épargnerai ni diligence, ni zèle, ni volonté pour que cela réussisse.

Je m’occupe aussi d’expédier dans la mer du sud, les navires que je fais construire et qui, s’il plaît à Dieu, prendront la mer au mois de juillet de cette année 1524, pour se diriger au sud, à la recherche du détroit ; car s’il existe, il ne pourra échapper à ma flotte de la mer du sud, ou à celle de la mer du nord. Celle du sud suivra la côte jusqu’au détroit, ou bien jusqu’à la terre que découvrit Magellan et celle du nord poussera jusqu’aux îles des Morues. D’un côté ou de l’autre, nous serons éclairés. Suivant les informations que j’ai reçues touchant la côte nord de la mer du sud, je puis assurer Votre Majesté qu’en dirigeant ma flotte de ce côté, nous y ferons de profitables découvertes. Mais connaissant l’intérêt que Votre Majesté porte au détroit et le grand lustre que cette découverte jetterait sur votre couronne royale, je laisse de côté toute autre entreprise malgré l’importance que j’y attache, pour explorer l’autre route ; que Notre Seigneur nous guide et favorise les desseins de Votre Majesté, je n’ai pas d’autre volonté que la sienne.

Les officiers que Votre Majesté m’a envoyés, pour surveiller ses revenus et ses biens, sont arrivés ; ils se sont fait rendre les comptes par ceux que j’en avais chargés au nom de Votre Altesse. Ces officiers devant établir une relation complète de tout ce qui s’est passé, je ne m’attarderai point à en parler à Votre Majesté et m’en repose entièrement sur eux ; j’espère que leur rapport confirmera Votre Altesse sur la sollicitude et la vigilance que j’ai déployées pour les intérêts de Votre Majesté, et que, malgré les occupations de la guerre et la pacification de ces contrées, dont le succès a passé nos espérances, je n’ai jamais délaissé pour cela les intérêts de Votre Majesté.

Le compte rendu que ces officiers envoient à Votre Majesté Impériale, prouvera à Votre Altesse que j’ai dépensé de ses rentes royales pour la pacification de ces provinces et l’extension des seigneuries de Votre Majesté, soixante-deux mille et tant de piastres d’or. Il est bon que Votre Majesté sache bien, que je n’ai pu faire autrement, et que si je me servis des revenus de Votre Altesse, c’est qu’il ne me restait personnellement rien et que je devais déjà plus de trente mille piastres d’or, que j’avais empruntées à diverses personnes. J’ai donc été obligé de faire ce que j’ai fait, et je suis convaincu que les avantages et le profit qui en résulteront sera de plus de mille pour cent. Cependant, les officiers de Votre Majesté tout en constatant que ces dépenses ont servi les intérêts de Votre Altesse, n’ont pas voulu les prendre en compte, disant qu’ils n’avaient à cet égard, aucun pouvoir. Je supplie donc Votre Majesté qu’elle veuille bien approuver ces opérations et qu’elle me fasse rembourser en outre, cinquante et tant de mille piastres d’or que j’ai dépensées de ma fortune personnelle et que j’ai empruntées de mes amis ; car si on ne me les payait point, je ne pourrais pas les leur rendre, ce qui les jetterait dans les plus grandes difficultés. J’espère que Votre Majesté ne le permettra pas, et j’espère aussi que outre ce remboursement, Votre Altesse si chrétienne et si catholique voudra bien m’accorder les hautes récompenses que méritent mes services, et dont les résultats font foi.

J’ai appris de ces officiers et d’autres personnes qui les accompagnaient, ainsi que par des lettres venues d’Espagne, que les bijoux et autres objets que j’ai envoyés à Votre Majesté Impériale par Antonio de Quinones et Alonzo de Avila sous le sceau des procureurs de cette Nouvelle-Espagne, n’arrivèrent point en votre auguste présence, ayant été enlevés par des Français, par suite de la maigre escorte ; que les administrateurs de la douane de Séville avaient envoyée aux Açores pour accompagner le navire. Je désirais vivement que toutes ces choses belles, riches et merveilleuses fussent remises à Notre Majesté, car en dehors du plaisir qu’elles lui auraient causé, Votre Altesse eût mieux apprécié mes services ; j’ai donc profondément regretté cette perte.

D’un autre côté, je me suis réjoui de cet enlèvement, parce que cette perte sera peu sensible à Votre Majesté et que je me promets d’envoyer d’autres objets plus riches et plus étranges, d’après ce que j’espère recevoir de provinces que nous sommes en voie de conquérir, ainsi que d’autres, où j’enverrai bientôt des troupes que j’ai toutes prèles.

Les Français et les autres princes à qui ces bijoux ont pu être livrés, comprendront en les voyant, qu’ils n’ont qu’à se soumettre à la couronne impériale de Votre Majesté, puisque en dehors des nombreux et grands royaumes que possède Votre Altesse dans le vieux monde, moi le plus humble de ses sujets j’ai pu lui en amener tant d’autres dans cette Nouvelle-Espagne.

En exécution de mes promesses, j’envoie par Diego de Soto, l’un de mes serviteurs, certaines petites choses qui furent autrefois considérées comme peu dignes de vous être envoyées, et d’autres que j’ai faites depuis, qui pourront vous intéresser. Je vous envoie en même temps une couleuvrine en argent dans laquelle il est entré deux mille quatre cent cinquante livres de métal, peut-être plus, car elle se fit en deux fois et la fabrication m’en coûta fort cher ; car, outre l’argent qui me coûta vingt-quatre mille cinq cents piastres d’or, à raison de cinq piastres le marc, les frais des fondeurs, graveurs et transport à la côte se montèrent encore à plus de trois mille piastres d’or ; mais pour réussir une pièce aussi riche, aussi admirable et digne d’être présentée à un si grand et si excellent prince, je me suis engagé avec joie dans ce travail et ces dépenses. Je supplie donc Votre Majesté de recevoir favorablement mon humble offrande, lui prêtant la valeur de mon dévouement pour la rendre plus digne à ses yeux ; et quoique je sois fort endetté, comme je l’ai dit à Votre Altesse, j’ai voulu m’endetter davantage, pour montrer à Votre Majesté le désir que j’ai de la servir, car j’ai été si malheureux, j’ai éprouvé jusqu’à ce jour, tant de contrariétés auprès de Votre Majesté, que je n’avais pas encore trouvé l’occasion de manifester ce désir.

J’envoie de même à Votre Sacrée Majesté soixante mille piastres d’or prélevées sur les revenus royaux, comme Votre Altesse pourra s’en convaincre par le compte que ses officiers et moi lui envoyons. Si nous avons eu la hardiesse d’expédier, en une fois, une aussi grosse somme d’argent, c’est qu’on nous a dit que les guerres de Votre Majesté en exigeaient beaucoup et que je ne voulais pas que Votre Majesté regrettât la perte passée. De plus nous enverrons chaque fois ce que nous aurons pu amasser.

Je voudrais persuader Votre Majesté que, d’après l’enchaînement des choses et vu l’accroissement de ses royaumes et seigneuries, elle aura, dans cette contrée, des revenus plus considérables et plus sûrs qu’en aucun de ses royaumes et seigneuries d’Europe, à moins que nous n’éprouvions quelque désastre, dont jusqu’à ce jour nous n’avons pas encore souffert.

Je dis cela, parce que Gonzalo de Salazar, facteur de Votre Majesté, venant de Cuba, arriva il y a deux jours au port de San-Juan de cette Nouvelle-Espagne et me rapporta avoir entendu dire que Diego Velazquez, lieutenant amiral de l’île, s’était entendu avec Cristobal de Oli que j’ai envoyé aux Hibueras pour qu’il se révoltât en sa faveur ; la chose me parut, si basse et si contraire aux intérêts de Votre Majesté que je refusai d’y croire, quoique cela fût assez probable, vu l’inimitié de Velazquez et ce qu’il a déjà fait pour me nuire ; car lorsqu’il ne pouvait faire autre chose, il empêchait les gens de venir me rejoindre, et comme il est gouverneur de Cuba, il arrête les Espagnols qui viennent à la Nouvelle-Espagne, leur fait subir mille vexations, et après les avoir compromis, leur fait dire tout ce qu’il veut. Je m’informerai de l’affaire, et si je trouve les choses telles qu’on me les a dites, j’ai l’intention de faire arrêter Velazquez et de l’envoyer à Votre Majesté ; ce serait couper à la racine, le mal que représente cet homme, et je pourrais plus librement poursuivre les expéditions entreprises pour le service de Votre Majesté et celles que j’ai le dessein d’entreprendre.

Toutes les fois que j’écris à Votre Majesté, je lui rends compte de l’état des indiens que nous cherchons à gagner à la foi catholique, et j’ai supplié Votre Majesté Impériale de nous envoyer à cet effet des religieux de bonnes mœurs et de bon exemple ; il en est venu peu jusqu’à présent, ou presque pas ; c’est pourquoi je renouvelle ma demande à Votre Altesse et je la supplie de m’en envoyer en toute hâte, tant il importe au service de Notre Seigneur Dieu et au désir que doit éprouver Votre Majesté Catholique. C’est pourquoi les procureurs Antonio de Quinones et Alonso Davila, conseillers des villes de la Nouvelle-Espagne et moi, supplions Votre Majesté de nous envoyer des évêques et autres prélats pour administrer les offices et le culte divin. Après y avoir bien réfléchi je pense que Votre Majesté devrait nous les envoyer d’une autre manière, afin que les naturels se convertissent plus rapidement et pussent être mieux instruits dans l’es mystères de notre sainte foi. Cette manière serait la suivante : Votre Majesté nous enverrait un grand nombre de personnes religieuses et zélées pour la conversion des infidèles ; on leur construirait des maisons et des monastères dans les provinces que nous indiquerions et l’on prélèverait une dîme d’un dixième pour leurs demeures et leur entretien ; le surplus serait attribué aux églises et aux ornements des villages qu’habiteraient les Espagnols et aux desservants de ces églises.

Les officiers de Votre Majesté seraient chargés de la collection de ces dîmes dont ils rendraient compte et qu’ils verseraient aux églises et aux monastères, ce qui suffira bien au delà, de sorte que Votre Majesté pourra utiliser le surplus.

Que Votre Majesté supplie donc Sa Sainteté de lui accorder cette dîme, lui expliquant combien importe la conversion des Indiens qui ne se pourra commencer que de cette façon ; parce que des évêques et autres prélats continueraient ici pour nos péchés, leur manière de vivre, en dissipant les biens de l’église en pompes vaines, en satisfaction de leurs vices et en laissant des majorats à leurs enfants et à leurs parents. Il y aurait un mal plus grand encore : les Indiens avaient, en leur temps, des personnes religieuses chargées de leurs rites et cérémonies, et ces religieux étaient si recueillis, si honnêtes, si chastes que la moindre faiblesse chez eux, était punie de mort. Si donc ces Indiens voyaient les choses de l’église et le service de Dieu au pouvoir des chanoines et autres dignitaires, et qu’ils vissent ces ministres de Dieu, se livrer à tous les vices et à toutes les profanations dans lesquelles ils se vautrent aujourd’hui dans vos royaumes, ce serait rabaisser notre foi, en faire un objet de moquerie, et le dommage serait si grand que toute prédication deviendrait inutile. La chose est des plus importantes, et Votre Majesté voulant que ces gens se convertissent comme nous devons le désirer nous-mêmes en vrais chrétiens, j’ai voulu en aviser Votre Majesté Impériale, et lui dire ce que je croyais être bien. Ce sont des observations que je supplie Votre Altesse de vouloir bien agréer, comme venant d’un sujet dévoué qui emploiera toutes ses forces à étendre les royaumes et seigneuries de Votre Majesté, à propager sa gloire dans ces pays, comme aussi je désire avec ardeur que Votre Altesse envoie jeter ici les semences de notre foi divine et qu’elle mérite ainsi la bienheureuse vie éternelle.

Mais pour ordonner des prêtres, consacrer les églises, bénir les ornements, les huiles, etc., n’ayant pas d’évêques, il serait difficile d’aller chercher le remède ailleurs. Je prie donc Votre Majesté de demander à Sa Sainteté, d’accorder ses pouvoirs et de nommer comme ses subdélégués en cette Nouvelle-Espagne, deux religieux remarquables qui sont venus en ces contrées, dont l’un appartient à l’ordre de Saint-François, et l’autre à l’ordre de Saint-Dominique, et qu’ils soient chargés tous deux des plus grands pouvoirs. Car ces provinces sont si loin de l’église romaine, et nous, les chrétiens qui les habitons, si loin des remèdes religieux, et comme êtres humains si sujets à pécher, qu’il y a toute nécessité que Sa Sainteté attribue à ces religieux les plus larges pouvoirs. Il faudrait aussi que ces pouvoirs se perpétuassent parmi les religieux qui résident en cette contrée, soit chez le général, soit dans le provincial de chacun de ces deux ordres.

Ces dîmes ont été affermées dans quelques villes ; dans d’autres, elles sont demandées par le crieur public ; depuis l’année 1523, elles sont affermées à Mexico. Il me parut inutile de le faire ailleurs, le pays étant peuplé d’Espagnols ; mais si Votre Majesté en décide autrement, nous nous empresserons d’obéir.

Les dîmes de Mexico pour l’année 1523 furent adjugées pour la somme de cinq mille cinq cent cinquante piastres d’or ; celles de la ville de Médellin et de la Veracruz pour celle de mille piastres d’or. Pour la présente année, elles n’ont pas été adjugées et je crois qu’elles iront plus haut. J’ignore à combien montent celles des autres villes, elles sont loin et je n’ai pas encore eu de réponse. Sur cet argent, on a prélevé pour bâtir les églises, payer les curés, les sacristains, les ornements et autres frais nécessaires à leur entretien. Ces comptes divers seront remis au caissier et au trésorier de Votre Majesté et tout ce qui se dépensera, sera dépensé sur autorisation de moi et du caissier.

Seigneur Très Catholique, j’ai été informé par les navires qui viennent des îles, que les juges et officiers de Votre Majesté dans l’île Espagnola, ont arrêté et fait publier dans l’île et les îles voisines, défense d’emporter aucune jument dans la Nouvelle-Espagne et ce, sous peine de mort. Ils ont pris cet arrêté, afin que nous soyons toujours forcés de leur acheter chevaux et bestiaux qu’ils nous vendent à des prix excessifs. C’est une mesure des plus préjudiciables aux intérêts de Votre Majesté, en tant qu’elle entrave l’accroissement de la population dans la Nouvelle-Espagne et l’achèvement de la pacification ; ils savent combien nous avons besoin de chevaux et n’en défendent l’exportation que dans leur amour exagéré du lucre. Comme il est évident qu’aucune nécessité de leur part n’a provoqué cet arrêté, je supplie Votre Majesté d’ordonner qu’il soit révoqué en envoyant une injonction de votre main royale, pour que toute personne puisse emporter des juments sans s’exposer à aucune pénalité et sans qu’aucune ordonnance puisse s’y opposer. Car, outre que les chevaux ne leur manquent pas, Votre Majesté a le plus grand intérêt à ce que nous en ayons selon nos besoins, puisque dans le cas contraire, nous ne pourrions procéder à de nouvelles conquêtes, pas plus que nous ne pourrions conserver celles que nous avons faites, et d’autant, que je paierais ces juments fort cher. De toutes façons, ils n’auraient qu’à se louer du rappel de leurs arrêtés ; car je pourrais en prendre un semblable pour empêcher tout produit des îles d’être importé dans la Nouvelle-Espagne ; tout commerce cesserait alors entre les deux colonies et ils n’auraient plus d’autres ressources que les produits du vol. Avant ce commerce d’échange, les habitants de ces îles n’auraient pu réunir un capital de mille piastres d’or, tandis qu’ils en ont aujourd’hui plus qu’ils n’en ont jamais eu. Pour ne pas donner lieu à de fâcheuses discussions, je me suis tu et n’ai voulu qu’en faire part à Votre Majesté, afin que Votre Altesse en décide pour le mieux de ses intérêts.

J’ai déjà fait connaître à Votre Majesté, le grand besoin que nous avions de toutes sortes de plantes et de végétaux pour l’ornement et l’agriculture ; jusqu’à ce jour, on n’y a point pourvu, et je supplie de nouveau Votre Majesté de vouloir bien ordonner à l’administration des douanes de Séville, que chaque navire soit obligé de m’apporter une certaine provision de plantes et de semences, sous peine de ne point mettre à la voile ; mesure dent la population de la Nouvelle-Espagne ne pourra que se réjouir.

J’ai toujours fait mon possible pour peupler cette terre de la Nouvelle-Espagne, cherchant à ce que Espagnols et Indiens s’y multiplient, que notre sainte foi s’y implante, puisque Votre Majesté m’en a confié le soin et que Dieu Notre Seigneur a bien voulu me choisir comme instrument en cette affaire. C’est avec l’impériale autorisation de Votre Altesse que je promulguai certaines ordonnances que je fis publier et dont j’envoyai copie à Votre Majesté ; je n’aurais donc point à en parler, sinon que d’après tout ce que j’ai pu voir, leur mise en pratique a été des plus utiles.

Les Espagnols qui se sont fixés dans le pays, n’ont pas été satisfaits de quelques-unes d’entre elles, notamment de celles qui les obligeaient à se fixer dans la province ; parce que tous, ou presque tous, avaient l’intention d’user de leurs propriétés, comme en usèrent les premiers colons des lies ; c’est-à-dire, de les épuiser et de les abandonner. Ce serait, il me semble, une grande faute, de ne point profiter de l’expérience de ceux qui nous ont précédés, pour remédier au présent et préparer l’avenir, en ne tombant plus dans les mêmes erreurs qui nous ont fait perdre les îles ; la Nouvelle-Espagne étant, comme je l’ai plusieurs fois écrit à Votre Majesté une grande et noble contrée, où Dieu Notre Seigneur réunira des millions de fidèles et Votre Majesté d’importants revenus. Je supplie donc Votre Majesté, de m’indiquer la marche que je dois suivre, tant au sujet de ces ordonnances, qu’au sujet des desseins que pourrait former Votre Majesté. En effet, je m’efforcerai toujours de modifier les choses suivant les circonstances, car la contrée est si grande, les climats si divers et les découvertes si nouvelles, qu’il est nécessaire de modifier ses vues suivant les nouveaux milieux ; et s’il paraît à Votre Majesté quelque contradiction dans mes rapports, c’est que j’aurai dû changer de desseins suivant les nouveaux pays que j’occuperais.

César Invincible, que Dieu Notre Seigneur garde Votre Impériale Majesté, qu’il accroisse vos possessions de nouveaux royaumes et seigneuries, qu’il les maintienne prospères et accorde à Votre Altesse tout ce qu’elle désire. De la grande ville de Mexico, de cette Nouvelle-Espagne, le 15 du mois d’octobre de l’année 1524. De Votre Majesté, le très humble serviteur et sujet, qui baise les pieds et les mains de Votre Majesté.

Fernand Cortes.

  1. Veracruz.