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Lettres de Jules Laforgue/025

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Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 110-112).
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XXV

À CHARLES EPHRUSSI

Berlin (2 février 1882].
Cher Monsieur Ephrussi,

Quand je vous appelais ô homme sain d’esprit, de nerfs et de cœur, ô homme bien équilibré !! — Cher Monsieur Ephrussi, vous êtes un sage de critiquer ainsi la maladie qui pousse des fleurs du genre de la Faustin, vous êtes un sage ; jamais vous ne sentirez le charme de la décadence, je vous plains et assurément, quand je raconterai votre sortie à M. Bernstein, lui qui aime la décadence, il vous plaindra aussi avec un sourire d’yeux derrière ses lunettes d’or. Parbleu oui, tout ce que vous dites là est très juste, mais, dame, il faut être de son âge et même en avant de son âge sous peine de passer pour un Monsieur antédiluvien et d’être recommandé aux paléontologues de la critique littéraire.

Vous me pardonnez, n’est-ce pas ?

J’aime beaucoup la description que vous me faites de l’attitude de Bourget chez Renan (dont la Vie de Jésus a été appelée par P. Véron « du sirop d’hérésie »).

Je vois encore Coquelin dans Diafoirus, mais j’espère que les sièges du salon de M. Renan ne sont pas si élevés que ça.

Je voudrais bien voir Bourget dans cette attitude et baissant la voix, sa voix qui est tout un orchestre.

Et son Baedeker ? — Et vos dessins de His de la Salle ? J’ai trouvé ici la Gazette dans la Journal Zimmer à la Bibliothèque.

Je n’ai pu encore aller voir M. Lippmann (voilà une chose terrible). De 1 h. à 3 h. on peut le voir et je n’ai ces heures bien libres que le lundi, et le lundi son musée est fermé. Voilà encore un petit martyre. Dites ?

Je suis très occupé. Je lis en ce moment les deux énormes volumes de Galiani avec la certitude de n’en pas tirer une page de lecture pour l’Impératrice, c’est un peu vert. Nous avons la ressource de la Revue des Deux Mondes (Maxime Du Camp et un article sur les musées de Berlin). Nous allons avoir ces jours-ci l’exposition Vereschagin (est-ce bien l’orthographe ?) Je l’avais déjà vue à Saint-Arnaud à une époque de flâne à outrance, et j’y ai passé, je me rappelle, deux entières après-midi.

Ici, je n’aime, après Menzel et autres, que leur Joseph Brandt, qui a une si belle verve de touche et qui m’était resté inoubliable avec ses Kosaques de l’Expos. Univ. de 1878.

J’ai été voir hier M. Bernstein. Je ne l’ai vu que quelques minutes, il gardait la chambre pour un mal de gorge survenu.

J’irai le revoir. — Merci de votre lettre.

Adieu bien.
Votre
Jules Laforgue.

Connaissez-vous le concert Hans Bilse de Berlin ? J’ai fait là-dessus une pochade pour un jour à la Vie Moderne. Je me suis aperçu que mon volume de vers était un ramassis de petites saletés banales et je le refais avec rage[1].


  1. Il s’agit toujours de ce volume que Laforgue voulait intituler Le Sanglot de la Terre, qu’il ne publia pas et dont une partie nous est parvenue et fut publiée posthumément. (Cf. Œuvres complètes de Jules Laforgue : Poésies, tome I.)