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Lettres philosophiques/Avertissement

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Lettres philosophiquesGarniertome 22 (p. 75-82).


AVERTISSEMENT DE BEUCHOT.

Les Lettres sur les Anglais, plus connues sous le nom de Lettres philosophiques, furent l’un des fruits du voyage de Voltaire en Angleterre en 1726[1], mais ne furent imprimées que plusieurs années après.

J’en ai vu des exemplaires en français de plusieurs éditions différentes, portant la date de 1734[2]. Je n’en ai jamais rencontré d’une date antérieure. Il est constant cependant qu’en 1733 ces lettres avaient été imprimées en Angleterre et en anglais par les soins de Thieriot[3]. « Pendant le temps que j’étais en Angleterre, dit C. E. Jordan, les Lettres de M. de Voltaire, sur les Anglais, parurent en anglais »[4]. Voltaire possédait un exemplaire d’une édition anglaise[5] ; mais ce qui me paraît aussi certain, c’est que, dès 1731, ces lettres avaient été imprimées à Rouen, chez Claude-François Jore ; c’est ce que dit formellement ce libraire dans le Mémoire qu’il eut, en 1736, la faiblesse de signer, et qu’il appela depuis, lui-même, factum odieux[6] : ce qui n’empêcha pas les éditeurs du Voltariana[7] de le comprendre dans leur infâme collection.

Des cinq éditions datées de 1734, que j’ai vues, quatre ne contiennent que vingt-cinq Lettres. Je serais tenté de croire que l’édition in-12 en 387 pages est la première qui ait été, non publiée, mais imprimée. D’abord c’est celle qui a le plus grand nombre de pages : et l’on apporte en général un peu d’économie dans les réimpressions ou contrefaçons. En second lieu, quoique la pagination soit une pour tout le volume, j’ai remarqué qu’au bas de la vingt-quatrième lettre on lit le mot fin, et que la vingt-cinquième est imprimée avec des caractères plus gros. L’édition in-8o présente une autre particularité ; c’est qu’après les 126 premières pages qui contiennent les vingt-quatre Lettres, on trouve la vingt-cinquième avec une pagination particulière de 1 à 137. L’édition in-12 de 304 pages contient vingt-cinq Lettres. Dans ces trois éditions les vingt-quatre premières Lettres roulent sur les Anglais ; la vingt-cinquième est consacrée à l’examen de quelques Pensées de Pascal. L’édition de Bâle (Londres), in-8o, renferme aussi vingt-cinq Lettres, dont les vingt-quatre sur les Anglais, et une sur l’Incendie d’Aliéna, qui est relative à un passage de l’Histoire de Charles XII. (Voyez cette Lettre, page 71.) Enfin dans l’édition in-12 de 190 pages, à la suite des vingt-quatre premières, on retrouve et celle sur les Pensées de Pascal, et celle sur l’Incendie d’Altena. Cette réunion n’indique-t-elle pas clairement qu’elle est postérieure aux autres ?

Je passe sous silence les éditions de 1735 et des années suivantes, qui ne présentent rien de remarquable. Mais je dois encore parler d'un volume in-12, intitulé Lettres de M. de V*** avec plusieurs pièces de différents auteurs, à La Haye, Poppy, 1738, in-12, en tête duquel on trouve une pièce ayant pour titre : XXVIe Lettre sur l’âme[8] : ce qui rigoureusement porte à vingt-sept le nombre des lettres appelées philosophiques. Cette XXVIe Lettre, détachée du volume (mais non réimprimée), se trouve quelquefois ajoutée à des exemplaires de 1734 des Lettres philosophiques.

La date de 1731, assignée par Jore pour époque de leur première impression, coïncide avec ce que Voltaire écrivait à Cideville le 1er juin 1734. Voltaire se sert des mots il y a quelques années, à propos de l’époque de cette édition de Jore.

Mais s’il est impossible de donner incontestablement la date précise de la première impression, il est, de l’aveu de l’auteur et du libraire, hors de doute qu’elle ait été faite en 1730 ou 1731. Cette impression achevée, Voltaire crut prudent d’en différer au moins l’émission. Il en avait reçu seulement deux exemplaires de Jore, qui cacha soigneusement tout le reste.

Néanmoins, lorsqu’en 1734 on vit circuler une édition franchise des Lettres philosophiques, les soupçons tombèrent sur ce libraire, qui avait donné en 1731, deux éditions de l’Histoire de Charles XII, et dont ainsi les relations avec Voltaire étaient connues. Jore fut donc arrêté et mis à la Bastille : il en sortit au bout de quatorze jours, lorsqu’on eut reconnu qu’il n’avait point dans son imprimerie des caractères pareils à ceux qu’on avait employés pour l’édition saisie des Lettres philosophiques. Malheureusement pour lui, la police découvrit, les 9 juin et 7 juillet, un magasin de livres contraires à l’Église et à l’État, appartenant à Jore ; et vers le même temps une édition des Lettres philosophiques, faite clandestinement par René Josse, libraire à Paris, et Coubray, papetier, probablement de complicité avec Jore. Un arrêt du conseil, du 23 octobre 1734, destitue Jore fils, reçu imprimeur en survivance de son père, René Josse, libraire à Paris, et Duval, dit le Grenadier, imprimeur à Bayeux.

Dès le 10 juin de la même année, le parlement avait aussi rendu un arrêt qui ordonnait que les Lettres philosophiques seraient lacérées et brûlées par l’exécuteur de la haute justice[9]. Le jugement avait été exécuté le même jour, à onze heures du matin.

L’autorité ne savait sans doute pas, alors, que condamner un livre c’est lui donner de la célébrité, et conséquemment exciter à le lire. On vit les Lettres philosophiques renaître de leurs cendres, et se répandre partout.

L’édition saisie et condamnée se composait de vingt-cinq Lettres, et portait l’adresse de E. Lucas. Il est donc à croire que c’était une des trois éditions que j’ai signalées, portant ce nom, et même probablement celle en 354 pages, la seule qui contienne les vingt-cinq Lettres imprimées uniformément. Les deux autres ont dû être imprimées antérieurement, et n’ont été qu’après coup enrichies de la vingt-cinquième Lettre ; ce qui est évident, puisque dans l’une cette vingt-cinquième Lettre a une pagination séparée, et que dans l’autre elle est, ainsi que je l’ai dit, imprimée avec des caractères différents.

Mais l’une de ces éditions ne serait-elle pas celle que Jore avait faite en 1731 ? Je ne serais pas éloigné de le penser : d’autant plus que ce ne serait qu’en 1733[10] que Voltaire aurait envoyé à Jore cette vingt-cinquième Lettre sur les Pensées de Pascal ; et la différence des caractères employés pour l’imprimer fait conjecturer qu’il s’était écoulé quelque temps depuis l’impression des vingt-quatre premières. Une autre observation à ce sujet, c’est que Voltaire, qui avait reçu deux exemplaires de l’édition faite par Jore, se plaint de fautes considérables[11], et l’édition en 387 pages en contient en effet beaucoup, surtout quant à la ponctuation : on ne les eût pas faites si l’on eût imprimé d’après l’édition présumée condamnée, où on ne les trouve point. Je ne donne au reste tout ceci que pour de simples observations. Je ne me permets pas de prononcer : je laisse ce soin à plus heureux, plus hardi ou plus habile que moi.

Des vingt-sept Lettres qui figurent sous le nom de Lettres philosophiques, vingt-quatre seulement ont du rapport entre elles, puisqu’elles concernent l’Angleterre. Les trois autres (1° sur les Pensées de Pascal, 2° sur l’Âme, 3° sur l’Incendie d’Altena) leur sont étrangères. En rétablissant en corps d’ouvrage les Lettres philosophiques, j’ai donc cru ne devoir réunir que les vingt-quatre premières Lettres.

C’est en effet dans ces vingt-quatre Lettres que Voltaire fait consister son ouvrage. En envoyant la vingt-quatrième à Thieriot, il lui écrivait 1er mai 1733 : Je vous envoie la Lettre sur les académies, QUI EST LA DERNIÈRE. Dans sa lettre à Maupertuis[12], il dit n’avoir pas laissé admettre dans l’édition de Londres la Lettre sur les Pensées de Pascal (qui est la vingt-cinquième).

En voilà sans doute plus qu’il n’en faut pour me justifier de n’admettre corps d’ouvrage que les Lettres sur les Anglais.

Ce titre de Lettres sur les Anglais, quoiqu’il soit le titre propre, n’a pas toujours été employé. Voltaire se sert le plus souvent de la dénomination de Lettres anglaises. Quelquefois il les appelle Lettres philosophiques[13]. Cependant je retrouve ce titre de Lettres sur les Anglais dans une édition faite à Amsterdam en 1739, et qui fait partie des Œuvres de M. de Voltaire, 1739, 3 vol. petit in-8°. Je ne sais s’il existe d’autres éditions où ces lettres soient en corps d’ouvrage ; mais en remontant même très-loin, tous les éditeurs qui m’ont précédé[14] ont disséminé ces Lettres dans les diverses divisions ou sections des Œuvres de Voltaire[15] : si je fais autrement qu’eux, je puis me justifier sans les accuser.

On a vu que les Lettres philosophiques avaient attiré l’animadversion des inquisiteurs de la pensée, et qu’elles avaient été honorées d’un arrêt qui les condamnait à être brûlées. Dès lors, quoique les éditions de Voltaire se fissent à l’étranger, pour ne pas éveiller l’autorité, il fallait bien ne pas employer un titre proscrit par elle ; il était sage de déguiser cet ouvrage en l’entremêlant avec d’autres morceaux du même auteur. Tout éditeur qui aurait osé admettre dans sa collection, et sous leur titre, les Lettres philosophiques, eût vu interdire à son édition l’entrée de France, et, au besoin, exécuter l’arrêt du 10 juin 1734.

Si Palissot, homme de goût et d’esprit, et pourtant mauvais éditeur de Voltaire, eût fait ces réflexions, il n’aurait pas accablé de reproches les éditeurs de Kehl : reproches injustes, puisque leur position était celle de leurs prédécesseurs, et qu’ils n’étaient pas les premiers qui eussent dispersé ces Lettres ; reproches ridicules dans la bouche de Palissot, qui, en se vantant de les rétablir telles que l’auteur les avait composées, dans toute la force de son génie, et dans l’ordre qu’il leur avait donné[16], n’a fait que copier des éditions qui avaient précédé celle de Kehl, et a donné ainsi, sous le titre de Lettres philosophiques, beaucoup de morceaux hétérogènes[17].

Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de motiver longuement le rétablissement des Lettres philosophiques en corps d’ouvrage. Il n’est pas un lecteur de la correspondance de Voltaire qui ne soit bien aise de voir en quoi consistaient ces Lettres anglaises, dont Voltaire parle si souvent, dont il est question dans presque tous les ouvrages du temps, et qui ont causé tant de chagrin à leur auteur. Ces Lettres sont un des ouvrages qui ont eu le plus d’influence sur l’esprit humain dans le xviiie siècle. En les trouvant dispersées, il est naturel de croire que Voltaire n’aurait que suivi l’impulsion du siècle ; leur réunion prouve qu’il l’a donnée.

Lorsqu’en 1818 je reproduisis, le premier, les Lettres philosophiques, je me conformai au texte de l’édition de 1734, et je donnai en variantes les additions ou corrections faites depuis par l’auteur. En donnant aujourd’hui dans le texte la dernière version de l’auteur, j’ai mis en variante la première. Ne pas donner de façon ou d’autre le texte de 1734 serait ne faire les choses qu’à demi, puisqu’un des motifs du rétablissement des Lettres philosophiques est de mettre le lecteur en état de voir ce qu’elles étaient lors de leur condamnation.

J’ai déjà dit que je ne donnais ici que les vingt-quatre Lettres sur les Anglais. J’ai parlé de trois autres. On a vu (page 27) les Remarques sur les Pensées de Pascal, qui forment la XXV lettre ; et (page 71) la Lettre sur l’Incendie d’Altena. La Lettre sur l’Âme, imprimée en 1738, forme, depuis les éditions de Kehl, une section de l’article Âme dans le Dictionnaire philosophique. (Voyez tome XVII, pages 149-154.)

Les Lettres philosophiques, condamnées par le parlement de Paris en 1734, ne l’ont été à Rome que le 4 juillet 1752. Dans une note au bas de la première lettre, j’ai parlé de la Lettre d’un quaker, etc. On attribue à l’abbé Molinier les Lettres servant de réponse aux Lettres philosophiques de M. de V***, in-12 de quatre-vingt-deux pages, sans nom d’auteur ni d’imprimeur, réimprimées sous le titre de Réponse aux Lettres de M. de Voltaire, La Haye, 1735, petit in-8o de soixante-dix-huit pages, plus le titre. On trouve dans la Bibliothèque française, tome XXII, page 38, une Lettre de M. de B*** (Bonneval) sur la critique de Molinier. La Réponse, ou Critique des Lettres philosophiques de M. de V*** par le R. P. D. P. R., à Basle, 1733, in-12 de 250 pages, est de Coq de Villerey, aidé de l’abbé Goujet, dit A.-A. Barbier. Une note de l’abbé Sépher attribue ce livre à D. Perreau, bénédictin.

D. R. Boullier, ministre protestant, mort en 1759 fit, en 1735, insérer dans la Bibliothèque française des Réflexions sur quelques principes de la philosophie de M. Locke, à l’occasion des Lettres philosophiques de M. de Voltaire. Ce morceau est devenu la première des trois Lettres critiques sur les Lettres philosophiques de M. de Voltaire, 1753, in-12, volume dont j’ai déjà eu occasion de parler dans la dernière note des Remarques sur les Pensées de Pascal, page 61. Les trois lettres de Boullier ont encore été réimprimées dans le volume intitulé Guerre littéraire, ou Choix de quelques pièces de M. de V***, avec les réponses, 1759, in-12 de cxl et 183 pages, volume reproduit sans avoir été réimprimé avec un nouveau titre portant seulement : Choix de quelques pièces polémiques de M. de V******* avec les réponses, 1759.

Une Lettre sur Locke, par un avocat nommé Bayle, fut le sujet du Brevet accordé par Monius à l’auteur de la Lettre sur Locke, pièce satirique dont je ne parle ici que parce qu’elle a été omise dans les Mémoires pour servir à l’histoire de la calotte, nouvelle édition, 1752, six parties, petit in-12.

B.

  1. Voyez la note 2 de la page 17 : une note de Voltaire lui-même donne à la vingt-deuxième lettre la date de 1726 ; et aux onzième et vingtième, la date de 1727.
  2. Lettres philosophiques, par M. de V……, à Amsterdam, chez E. Lucas, au Livre d’or, 1734, in-12 de 387 pages, plus les titre et table en faisant 4 : — Lettres philosophiques, par M. de V……, à Amsterdam, chez E. Lucas, au Livre d’or, 1734, in-8o de 124 pages, plus 57 pages. — Lettres philosophiques, par M. de V, à Amsterdam, chez E. Lucas, au Livre d’or, 1734, in-12 de 354 pages, plus le titre et la table en 4 pages. — Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets, par M. de V***, à Bâle (Londres), 1734, in-8o de viij, et 228 pages, plus une table des principales matières en 20 pages. — Lettres philosophiques, par M. de V……, à Rouen, chez Jore, libraire, 1734. in-12 de 190 pages : s’il faut en croire Jore, cette édition se vendait chez Ledet, qu’il qualifie Imprimeur du sieur de Voltaire, à Amsterdam. On aura remarqué que le nom de Jorre est imprimé fautivement sur cette édition.
  3. Lettre de Voltaire, du 1er mai 1733.
  4. Histoire d’un Voyage littéraire fait, en MDCCXXXIII, en France, en Angleterre et en Hollande, page 186.
  5. Lettre à M. de Sade, du 3 novembre 1733. L’abbé Prévost, qui parle longuement de ces lettres dans le Pour et le Contre, tome Ier, pages 241, 273, 297, d’après une traduction anglaise qu’il attribue à M. Lockmann, en cite le titre : Letters concerning the english nation, by M. de Voltaire, in-8o. L’abbé Prévost, qui avait eu une copie des lettres en français, reproche quelques erreurs au traducteur, et dit qu’on trouve à la fin du volume une vingt-cinquième lettre (celle sur l’Incendie d’Altona) qui n’a point de liaison avec l’ouvrage. Cette édition anglaise serait donc autre que celle que donna Thieriot, sans doute sur ou d’après les originaux qui avaient été écrits en anglais par l’auteur, et doit être celle qui porte l’adresse de Davis et Lyon, 1733, in-8o de 153 pages, plus les titre, préface, table des lettres et table des matières ; elle a été réimprimée en 1778, in-12. Cette dernière édition ne contient toutefois que les vingt-quatre lettres sur les Anglais.
  6. Voyez, tome Ier de la présente édition, la lettre de Jore, du 20 décembre 1738, parmi les pièces justificatives, à la suite de la Vie de Voltaire.
  7. Voltariana, ou Éloges amphigouriques de F. Marie Arouet, 1748, in-8o. Je crois, avec M. Leschevin, que les éditeurs de cette turpitude littéraire pourraient fort bien être Travenol fils et Mannory. Saint-Hyacinthe, à qui on l’a souvent attribuée, était mort en Hollande deux ans avant la publication qu’on en fit.
  8. Il n’est pas inutile de dire que cette même lettre a été reproduite dans un recueil de pièces (la plupart obscènes) : Lettre philosophique, par M. de V***, avec plusieurs pièces galantes et nouvelles de différents auteurs, 1756, petit in-8o ; 1774, in-8o, etc.
  9. Arrêt de la cour du parlement, qui ordonne qu’un livre intitulé Lettres philosophiques, par M. de V……, à Amsterdam, chez E. Lucas, au Livre d’or, MDCCXXXIV, contenant vingt-cinq lettres sur différents sujets, sera lacéré et brûlé par l’exécuteur de la haute justice :
    EXTRAIT DES REGISTRES DU PARLEMENT.

    Ce jour, les gens du roi sont entrés, et, maître Pierre Gilbert de Voisins, avocat dudit seigneur roi, portant la parole, ont dit :

    Que le livre qu’ils apportent à la cour leur a paru exiger l’animadversion publique ; qu’il ne se répand que trop, et qu’on sait assez combien il est propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et pour l’ordre de la société civile ; que c’est ce qui les a portés à prendre les conclusions sur lesquelles ils attendent qu’il plaise à la cour faire droit.

    Eux retirés,

    Vu le livre intitulé Lettres philosophiques, par M. de V……, à Amsterdam. chez E. Lucas, au Livre d’or, MDCCXXXIV, contenant vingt-cinq lettres sur différents sujets, ensemble les conclusions par écrit du procureur général du roi, la matière sur ce mise en délibération :

    La cour a arrêté et ordonné que ledit livre sera lacéré et brûlé dans la cour du Palais, au pied du grand escalier d’icelui, par l’exécuteur de la haute justice, comme scandaleux, contraire à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances ; fait très-expresses inhibitions et défenses à tous libraires, imprimeurs, colporteurs, et à tous autres, de l’imprimer, vendre, débiter, ou autrement distribuer en quelque manière que ce puisse être, sous peine de punition corporelle : enjoint à tous ceux qui en auraient des exemplaires de les remettre incessamment au greffe civil de la cour, pour y être supprimés ; permet au procureur général du roi de faire informer contre ceux qui ont composé, imprimé, vendu, débité ou distribué ledit livre, par-devant M. Louis de Vienne, conseiller, pour les témoins qui seraient dans cette ville, et par-devant les lieutenants criminels des bailliages et sénéchaussées, et autres juges des cas royaux, à la poursuite des substituts du procureur général du roi lesdits siéges, pour les témoins qui se trouveraient lesdits lieux : permet à cet effet au procureur général du roi être par lui pris telles conclusions, et par la cour ordonné ce qu’il appartiendra. Ordonne que copies collationnées du présent arrêt seront envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lu, publié et registré ; enjoint aux substituts du procureur général du roi d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois. Fait en parlement, le 10 juin 1734.

    Signé : Dufranc.

    Et ledit jour, 10 juin 1734, onze heures du matin, à la levée de la cour, en exécution du susdit arrêt, le livre, y mentionné, a été lacéré et jeté au feu par l’exécuteur de la haute justice, en présence de nous Marie-Dagobert Ysabeau, l’un des trois premiers et principaux commis pour la grand’chambre, assisté de deux huissiers de ladite cour.

    Signé : Ysabeau.

    L’auteur était vivement poursuivi. Il se trouvait alors à Montjeu ; il put s’échapper et se réfugier en lieu sûr. Non-seulement il gagna Cirey, mais il prit le parti de se retirer en Hollande. En même temps il écrit à M. Hérault, lieutenant général de police, la lettre qu’on trouvera dans la Correspondance, à l’année 1734. Ce n’est qu’au bout de huit mois que Voltaire obtint la permission de revenir à Paris, par une lettre du lieutenant de police du 2 mars 1735. (L. M.)

  10. Lettre à Cideville, du 1er juillet 1733.
  11. Au même, 1er juin 1734.
  12. 29 avril 1734.
  13. Lettre à Formont, avril 1734 ; à Cideville. 22 juin 1734 ; à La Condamine, 22 juin 1734.
  14. C’est en 1818 que je m’exprimais ainsi. Toutes les éditions de Voltaire, données depuis, contiennent les Lettres philosophiques en corps d’ouvrage.
  15. Je pense que ce fut en 1739 que l’auteur se décida à disperser ou déguiser les Lettres philosophiques. J’ai sous les yeux les Œuvres de M. de Voltaire, nouvelle édition, revue, corrigée et considérablement augmentée, avec des figures en taille-douce, à Amsterdam, chez Étienne Ledet et compagnie, 1738-39, quatre volumes in-8o. Le quatrième porte seul la date de 1739, et l’on trouve, à la fin, des Mélanges de littérature et de philosophie, composés de vingt-sept articles ou chapitres.

    Le premier forme, depuis les éditions de Kehl, la troisième section de l’article Gloire du Dictionnaire philosophique:voyez tome XIX.

    Le second se trouve aussi dans le Dictionnaire philosophique, partie au mot Caton, partie au mot Suicide; voyez tomes XVIII et XX.

    Les chapitres III à XVIII sont, à peu de chose près, les seize premières Lettres philosophiques.

    La dix-septième lettre, avec des additions, forme les chapitres XIX et XX.

    Les chapitres XXI à XXIV se composent des dix-huitième et vingt-deuxième Lettres philosophiques.

    Le chapitre XXVI est la vingt-quatrième des Lettres.

    Le chapitre XXVII est intitulé Sur les Pensées de Pascal.

    Quoique dans la préface de cette édition des Œuvres de M. de Voltaire (1738-39), il soit dit : « On donne cette nouvelle édition, à laquelle l’auteur n’a eu d’autre part et d’autre intérêt que celui d’avoir beaucoup corrigé la Henriade, etc. ». il est permis de croire que c’est Voltaire qui l’a dirigée, autant qu’on peut diriger une édition quand on n’est pas dans la ville même où elle se fait. Cette préface est de l’abbé de Linant, à qui Voltaire portait tant d’intérêt, et à qui peut-être il en abandonna le produit. Voltaire du moins a concouru ou consenti à cette édition : le 6 juillet 1739, il écrivait à Helvétius : « Je comptais vous envoyer de Bruxelles une nouvelle édition de Hollande, etc. » Dans sa lettre à d’Argenson, du 21 mai 1740, à propos de ces quatre volumes imprimés à Amsterdam, et des fautes des éditeurs, il dit : « J’ai corrigé tout ce que j’ai pu, et il s’en faut de beaucoup que j’en aie corrigé assez. « En effet, il y a encore beaucoup de fautes dans cette édition. Voltaire, par sa lettre à M. de La Roque (mars 1742), en signala une singulière dans une phrase relative à Charles Ier. Une faute dont Voltaire ne parle pas, que je sache, et qui mérite d’être remarquée, c’est d’avoir donné au Mondain le titre de Défense du Mondain ; et à la Défense du Mondain, le titre du Mondain.

    Les libraires qui donnèrent les Œuvres de M. de Voltaire, nouvelle édition, revue, corrigée et considérablement augmentée, avec des figures en taille-douce, Amsterdam, aux dépens de la compagnie, 1740, quatre volumes in-12, copièrent servilement, sans y rien ajouter, l’édition de 1738-39. Leur contrefaçon (je peux l’appeler ainsi) contient les mêmes fautes et les mêmes dispositions des matières. L’édition des Œuvres de Voltaire, 1742, cinq volumes in-12, présente des augmentations en plusieurs parties ; mais c’est dans les Mélanges que sont toujours fondues les Lettres philosophiques : il en est de même de l’édition de 1751, 11 volumes petit in-12, etc., etc.

  16. Les mots en italique sont ceux qu’emploie Palissot dans sa préface du tome XXIX de son édition des Œuvres de Voltaire.
  17. Ainsi, quoique tout au plus vingt-sept pièces aient été, comme on l’a vu, produites sous le titre de Lettres philosophiques, Palissot donne sous cette dénomination trente-neuf morceaux.