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Lord Herbert de Cherbury

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Lord Herbert de Cherbury
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 7 (p. 692-732).

LORD


HERBERT DE CHERBURY.




I

Un grand seigneur qui écrit sur la métaphysique est toujours un personnage fort rare. Il l’est encore davantage, s’il conserve avec les goûts philosophiques les mœurs et les idées d’un grand seigneur, s’il est, en même temps qu’un faiseur de systèmes, un coureur d’aventures chevaleresques, s’il unit à la curiosité d’esprit du commencement du XVIIe siècle la hauteur batailleuse d’un gentilhomme de la même époque, s’il est à la fois le correspondant de Grotius et de Gassendi et l’ami de Montmorency et de Buckingham. Tel fut lord Herbert de Cherbury. Son nom, encore cité en Angleterre, est en France médiocrement connu ; ses ouvrages ne le sont point. Cependant ils mériteraient de l’être, et il serait juste d’assigner à l’auteur un rang assez élevé dans l’histoire des idées philosophiques et religieuses de son pays, sujet un peu négligé aujourd’hui, la politique ayant à elle seule captivé tout ce que l’imagination du monde accorde à l’Angleterre. Aussi distinguerons-nous ce que lord Herbert a été de ce qu’il a laissé ; sa vie nous occupera plus que ses doctrines. Celles-ci n’inspireraient qu’un intérêt médiocre aux lecteurs de ce recueil. Il n’en sera pas de même de celle-là, nous l’espérons du moins, d’autant qu’en la racontant nous n’avons presque rien à y mettre du nôtre. L’aristocratie d’ailleurs est pour le moment plus à la mode que la philosophie.

Le nom d’Herbert est celui d’une ancienne et noble famille qui figure encore dans la pairie d’Angleterre et dont le titre remonte au XVe siècle[1]. William Herbert, lord de Ragland, descendant d’un Fitz-Herbert, chambellan de Henri Ier ou peut-être d’un Fitz-Roy, son fils, vivait sous Édouard IV et fut créé baron, puis comte de Pembroke. C’est le premier pair de la famille. Le second fils de son frère, sir Richard Herbert de Colbrook, fut le bisaïeul d’Édouard Herbert de Montgomery-Castle, d’abord chevalier, puis pair d’Irlande, et enfin pair d’Angleterre sous le titre de baron Herbert de Cherbury dans le Shropshire, C’est le philosophe dont nous allons esquisser l’histoire, au risque de paraître quelquefois retracer les faits et gestes d’un courtisan frivole et querelleur, en parlant d’un émule de Bacon et d’un prédécesseur de Locke.

Il était né à Eyton, dans le même comté de Shrewsbury, en 1582, sous le règne d’Elisabeth[2]. Rien ne nous serait plus facile que de donner sur sa famille de nombreux détails. Nous les puiserions dans sa biographie, écrite par lui-même, un des plus étranges témoignages, dit Horace Walpole, qu’un homme ait jamais rendus de lui-même.

Ce récit fort original, ingénuement écrit, et qui fait encore plus connaître les goûts, le caractère et les opinions de l’auteur que les circonstances de sa vie, resta inconnu pendant près d’un siècle. Retrouvé dans le manoir d’une des branches de la famille, il fut rendu à lord Powis, héritier des titres de lord Herbert, et parvint dans les mains d’Horace Walpole, dont il excita et amusa la curiosité. On sait que cet amateur délicat du rare et du piquant avait à Strawberry Hill une imprimerie particulière, qu’il n’employait qu’à la publication d’ouvrages de son choix. De ses presses est sortie la première édition de la Vie d’Édouard, lord Herbert de Cherbury, écrite par lui-même, (1764), avec une épître dédicatoire à Henry Arthur Herbert, comte de Powis, et une préface composée par le noble et spirituel éditeur. C’est cet ouvrage trois fois réimprimé[3] qui nous permet d’entretenir quelques instans nos lecteurs d’un personnage au moins aussi singulier que ses livres sont remarquables.


II

Il commence son récit en exprimant le regret que ses ancêtres n’eussent pas consigné par écrit les souvenirs et les réflexions de toute leur vie. De tels documens transmis dans les familles feraient profiter aux enfans l’expérience des pères. Quant à lui, il a peu de chose à dire des siens. Il avait huit ans quand mourut son aïeul, à qui son père ne survécut que quatre années. Il sait seulement qu’ils avaient Sa barbe et les cheveux noirs, un air de force et une mâle beauté, signes de courage et d’énergie morale, et il n’a recueilli sur chacun d’eux que le souvenir de quelques prouesses dignes des compagnons de Richard Cœur-de-Lion. Son arrière-grand-père, sir Richard Herbert de Colbrook, très redouté dans sa contrée des ennemis de la paix publique, était un héros à comparer aux Amadis de Gaule. C’est lui qui, la hache d’armes à la main, traversa deux fois sans être touché toute une armée venue du nord. Un jour qu’avec son frère, le comte de Pembroke, il donnait la chasse à des brigands du pays de Galles, ils prirent dans l’île d’Anglesey sept frères convaincus de toutes sortes de crimes. Pembroke venait d’ordonner qu’on les pendit, lorsque leur mère accourut et le supplia de faire grâce à deux ou du moins à un de ses fils. Sir Richard appuya cette prière, qui fut rejetée par le motif qu’un choix était impossible entre tels misérables, et la mère, qui portait à ses bras deux chapelets de laine[4], se jetant à genoux, maudit lord Pembroke en priant Dieu qu’il périt à son premier combat. Peu après, à la journée de Banbury, au moment où les deux frères venaient de mettre leurs soldats en ligne, l’aîné aperçut sir Richard appuyé sur sa hache d’armes ; son air était pensif et mélancolique. « Quoi ? lui dit-il, ce grand corps (il était de haute taille) a-t-il peur, que tu paraisses si triste, ou la fatigue te force-t-elle à te reposer sur tes armes ? — Rien de semblable, répondit Richard, et vous le verrez tout à l’heure. Je n’ai peur que pour vous. Puisse ne pas tomber sur votre tête la malédiction de la femme aux chapelets de laine ! » Les deux frères pris dans la bataille eurent la tête tranchée. Le fils du plus jeune, un autre sir Richard, gardien sous Henry VIII des marches du pays de Galles et du comté de Cardigan, continua à pratiquer avec une justice énergique cette police armée, emploi héréditaire de la famille. Son fils Édouard, après avoir commencé par la cour, suivit la carrière militaire, combattit à Saint-Quentin et dans les guerres civiles de son pays. Retiré dans son comté de Montgomery, il y était l’effroi des maraudeurs (outlaws) qui infestaient les environs. Sans cesse en course pour en purger le pays, il ne rentrait dans son château que pour y exercer grandement l’hospitalité féodale. Aussi disait-on communément lorsqu’on voyait lever le gibier : « Vole où tu voudras, tu percheras à Black Hall. » C’était la résidence de sa vieillesse. Comme lui, vice-lieutenant du comté, juge de paix et gardien des titres et actes (custos rotulorum), son fils Richard fut aussi dans son ressort un justicier respecté, mais un justicier d’épée, suivant la coutume des temps, si bien qu’une fois en poursuivant un malfaiteur fugitif, il fut assailli, lui second, dans le cimetière de Lanervil et se défendit vaillamment contre tous, lorsqu’un des assaillans se glissant par derrière lui déchargea sur la tête un si furieux coup, qu’il l’abattit le crâne brisé jusqu’à la cervelle. Quand le blessé revint à lui, il vit au loin fuir ses assaillans ; il se leva, marcha jusqu’à sa maison, s’y fit panser et guérir ; puis il appela en combat singulier le chef de famille qu’il regardait comme l’instigateur de ce guet-apens, mais son défi fut rejeté ; son ennemi se réfugia en Irlande et ne revint pas. Richard Herbert était d’ailleurs un homme assez instruit, il entendait le latin et savait l’histoire. Il eut de Magdeleine Newport, alliée des Talbots et des Devereux, sept fils et trois filles. L’aîné est notre héros. Avant d’en venir à lui-même, il parle de tous les siens, et, par un trait caractéristique, prend note surtout des combats singuliers où ses frères firent merveille. L’un emporta dans sa tombe, à Bergop-Zoom, les cicatrices de vingt blessures ; l’autre se défendit victorieusement en Danemark contre un adversaire avec un tronçon d’épée. Un troisième eut en France des duels éclalans. Thomas, le dernier, soldat de terre et de mer, guerroya dans l’Inde, en Afrique, en Flandre, et se retira mécontent de la cour. Les autres brillèrent par leur savoir ou se distinguèrent dans les ordres ; mais pour les doctes goûts comme pour l’humeur guerroyante, Édouard, lui, ne le cédait à aucun.

En sa qualité de philosophe, il insiste quelque peu sur les premiers développemens de son enfance. Dès qu’il commença de parler, il prétend que sa première question fut pour savoir comment il était venu en ce monde. Les femmes qui le soignaient se mirent à rire ; d’autres assistans s’étonnèrent, disant que jamais enfant n’avait fait pareille question. Sur quoi il ajoute une réflexion : puisque en naissant il a ignoré et les souffrances de sa mère et les siennes propres, il espère que son âme passera dans un monde meilleur sans avoir davantage connaissance des douleurs de la mort. Ce doit être une grâce de Dieu qu’on ne sache pas plus comment on sort de ce monde qu’on ne sait comment on y est entré. Deux pièces de vers latins, l’une sur cette vie, l’autre sur la vie céleste telle qu’il se l’imagine, De Vita cœlesti conjectura, expriment assez bien la même idée, et présentent quelque heureuse imitation du style de Lucrèce ; mais ce qu’il n’emprunte pas à Lucrèce, ce qu’il doit à lui-même, c’est une tranquille confiance et dans la certitude de l’autre vie, et dans la bonté du Dieu qui la promet à la vertu. Toutes les facultés de son âme lui paraissent disposées pour une existence supérieure qu’elles anticipent et qu’elles attestent à la fois.

Il commença ses études à sept ans, et profita tellement qu’avant sa neuvième année il était capable de faire sur ce thème : Audaces fortuna juvat, une oraison d’une page et cinquante ou soixante vers en un jour. À cet âge, il quitta la maison de sa grand’mère, qui l’avait élevé. On désirait surtout qu’il apprit la langue galloise, sans laquelle il n’aurait pu se faire entendre de ses tenanciers ni de beaucoup de ses amis. Il fut envoyé dans le Denbigh, auprès d’un maître qui savait le latin, le grec, le français, l’italien et l’espagnol, et un an plus tard à Didlebury (Shropshire), près d’un M. Newton, qui lui montra assez de grec et de logique pour le mettre à douze ans en état d’entrer à Oxford, au Collège de l’Université.

Les études classiques sont encore réglées, dans la plupart des pays de l’Europe, sur le plan adopté du XVe au XVIe siècle, et l’on s’est plaint souvent du temps considérable qu’elles prenaient à la jeunesse, pour ne lui laisser qu’une connaissance assez imparfaite des langues de l’antiquité. Sans doute, à ces plaintes il a été fait des réponses solides. Cependant on doit observer qu’à l’époque où l’instruction des écoles a été ainsi ordonnée, un temps beaucoup moins long était de fait consacré aux travaux du collège, et rien n’est plus commun dans l’histoire des contemporains des Estienne ou des Casaubon que de voir terminer à quatorze ou quinze ans, et même plus tôt, les cours de rhétorique et de philosophie. Jusqu’en 1789, on pourrait citer en France des exemples d’éducations qui nous sembleraient aujourd’hui singulièrement hâtives, et lorsqu’on mettait un jeune gentilhomme aux académies, c’est-à-dire lorsque, à seize ans au plus tard, on l’envoyait se former aux exercices du corps, il avait souvent terminé ce qu’on appelait alors des études complètes. Généralement la société moderne se défie un peu de la jeunesse, et elle retarde volontiers l’âge où elle permet à ses membres l’honneur de la servir.

Toujours est-il que le jeune Édouard Herbert se distingua par une précocité peu commune. Il était encore à Oxford, lorsqu’il perdit son père, et sa mère reçut presque aussitôt pour lui une proposition de mariage. Sir William Herbert de Saint-Gillian’s, héritier du comte de Pembroke, avait laissé à sa fille, toutes ses propriétés du Monmouth et de l’Irlande à condition qu’elle épousât un gentilhomme du nom d’Herbert. Mary avait atteint sa vingt et unième année, lorsqu’elle se maria, le 28 février 1598, avec son cousin Édouard, qui n’avait pas seize ans, et qui retourna avec sa mère et sa femme à l’université, ayant ainsi, dit-il, une défense contre les désordres auxquels la jeunesse n’est que trop portée. À dix-huit ans, il entra dans le monde, vécut un peu à Londres, beaucoup à Montgomery-Castle, et tandis que sa femme lui donnait coup sur coup des enfans (il en eut jusqu’à neuf, et n’en devait conserver que trois), il se perfectionna sans maître dans la connaissance des langues vivantes, son intention étant de devenir un citoyen du monde. Il apprit aussi la musique, et ce fut un de ses goûts favoris. Sa curiosité s’étendit de l’étude de diverses sciences, et son esprit réfléchi se forma une sorte de philosophie de l’éducation qu’il a résumée dans ses mémoires. On aime à recueillir dans les écrits de ce temps les idées des esprits d’élite sur cet important sujet. On a noté celles mêmes que le bon sens de Rabelais jette en passant au milieu des fictions d’une imagination folâtre. Montaigne a consacré à l’éducation plus d’un chapitre des Essais, et quelques-unes de ses pensées font encore autorité. Voici celles de lord Herbert.

Le premier soin à donner à l’enfance devrait se porter sur les maladies héréditaires auxquelles elle peut être exposée. Peut-on craindre, par exemple, qu’un enfant ne soit sujet à la pierre, on doit faire prendre à sa nourrice, dans une boisson de lait, de sucre et de vin, et plus tard à l’enfant lui-même, du milium solis et des saxifrages ; si c’est la goutte qu’on appréhende, il faut le baigner, soit dans l’eau où les forgerons éteignent leur fer, soit dans une infusion d’alun ou de genièvre. Comme l’écrivain se piquait des sciences de son temps, il n’épargne pas les noms de simples et de médicamens. Il prescrit notamment certaines herbes pour le spleen héréditaire[5], et il dit qu’il en a fait usage.

Le moment venu d’aller à l’école, l’enfant doit avoir deux maîtres, l’un pour les leçons, l’autre pour les mœurs et les manières, et chacun d’eux doit garder ses attributions séparées. Dès qu’il sait l’alphabet, donnez-lui les grammaires les plus simples pour le latin et pour le grec ; mais qu’il commence par le grec, car en toutes choses les Grecs ont surpassé tous les peuples. Le gouverneur pour les mœurs suivra son élève à l’université, afin d’y surveiller sa conduite et ses liaisons. Les études y sont conçues de telle sorte qu’on semble avoir voulu faire des maîtres ès-arts de tous les aînés de famille. Autant la partie de la logique qui sert à former le raisonnement est utile, autant sont oiseuses ces subtilités scolastiques que l’on enseigne sous le même nom. Il suffit d’être mis en état de comprendre les principes de la philosophie de Platon et d’Aristote. Après quoi on fera bien d’apprendre les élémens de la médecine selon Paracelse, et il ne sera pas inutile de lire Patrizzi et Telesio, qui ont examiné et critiqué le péripatétisme. Il suffira pour tout cela de six mois de logique. Puis, il faudra passer à la géographie, en saisissant cette occasion de s’instruire des gouvernemens, des coutumes et enfin des religions qui règnent sur la terre. L’astrologie judiciaire ne sera nécessaire que pour les prédictions générales, car les événemens particuliers ne sauraient être connus par les astres. Alors viendra le tour de l’arithmétique et de la géométrie, surtout de la première, si utile pour bien tenir ses comptes, tandis que la seconde est de peu d’usage pour un gentilhomme, si ce n’est en matière de fortifications. La médecine doit être approfondie, tant par rapport au diagnostic qu’au prognostic. La thérapeutique elle-même ne sera pas négligée ; connaître les drogues et leur préparation n’est pas à dédaigner. Lord Herbert se félicite d’avoir possédé en ce genre des connaissances assez étendues, et il raconte avec complaisance les heureuses cures qu’il a faites. Il donne un catalogue assez curieux des ouvrages de médecine et de pharmacopée qu’il a dans sa bibliothèque ; mais quelque pédantesque que paraisse aujourd’hui cette médecine des vieux livres, sachons-lui gré d’avoir recommandé l’étude de l’anatomie. Quiconque s’y adonnera, dit-il, ne sera jamais un athée.

Ceci le conduit à la science des vertus morales et des vérités théologiques. Sur les premières, chrétiens et païens sont d’accord, et, après en avoir demandé la définition aux philosophes ou à l’église, on les gravera dans son esprit et dans sa conscience, et l’on obtiendra cet le paix intérieure qui permet à un honnête homme de traverser toutes les religions et toutes les législations du monde. Une juste espérance est permise, elle est prescrite à celui qui par la vertu et la bonté s’est élevé à quelque ressemblance avec Dieu. Ce Dieu, son créateur, son rédempteur et son sauveur, connaît sa faiblesse et juge ses fautes en père. Le repentir est une expiation toute-puissante.

Mais dans l’emploi même des vertus il faut du discernement. La prudence est de mise en l’absence du danger, elle sert à le prévenir. Devant un ennemi qui tire l’épée, c’est le tour du courage. Le courage est hors de propos pour repousser l’injure d’une femme ou d’un enfant, ou même d’un supérieur revêtu d’une autorité légitime. « Certainement, avec de tels offenseurs, il convient de pardonner, et en ce genre je suis persuadé qu’aucun homme de mon temps n’a été plus loin que moi, car encore que dans les occasions où l’honneur était engagé, personne n’ait été plus prompt à risquer sa vie, jamais, quand ce même honneur permettait de faire grâce, je n’ai recouru à la vengeance, m’en remettant à Dieu qui en punira plus sévèrement l’offenseur… Tout homme qui ne pardonne pas coupe le pont par où il lui faudra passer lui-même, tout homme ayant besoin de pardon. »

L’art oratoire n’est pas indifférent au perfectionnement moral. Il enseigne à choisir et à employer les bonnes raisons, à repousser l’erreur, à persuader la vérité ; mais il faut, en le pratiquant, éviter l’affectation et s’habituer à parler des choses ordinaires avec une simplicité qui n’empêche pas d’en parler avec esprit.

L’éducation ne serait pas complète, si les exercices du corps étaient négligés. Lord Herbert les recommande expressément à sa postérité. Il se loue d’avoir eu de très bons maîtres, excepté pour la danse, qu’il n’a jamais eu le loisir d’apprendre. C’est pourtant par elle qu’il veut que l’on commence, en s’adressant de préférence aux excellens maîtres français. C’est du même pays que viennent aussi les meilleurs professeurs d’escrime. « J’ai, ajoute-t-il, la plus grande expérience du maniement du fleuret, il m’est arrivé aussi d’avoir à soutenir de très sérieux combats contre plusieurs personnes à la fois, et de fait je ne crois point prendre un ton de vaine gloire en disant qu’aucun homme n’a mieux su que moi se servir de son arme, et ne s’en est plus dextrement prévalu dans l’occasion. Or j’ai trouvé qu’on n’est jamais blessé que par une faute d’escrime. » Il passe ensuite à l’équitation, dont il expose les principes ; il insiste sur l’art de monter les grands chevaux, c’est-à-dire les chevaux de bataille, et de se battre ainsi en duel et en guerre[6]. Il montre sur tous ces points des connaissances techniques qu’il avait puisées au manège du connétable de Montmorency. En cette matière, il ne condamne que les courses de chevaux. C’est, dit-il, l’occasion de beaucoup de friponneries. Et quel plaisir peut faire à un homme de cœur un animal dont le principal usage est de servir à s’enfuir au plus vite ? Il n’aime pas beaucoup non plus les chevaux de chasse. La chasse est un divertissement qui fait perdre trop de temps. Aussi ne permet-il tout au plus que la chasse au faucon, parce qu’elle finit plus vite. Quant au jeu, il tolère les boules, mais il interdit sans réserve les cartes et les dés.

Ce système de pédagogie nous fait connaître notre auteur, ses préjugés et ses lumières, ses goûts et ses principes : savant et cavalier ; moraliste et duelliste, d’un esprit libre et sérieux, hardi et sensé, réunissant le point d’honneur du gentilhomme à l’orgueil du philosophe, courtisan sans bassesse, soldat sans rudesse, assez pédant encore que novateur, mêlant, comme dit Horace Walpole, un peu de don Quixote à quelque chose de Platon.


III

C’est en 1600 qu’il alla pour la première fois à la cour. Il vit la reine Elisabeth passer pour se rendre à la chapelle dans le palais de Whitehall, et il se mit à genoux devant elle. Dès qu’elle l’aperçut, elle s’arrêta, et avec un certain jurement qui lui était habituel, elle demanda : « Qui est celui-ci ? » Tout le monde le regarda, mais personne ne le connaissait, hors sir James Croft, qui, voyant la reine arrêtée, était revenu sur ses pas et le nomma. La reine le regarda attentivement, dit en répétant son jurement que c’était dommage qu’il se fût marié si jeune, et lui donna sa main à baiser deux fois, en le tapant chaque fois sur la joue. Ce n’est pourtant que deux ans après et sous le roi Jacques qu’il fut nommé chevalier du Bain, au milieu des complimens des lords et des dames qui assistèrent à la cérémonie. L’éperon, selon l’usage, lui fut chaussé par un grand seigneur, son cousin, le comte de Shrewsbury. Une autre règle de la réception des chevaliers, c’était que le premier jour ils portassent la robe d’un ordre religieux à leur choix, et la nuit suivante ils allaient au bain, puis ils prêtaient serment donc jamais séjourner en lieu où se commettrait une injustice, et de tout faire pour la redresser, surtout si de nobles dames imploraient leur assistance, tous engagemens dignes des romans de chevalerie. Le second jour, il dut, selon la règle, porter une robe de taffetas cramoisi, et se rendre à cheval, en cet équipage, de Saint-James à Whitehall, avec ses écuyers devant lui. L’habit du troisième jour était une simarre de satin pourpre, avec de certains cordons à glands de soie blanc et or, attachés en nœud sur la manche gauche, ornement, que les chevaliers devaient porter jusqu’à ce qu’ils eussent accompli quelque beau fait d’armes, ou qu’une noble dame le leur eût pris, en disant : « Je réponds qu’il se montrera bon chevalier. » Il n’avait pas longtemps porté ses nœuds qu’une des premières dames de la cour, et certainement la plus belle au suffrage général, les lui enleva, et lui dit qu’elle engageait son honneur au sien. Cependant il ne l’a pas nommée.

Il ne tarda pas à devenir sheriff de son comté de Montgomery, et il se vante d’avoir donné, sans indemnité, la commission de sous-sheriff et les autres places qui étaient à sa nomination. Il partageait son temps entre l’étude à la campagne, ses devoirs publics, et quelques actes de présence à la cour ; mais il paraît qu’un peu d’ennui s’attachait à cette vie monotone. Marié de trop bonne heure, il n’avait pas connu la liberté de la jeunesse. Un certain jour, il déclara à sa femme qu’il passerait la mer et ferait sur le continent le voyage qu’il aurait dû faire, s’il ne l’eût épousée, à moins qu’elle ne consentit à assurer à ses enfans un certain patrimoine dont il leur garantirait l’équivalent. C’était une précaution contre le cas où la mort de l’un des époux laisserait l’autre libre de former un second lien. Sa femme ayant refusé, il se crut libre de la quitter ; il la laissa le moins mécontente qu’il put, et il partit, dit-il, assez chagrin, ayant toujours honnêtement vécu avec elle. Cependant il se croyait en droit de faire connaissance avec les pays étrangers, dont il avait pour cela même appris les langues. Muni de l’agrément de la cour, il se mit en route, ayant pour compagnon Aurelian Townsend, gentilhomme qui savait à merveille le français, l’italien et l’espagnol, puis un valet de chambre parlant français, deux laquais et trois chevaux. Il ne manqua pas de s’embarquer à Douvres et de débarquer à Calais.

On était en 1608 ou 9. Il descendit à Paris dans le faubourg Saint-Germain, où demeurait l’ambassadeur d’Angleterre, sir George Carew, qui le reçut avec beaucoup de civilité. Auprès de l’ambassade était l’hôtel du duc de Ventadour, gendre du connétable de Montmorency. La duchesse, qui voyait souvent l’ambassadrice, rencontra chez elle sir Édouard Herbert, et l’invita à venir chez son père au château de Mello[7]. Dans cette belle résidence, il fut dignement reçu par le vieux connétable, qui lui dit que la première fois qu’il avait entendu parler des Herberts, c’était au siège de Saint-Quentin. Son grand-père y avait en effet commandé l’infanterie sous William, comte de Pembroke. Pendant les quelques jours que sir Édouard Herbert passa à Mello, il advint qu’une fille de la duchesse de Ventadour, âgée d’environ dix ou douze ans, alla un soir se promener dans une prairie avec lui et d’autres seigneurs et dames de la compagnie. Elle portait un nœud de ruban sur sa tête. Un des gentilshommes français s’en saisit tout à coup et l’attacha à la ganse de son chapeau. La demoiselle offensée le lui redemanda vivement, mais il refusa, et se tournant vers sir Édouard, elle lui dit : « Monsieur, je vous en prie, reprenez mon ruban à ce gentilhomme. » À cet appel, le galant étranger s’avança vers le ravisseur, le chapeau à la main, et lui demanda de lui faire l’honneur de le mettre à même de rendre à cette dame son ruban ou son bouquet. La réponse fut assez rude : « Pensez-vous que je vous le donne, quand je le lui ai refusé ? — Alors, monsieur, répliqua Herbert, je vous le ferai restituer de force. » Et mettant son chapeau, il voulut enlever à l’autre le sien, mais le Français se mit à courir, et après qu’ils se furent assez longtemps poursuivis dans la prairie, il tourna court pour ne pas être pris, et rejoignant Mlle de Ventadour, il lui remit le ruban dans les mains. Herbert, le saisissant par le bras, dit à la jeune dame que c’était lui qui le lui rendait. « Pardon, monsieur, répondit-elle, mais c’est bien ce gentilhomme qui me le donne. — Madame, dit-il, je ne vous contredirai pas ; mais s’il ose prétendre que je ne l’ai pas forcé à le rendre, je me battrai avec lui. » Ces paroles restèrent sans réponse dans le moment, et l’on reconduisit la dame au château. Là, Herbert fit notifier par Townsend son dilemme de provocation ; mais le cavalier, n’étant pas d’humeur d’y répondre, se retira, et l’Anglais se disposait à le suivre, quand le connétable, informé à temps, fit rappeler le Français, lui reprocha d’avoir manqué de respect à sa petite-fille, et lui ordonna de quitter sa maison. Herbert dit qu’il n’entendit plus parler de lui, mais il ajoute que toute sa conduite lui était commandée par son serment de chevalier du Bain. Trois autres fois encore, dans ce voyage, il se crut obligé d’appeler en duel des malappris qui avaient offensé les dames. Il raconte en détail ces trois rencontres, mais dans aucune le combat n’eut lieu. Il paraît que l’autorité intervint pour l’empêcher, ou que des amis ne pensèrent pas qu’une exécution aussi littérale et aussi gratuite du serment de chevalerie fût dans les devoirs absolus du point d’honneur. Notre philosophe d’épée au contraire dit qu’il entendait d’une manière plus stricte ses engagemens, et prend grand soin d’affirmer qu’ayant vécu dans les cours et dans les armées, il était le moins querelleur des hommes et n’a jamais dégainé sans y être provoqué.

Il fait d’ailleurs la plus belle peinture de la magnifique hospitalité du connétable. En partant pour Chantilly, Montmorency le pria de rester à Mello, comme il le désirait, et lui laissa ses écuyers, ses pages et tout un train de maison. Herbert habita tout un été dans ce beau séjour, où il se perfectionna dans la science du cheval, sous la direction du gouverneur des pages du connétable, M. de Mennon, et de son premier écuyer, M. de Disancourt, qu’il proclame l’égal de l’luvinel et de Labroue[8]. Il apprit d’eux, contre ses principes, à chasser le loup et le sanglier. Quelquefois il quittait Mello pour visiter le vieux seigneur dans son autre palais. Une description détaillée de ce célèbre Chantilly témoigne assez combien il admirait le lieu pour lequel Charles-Quint disait qu’il donnerait une de ses provinces des Pays-Bas. Henri IV demandait un jour à Montmorency d’échanger Chantilly contre un de ses châteaux : « Sire, la maison est à vous, dit le connétable, mais que j’y sois votre concierge. »

Après huit mois d’équitation savante, Herbert alla prendre congé de son hôte et le remercier de ses nobles bontés. Le vieux duc l’embrassa en lui promettant bon souvenir et lui donna un de ses chevaux, un genêt d’Espagne qui avait coûté cinq cents couronnes, et comme Herbert cherchait à reconnaître cette libéralité, il lui fit dire gracieusement que, si en revenant en Angleterre il pouvait lui envoyer une jument qui allât l’amble naturel, il lui ferait un grand plaisir.

Après le connétable, notre voyageur ne se réjouit de rien tant que d’avoir vu chez son ambassadeur cet vicomparable érudit {scholar) Isaac Casaubon, et d’avoir mis à profit son docte entretien. Quant au roi Henri IV, il demanda un jour dans le jardin des Tuileries qui était Herbert, l’accueillit avec son affabilité ordinaire, l’embrassa, et le fit longtemps causer. La reine répudiée, Marguerite de Valois, tenait alors une cour assez brillante. Elle fit inviter Herbert à ses bals et à ses mascarades. À l’une de ces réunions, il était à côté d’elle, et l’on attendait l’entrée des danseurs, lorsque quelqu’un frappa à la porte un peu plus fort que d’usage. Puis le personnage parut, et l’on entendit aussitôt murmurer parmi les dames : « C’est M. de Balagny. » Ce fut alors à qui l’aurait près de soi, et lorsqu’une des dames l’avait retenu quelques momens, les autres lui disaient : « Vous en avez joui assez longtemps, il faut que je l’aie à mon tour. » Cependant sa personne n’avait rien aux yeux d’un étranger qui motivât un accueil si recherché. Ses cheveux grisonnans étaient coupés très court, son pourpoint était d’une grosse toile taillée en chemise et ses hautes-chausses d’un drap gris assez commun. Herbert demanda qui ce pouvait être. On lui apprit que c’était un des plus braves hommes de France, et qu’ayant tué huit ou neuf personnes en combat singulier, les dames ne croyaient jamais en avoir trop fait pour lui.

C’était Damien de Montluc, seigneur de Balagny, le fils du maréchal de ce nom, de ce bâtard de Montluc, qui eut pour père le célèbre évêque de Valence. Il était par sa mère, Renée de Clermont, neveu de Bussy d’Amboise, et il avait hérité de son oncle cette bravoure querelleuse tant admirée des beautés de la cour, et qui devait deux ans plus tard le faire tomber sous les coups du baron de Puymorin.

Herbert n’eut pour cette fois aucune affaire avec lui, et il songea bientôt à retourner en Angleterre. Il y débarqua par une tempête qui lui fournit encore l’occasion de donner quelque marque d’intrépidité, soigneusement racontée dans ses mémoires ; mais bientôt d’autres rencontres s’offrirent où il put plus utilement montrer son goût pour le péril et un courage digne du métier des armes.

En 1609, le duc de Clèves était mort sans enfans, et tout le monde, disait Henri IV, était son héritier. Cette succession divisait l’Europe. Le roi de France, allié avec l’Angleterre et la Hollande, résolut de la disputer à l’empereur, qui la prétendait par droit de dévolution, et qui déjà s’était emparé de Juliers. Les héritiers que soutenait Henri IV étaient les princes protestans marquis de brandebourg et comte palatin de Neubourg ; mais cette affaire isolée n’était pour lui que l’occasion longtemps attendue d’attaquer la maison d’Autriche, de relever ou de créer les grandes confédérations d’alliés sur lesquelles il voulait appuyer la politique de la France, et de reconstituer l’Europe libre de l’influence prépondérante qui pesait sur elle depuis Charles-Quint. Ses finances et ses armées avaient été dès longtemps préparées pour ce grand dessein, auquel s’associaient l’Angleterre, les Provinces-Unies, les puissances allemandes protestantes, plusieurs des petits états d’Italie. C’est à ce moment solennel de sa vie que le grand roi fut assassiné. On mesurerait difficilement le mal que depuis des siècles l’esprit absurde et pervers dont les Ravaillacs furent les tristes instrumens a fait à la France et au monde.

Cependant Maurice de Nassau, prince d’Orange, avait, en vertu des traités, commencé le siège de Juliers. Il attendait une armée française et un contingent de troupes anglaises. C’est à cette expédition que sir Édouard Herbert résolut de prendre part en volontaire. En arrivant devant Juliers, il trouva la place investie. Sir Édouard Cecil[9], qui avait amené les quatre mille Anglais, le reçut avec empressement dans son quartier, et l’on vit arriver bientôt le maréchal de La Chastre[10] conduisant l’armée française qu’avait dû commander Henri IV en personne (18 août 1610). Diverses attaques furent dirigées contre la place, et un jour que Herbert et son général visitaient le point où les Français pressaient un des bastions, ils rencontrèrent Balagny qui servait comme colonel. « Monsieur, dit celui-ci, on assure que vous êtes un des plus braves de votre nation, et moi je suis Balagny, allons voir lequel fera le mieux. » En même temps il sauta dans la tranchée l’épée au poing, et l’Anglais l’y suivit sans hésiter. Ce fut à qui s’approcherait le plus du boulevard en face, et trois ou quatre cents coups de feu partirent successivement à leur adresse. « Pardieu ! monsieur, lui dit Balagny, il fait bien chaud ici. — Monsieur, répondit l’Anglais, vous vous en irez le premier, ou je ne m’en irai pas. » Il ajoute que, Balagny ayant pris bientôt le parti de se retirer assez lentement, il le suivit à petits pas. Cette bravade ne fut pas du goût du prince d’Orange ; mais l’humeur vaine et entreprenante de notre héros ne devait pas s’arrêter là. Il commença par se prendre de querelle avec lord Howard de Walden[11], qui, en revenant d’une fête où, suivant la coutume flamande, on avait bu plus que de raison, le menaça pour un mot. Un rendez-vous fut pris ; les deux champions devaient se battre à cheval avec une seule épée, et Herbert alla attendre dans un bois son adversaire, qui fut retenu par les officiers de son corps, mal satisfaits d’un duel aussi frivole en pleine guerre. Après quelques heures passées inutilement sur le terrain, il se retirait par le quartier des Français, et là, se rappelant L’épreuve à laquelle Balagny l’avait voulu mettre, il alla le trouver pour lui en proposer une autre. « J’ai entendu dire que votre maîtresse était belle et que votre écharpe était un don de sa main. Je soutiens que ma maîtresse vaut mieux qu’elle, et que je ferais pour elle plus que vous ou tout autre ne feriez pour la vôtre. » Balagny le regarda en riant, et lui proposa un défi d’un tout autre genre auprès de deux beautés moins vénérables, n’étant point d’humeur pour sa part à se battre pour si peu. Herbert répondit avec un regard assez dédaigneux que c’était parler plus en libertin qu’en chevalier, et s’éloigna pour chercher fortune ailleurs. Il crut l’avoir trouvée en rencontrant un gentilhomme du duc de Montmorency qui lui dit qu’il avait une affaire. Il offrit de lui servir de second, mais l’autre était déjà pourvu, et il rentra, ayant perdu son temps, au quartier des Anglais. Il ne lui restait qu’une ressource, et il n’y renonçait pas : c’était de pousser à bout sa querelle avec lord de Walden. En arrivant, il trouva sir Thomas Somerset[12] qui faisait manœuvrer quelques cavaliers, et celui-ci lui ayant dit des paroles un peu vives au sujet de son affaire, il mit pied à terre, tira son épée, et voyant toute la compagnie en faire autant, il se rua sur elle, joignit sir Thomas, et voulait lui couper la gorge, si l’on ne l’eût pris à bras le corps et forcé à faire demi-tour. Cependant il allait recommencer, mais les gens regagnaient leurs tentes, et il les laissa en repus, emportant dans ses habits plusieurs estocades, dont une lui avait déchiré les côtes. Il lui fallut revenir à la tranchée pour y figurer en soldat, et il eut le chagrin de voir la fin du siège sans obtenir de lord de Walden la faveur de mesurer leurs épées. Le récit minutieux de ces duels manques compose presque toute son histoire de la campagne, et il semble n’avoir vu dans la guerre qu’une occasion favorable à des prouesses de chevalier errant.


IV

Cette manie, qu’il paraît avoir exagérée même pour le temps, le renom de raffiné qu’elle dut lui valoir, donnèrent, selon lui, quelque éclat à son retour. Il fut l’été par tout le monde. Richard, comte de Dorset, à qui il était tout à fait étranger, l’invita à venir chez lui, le promena dans sa galerie de tableaux, et l’arrêta devant un cadre en l’engageant à tirer le rideau de taffetas vert qui le couvrait. Il obéit, et vit son propre portrait. C’était la copie d’un tableau qu’il avait fait peindre avant son départ. « Et non-seulement, dit-il, le comte de Dorset, mais une personne, de trop grande qualité pour que je la veuille nommer, en commanda une autre copie à Larkin, et la fit placer dans son cabinet, sans que j’en aie alors rien su, ce qui donna à ceux qui virent ce tableau après sa mort plus matière à gloser que je ne l’aurais souhaité, je puis ajouter même, en toute vérité, que ce soin d’avoir mon portrait m’a été fatal pour plus de raisons que je ne juge à propos de le dire. » Ce ton de fatuité mystérieuse cache, assure-t-on, une allusion à l’intérêt secret qu’il aurait inspiré à la reine Anne de Danemark, femme de Jacques Ier. Il est moins discret à l’endroit de lady Ayres, femme d’un baronnet de ce nom, laquelle, ayant fait copier en miniature le tableau de Larkin, le suspendit à son cou de manière à le cacher dans son sein. Son mari vint à le savoir et en conçut une grande jalousie, quoique rien ne se fût passé entre elle et l’original qui excédât les empressemens de courtoisie d’un homme du monde envers une femme d’esprit. Herbert ignorait même tout ce mystère, lorsqu’un jour, étant entré dans la chambre de lady Ayres, il la vit à travers les rideaux couchée sur son lit et tenant d’une main une bougie allumée, de l’autre un portrait. À son approche, elle souffla la bougie et cacha le portrait ; mais il marcha droit à elle, ralluma le flambeau, et parvint à voir la figure qu’elle contemplait avec une attention si passionnée : cette figure était la sienne. Le Dieu éternel lui est témoin, dit-il, que l’honneur de cette dame est resté sauf. Une autre lady qu’il ne nomme point, et qui pourrait bien être la reine, lui faisait dire souvent de la venir voir, et il s’en abstenait autant qu’il le pouvait sans l’offenser. Il explique toute sa conduite par son amour pour une autre dame anonyme, qu’il proclame la plus belle de son temps. Toutefois, agité de cette complication d’aventures, il en eut la fièvre, et il commençait à se remettre, lorsqu’il apprit de plusieurs amis que sir John Ayres, toujours poursuivi de soupçons jaloux, voulait le venir tuer dans son lit. Comme on lui conseillait de se faire garder, il pria son parent sir William Herbert, celui qui fut plus tard lord Powis[13], d’aller trouver sir John, et de lui faire part de l’étonnement où le jetaient des avis si étranges, ajoutant que s’il s’agissait d’une entrevue plus loyalement demandée, il serait à ses ordres dès qu’il pourrait se tenir debout. La réponse fut ambiguë. Le mari, se croyant outragé, persistait dans son noir dessein ; mais, n’ayant pu surprendre un ennemi bien averti, il lui écrivit pour lui demander un entretien, en lui promettant sûreté. Herbert répondit qu’il le venait sur le terrain ou qu’il ne le verrait pas du tout, étant instruit de ses projets d’assassinat. En effet, un jour qu’il était allé à Whitehall avec deux laquais, sir John Ayres se mit en embuscade, en compagnie de quatre hommes armés, au lieu nommé Scotland-Yard, derrière le palais en venant du Strand. Il attendit qu’Herbert montât à cheval à Whitehall-Gate, et l’épée d’une main, une dague de l’autre, il se porta sur lui à l’improviste, mais heureusement ne blessa que son cheval au poitrail. L’animal effrayé se jeta de côté, ce qui donna à Herbert le temps de tirer son épée. Cependant l’assassin l’attaqua de nouveau, et ses satellites blessèrent le cheval, qui, en ruant et se défendant, les tint à distance. Herbert s’était mis en défense, mais son épée se rompit, et un passant, le voyant ainsi presque désarmé, sur un cheval tout sanglant, lui cria à plusieurs reprises de gagner au large. Le paladin, ne voulant pas qu’il fut dit qu’il eût jamais fui, essaya de descendre, et il avait déjà mis un pied à terre, que le cheval, toujours pressé par les assaillans, le poussa violemment et le renversa, l’autre pied pris dans l’étrier. Le danger était grand, et voyant son ennemi faire le tour du cheval et courir sur lui l’épée haute, il le saisit violemment par les deux jambes et le fit tomber sur le dos. De ses deux valets, l’un s’était enfui ; l’autre le dégagea, et quand il fut debout, il se trouva en face de sir John, qui avait ses estafiers à ses côtés, son frère derrière lui, et qu’entouraient vingt ou trente de ses amis ou des serviteurs du comte de Suffolk, alors grand trésorier d’Angleterre. À ce moment, il fondit avec son épée brisée sur son ennemi, qui couvrit sa tête pour parer le coup, et il lui poussa en pleine poitrine une botte à fond qui le porta par terre, la tête la première. Les assaillans s’apprêtaient à le défendre ou à le venger, quand un Gallois et un Écossais qui se trouvaient là tâchèrent de s’emparer de deux d’entre eux. Herbert n’eut plus affaire qu’aux deux autres, dont il réussit à parer les atteintes. Voyant alors sir John Ayres relevé, il comprit qu’il ne pouvait plus le combattre qu’à la lutte. En écartant son épée de la main gauche, il se sentit percer le côté droit d’un coup de dague ; mais avec un mouvement de son bras droit il le força à lâcher cette arme, que sir Henry Cary, qui se trouvait là, retira de la plaie. Serrant de près sir John, il le frappa à la tête, le terrassa une seconde fois, et de son tronçon d’épée lui fit plusieurs blessures en parant du même mouvement les bottes des autres assaillans. Ceux-ci, voyant le danger de leur chef, le saisirent par la tête et les épaules, et l’emportèrent à travers Whitehall jusqu’aux escaliers de la Tamise, où ils prirent un bateau. Herbert, maître du champ de bataille, y ramassa les armes de son adversaire ; il songea ensuite à faire visiter ses blessures, et il en fut quitte pour dix jours de soins. À peine guéri, il envoya défier sir John Ayres à un duel régulier ; celui-ci lui répondit qu’il avait séduit sa femme et qu’il le tuerait par la fenêtre, d’un coup de mousquet.

L’affaire fit grand bruit. Les lords du conseil privé l’évoquèrent. Ils voulurent voir l’arme brisée, instrument d’une si intrépide défense, et citèrent les deux combattans devant eux. Herbert s’absenta en persistant à faire appeler sir John, qui refusa le cartel et à qui il fallut le présenter à la pointe d’une épée. Il soutenait que sa femme avait été déshonorée et qu’elle-même lui en avait fait l’aveu. Justement offensée, lady Ayres écrivit à sa tante, lady Crook, une lettre où elle donnait un formel démenti à cette double assertion. Quand cette lettre fut dans les mains d’Herbert, il comparut devant le conseil privé. Interrogé parle duc de Lenox, lord grand-maître de la maison royale, il ne répondit qu’on produisant cet important témoignage. La lettre fut lue par le clerc du conseil, et Lenox déclara que sir John Ayres était un misérable, à qui sa femme donnait un démenti et que son père allait déshériter. En même temps il enjoignit à Herbert, au nom du roi et de leurs seigneuries, de ne pas pousser plus loin l’affaire, et de n’envoyer ni recevoir à l’avenir aucun cartel de combat avec le même adversaire. Herbert affirme qu’il obéit, et que même plusieurs années après, rencontrant sir John à Beaumaris, il arrêta ses gens qui le voulaient tuer, et lui fit dire qu’il pouvait se retirer sain et sauf. Il raconte d’ailleurs que son aventure avait eu assez d’éclat pour qu’il vît arriver peu après un gentilhomme chargé par le duc de Montmorency de lui offrir asile dans sa maison, où il serait reçu comme un fils.

Trois ans plus tard, la guerre toujours active entre l’Espagne et la Hollande le rappela dans les Pays-Bas. La succession de Clèves et Juliers était toujours en litige. Nassau et Spinola se disputaient les places des bords du Rhin. Herbert cette fois encore fut honorablement accueilli par le prince d’Orange, qu’il suivit à la prise d’Emmerick et de Rees. Il serait trop long de répéter les anecdotes caractéristiques dont il a semé son récit fort succinct de la campagne de 1614. Elles attesteraient cependant une singulière obstination à ne chercher à la guerre que d’inutiles combats individuels et à raconter ses hauts faits en ce genre avec une inaltérable bonne opinion de lui-même. Dès que les opérations militaires furent suspendues, il visita l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. Il vit Venise, Rome et Florence, et il nous a laissé de cette course un curieux itinéraire, où il parle en homme qui aime la musique et ne songe pas à la peinture. À Rome, où un Anglais protestant était alors mal accueilli, il alla descendre au collège de sa nation, et demanda à voir le supérieur. « Je n’ai pas besoin, lui dit-il, de vous nommer mon pays, vous m’entendez parler. Je ne viens pas ici pour étudier la controverse, mais pour voir les antiquités de la ville. Si je puis avoir cette liberté, sans outrage pour la religion dans laquelle je suis né et j’ai été élevé, je serais charmé de passer ici le temps nécessaire, sinon mon cheval n’est pas dessellé, et je suis tout prêt à m’en aller. » Le supérieur était un grave personnage qui lui répondit que jusque-là il n’avait entendu personne professer une autre religion que celle de Rome, que pour lui il approuvait fort une franchise qui annonçait un homme d’honneur, qu’il ne pouvait d’ailleurs lui donner aucune garantie, mais qu’il savait par expérience que ceux qui n’outrageaient pas la religion catholique ne recevaient aucun outrage. Puis, ayant appris qu’il avait affaire à sir Édouard Herbert, il l’invita à dîner. Le protestant refusa, mais non sans le payer d’un petit compliment philosophique, en lui disant que les points sur lesquels ils étaient d’accord devaient plus les unir que ne les devaient diviser les points sur lesquels ils ne s’accordaient pas ; qu’il aimait, quant à lui, tout homme de piété et de vertu, et regardait les erreurs, de quelque côté qu’elles fussent, comme plus dignes de pitié que de haine. Il passa ensuite un mois a visiter les curiosités de Rome, et il y aurait prolongé son séjour s’il n’avait eu la fantaisie de voir le pape siéger en consistoire ; mais là, s’apercevant que le saint père allait lui donner sa bénédiction, il s’esquiva, ce qui parut suspect ; on courut après lui et il regagna son auberge pour chercher son cheval. Il n’y était pas depuis une demi-heure qu’il vit accourir le supérieur du collège des Anglais pour l’informer qu’il était traduit devant l’inquisition, et lui conseiller de partir au plus vite. Il déménagea sur-le-champ et partit deux jours après.

À Turin, il se laissa donner par le duc de Savoie, qui lui fit très bon accueil, la commission d’aller chercher en Languedoc quatre mille hommes de la religion réformée qu’on lui avait promis, et de les amener en Piémont. Il rentra donc en France, et de son voyage jusqu’à Lyon il n’aurait rien à raconter, s’il ne s’était arrêté à Bourgoin pour y voir la fille d’un hôtelier qui avait jusqu’en Angleterre la réputation d’être la plus belle femme du monde. Il a eu l’attention de nous laisser de ses charmes et de sa toilette la description la plus séduisante. En arrivant à Lyon, les gardes de la ville l’interrogèrent d’une façon qui ne lui parut pas naturelle. En effet, le marquis de Rambouillet[14], ambassadeur de France à Turin, avait prévenu Saint-Chaumont, qui commandait à Lyon[15], et un édit de la régente Marie de Médicis venait d’interdire toute levée d’hommes dans le royaume. Les gardes s’emparèrent donc du voyageur suspect, et le conduisirent au gouverneur, qui était à vêpres. Herbert attendit quelques momens dans l’église, puis vint un personnage en habit noir qui le salua sans grande cérémonie et lui adressa quelques questions. Il répondit fort sèchement. L’homme noir murmura quelque chose à l’oreille des gardes, qui menèrent l’étranger dans une assez belle maison où on lui dit qu’il devait garder les arrêts par ordre du gouverneur. Il s’écria qu’il ne reconnaissait ni le gouverneur ni l’ordre, et que s’il parvenait à sortir de là, on ne l’y ferait pas rentrer vivant. Le maître du lieu ne répondit qu’en le logeant du mieux qu’il put. Bientôt arriva sir Édouard Sackville. Il avait parlé au gouverneur, et il apportait l’offre de ses bons offices. Il demanda au prisonnier s’il avait levé des hommes pour le duc de Savoie. « Pas un, » répondit Herbert. Sackville lui apprit alors que le gouverneur était fort choqué du ton de ses réponses. Herbert s’excusa sur ce qu’il ignorait à qui il parlait. Sackville sortit et revint peu après le délivrer de la part du marquis de Saint-Chaumont, chez lequel il le conduisit. Il y trouva la marquise et nombreuse compagnie. Le gouverneur s’avança, le chapeau à la main, et lui demanda s’il le connaissait. « Comment vouliez-vous qu’il vous connût ? dit aussitôt la marquise. Vous étiez seul dans l’église et en habit noir, et tous deux vous êtes totalement étrangers l’un à l’autre. » Saint-Chaumont n’en renouvela pas moins ses questions, auxquelles Herbert fit à peu près les mêmes réponses ; puis, après avoir salué la dame du lieu, il rentra avec Sackville dans son logis. Là il réfléchit à tout ce qui s’était passé, et, après une nuit assez calme, le résultat de ses méditations fut qu’il ne pouvait se dispenser d’envoyer une provocation au discourtois gouverneur. Sir Édouard Sackville refusa de se charger de la commission ; mais un Français, qui se trouva précisément celui à qui Herbert avait, au siège de Juliers, offert de servir de second, fut plus complaisant et voulut bien porter à Saint-Chaumont la lettre de défi, qu’il trouva d’ailleurs fort civile. La nuit suivante, notre malendurant voyageur dormait dans son auberge, quand vers une heure du matin il est réveillé par le bruit de quelques personnes qui semblent forcer sa porte. Il se lève en chemise, tire son épée, ouvre sa porte, et trouve sur l’escalier une demi-douzaine d’hommes armés de hauberts. Déjà il se mettait en devoir de leur faire résistance, mais leur chef l’informe qu’il vient de la part du duc de Montmorency. C’était le fils du défunt connétable[16] qui, revenant de Languedoc à Paris, avait tout appris en passant à Lyon. Il attendait chez le gouverneur l’ancien ami de son père. Herbert s’habilla en hâte et fut conduit, dans une grande salle où il venait d’y avoir assemblée et bal. Là, Montmorency le prit à part, lui dit que Saint-Chaumont ne pouvait accepter un duel pour avoir exercé une fonction de sa charge, mais qu’il lui ferait aussi ample satisfaction qu’il serait raisonnable de le désirer. Il le mena donc au gouverneur, et celui-ci lui dit qu’il était fâché de ce qui s’était passé et désirait qu’il prit cela pour satisfaction. « C’est assez, » interrompit aussitôt le duc ; mais l’ombrageux Anglais voulut encore que Montmorency lui certifiât qu’à sa place il se contenterait de cette réparation. Il adressa la même question au marquis de Saint-Chaumont, qui lui fit la même réponse. Alors, baisant sa propre main, il la tendit au gouverneur. Celui-ci l’embrassa, et l’affaire fut ainsi terminée.

On conçoit que la mission du duc de Savoie n’eut pas de suite, et Herbert rejoignit le prince d’Orange. L’année 1615 se passa pacifiquement, et aux approches de l’hiver, il songea à revenir dans sa patrie. Chemin faisant, il eut encore une ou deux querelles qui faillirent devenir sérieuses : il les raconte avec un soin que nous n’imiterons pas ; mais enfin il revit l’Angleterre, où la fièvre le prit et ne le quitta pas d’un an et demi. Il n’avait pas recouvré ses forces, que déjà il prenait par la barbe, en pleine rue, un homme qui insultait un de ses amis, et il voulait lui donner une leçon à coups d’épée. Les lords du conseil le firent encore appeler, et lui recommandèrent la prudence, surtout dans l’état de faiblesse où l’avait mis sa longue maladie. C’est vers ce temps qu’il connut dans le monde sir George Villiers, depuis marquis et enfin duc de Buckingham. Ce personnage, qui commençait à faire grande figure à la cour de Jacques, lui témoigna beaucoup de bienveillance, et lui fit des offres de service. Herbert les accepta sans chercher à en profiter, et il attendit, son parlait rétablissement pour songer à quelque projet. Le premier qui l’occupa fut de lever deux régimens pour les conduire au service de la république de Venise ; mais, lorsqu’il fut question d’envoyer un nouvel ambassadeur en France, Villiers présenta une liste de dix-huit noms, parmi lesquels le roi choisit celui de sir Édouard Herbert. Ce choix fut approuvé par les lords du conseil privé. Il était si loin de s’y attendre, qu’ayant reçu l’ordre de se présenter devant eux, il leur fît dire qu’il allait dîner. L’ordre fut renouvelé, et il se rendit à Whitehall, demandant s’il avait commis quelque manquement dont il eût à se justifier. Ses duels jusqu’alors l’avaient seuls amené devant le conseil. Il y parut cette fois pour s’entendre annoncer qu’il était ambassadeur[17].


V

Sa mission avait pour principal objet le renouvellement de l’alliance entre les deux couronnes, et on lui donna pour ses frais de voyage 6 ou 700 livres sterling, qu’il eut à défendre la nuit suivante l’épée à la main contre une bande de voleurs furtivement introduite dans sa maison de la Cité. Peu s’en fallut qu’avant de partir il ne dût se mesurer avec sir Robert Vaughan pour quelques propos. Deux rendez-vous furent pris successivement. Il fallut que le roi chargeât le lord du sceau privé d’arranger l’affaire et de lui notifier qu’étant désormais revêtu d’un caractère public, il ne devait plus avoir de querelles particulières. Il aurait même été révoqué, si Buckingham n’eût répondu pour lui.

Dans son goût pour les détails, dès qu’ils touchent sa personne, il n’a pas négligé de nous dire que, comptant peu sur l’exactitude des paiemens de l’échiquier, il se mit en route avec de bonnes lettres de crédit délivrées sur sa parole. Je remarque que l’une était tirée sur MM. Tallemant et Rambouillet, associés fort connus des lecteurs modernes, et dont il évalue la fortune à 2,500,000 livres[18]. Il se logea à Paris, rue de Tournon, faubourg Saint-Germain, moyennant un loyer de 200 louis. De là il se rendit à Tours, où se trouvait le roi. Nous donnerons le récit textuel de sa première audience :

« J’assurai le roi de la grande affection que lui portait le roi mon maître, non-seulement à raison de l’ancienne alliance entre les deux états, mais parce que Henri IV et le roi d’Angleterre étaient convenus entre eux que le survivant des deux prendrait soin du fils de l’autre. Je lui donnai en outre l’assurance que rien ne m’était autant recommandé par mes instructions que d’établir des rapports de bons offices entre les deux royaumes, et que ce serait grande faute à moi, si ma conduite témoignait d’autre chose que d’un profond respect pour sa majesté. Cela dit, je présentai ma lettre de créance. Le roi m’assura d’une réciprocité d’affection envers le roi mon maître, et me dit que j’étais en particulier le bienvenu à la cour. Ses paroles n’étaient jamais fort abondantes, étant si excessivement bègue, qu’il restait souvent la langue bois de la bouche un bon moment sans pouvoir prononcer un mot. Il avait en outre une double rangée de dents. Rarement ou jamais on ne le vit cracher, se moucher ni beaucoup transpirer, quoiqu’il fût très actif et presque infatigable à la chasse au tir et à l’oiseau, pour laquelle il était passionné, et jamais rien ne l’arrêtait, Quoiqu’il eût ce que nous appelons une rupture, ou qu’il fût herniosus ; car il était cité dans tous les exercices, fallût-il se tenir sur ses jambes au point de fatiguer et ses courtisans et ses valets, étant également insensible, disait-on, au froid et à la chaleur. Son entendement et ses facultés naturelles avaient toute la valeur qu’on peut attendre d’un homme élevé dans une si grande ignorance, ce qu’on avait fait à dessein pour le pouvoir gouverner plus longtemps. Cependant il acquit avec le temps beaucoup de connaissance des affaires, en conversant le plus ordinairement avec gens sages et habiles. Il était noté pour deux dispositions habituelles à tout homme élevé dans l’ignorance, il était soupçonneux et dissimulé. Les ignorans en effet marchant dans l’obscurité, comment pourraient-ils ne pas craindre de faire un faux pas ? Et comme ils sont dépourvus pareillement ou privés des vrais principes par lesquels ils pourraient diriger leurs actions publiques ou particulières d’une manière sage, solide et démonstrative, ils s’efforcent communément d’y suppléer par des moyens couverts, excusables chez les faibles, usités chez ceux qui n’ont à mener que de petites affaires, mais condamnables chez les princes, qui, ayant pour les appuyer dans leur marche la raison et la force, ne devraient pas s’abaisser à de si tristes expédions. Toutefois, je dois le remarquer, jamais cela n’ôta rien à son courage, lorsqu’il eut l’occasion d’en montrer, et sa dissimulation n’alla jamais jusqu’à faire aucun tort privé à ses sujets de l’une ou de l’autre religion. Son favori était un M. de Luynes, qui dès son jeune âge avait beaucoup gagné auprès de lui en dressant des faucons à voler sur tous les petits oiseaux de ses jardins, et en faisant ensuite à ces petits oiseaux attraper des papillons. Et si le roi ne s’en était servi que pour cela, on aurait pu le tolérer ; mais quand le roi fut plus avancé en âge, le gouvernement des affaires publiques ayant été principalement dirigé par les conseils de Luynes, il ne se commit pas peu de fautes. La reine-mère, les princes et nobles de ce royaume furent si mécontens de l’empire de ses conseils sur le roi, qu’il en résulta finalement une guerre civile. L’inaptitude de cet homme pour le rôle d’influence qu’il avait près de son maître peut se juger par un fait : il fut question une fois de quelques affaires concernant la Bohême, et il demanda si c’était un pays au milieu d’un continent ou sur une mer. »

Herbert avait le projet d’écrire une relation politique de son ambassade, ayant conservé toutes ses dépêches, qui doivent exister encore et qui mériteraient d’être recherchées. Les événemens dont il dit que sa relation aurait parlé font regretter qu’il n’ait pas écrit ce morceau d’histoire. Il a insisté dans ses mémoires sur des visites, sur la tenue de sa maison et de sa table, sur le choix de ses domestiques, enfin sur des disputes de préséance et d’étiquette. On y peut lire le récit assez curieux d’une querelle de ce genre avec l’ambassadeur d’Espagne. On doit se fier à lui pour avoir soutenu son rang avec une ombrageuse ténacité. Il s’en excuse en rappelant combien les Espagnols sont eux-mêmes chatouilleux sur leurs pundonores (points d’honneur), et il cite cette réponse d’un ambassadeur de Philippe II, à qui ce prince reprochait d’avoir fait une affaire d’importance d’une pure cérémonie [per una ceremonia) : « Comment ! cérémonie ! mais votre majesté elle-même n’est qu’une cérémonie. »

L’ambassade de sir Édouard Herbert fut de son aveu assez tranquille. Aussi a-t-il peu de chose à en raconter, si ce n’est qu’il grandit d’un pouce à la suite d’une fièvre quarte, et qu’ayant laissé sa femme en Angleterre, il ne put réussir à lui rester en France toujours fidèle ; mais les affaires et même les plaisirs lui laissèrent au moins du temps pour son livre, for my book, comme il dit, et c’est à Paris qu’il composa la plus grande partie de son Traité de la Vérité.

Dans ses mémoires, il ne dit mot ni des démêlés de Louis XIII et de sa mère, ni de la guerre de trente ans, qui commença en 1618, et peu s’en est fallu que l’épisode le plus intéressant de son ambassade n’ait été une certaine promenade dans le jardin des Tuileries, un jour qu’il eut l’honneur d’y donner le bras à la reine Anne d’Autriche. Le roi, pendant ce temps, tirait sans la voir des oiseaux sous les arbres. Un coup de feu subit effraya la reine, et même quelques grains de plomb tombèrent dans ses beaux cheveux blonds célébrés par l’histoire. Elle fit prier le roi de chasser un peu plus loin, et le vieux duc de Bellegarde, qui se posait en adorateur de la reine, se glissant derrière elle, se mit à jeter doucement des bonbons dans sa coiffure. Anne crut encore à quelque accident. « Et je m’étonne, dit Herbert au duc, qu’un seigneur si renommé pour sa galanterie ne sache occuper les dames qu’en leur faisant peur. » Mais une affaire importante vint troubler la paisible diplomatie du chevaleresque ambassadeur. Il régnait toujours dans certains esprits une arrière-pensée contre la grande œuvre de Henri IV. L’extinction de l’hérésie ou tout au moins l’abaissement des huguenots ne cessait pas d’être un rêve fatal qui hantait par momens L’imagination de Louis XIII, comme il s’empara plus tard de celle de Louis XIV. Herbert, dans ses mémoires, accuse positivement le duc de Luynes d’avoir, pour illustrer sa faveur, excité son maître à une guerre de religion, lui représentant la gloire que les rois d’Espagne s’étaient faite en expulsant les Maures de leurs états ; mais dans une dépêche chiffrée qu’on a publiée (février 1620), sir Édouard, rendant au secrétaire d’état Naunton un compte détaillé d’un conseil où la question du protestantisme fut mise en délibération, paraît attribuer à Louis XIII en personne l’initiative de la pensée de la guerre. Le prince de Condé, sans respect pour les plus grands souvenirs de sa maison, l’aurait appuyée avec violence. D’autres ministres auraient présenté les fortes objections de la bonne politique, et Luynes ayant dit quelques mots dans le sens de la paix : « Vous ne savez ce que vous dites, » se serait écrié le roi en l’interrompant. Il est certain que la guerre fut décidée contre le gré de Sillery et de Jeannin (ils avaient été les ministres de Henri IV), et que le duc de Luynes s’y porta avec ardeur, trouvant là le singulier prétexte de se faire donner le titre de connétable, vacant depuis la mort du vieux Montmorency.

Quand la campagne contre les huguenots fut résolue, le parti jésuite, dit Herbert, et quelques-uns des princes applaudirent. Le duc de Guise était triomphant. « Monsieur, lui dit l’ambassadeur anglais, quand ceux de la religion seront abattus, viendra le tour des grands et des gouverneurs de provinces. » La guerre n’en commença pas moins. C’était une déviation morale des alliances de Henri IV. Herbert fut chargé par son gouvernement de faire des représentations. On lui répondait que si la réformation eût été en France telle qu’en Angleterre, si elle avait maintenu une hiérarchie, des cérémonies convenables, de la musique dans les églises, des jours de fêtes en commémoration des saints, on l’eût beaucoup mieux tolérée. Il répliquait que, bien que les motifs d’une rupture avec Rome eussent été enseignés par des sages, la réformation avait été accomplie par le commun peuple, tandis qu’en Angleterre elle était l’œuvre du chef de l’état ; que d’ailleurs elle admettrait aisément en France une hiérarchie, pourvu qu’on lui donnât les moyens de la soutenir, et que son culte serait plus beau, si ses églises étaient plus belles. Il faisait remarquer combien l’exemple des ministres de la religion avait servi à rendre le clergé catholique plus régulier et plus retenu. Enfin il exaltait le mérite d’une société chrétienne qui ne reconnaissait dans le gouvernement des affaires qu’une seule autorité, celle du roi. Malheureusement on l’écoutait peu. Par ordre venu de Londres, il se rendit auprès de Louis XIII, alors occupé au siège de Saint-Jean-d’Angely, afin de ménager une pacification ; mais Louis XIII le renvoya à M. de Luynes. Le favori, en le recevant, avait fait cacher derrière une tapisserie un des Arnauld, alors protestant, mais du parti du roi, afin qu’il attestât à ses coreligionnaires l’inutilité des efforts du cabinet de Londres en leur faveur. À l’offre que lui fit l’ambassadeur de la médiation du roi son maître : « En quoi nos actions regardent-elles le roi votre maître ? répondit Luynes. Pourquoi se mêle-t-il de nos affaires ? » Herbert, un peu blessé, dit qu’il n’avait aucun compte à réclamer du roi son maître, et ne devait que lui obéir. Puis il ajouta d’un ton plus doux que, si on lui demandait plus civilement ses raisons, il était prêt à les donner. « Bien, » dit seulement Luynes. Alors l’ambassadeur rappela les engagemens de Jacques Ier avec le feu roi : celui des deux qui devait survivre avait promis de procurer de tout son pouvoir la tranquillité et la paix au royaume de l’autre, et dans les circonstances, si la France était délivrée de la guerre civile, elle serait plus disponible pour appuyer l’électeur palatin contre la Bavière et l’Autriche. « Nous ne prendrons point vos avis, » fut toute la réplique du jeune connétable. On lui répondit que, puisqu’il le prenait ainsi, on savait bien ce qu’on aurait à faire. « Nous ne vous craignons pas, » s’écria Luynes ; et quoique Herbert, restant, dit-il, en-deçà de ses instructions, se bornât à répéter ses dernières paroles, elles mirent son interlocuteur en une telle colère, qu’il alla jusqu’à dire : « Par Dieu ! si vous n’étiez monsieur l’ambassadeur, je vous traiterais d’une autre sorte. » L’épreuve était rude pour un homme du tempérament de sir Édouard. Il n’y tint pas. Il rappela que s’il était un ambassadeur, il était aussi un gentilhomme, et mettant la main sur la garde de son épée : « Voici, dit-il, ce qui vous répondra. » Et il se leva. Luynes, sans mot dire, quitta son siège et fit mine de le reconduire jusqu’à la porte ; mais Herbert lui dit qu’après un tel entretien, ce cérémonial n’était pas de saison, et il sortit.

Peu de jours après, il se retira à Cognac, où le maréchal de Saint-Géran, qui était de ses amis[19], le prévint qu’ayant offensé le connétable, il n’était pas en sûreté. Il répondit qu’il était en sûreté partout où il avait son épée à son côté. Quand il revint à Paris, les autres ministres et les seigneurs lui firent fête, car tous détestaient le pouvoir et l’insolence du favori ; mais il apprit d’eux que Luynes envoyait son frère en ambassade à Londres, afin de porter plainte contre lui. Il fut en effet rappelé, se justifia en présence du roi et du duc de Buckingham, s’engagea à soutenir son dire en champ-clos, et demanda la permission d’envoyer un trompette à M. de Luynes pour lui offrir le combat. Ce procédé diplomatique ne fut pas agréé, et d’ailleurs le connétable mourut bientôt après (16 décembre 1621). Seulement le comte de Carliste[20], envoyé extraordinairement en France, confirma, sur le témoignage d’Arnauld, qui avait tout entendu, la relation de sir Édouard, qui retourna prendre son poste à Paris. Il y fut bien reçu, n’y trouvant personne qui regrettât le favori. Et comme la reine Anne était en tête de ceux qui ne le pleuraient pas, il lui demanda, un jour d’audience, jusqu’où elle l’aurait soutenu contre le connétable. Elle répondit que, malgré bien des motifs d’aversion contre M. de Luynes, elle eût été, par force ou par raison, obligée de se déclarer pour lui. Il n’y a point de force pour les reines, répondit-il en espagnol. La pauvre Anne d’Autriche sourit, mais, je crois, d’un triste sourire.

La politique de la France au dehors avait faibli. La bataille de Prague avait relevé la ligue catholique allemande. Jacques Ier, mécontent de la France, songeait à marier son fils avec l’infante d’Espagne. En 1623, le prince de Galles, accompagné de Buckingham et de quelques gentilshommes, débarqua en France, s’arrêta deux jours à Paris, où il se cacha rue Saint-Jacques, et repartit en poste incognito pour Bayonne, sans que l’ambassadeur eût été prévenu. Seulement, la veille de son départ, un Écossais vint le soir trouver Herbert, et lui demanda s’il avait vu le prince. « Quel prince donc ? Le prince de Condé est encore en Italie. » Cet Écossais lui nomma le prince de Galles, et requit assistance pour lui de la part du roi. Herbert se hâta d’aller de grand matin réveiller le secrétaire d’état Puisieux, qui, du plus loin qu’il le vit, lui cria : « Je connais votre affaire aussi bien que vous ; votre prince est parti ce matin en poste pour l’Espagne. » Herbert se borna à demander qu’on ne l’inquiétât pas dans son voyage, et à écrire au prince de presser sa marche et de n’avoir sur son chemin nul rapport avec ceux de la religion. On sait que la négociation du mariage espagnol échoua, et Charles Smart revint par mer en Angleterre.

Le père Suffren, confesseur du roi, avait prêché devant sa majesté sur le pardon des injures ; seulement, distinguant entre les divers pardons, il avait dit qu’on devait pardonner à ses ennemis, non aux ennemis de Dieu, par exemple aux hérétiques, et que les protestans devaient être extirpés partout où ils se trouveraient. Sir Édouard se rendit aussitôt chez la reine-mère, qui le recevait sans qu’il demandât audience, et il se plaignit d’un tel sermon, surtout au moment où un projet de mariage entre le prince de Galles et la fille de Henri IV était sur le tapis. Marie de Médicis parut l’écouter sans mécontentement ; cependant le père Suffren fut informé, et il chargea un de ses amis de déclarer à l’ambassadeur qu’il n’ignorait pas qui l’avait accusé près de sa majesté, et qu’il voulait bien qu’Herbert n’ignorât pas qu’en tout lieu du monde il saurait s’opposer à sa fortune. Une telle menace justifierait ce que Montesquieu a dit des jésuites. L’ambassadeur ne put rien répondre, sinon qu’il n’y avait en France qu’un moine ou une femme qui osât lui envoyer un semblable message. Cependant il se plaignit à la reine, disant qu’il avait parlé sans amertume, qu’une indiscrétion avait averti et exaspéré le confesseur, homme encore plus malicieux qu’une femme. « À moi, femme, me parler ainsi ! fit la reine un peu surprise. -.le parle à la reine, reprit Herbert, et non à la femme. » Je ne sais si Marie de Médicis s’accommoda de cette excuse ; mais Herbert convient que s’il eût été ambitieux, il aurait fort bien pu rencontrer le père Suffren sur son chemin. Heureusement, assure-t-il, il préférait à tout la vie privée et son livre.

Ce livre, commencé depuis longtemps et en Angleterre, fut achevé vers cette époque ; c’est le De Veritate, le plus important des écrits de l’auteur. L’ayant communiqué à Grotius, qui était alors en France, échappé naguère de sa prison des Pays-Bas, il obtint de lui l’approbation qu’il désirait, et le conseil de publier. Cependant il hésitait encore ; l’ouvrage lui paraissait différer de tout ce qu’on avait écrit jusqu’alors. Une nouvelle méthode pour trouver la vérité y était exposée en dehors de toute autorité ; la pensée même du livre risquait d’être attaquée. En effet, elle ne pouvait pas être plus indépendante. Le droit naturel de l’intelligence humaine y est placé sans réserve au-dessus du droit écrit des livres, des codes, et même des symboles religieux.

Le philosophe, qui n’avait pas encore fait ses preuves, et qu’effrayait un premier début, songeait à supprimer son ouvrage. Un jour qu’il agitait avec anxiété cette question, sa chambre était éclairée par un beau jour d’été, sa fenêtre ouverte au midi, le soleil brillait par un temps calme. Herbert, son livre à la main, se jeta à genoux et prononça dévotement ces paroles : « O toi, Dieu éternel, auteur de la lumière qui luit en ce moment sur moi, source de toute illumination intérieure, je te supplie, dans ton infinie bonté, de pardonner une prière qu’un pécheur ne devrait pas faire : je doute, je ne sais si je dois publier mon De Veritate. Si ce doit être pour ta gloire, je te supplie de me l’apprendre par quelque signe céleste, sinon je supprimerai mon livre. » Il finissait à peine, qu’un bruit fort, mais doux, vint des cieux ; rien sur la terre n’en pouvait produire un pareil. Et Herbert, rassuré et joyeux, crut sa prière exaucée. Il atteste devant Dieu, dans ses mémoires, l’exactitude de son récit.

Ce qui est certain, c’est qu’il fit imprimer son livre à Paris, où la première édition parut en 1624[21].

L’autobiographie de lord Herbert est interrompue à l’année 1624, et quoiqu’il ait encore vécu vingt-quatre ans, les matériaux manqueraient pour raconter le reste de sa vie. Son ambassade prit fin avant le mariage du prince de Galles avec la fille de Henri IV (1625). Il avait été de bonne heure question de cette alliance, et une dépêche de notre ambassadeur a été imprimée, par laquelle on voit que dès 1619 il s’en entretenait avec le connétable de Luynes, qui s’y montrait favorable. Tout fut interrompu par la tentative du mariage espagnol. Cette dernière négociation déplut fort à la France, qui ne négligea rien auprès du pape pour en empêcher le succès, et qui n’eut pas de peine à obtenir qu’aucun encouragement, aucune autorisation ne vînt de Rome au roi catholique pour le porter aux concessions exigées naturellement par une cour protestante. Celle de France pouvait se montrer plus facile et plus hardie. Le prince de Condé, qui prenait une grande part aux affaires, tenait pour un mariage qui rétablirait l’alliance anglaise. Herbert écrivit que cette union était désirée par la nation et par la princesse elle-même, qu’elle s’en était exprimée assez clairement, et que quand on lui parlait de la différence de religion, elle disait qu’une femme ne doit avoir d’autre volonté que celle de son mari. Dans une dépêche au roi Jacques (24 août 1620), Herbert fait beaucoup valoir ces dispositions. Il avait une pensée constante, partagée, disait-il, par tous les bons Français (de la religion réformée apparemment) : c’est que le roi d’Espagne affectant le rôle de protecteur, même en France, du parti jésuite et bigot [the jesuited and bigot partie), sa majesté sacrée y devait répondre en se portant réellement le défenseur de la foi. On peut voir dans les Mémoires du cardinal de Richelieu quelles furent les difficultés et les conditions du mariage de l’héritier présomptif de la première couronne protestante avec la digne fille de saint Louis, destinée à soutenir, dit Bossuet, l’ancienne réputation de la très chrétienne maison de France, mais la conclusion du traité fut confiée à des ambassadeurs extraordinaires, lord Carliste et lord Holland[22], et quand Herbert revint dans son pays, il fut créé baron d’Irlande, sous le titre de lord Herbert de Castle-Island ou de l’île de Kerry (1624).


VI

À dater de ce moment, une lacune commence dans sa vie, qui devint plus régulière et plus paisible en devenant plus obscure. On voit seulement que, la cinquième année de son règne, Charles Ier le créa pair d’Angleterre (1631), et il prit alors le nom de lord Herbert de Cherbury, nom sous lequel il est connu de la postérité. On peut supposer qu’il resta en faveur à la cour, et l’on voit qu’il ne cessa pas de porter un attachement reconnaissant au duc de Buckingham, car il entreprit son éloge ou plutôt son apologie dans une circonstance où le duc encourut les sévérités de ses contemporains.

Richelieu s’était donné la tâche un peu contradictoire d’abaisser au dehors l’Autriche et le protestantisme au dedans. Les nœuds de l’alliance avec l’Angleterre, malgré le mariage qui aurait dû réunir les deux dynasties, s’étaient peu à peu desserrés. Charles Ier, déjà en présence de l’opinion qui menaçait d’une révolution, secrètement en lutte avec la religion de sa femme, se laissa conseiller par Buckingham de rompre avec la France et de soutenir les huguenots contre les armées de Louis XIII. La Saintonge était le théâtre d’une guerre assez animée. La Rochelle, où commandait le duc d’Orléans, ne s’était pas encore déclarée. Les Roban promirent qu’elle prendrait parti, si le pavillon anglais se montrait dans ces parages. Buckingham partit de Portsmouth, le 27 juin 1627, avec une escadre de près de cent voiles, six à sept mille hommes, ou, selon d’autres, seize mille hommes de troupes. Après quelque hésitation, il s’empara de l’île de Ré, et La Rochelle se souleva. Le roi marcha sur cette ville pour en commencer le mémorable siège. Dans l’île, le maréchal de Toiras défendit énergiquement le fort de Saint-Martin, et donna le temps d’arriver avec six mille hommes au maréchal de Schomberg, qui forçâtes Anglais à se rembarquer. Cette expédition fit peu d’honneur au duc de Buckingham, qui s’y montra hésitant, incapable et présomptueux, et fut accueilli au retour par les censures du parlement et de l’opinion. Ce revers d’un favori ne fut pas étranger aux malheurs de Charles Ier.

C’est pour défendre son protecteur et son ami que lord Herbert prit la plume. Buckingham avait essayé vainement de réparer un premier échec par l’envoi d’une seconde flotte qui revint sans avoir rien fait, et lui-même il en préparait une nouvelle à Portsmouth, lorsqu’il fut assassiné le 2 septembre 1628. À sa demande, Herbert avait commencé une relation de la première expédition. Il l’interrompit à sa mort ; mais les écrits qui parurent dans l’intérêt de la France, notamment un récit intitulé la Descente des Anglais, puis celui qu’avait publié le Mercure Français, la relation composée en latin par l’avocat Isnard, enfin celle du jésuite Monet, le décidèrent à reprendre son ouvrage pour répondre aux prétentions de nos historiens. Il en terminait la dédicace au roi Charles Ier dans son château de Montgomery le 10 août 1630. C’est une histoire apologétique, où cependant les faits essentiels ne sont pas dénaturés, et les éloges continuellement donnés à Buckingham n’empêchent pas un lecteur clairvoyant de juger sa conduite ; l’auteur, qui paraît avoir travaillé sur de bons matériaux, n’a eu que le tort de choisir cette occasion pour étaler son érudition. Il a écrit en latin et s’est donné une peine aussi puérile que malheureuse pour exprimer dans cette langue les détails techniques de la guerre moderne. Sans paraître se souvenir qu’il eût été diplomate et militaire, il a pris le ton d’un savant, le ton que commençaient à fuir les savans du XVIIe siècle ; il a multiplié les citations, surtout les citations grecques, en semant sa narration des fleurs d’une rhétorique pédantesque. L’ouvrage, curieux et qui n’est pas à dédaigner sous le rapport historique, n’a pour nous d’autre mérite que de montrer sous un nouveau jour les connaissances et les prétentions d’un homme qui semble avoir eu plusieurs caractères. Au reste, pour des raisons qu’on ne peut que soupçonner, il ne publia pas cet ouvrage de son vivant, et ce n’est qu’en 1656, qu’un docteur de l’université d’Oxford, Haldwin, du collège de All-Souls, l’imprima pour la première fois[23].

Les opinions exprimées dans les mémoires et dans les ouvrages de lord Herbert, l’esprit dans lequel est écrite son histoire de Henri VIII, ce que nous savons de sa conduite à la cour et dans les affaires, tout porte à le considérer comme un serviteur dévoué de la couronne, et rien ne nous aurait laissé soupçonner jusqu’ici qu’il eût aucune des idées et des passions qui devaient soulever une partie même de la noblesse anglaise et contre Buckingham, et contre Strafford, et enfin contre Charles Ier. Cependant, lorsque la lutte s’engagea entre la royauté et le parlement, il prit plutôt parti pour le pays, non qu’il allât dès l’abord à la pensée d’une révolution. Quand le roi fut menacé, il le défendit à la chambre des lords au risque de blesser l’assemblée, et il le suivit à York. Quelle part prit-il à la guerre, on l’ignore. On raconte seulement qu’il se sépara la même année du camp royaliste, et Horace Walpole assure qu’il combattit avec les parlementaires. De là des ressentimens et des vengeances qui, dit-on, l’atteignirent, lui et ses héritiers, dans sa fortune. Son château de Montgomery fut démoli, et le parlement dut l’indemniser plus tard de cette perte. Il est probable que sa santé, dès longtemps fort altérée, ne lui permit pas de prendre une part bien active ni même un intérêt bien vif aux luttes de ses dernières années. On voit, par une lettre tout intime à son frère, sir Henry Herbert, que dès 1643 il ne pouvait plus supporter aucun travail et songeait aux eaux de Spa pour se rétablir. Deux ans après, en publiant la troisième édition de son ouvrage, il se plaignait de la fatigue de l’âge et du malheur des temps. On sait encore qu’au mois de septembre 1647 il vint à Paris et rendit visite à Gassendi, à qui il avait envoyé son livre ; mais il ne vécut pas assez pour voir les dernières extrémités de la révolution, car le 20 août 1648 il mourut à Londres dans une maison de la Cité, Queen-Street, et fut enseveli dans l’église de Saint-Giles-des-Champs[24]. Une inscription latine insignifiante y fut gravée sur son tombeau par lord Stanhope. Il en avait composé lui-même une en huit vers anglais, destinée au monument allégorique élevé à sa mémoire dans l’église de Montgomery suivant la description qu’il en a laissée. Cette épitaphe respire une pleine espérance de paix, de joie, de vérité et d’amour.

So his immortal soul should find above
With his creator, peace, joy, truth and love.


La religion, comme il la concevait, tenait une grande place dans son esprit et remplissait son cœur de confiance et de sérénité. Dans les vingt dernières années de sa vie, il régla sa conduite sur ses principes. Il faisait régulièrement deux fois par jour la prière dans sa maison, et le dimanche son chapelain lui lisait un sermon de Smyth. À son lit de mort, il fit appeler le primat d’Irlande pour recevoir le sacrement ; mais avec une singulière indifférence il lui dit que c’était une chose qui ne devait être que bonne ou tout au moins ne pouvait faire aucun mal. Le prélat se récria un peu et finit par refuser. Le mourant alors demanda l’heure et dit : « Dans une heure d’ici, je quitterai ce monde : » puis, tournant la tête d’un autre côté, il expira dans le plus grand calme. Il a laissé une prière écrite pour son usage. Elle est assez longue et n’a pas un grand mérite de style ni de pensée : mais elle exprime avec développement et clarté cette foi exemple de crainte et d’angoisse en un Dieu créateur qui l’avait comblé de biens avant-coureurs de biens plus parfaits, et qui, en lui inspirant l’amour de la beauté éternelle et infinie, lui avait donné les moyens de le connaître, le désir de lui ressembler, la certitude de s’unir un jour à lui.


VII

Le nom de lord Herbert de Cherbury a conservé en Angleterre sa célébrité ; mais ses ouvrages sont peu lus. Ce n’est pas qu’ils n’aient, quelques-uns du moins, un vrai mérite. Comme écrivain, on ne peut lui assigner un bien haut rang ; mais dans ses compositions philosophiques se montre de l’élévation, de l’originalité et beaucoup de force d’esprit. Elles méritent une place distinguée dans l’histoire de la science.

Rien de plus froid que l’analyse d’un livre dont le sujet n’est point pour le lecteur d’un intérêt actuel. Rien de plus indifférent pour lui que l’appréciation développée d’un ouvrage qu’il n’a pas lu et ne lira jamais. Gardons-nous donc d’analyser en détail les écrits de lord Herbert, mais essayons d’en donner une idée.

Que pourrions-nous dire de ses poésies ? Ses vers latins sont d’un assez bon style. À ceux dont nous avons déjà parlé, il faut joindre une épître à ses neveux, composée probablement dans sa vieillesse. C’est un recueil de préceptes moraux, en général excellens, et dont quelques-uns sont bien exprimés. Les maximes de l’auteur en matière religieuse n’y sont pas oubliées. Jamais il n’a négligé l’occasion d’enseigner la foi en Dieu, le culte par la vertu, l’expiation par le repentir. Sa piété était toute morale et finit par passer de son esprit dans son cœur et dans sa vie.

Ses poésies anglaises sont à tous égards moins dignes d’estime. Son second fils en publia le recueil sous le titre de Vers de circonstance[25]. Quelques-unes sont ingénieuses, la plupart obscures. L’amour en est le sujet ordinaire, un amour platonique, exprimé avec plus de recherche que de délicatesse. On a remarqué une ode sur cette question : « l’amour continuera-t-il dans l’éternité ? » Par un beau jour, dans une belle campagne, Mélandre et Célinde se promettent de s’aimer toujours. Un doute vient troubler Célinde quand elle songe au dernier soupir, et son amant la rassure par quelques strophes qui rappellent, sans y rien perdre, celle d’un poète contemporain :

Toi-même à la clarté ravie,
Tu dois fermer les yeux si beaux, etc.

Les ouvrages historiques de lord Herbert sont placés fort au-dessus de ses vers. On a vu ce que nous pensons de sa relation de l’expédition de l’île de Ré, qui, à l’inconvément d’être rédigée dans un latin très affecté, joint celui d’être un pamphlet apologétique. Il faut autrement apprécier son Histoire du Règne de Henri V’III[26], que le meilleur juge, M. Hallam, trouve écrite dans un style mâle et judicieux. Locke la place près de l’Histoire de Henri VII du chancelier Bacon, et lord Oxford en parle comme d’un chef-d’œuvre (master-piece) de biographie historique. Le style anglais est bon, la narration est claire, la connaissance et l’exposition des affaires de l’Europe ne laissent rien à désirer. On rencontre ça et là quelques traits heureux, quelques réflexions justes ; mais ni le récit n’est assez animé, ni le jugement assez hardi. L’auteur écrit l’histoire à l’ancienne manière, sans chercher à la rendre attachante par l’action ou la pensée. D’ailleurs il composait, il nous le dit, par ordre du roi Jacques Ier, qui lui donna des documens et des conseils. Il l’en remercie dans sa dédicace, et quoiqu’il s’y vante d’avoir écrit avec sincérité, d’une plume libre, quoiqu’il n’ait pas de son vivant fait paraître son livre, on trouvera qu’il semble manquer de la première qualité de l’historien, l’indépendance. Sa justice du moins n’est pas assez rigoureuse. Soit révérence d’homme de cour pour la royauté ou de magistrat pour les formes légales, soit embarras causé par ce fonds de popularité qui n’a jamais abandonné Henri VIII, il ménage trop un tyran bizarre dont les cruautés ressemblent à des folies. Il le déclare avide et cruel, mais il lui cherche des excuses, tantôt dans sa grandeur, tantôt dans sa passion, tantôt dans sa constitution ; c’était une âme où régnait la tempête, dit-il, et comment un sujet oserait-il condamner la souveraineté ? Scrupule étrange, comme on l’a remarqué, dans la bouche d’un homme qui a fait la guerre à Charles Ier ; mais l’inconséquence est le signe constant de l’humanité.

Nous ne voudrions pas cependant qu’on le soupçonnât d’avoir dissimulé les crimes de Henri VIII ; seulement il hésite à les appeler par leur nom, quoique, dans un portrait de ce prince placé à la fin du volume, il le caractérise plus sévèrement qu’il ne l’a fait dans son récit. Là il récapitule les condamnations capitales prononcées sous ce règne, et il en parle comme d’une époque sanguinaire. Le prétexte de la religion ne pouvait tromper sa conscience. En bon Anglais, il préférait sans doute la réforme au papisme, et il ne blâme point Tudor d’avoir attaqué l’un pour établir l’autre ; mais il n’approuve ni les persécutions ni les confiscations, et d’ailleurs les dissidens eurent leur part des coups de la tyrannie. Il est froid pour toutes les causes que son temps trouvait sacrées. Il semble devancer son siècle par son indifférence pour les querelles dogmatiques, et il ne parle pas avec une sympathie bien vive de la grande révolution qui changea la foi de l’Angleterre. En tout, bien des choses restent obscures dans son livre, bien des caractères inexpliqués. Peut-être la difficulté d’aborder certains sujets l’a-t-elle contraint à certaines omissions, peut-être lui-même a-t-il trouvé son ouvrage incomplet, car il faut se rappeler qu’il ne l’a point laissé paraître. Une seule fois il s’abandonne aux réflexions que la réforme du XVIe siècle devait provoquer dans tous les esprits sérieux. Il se demande quelles sont les règles que doit suivre un laïque dans les discordes religieuses. La première est d’accepter pour guides, autant que possible, ceux que lui donne sa patrie ; puis il doit, s’il est en mesure de le faire, étudier les religions et les doctrines des sages pour se décider par son propre choix. Malheureusement cette étude est longue, difficile, semée de doutes et de problèmes. Tout savoir est impossible, tout rejeter serait impie. Que faire donc ? S’attacher à l’essentiel et au démonstratif, et s’en tenir aux vérités universelles qui ne peuvent jamais égarer ni perdre celui qui les prend pour sa loi, — un Dieu honoré par la piété de la vie, les fautes rachetées ici-bas par le repentir ou châtiées ailleurs par une justice suprême.

Cette doctrine est celle de ses ouvrages philosophiques, et peut-être même les a-t-elle inspirés ; mais quoiqu’elle eût au commencement du XVIIe siècle un certain mérite d’originalité, quoique ceux qu’elle offense puissent, la pardonner au témoin des controverses qui avaient de son temps ensanglanté l’Europe, quoiqu’il fait anoblie par la constance et la sérénité de ses convictions, cette liberté de penser en matière religieuse n’est point par elle-même un mérite philosophique, et ce qui nous frappe tout autrement dans lord Herbert, c’est un système de métaphysique qui vaut beaucoup mieux, et qui n’est d’ailleurs nullement inconciliable avec la foi chrétienne.

Lord Herbert avait certainement connu Bacon. Ils ont été au service du même souverain, Jacques Ier, protégés du même favori, Buckingham. Lord Herbert avait pu lire le Novum Organum avant de rien publier[27], et comme il a survécu vingt ans à l’illustre chancelier, il a connu tous ses ouvrages importans, il a été témoin de leur succès, plus grand il est vrai sur le continent qu’en Angleterre ; il a vu s’établir et croître une renommée qui est une des gloires de sa patrie. Cependant il n’est point disciple de Bacon, il ne se donne pas pour son admirateur ; nous ne nous souvenons pas qu’il fait jamais cité, et cette omission ne peut être involontaire. Il traite assez souvent des sujets analogues, il aborde les mêmes questions ; il lui emprunte quelques idées, ou les répète après lui, les ayant peut-être tirées de la même source. Sa philosophie est aussi une réaction contre le moyen âge ; elle procède des mêmes critiques, mais elle établit d’autres principes. C’était la grande pensée de Bacon, mais c’était aussi une des pensées du siècle, que le temps était venu de changer les voies de la science humaine. Lord Herbert est un des ardens promoteurs de cette révolution intellectuelle. « L’autorité, dit-il, est le seul asile de l’ignorance. Philosophons librement. » Comme Bacon, il luit avec dédain les erremens de la scolastique. Nulle part dans ses écrits il ne professe le culte d’Aristote ; il pense par lui-même. Dans son principal ouvrage, il se pose la question absolue de la vérité, et, résistant aux plus hardis sceptiques par ce principe : la vérité existe, il en dérive toute la science. La vérité des choses est en elles, la nôtre est dans notre intelligence, car elle est la connaissance de la première. Entre l’une et l’autre se placent la vérité de l’apparence, ou, comme on dit aujourd’hui, le phénomène, et la vérité du concept, c’est-à-dire la perception ou la notion. Chacune de ces sortes de vérité se rapporte en nous à une faculté, à une disposition qui lui est comme analogue, et la vérité d’elles toutes est d’abord dans la conformité de chacune avec la faculté correspondante, puis dans la conformité de toutes les vérités et de toutes les facultés entre elles. Qui peut en juger ? Un instinct d’intelligence et de raison qui domine toutes les facultés, qui donne et qui contient les connaissances universelles, qui les a reçues du ciel, et qui est comme une participation de la raison divine. Cet instinct naturel est le centre dont les notions universelles sont les rayons. Il nous semble difficile d’établir avec plus de clarté et de force que ne le fait lord Herbert qu’il y a des principes nécessaires dans L’esprit humain. On le voit, si Bacon est le père de la philosophie de l’empirisme, lord Herbert est loin d’être de son école, témoin ces paroles que nous soumettons aux gens du métier : » Les notions universelles sont ces principes sacrés contre lesquels il est interdit comme un crime de disputer, contra quoe disputare nefas… Tant s’en faut que ces principes élémentaires se déduisent de l’expérience et de l’observation, que sans quelques-uns ou sans un au moins d’entre eux, nous ne pouvons ni expérimenter ni observer. » Ces paroles remarquables, Platon et Kant ne les auraient-ils pas signées ?

Nous entrerions dans la partie technique du système, si nous donnions la liste et le commentaire des sept propositions, qui, liées l’une à l’autre, forment la théorie générale de la vérité, puis le dénombrement raisonné des conditions auxquelles se réalisent ou se connaissent les diverses sortes de vérité, et des facultés qui correspondent à chacune d’elles, enfin l’analyse des quatre formes ou moyens de connaissance qui, dans leur ordre vrai, constituent l’esprit humain, savoir : l’instinct naturel, — le sens interne ou la sensibilité tant affective que morale, — le sens externe ou la sensibilité tant perceptive qu’organique, — enfin le raisonnement, qui ajoute aux notions puisées aux trois premières sources, et qui même les redresse en même temps qu’il les développe. On sent qu’il y a là toute la matière d’une psychologie et d’une logique. Dans l’une et l’autre, on trouve du vrai et de l’original ; mais nous renvoyons au texte.

Le point dominant, c’est ce que lord Herbert conçoit si bien et désigne assez malheureusement, l’instinct naturel. Cette puissance propre de la raison, il ne peut que l’analyser, la dégager de tout ce que les autres facultés y ajoutent d’accessoire ou d’erroné. Le raisonnement n’a lui-même de fondement que dans les notions universelles, ou principes évidens, qu’il doit à l’instinct naturel. Là est la partie vraiment divine de l’esprit, l’instrument immédiat de la Providence, quelque chose d’elle en nous et comme sa marque sur notre âme. Aussi les connaissances que nous tenons de l’instinct naturel ont-elles un caractère d’universalité qui les met au-dessus du doute, qui constitue leur légitime et irrésistible autorité. De ces notions, la plus élevée comme la plus caractéristique est Dieu ; l’instinct naturel qui en vient y retourne de lui-même ; aussi peut-on dire que son objet, celui de toutes les facultés qui lui sont subordonnées, est le souverain bien ou la béatitude éternelle, comme on voudra l’appeler. « Si Dieu n’avait gravé dans l’homme le type de l’infini, comment l’homme serait-il formé à son image ? »

Mais de cette autorité des notions universelles ou de l’instinct naturel, il suit que tout ce qui n’est ni universel ni naturel au même titre est en possession d’une autorité moindre. La nature est l’expression de la Providence divine universelle ; elle est cette providence même dans les choses. La grâce n’est que la Providence divine particulière. Les vérités de la nature sont donc aux vérités de la grâce comme l’universel au particulier. Les premières sont les seules indubitablement divines. Tout ce qui n’est point frappé à la même empreinte n’est point faux pour cela, mais ne peut avoir qu’une vérité subordonnée, ou n’appartient qu’au domaine du vraisemblable et du possible. C’est ainsi que lord Herbert distingue la religion naturelle de la religion révélée, ou plutôt la révélation primitive et générale de la révélation locale et particulière. Toute église, toute philosophie, toute législation ne possède à ses yeux une autorité absolue, une véritable infaillibilité que dans ce qu’elle enseigne ou prescrit de conforme aux notions universelles, ou du moins de conciliable avec ces notions. L’examen tant de l’esprit humain que des croyances générales de l’humanité le conduit à reconnaître cinq dogmes marqués du caractère sacré de l’universalité : — il y a un Dieu ; — un culte lui est dû ; — le meilleur culte est la piété et la vertu ; — le repentir rachète les fautes ; — il existe une justice suprême qui punit et récompense. — Ce sont là, suivant lui, les vérités catholiques, les vérités nécessaires au salut. Elles peuvent servir de critérium pour apprécier les doctrines de toutes les chaires et de toutes les écoles. En effet tout ce qui s’en écarte doit être rejeté ; tout ce qui les confirme et les développe peut être admis : c’est par là qu’il faut juger les religions. La révélation n’est pas impossible, non plus que les miracles ; mais si elle se fonde sur une inspiration directe, elle n’est valable que pour celui qui l’a personnellement reçue. Fondée sur la tradition, elle dépend de l’autorité du récit ; elle est, à ce titre, du ressort du raisonnement, qui doit en élaguer tout ce qui contrarie les notions universelles, par exemple le salut attaché exclusivement à certains dogmes particuliers comme la pénitence des catholiques ou la prédestination des protestans. Soit inconséquence, soit ménagement, notre auteur ne tient pas au reste un langage uniforme à l’égard de la révélation ; tantôt il prétend l’admettre et la fortifier en l’épurant, tantôt il semble la proscrire, ou du moins la diminuer en la réduisant à une doctrine où beaucoup de faux est mêlé au vrai, beaucoup de superflu au nécessaire, car c’est aussi une de ses maximes qu’il y a entre la certitude et l’erreur des opinions intermédiaires qui ne sont pas sans vérité ; mais toujours il fait des notions universelles la régie de toutes les autres, et de l’instinct naturel le maître de nos facultés. C’est évidemment placer la nature au-dessus de la grâce.

Ces dernières opinions, qui se trouvent parsemées dans le traité de la Vérité, où l’on rencontre d’ailleurs de meilleures choses, sont reprises et développées dans deux autres écrits, l’un Sur les Causes de l’Erreur, l’autre Sur la Religion du Laïque[28]. Dans un ouvrage plus considérable Sur la Religion des Gentils, publié après sa mort, Herbert a tracé du paganisme un tableau où ne manque pas le savoir, et il y explique à sa manière comment les anciens ont été conduits à mêler de fictions et d’erreurs les dogmes fondamentaux qu’ils n’ont pas méconnus. C’est à peu près le même sujet que celui du Du sapientia veterum de Bacon ; mais, traité d’une manière moins ingénieuse, il l’est avec plus de critique ci d’érudition. La science moderne ne se contenterait pas, comme on doit s’y attendre, d’une telle histoire des religions de l’antiquité. Cependant le livre tel qu’il est ne parut pas indigne de Gérard Vossius, à qui il fut communiqué, et dont le fils Isaac l’a fait imprimer pour la première fois[29]. Il semble d’ailleurs que la pensée générale en est incertaine et confuse, et que l’argumentation en pourrait souvent être retournée contre la thèse. L’auteur développe plus les illusions et les impostures des gentils qu’il ne démontre la persistance de la foi naturelle et nécessaire du genre humain. Il ne fait pas avec assez de précision le départ entre les erreurs accidentelles et les vérités permanentes, distinction qui avait été aperçue, entreprise qui avait été essayée avant lui. Un évêque du XVIe siècle, un préfet de la bibliothèque du Vatican, Augustin Steucho, désigné souvent sous le nom d’Engubinus, a composé, dans une vue de parfaite orthodoxie, un livre De perenni Philosophia, qui peut encore se lire avec intérêt. Dans cet ouvrage, dédié au pape Paul III, il est établi, avec plus d’érudition que de critique, que la sagesse et la piété venant de la même source, la philosophie de l’antiquité a été constamment comme un christianisme tacite, et que la révélation n’a fait qu’arracher les derniers voiles à la vérité de tous les temps. Cette doctrine, dont la pensée première avoisine le système de lord Herbert, peut conduire des esprits divers à des résultats différens. Pour les uns, comme pour Engubinus[30], elle est une démonstration nouvelle de la foi évangélique, et dans notre temps où l’on exagère tout, on a même abusé de cette preuve au point de l’affaiblir. D’autres au contraire concluent simplement de la revue des croyances humaines, qu’il y a une philosophie religieuse vraie, en dehors même de la révélation, mais dont la vérité ne porte aucun préjudice à la vérité de la révélation, et c’est le point de vue de Rodolphe Cudworth et du père Thomassin de l’Oratoire. D’autres enfin veulent que l’universalité étant exclusivement le signe de la vérité, la certitude ne réside que dans ce qu’ils appellent la religion du genre humain, et ceux-ci, avec quelque respect qu’ils s’expriment, doivent être comptés parmi les adversaires du christianisme. De cette liste il est impossible de rayer le nom de lord Herbert, et c’est avec raison qu’il a été désigné comme le chef de l’école des déistes en Angleterre.

Nous ne songeons nullement à le défendre. Sans doute il parle souvent dans un langage convenable de la religion de sa patrie. Il déclare le christianisme la meilleure des religions ; mais il tient pour seul catholique, pour seul invariable, le pur théisme, dont il a dressé en cinq articles la profession de foi. Ce système a tout au moins le défaut de reposer sur une description très incomplète de l’esprit humain. La loi religieuse est un fait aussi réel que la certitude rationnelle, et cependant elle en diffère essentiellement. C’est aussi une vérité universelle que jamais la philosophie n’a été toute la religion de l’humanité. La doctrine de lord Herbert ne rend nul compte de tous ces faits. Aussi a-t-elle été, comme on le pense bien, l’objet de sérieuses critiques. On en cite une réfutation expresse composée par Richard Baxter, théologien assez renommé de l’église dissidente, et qui publia, en 1671, une apologie chrétienne de quelque réputation[31]. Christian Kortholt, qui vivait en Holstein et dont le fils fut un des éditeurs de Leibnitz, a imprimé vers le même temps à Kiel un pamphlet théologique avec ce titre significatif : De tribus impostoribus[32]. C’est l’envers du fameux et problématique ouvrage qui inquiéta le XIVe siècle comme un legs mystérieux et funeste du XIIIe. Un des trois imposteurs de Kortholt est lord Herbert, le prince des naturalistes du siècle[33], et qu’il met sur la même ligne que Hobbes et Spinoza. Herbert, fervent défenseur de la providence divine et de la liberté humaine, n’a rien de commun avec le spinozisme, et c’est tout l’opposé de Hobbes, cet ennemi aveugle et puissant de tout principe absolu de religion et de morale. Kortholt dirige contre lord Herbert quelques critiques justes au point de vue de l’orthodoxie, mais c’est une licence insupportable et de mauvais exemple que de l’accuser d’athéisme, et cette calomnie juge un ouvrage. Un censeur plus redoutable et plus digne, c’est Leland, qui, dans sa revue des écrivains déistes de l’Angleterre au XIIe et au XIIIe siècle, assigne le premier rang à lord Herbert, et qui, en rendant justice à sa sincérité, attaque son système avec les armes du raisonnement et de la foi. Il ne manque pas d’observer que ce fondateur du rationalisme religieux avait sa part de crédule enthousiasme, puisqu’il s’imaginait que Dieu avait, par un signe direct, ordonné la publication de son livre, en sorte que celui qui n’admet comme démontrée que la providence générale, s’est cru de très bonne foi l’objet d’une providence particulière. Un miracle aurait ainsi autorisé une théologie contraire aux miracles.

Mais si nous abandonnons sans regret à ses censeurs la théologie de lord Herbert, nous ferons nos réserves en faveur de sa métaphysique. Elle appartient par plus d’un côté à la saine philosophie ; elle ne sacrifie ni la solidité à l’élévation, ni l’élévation à la solidité. Elle s’appuie sur le droit d’une raison inspirée par celui dont elle émane, révélation primitive qui ne proscrit pas l’autre, mais que celle-ci suppose, et qui, tantôt par la sensibilité, tantôt par la déduction, ajoute à ses lumières propres des connaissances expérimentales ou dérivées, certaines quand elles sont universelles. Ce n’est point là une philosophie vulgaire ; de belles et heureuses pensées se rencontrent dans le livre où elle est exposée, et la diction, quoique un peu pédantesque, ne m’en paraît pas aussi obscure qu’à M. Hallam. Je louerais même lord Herbert de sa latinité, malgré la barbarie de quelques formes scolastiques, de quelques termes abstraits, s’il ne paraissait établi qu’un savant contemporain de l’auteur, Thomas Master, employé souvent par lui à des recherches, a pris une grande part à la traduction de la pensée du philosophe anglais dans la langue de Cicéron.

Par ses mérites même, lord Herbert devait, comme philosophe aussi, rencontrer des censeurs. Dans le nombre du moins, nous ne placerons pas Descartes, car il est du même parti philosophique. On sait combien Descartes est avare d’éloges, et qu’il consent peu à louer ce qui s’écarte de son esprit ou de sa méthode. Lors donc qu’une de ses lettres nous apprend qu’il trouve dans Herbert plusieurs choses fort bonnes, mais, ajoute-t-il avec sa grande prudence, non publici saporis, et qu’il estime cet auteur beaucoup au-dessus des esprits ordinaires, il faut voir dans ce peu de paroles un très important suffrage[34]. C’est avec de grands ménagemens et même de grands éloges, que les philosophes éminens d’une école tout opposée se sont séparés de lord Herbert. Il était dans l’usage d’adresser ses écrits à ceux qu’il en supposait les justes appréciateurs. Le De Veritate avait été transmis de sa part à Gassendi, qui répondit, en 1734, à cet envoi par une lettre insérée en fragment dans ses œuvres. Il s’y écrie que l’Angleterre est heureuse d’avoir, après la mort de Verulamius (Bacon), produit un tel héros {heroem istum)[35]. Puis il défend Aristote contre ce héros, auquel il fait avec détail toutes les objections de l’empirisme. On les connaît : il n’y a pas naturellement de notions universelles ; point de proposition en physique, point de dogme en théologie, point de règle en éthique, qui ne soit controversable ; c’est l’éducation civile et religieuse qui nous donne nos idées et nos croyances ; Herbert lui-même a tiré de cette source tout ce qu’il croit avoir trouvé dans la raison pure. Ces objections sont comme une anticipation de la philosophie de Locke. Aussi, lorsqu’il parut lui-même, ce sage qui mêla tant d’erreurs à tant de raison, il ne put, quoiqu’il eût dédié son grand ouvrage à un comte de Pembroke et de Montgomery, baron Herbert de Cardiff, il ne put, trouvant lord Herbert de Cherbury sur son chemin, s’empêcher de lui contester l’existence de ses principes innés, et il soumit à une analyse critique qui n’est pas sans force les sept principes nécessaires sur lesquels le système était édifié[36]. C’est d’ailleurs un contraste assez remarquable que Gassendi, ce disciple d’Aristote et d’Épicure en philosophie, et Locke, ce restaurateur de la philosophie des sensations, soient beaucoup plus retenus que le quasi-platonicien lord Herbert sur les questions théologiques, et défendent contre lui les dogmes avec des principes qui ne permettraient d’en établir aucun.

En résumé, laissant, de côté le rationalisme déiste qui, n’en déplaise à lord Herbert, n’est pus inséparable de sa doctrine, nous pensons que dans la philosophie pure il appartient à la cause du spiritualisme, c’est-à-dire à la bonne cause, et que si la philosophie dans la Grande-Bretagne relève de Bacon, il faut admettre que la méthode de l’observation a produit deux écoles, l’une qui dans l’âme humaine a subordonné tout à l’expérience et dont Hobbes est le représentant le plus violent, Locke le plus noble maître ; l’autre qui, par des méthodes plus ou moins analogues à celles de Descartes, a su trouver dans la raison des principes supérieurs à l’observation et à l’expérience elle-même. Lord Herbert est une des lumières de cette école. Nous placerons auprès de lui Cudworth et Clarke ; mais par sa confiance dans la nature humaine, par son optimisme intellectuel, le noble pair nous paraît surtout l’avant-coureur de lord Shaftesbury, et l’on peut dire que la foi de tous deux dans les principes de la raison a dû frayer la voie aux doctrines d’Hutcheson et des philosophes de l’Ecosse. Nous souscrivons très volontiers à ce jugement de M. Hallam : « Lord Herbert peut être considéré comme le premier métaphysicien qu’ait eu l’Angleterre. » Et nous ajouterons avec le plus grand métaphysicien qu’elle possède aujourd’hui, sir William Hamilton : « Il est en vérité surprenant que les spéculations d’un penseur aussi habile et aussi original, et d’un homme si remarquable d’ailleurs, aient échappé à l’observation de ceux qui ont après lui, dans la Grande-Bretagne, philosophé dans le même esprit. »


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Il y a maintenant, je crois, trois pairs du nom d’Herbert : lord Pembroke, dont le titre n’est que de 1551, le premier titre orée sous Édouard IV s’étant éteint ; lord Carniavon et lord Powis. Ce dernier titre, assez ancien dans la famille, en est sorti et doit y être rentré depuis peu. M. Sydney Herbert, qui fait partie du ministère actuel, est frère du comte de Pembroke.
  2. On place ordinairement la naissance de lord Herbert en 1581. Cette date s’établit par induction, car il ne la donne pas dans les mémoires de sa vie ; mais il dit qu’il se maria à quinze ans en 1598, ce qui ne permet pas de le faire naître avant 1582.
  3. Londres 1770, Edinburgh 1809, Londres 1826, 1 vol. in-8o.
  4. Ainsi le parle la relation, dit lord Herbert. Cela se comprend peu.
  5. La maladie de la rate (spleen), qui passe pour engendrer l’humeur noire.
  6. C’était la haute école du temps. Les chevaliers étaient dans l’usage de monter, dans les marches de guerre, des chevaux de petite taille, ou ce qu’on appellerait aujourd’hui des poneys. Ils avaient, pour combattre avec leur armure complète, des chevaux de haute taille qu’ils montaient au moment de l’action. De là l’expression monter sur ses grands chevaux.
  7. Marguerite, femme d’Anne de Levis, duc de Ventadour, était la seconde fille de Henri Ier, duc de Montmorency, qui avait succédé dans la Charge de Connétable à son père Anne après un assez long intervalle. Celui-ci, mort en 1807, prenait les titres de seigneur de Chantilly, d’EsCOUen et de Mello. Ce dernier lieu que lord Herliert appelle Merlou se dit aussi Mellon, Meslo, de Mellum, et a donné son nom à un connétable de la maison de Dreux sous Philippe-Auguste. C’est un bourg des environs de Clermont (Oise). Le château et la terre passèrent, après la mort de Henri de Montmorency, père de la princesse de Condé, dans cette dernière branche de la maison de Bourbon. On y admire encore un château, un parc et un domaine magnifiques.
  8. Montmorency, comme grand seigneur et plus encore comme connétable, comes stabuli, comte de l’écurie, devait avoir la haute main sur tout ce qui regardait l’équitation militaire, laquelle avait composé longtemps presque toute l’éducation des gens de guerre. Antoine de Pluvinel, gentilhomme dauphinois qui s’était formé à Naples sous Pignatelli, avait été premier écuyer de Henri III, et il dirigeait les grandes écuries de Henri IV, qui le fit sous-gouverneur du dauphin et même ambassadeur eu Hollande. Il mourut en 1620, laissant un ouvrage encore estimé, le Manège royal, publié par René de Menou, celui probablement que lord Hubert nomme Mennon. La meilleure édition est de 1625. Salomon de La Broue est aussi un écuyer habile que Bourgelat appelle une illustre et malheureuse victime de l’honneur, parce qu’il mourut dans l’indigence. Pluvinel passe pour le fondateur de ce qu’on nommait autrefois les académies.
  9. Sir Édouard Cecil, troisième fils du comte d’Exeter et petit-fils de lord Burleigh, le ministre d’Elisabeth, était un homme de guerre distingué. Il avait pris part à la bataille de Neuport, et il fut élevé à la pairie par Charles Ier sous le titre de lord Cecil de Putney, puis de vicomte Wimbledon.
  10. Claude de La Chastre, maréchal de France depuis 1591. Il fut préféré au maréchal de Bouillon pour conduire les douze mille hommes d’infanterie et les deux mille de cavalerie réunis par Henri IV sur la frontière de Champagne. Il mourut en 1614.
  11. Théophile, fils aîné du comte de Suffolk, chef de la sixième branche de la grande famille des Howard.
  12. Troisième fils d’Édouard, comte de Worcester, lord du sceau privé. Il était premier écuyer de la reine d’Angleterre.
  13. William, fils aîné de sir Édouard Herbert, le second fils du comte de Pembroke, fut fait baron la cinquième année de Charles Ier sous le titre de lord Powis, de Powis dans les marches du pays de Galles. Il mourut en 1655. Il y eut donc sous Charles Ier trois pairies dans la famille Herbert, Pembroke, Powis et Cherbury.
  14. Charles d’Angennes, né en 1577, mort en 1652, le mari de la célèbre Catherine de Vivonne.
  15. Armand-Jean Mitte, marquis de Saint-Chaumont, comte de Miolans.
  16. Henri II, duc et maréchal de Montmorency, décapité à Toulouse en 1632.
  17. il est assez difficile de fixer l’époque de cette nomination d’après les mémoires de lord Horion, qui néglige fort les dates ; mais comme on sait d’ailleurs que sa mission a pris fin vers 1624, et qu’il dit dans la préface du De Veritate qu’elle a duré cinq ans, on peut en placer le commencement au plus tôt en 1618.
  18. On peut voir dans les Mémoires de Tallemant Des Réaux qui étaient ces personnages. Rambouillet le financier avait aussi un hôtel et un jardin qu’on allait voir par curiosité.
  19. Jean-François de La Guiche, comte de La Palice, seigneur et maréchal de Saint-Géran, mort en 1632.
  20. James Hay, comte de Carliste, grand-maître de la garderobe.
  21. De Veritate, priait distinguitur a revelatione, a verisimili, a possibili et a falso. Paris 1624 et 1633. Une traduction française parut en 1639. Je me suis servi de l’édition de 1645, Londres, petit in-4o. Il y en a encore une de 1656.
  22. Henry Rich’, créé comte de Holland sous Jacques Ier et décapité en 1649. Cette famille n’a rien de commun avec lord Holland, le père de M. Fox.
  23. Expeditio in Ream insulam, authore Edovardo, Dom. Herbert, Barone of Cherbury in Anglia et Castri insula de Kerry in Hibernia, et pare utriusque regni in 1630. Londres 1656. — Le style a probablement été revu par Thomas Master.
  24. De ses deux fils Richard et Henri, l’aîné et l’héritier du titre se montra fidèle aux Stuarts et mourut en 1665, et son fils Édouard, qui lui succéda, se déclara pour Charles II en 1659.
  25. Occasional verses of Edward lord Herbert, etc. Londres 1665, in-8o.
  26. The Life and raigne of King Henry the eigth written by the right honourable Edward, lord Herbert of Cherbury. Londres, petit in-folio, 1619. – Il y en a eu au moins quatre éditions. Walpole en a imprimé une cinquième) en 1770 a Strawberry-Hill.
  27. On a mis Herbert ainsi que Thomas Hobbes au nombre des amis et des collaborateurs de Bacon. Le fait nous paraît très douteux. Bacon, dans la dédicace d’une version des psaumes à son bon ami George Herbert, le remercie de la peine qu’il a prise à propos de quelques-uns de ses ouvrages. Cette peine était, dit-on, d’avoir travaillé à les mettre en latin ; mais George Herbert n’a ni le prénom ni aucun des titres de lord Herbert, qui passe lui-même pour s’être fait aider dans la traduction latine de ses écrit. D’ailleurs son traité De Veritate ne parut qu’en 1624 ou quatre ans après la publication du Novum Organum, et un an après la rédaction dernière du De Augmentis, dont une première esquisse avait été imprimée en 1605.
  28. De Cousis errurum. – Religio laici. — Appendix ad Sacerdotes, dans l’édition du De Veritate de Londres 1645.
  29. De Religione gentilium errorumque apud eos causis. Amsterdam 1633, petit in-4o.
  30. Augustini Steuchii Engnbini, episcopi Kisami, tomi III. De perenni Philosophia, I ; De Theologia antiquorum, II. Paris 1577. La première édition est de Lyon 1540.
  31. Dans l’ouvrage intitulé : More reasons for the christian religion and no reason against it, par Richard Baxter, 1671, on trouve : Animadversions on a tractate De Veritate written by the noble and learned lord Edw. Herbert
  32. De tribus impostoribus magnis, liber Edoardo Herbert, Thomoe Hobbes et Benedicto Spinosoe oppositus. Cui addila appendix qua Hieronymi Cardani et Edoardi Herberti de animalitate hominis opiniones philosophicoe examinatoe. Kit., in-8o, 1680. L’édition que j’ai eue dans les mains a pour titre : De tribus impostoribus magnis, liber cura editus Christ. Kortholt S. Theolog. D. et professoris primarii. Hambourg 1700. Elle a été donnée par Sébastien Kortholl, fils du précédent.
  33. « Naturalistarum aevi nostri princeps. »
  34. H. Hallam, Histoire de la Littérature fendant les quinzième, seizième et dix-septième siècles, t. III, ch. III, sect. Ire, traduction française.
  35. Ad librum D. Edoardi Herberti Angli de Veritate epistola. — P. Gassendi Diniensis oper., t. III, p. 411.
  36. Essay, liv. Ier, ch. 3 § 15. — Locke’s Works, t.1er, Londres, 10 vol. in-4o, 1801.