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Louis Hébert/03

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Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 27-36).

CHAPITRE III


M. de poutrincourt obtient une audience du roi. — il succède à M. de monts. — il envoie son fils en acadie. — louis hébert l’accompagne avec sa famille. — les jésuites arrivent à port-royal. — Mme de poutrincourt s’embarque pour l’acadie. — charité de louis hébert envers les sauvages. — M. de poutrincourt passe en france. il apprend la formation d’une nouvelle société. — le capitaine la saussaye. — louis hébert commande à port-royal. — l’établissement de saint-sauveur. — argall s’empare de cette place. — destruction de port-royal. — louis hébert retourne en france avec sa famille.


Le baron de Poutrincourt, en arrivant à Paris, obtint une audience du roi. Il raconta les incidents de son expédition et il entretint longuement les gentilshommes de la cour des espoirs qu’il fondait sur l’établissement d’une colonie française dans le Nouveau-Monde.

Pour donner une idée de la fertilité du sol canadien, il avait apporté de nombreux échantillons des légumes et des divers produits qu’il avait récoltés avec l’aide de Louis Hébert. Les épis de blé, choisis parmi les plus beaux, excitèrent l’admiration de tous ; jamais les terres de France, même les meilleures, n’avaient donné un blé si magnifique. La preuve étant donc concluante : l’Acadie possédait un sol des plus riches et des plus fertiles ; la France devait nécessairement retirer de grands avantages de l’exploitation de tant de richesses.

M. de Monts ne pouvait plus espérer les faveurs royales. Il se montra disposé à appuyer M. de Poutrincourt et à lui céder ses droits. Le roi approuva ce changement, car le nouveau titulaire semblait mieux doué que l’ancien pour mener à bien cette fondation. M. de Poutrincourt était un catholique aussi fervent que bon patriote ; il s’engageait à travailler, de toutes ses forces à la conversion des infidèles. Ayant reçu sa commission de lieutenant-général de l’Acadie, il adressa une lettre au souverain Pontife pour lui demander de bénir ses pieux desseins. Le pape Paul V lui accorda, avec bienveillance, sa bénédiction, afin d’attirer sur l’entreprise les faveurs célestes.

Les préparatifs du départ furent longs. M. de Poutrincourt avait tant de choses à régler qu’en 1609 il n’avait pas encore quitté la France. Le roi lui fit savoir son mécontentement, car il avait même désigné ceux des Pères Jésuites qui devaient s’embarquer sur les navires et ils attendaient avec impatience l’heure du départ. Pour ne pas perdre entièrement les bonnes grâces du roi, M. de Poutrincourt chargea son fils, M. de Biencourt, du commandement d’un navire ; il pria le Supérieur des Jésuites, le Père Cotton, de ne pas envoyer en Acadie les religieux, qui avaient reçu leur lettre d’obédience, mais de les garder en France, jusqu’au retour de son fils, ajoutant qu’il les prendrait lui-même sur son vaisseau lorsqu’il s’embarquerait pour la Nouvelle-France. La démarche de M. de Poutrincourt lui créa des ennuis. Les dames de la cour, Mme de Guercheville, entre autres, ainsi que la reine, qui s’étaient constituées les protectrices des Jésuites, virent ce refus d’un mauvais œil. Quoi qu’il en soit M. de Biencourt partit ayant à son bord l’abbé Fléché et Louis Hébert. Ce dernier passait une seconde fois au Canada avec son épouse, Marie Rollet.

Au milieu de l’hiver de l’année 1610, M. de Poutrincourt quitta son manoir de Saint-Just avec deux autres de ses fils. Il prit sur son navire des meubles, des provisions, des instruments propres au défrichement des terres. Bon nombre d’ouvriers l’accompagnaient ainsi que deux gentilshommes, qui devaient, dans la suite, jouer un rôle important en Acadie ; c’étaient Claude de Saint-Estienne de Latour et son fils Charles-Amador.

La traversée dura quatre mois. M. de Poutrincourt, qui s’était embarqué le 25 février, n’aborda qu’au mois de juin. À son arrivée à Port-Royal il s’aperçut bientôt que le fort avait besoin de réparations. Il les fit exécuter sur-le-champ. Il fallait se hâter, car Mme de Poutrincourt était sur le point d’arriver en Acadie. Plusieurs engagés y faisaient aussi passer leurs familles.


À quelque temps de là, le vaisseau la Grâce de Dieu aborda à Port-Royal, emmenant Mme de Poutrincourt, les Pères Biard et Massé, Jésuites.

Les deux premières françaises qui foulèrent le sol de la Nouvelle-France sont donc Mme Louis Hébert et Mme de Poutrincourt. Ce fait est assez important pour mériter une mention spéciale. Que de gentilshommes furent moins courageux qu’elles ! Ils se sentaient attirés pourtant par les richesses du Nouveau Monde, mais ils n’eurent pas le courage de traverser l’Océan. Mme Hébert et Mme de Poutrincourt voulurent seconder leurs maris dans leur entreprise en travaillant à leurs côtés après avoir bravé les fatigues d’un long voyage. Honneur à ces femmes héroïques ! Honneur à cette châtelaine qui ne craignit pas d’échanger son château et ses domaines contre les grands bois de l’Acadie et une misérable cabane de bois brut ! Ces femmes désiraient contribuer à la fondation d’une colonie au prix des plus grands sacrifices. Ce geste est si noble que la nation canadienne ne devrait jamais l’oublier. Mme Hébert faisait déjà l’apprentissage des jours laborieux et pénibles qu’elle devait couler plus tard sur un autre coin de la Nouvelle-France.

L’hiver de 1610-1611 fut extrêmement rigoureux. Les vingt-trois personnes qui se trouvaient au fort ainsi que les hommes de l’équipage endurèrent bien des privations. Le pain manqua durant plusieurs semaines. Sans les secours apportés par les sauvages, les colons seraient morts de faim. Malgré ces privations tous avaient bon courage. Au printemps chacun se mit à défricher son lopin de terre et les semences furent achevées, les jardins agrandis, de sorte que l’avenir de la colonie parut enfin sous un jour plus riant.

Au mois de juin, M. de Poutrincourt partit pour la France laissant le commandement du fort à son fils, M. de Biencourt. C’était un jeune homme de vingt-quatre ans. Sa douceur et ses manières engageantes lui concilièrent l’estime de tous.

Quant à Louis Hébert, dès son arrivée en Acadie, il s’était acquis l’affection des Français et des sauvages. Les services qu’il rendait à ces derniers pendant leurs maladies, les guérisons étonnantes qu’il opérait, le faisaient passer pour un être extraordinaire. « Aussi, écrit M. Rameau, s’empressaient-ils autour de ce bon ramasseur d’herbes. »

Le chef de la tribu, Louis Membertou, tomba bientôt malade et il vint se mettre sous les soins de Louis Hébert. Les Jésuites l’accueillirent avec la plus grande charité et le soignèrent durant toute sa maladie. Le Père Massé le coucha même dans son lit. Louis Hébert se fit tour à tour cuisinier et médecin, tant il avait à cœur de rétablir le pauvre malade. Cependant Membertou succomba malgré les soins dont il était entouré. Il mourut dans de vrais sentiments chrétiens. L’abbé Fléché lui avait déjà administré le sacrement de baptême.

Pendant ce temps-là M. de Poutrincourt, toujours en France, apprit non sans peine la formation d’une compagnie nouvelle destinée à conduire des colons à quelques lieues de Port-Royal. Les dames de la cour s’offrirent pour payer les frais de l’expédition.

Vainement M. de Poutrincourt protesta contre le projet. Il eut beau démontrer qu’il était urgent de fortifier Port-Royal avant de fonder un nouvel établissement, rien ne put faire revenir les promoteurs de ce projet sur leur décision. Un navire fut équipé sous le commandement du capitaine La Saussaye. Trente personnes s’embarquèrent pour l’Acadie ainsi que les Pères Quantin et Gilbert Du Thet, Jésuites. La reine fit un don de cinq cents écus ; Mme de Verneuil fournit les vases sacrés et les ornements du culte, et Mme de Sourdis tous les linges d’autel.

Le 12 mars 1613, La Saussaye aborda au Cap de la Hévê. En touchant la terre ferme, il fit ériger une grande croix aux armes de Mme de Guercheville, sa protectrice. Le Père Quantin célébra la Sainte-Messe. Après cet acte de foi, La Saussaye se rendit avec ses compagnons à Port-Royal. Il n’y rencontra que Louis Hébert qui, avec deux autres personnes, gardait le fort en l’absence de M. de Biencourt. La Saussaye, après les salutations d’usage, remit à Louis Hébert les lettres que la reine envoyait à M. de Biencourt avec ordre de laisser partir les Jésuites. Ces lettres attristèrent profondément Louis Hébert. Il eût désiré voir les bons missionnaires ainsi que les nouveaux colons s’établir à Port-Royal ; mais il se rendit aux ordres de la reine, et il remit aux Jésuites tous les effets qui leur appartenaient. « Tant ce jour-là que le lendemain, écrit la Relation, on fit bonne chère à Hébert, et à son compagnon afin que cette arrivée ne leur fût pas triste. Au départ, quoiqu’ils ne fussent pas dans la disette, on leur laissa un baril de pain et quelques flacons de vin, à ce que l’adieu fût pareillement de bonne grâce. »


un premier défrichement dans une forêt canadienne.

La Saussaye se dirigea ensuite vers la côte et il s’arrêta à l’embouchure de la rivière Pentagouët, sur l’Île des Monts Déserts. D’après M. de Champlain, il y bâtit à la hâte un petit fort qu’il nomma Saint Sauveur. Cette recrue, d’environ soixante-et-cinq personnes en comptant les trente-cinq hommes de l’équipage, aurait été bien plus utile à Port-Royal. Le fort était spacieux, solide, à l’abri d’un coup de main. Les défrichements y étaient avancés, et la récolte s’annonçait superbe. Le territoire de Port-Royal n’était pas, comme celui de Pentagouët, contesté à la France par l’Angleterre. Ces deux postes, trop faibles pour se défendre, succombèrent peu de temps après.

Au mois de juin, Samuel Argall, sous-gouverneur de la Virginie, se dirigeait dans ces parages en escortant des bateaux pêcheurs. On lui apprit qu’un établissement était à se former à l’embouchure de la rivière. Bien qu’on fût alors en pleine paix, il se décida à attaquer La Saussaye. Celui-ci se mit sur la terre ferme pour protéger le fort qui se trouvait sur l’Île que Lamotte-le-Vilain commandait.

La Saussaye se défendit avec courage, mais, comme il perdait beaucoup de monde, il prit le parti de se rendre. Lamotte en fit autant et remit l’habitation aux mains d’Argall, qui s’empressa de voler la commission de La Saussaye. Ce dernier, sommé de montrer sa commission qu’il ne put retrouver, fut traité comme un misérable corsaire.

Argall s’offrit pourtant de conduire les Français dans la Virginie ; il leur promit la liberté de conscience, et s’engagea à les faire repasser en France après un an. Plusieurs acceptèrent cette proposition, mais, arrivés en Virginie, le gouverneur de Jamestown les traita en pirates et les condamna à mort malgré les protestations d’Argall qui, ne voulant pas assumer la responsabilité d’un tel crime, prit alors la résolution de montrer la commission de La Saussaye, ce qui sauva la vie des Français mais perdit Port-Royal. En apprenant qu’il se trouvait un autre établissement en Acadie, le gouverneur ordonna à Argall de s’y transporter et de le détruire.

À Port-Royal les Français étaient loin de s’attendre à pareille attaque. Argall ne trouva personne pour défendre le fort. Il y mit le feu et tout fut détruit. En quelques heures furent consumés les bâtiments qui avaient coûté beaucoup de travaux et d’argent. M. de Poutrincourt qui venait d’arriver en Acadie fut témoin de ce malheur. Combien fut grande sa douleur en présence de ce désastre !

Avec quelle amertume dans l’âme, il contempla, ainsi que Louis Hébert, les ruines fumantes de l’Habitation ! Là, sous leurs yeux, se trouvaient les souvenirs de leurs peines, de leurs souffrances ! Ils durent tout abandonner… Les champs de blé, les jardins qui annonçaient une si abondante récolte, il fallut tout quitter !… Pourtant ils étaient sur le point de jouir de leurs travaux ; les difficultés des débuts étaient surmontées… mais un ennemi jaloux détruisit leurs plus chères espérances. Il fallut dire adieu pour jamais à la terre acadienne si fertile et remplie de promesses ! Songer d’y revenir paraissait une folie : M. de Poutrincourt était ruiné. Ce fut donc avec un cœur brisé que Louis Hébert dit adieu à ses champs et à ses jardins. Il s’embarqua pour la France après avoir perdu son temps et ses peines. Quant à M. de Poutrincourt, il conservait un peu d’espoir. Son fils restait en Acadie avec les Sieurs de Latour attendant une juste compensation pour les pertes qu’il venait de subir. Mais il n’eut pas la joie de voir la réalisation de ses espérances ; il mourut au champ d’honneur peu après : M. de Biencourt lui-même fut emporté par la mort dans la fleur de l’âge.

MM. de Latour recueillirent la succession et reçurent de la part de l’Angleterre une indemnité considérable. Louis Hébert, rentré en France, rencontra M. de Champlain qui venait de fonder, en 1608, une colonie sur les bords du Saint-Laurent. Tenté par cette nouvelle entreprise, il s’associa à son vieil ami, car il n’avait cessé d’aimer les terres de la Nouvelle-France. Il était marqué, dans les desseins de Dieu, que le premier colon acadien serait aussi le premier colon canadien. À ces titres Louis Hébert mérite la reconnaissance du Canada tout entier.