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Lucette, ou les Progrès du libertinage/02-09

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CHAPITRE IX.

Il eſt beau de tenir parole.


JE ne ſçais pourquoi nous chériſſons tant la vie, cet univers où le riche & le pauvre ſouffrent également. Sans doute qu’en eſt effrayé de l’idée de la deſtruction de ſon être ; on fait ſon poſſible pour le conſerver dans le même état. Nous aimons mieux endurer mille maux dans un lieu que nous connoiſſons, plutôt que de diſparoître pour éprouver des peines ou un bonheur dont l’alternative & l’incertitude nous épouvantent.

Lucette ; quelques promeſſes qu’on lui fît de ſa félicité prochaine, ne jugea point à propos de paſſer de ce Monde-ci dans l’autre. Un Étudiant en Chirurgie, qui alloit tout bonnement ſon petit chemin, ne ſçavoit ni Galien, ni Hippocrate par cœur, qui ne cherchoit point à en impoſer par de grands mots inintelligibles, mais qui conſultoit la Nature plutôt que les règles de ſon art ; ce jeune homme, dis-je, eut l’audace d’entreprendre une cure dont ſes maîtres doutoient. Il ſe conduiſit avec prudence, réfléchiſſoit ſur la cauſe des ſymptômes qu’il voyoit ; entreprit de détruire le mal par degrés : il ne parla ni Grec ni Latin à notre héroïne ; & il la guérit.

Le meſſager des Dieux, le favori de Jupiter, fut touché des maux de Lucette ; il la viſita ſouvent, la pénétra même par ſa vertu ſurnaturelle ; enfin, il fit ſi bien qu’il détruiſit ſa cruelle maladie. Il falloit toute la puiſſance de ce Dieu pour faire jouir notre héroïne d’une parfaite ſanté.

Dès qu’elle ſe vit hors de danger, elle ſe moqua de ſes ſermens, n’en fit que rire, & déclara qu’ils ne l’empêcheroient point de rentrer dans une carriere qu’on prétendoit lui faire quitter. On cria à l’impiété, à l’ingratitude ; mais l’on avoit tort : notre héroïne étoit ſi reconnoiſſante qu’elle paya le jeune apprentif Chirurgien au-delà de ſes eſpérances ; elle lui accorda les prémices d’un bonheur dont, grâce à ſes ſoins, elle pouvoit être libérale. Il prouva combien il étoit ſûr de ſa guériſon, & ſentit que Lucette feroit encore plus d’un heureux. Notre héroïne reſpecta toute ſa vie les Dieux de la Fable, en faveur des grandes obligations qu’elle avoit à l’un d’eux.

Cependant elle étoit dégoutée d’un état où la peine ſuit de bien près les plaiſirs : (qu’on ne ſe figure pas qu’une Actrice ne ſonge qu’à ſa parure & qu’à ſes conquêtes). Lucette quitta le Théâtre, non à cauſe de ſa promeſſe, mais rebutée des tracaſſeries des camarades, d’un travail qui ſe renouvelle chaque jour. Une raiſon encore plus forte l’obligea d’y renoncer : ſon miroir lui apprit que ſes charmes déclinoient. La maladie que notre héroïne éprouva fait de terribles ravages ſur ceux qu’elle attaque ; elle ne put en douter. Son orgueil auroit trop ſouffert du triomphe de ſes rivales, de ſe montrer au Public privée d’une partie de ſes attraits. Elle abandonna donc le Théâtre : la vanité fut le ſeul motif de ſa retraite.

Au lieu de retourner chez ſa mere, à qui, par parenthèſe, elle ne ſongea point du tout dans ſa bonne fortune, Lucette réſolut de revoir Paris. Cette ville lui paroiſſoit un lieu de reſſource ; elle avoit connu par expérience qu’une Belle, peu avare de ſes faveurs, y nage dans l’opulence ; elle ſe flattoit d’y trouver les mêmes agrémens : l’amour l’entraînoit auſſi dans la Capitale. Depuis long-tems Monſieur Lucas avoit ceſſé de lui écrire : inquiette ſur ſon ſort, elle hâta l’heure de ſon départ ; elle auroit voulu voler dans les bras de ſon amant.

Je ne dirai point que notre héroïne fut défrayée dans la route par deux étrangers qu’elle trouva dans le caroſſe de voiture ; ce ſeroit m’arrêter à des choſes trop connues, & qui ſe voyent chaque jour. Tout le monde ſçait qu’une Comédienne court, va, vient, traverſe la France, l’Angleterre, l’Allemagne, &c. ſans dépenſer un ſou. Chaque état a ſes priviléges particuliers ; celui des Actrices me paroît fort agréable.


Vignette fin de chapitre
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