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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juillet 1833/01

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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juillet 1833

MÉLANGES


DE SCIENCES ET D’HISTOIRE NATURELLE.

THÉORIE DE LA TERRE,


D’APRÈS M. AMPÈRE.


Notre globe porte à sa surface des traces si évidentes de violens changemens, que les hommes, même dans l’état le moins avancé de la société, en ont été frappés et ont souhaité en connaître la cause ; de sorte qu’il n’est presque aucune mythologie, où l’on ne trouve la preuve de ces premiers efforts de l’esprit humain, pour arriver à l’interprétation des faits géologiques. Souvent, à la vérité, l’explication ne porte que sur un fait local, et suppose seulement une agence analogue par sa nature à celle de l’homme, quoique plus puissante dans ses effets : c’est un héros, par exemple, qui, par la force de son bras, sépare deux montagnes ; un demi-dieu, qui, d’un coup de son glaive, ouvre une gorge dans une cordillère. Quelque puérile, quelque extravagante même que soit une explication, l’homme s’en contente, plutôt que de rester dans le doute.

Cependant, à mesure que la société marche, que les idées s’étendent, cette tendance à l’anthropomorphisme diminue. Ce ne sont plus les poètes, les conteurs, qui se chargent d’interpréter la nature, mais les philosophes ; du reste, la manière de procéder est encore à peu près la même. Ainsi, tandis que l’un disait : « Un homme peut fendre la tige d’un petit arbre, cliver un fragment d’ardoise ; un être plus grand, plus robuste, pourra fendre de même un rocher ; or, voilà un rocher qui paraît avoir été fendu : donc, il a existé un homme doué de forces convenables pour le fendre ; » l’autre aura observé, je suppose, les effets d’une pluie d’orage sur un terrein meuble, et voyant que les eaux ont creusé à la surface du sol de petites rigoles séparées entre elles par des sillons ; « voilà, se dira-t-il, l’image des montagnes et des vallées, et c’est une cause semblable qui, agissant sur une plus grande échelle, a présidé à leur formation. »

C’était une bonne marche, sans doute, que de partir de faits s’accomplissant ainsi sous l’influence d’une cause connue, pour remonter à celle de faits appartenant à des époques fort antérieures ; mais, avant de prononcer sur l’identité des causes, il eût fallu commencer par constater celle des effets. Il eût fallu observer avec soin et persévérance, collecter péniblement des matériaux, avant de songer à élever l’édifice ; or, celui qui se sentait le génie de l’architecte, ne voulait pas descendre à faire le métier de maçon. Aussi, qu’arrivait-il ? C’est que les efforts de la plus brillante imagination n’aboutissaient qu’à créer des châteaux de carte, que le moindre souffle renversait.

On conçoit fort bien que des hommes, dont l’esprit était accoutumé à de hautes spéculations, eussent quelque peine à se plier à un examen minutieux de détails, et qu’ils se contentassent, pour leurs théories, d’emprunter à l’observation un très petit nombre de faits ; mais en procédant de cette manière, ils ne pouvaient réellement rien produire de durable. Aussi les premiers progrès dans les sciences géologiques furent-ils dus, non à des philosophes, mais à d’humbles artisans, à un potier de terre, à des ouvriers mineurs, etc. Le temps des généralisations utiles ne peut, en effet, jamais précéder celui des observations.

Depuis quelques années, les observations sur la structure du globe se sont beaucoup multipliées. On a étudié toutes les circonstances de ces grands accidens, dont les traits les plus marqués avaient seuls pu d’abord attirer l’attention ; on s’est trouvé en possession d’assez de faits, pour pouvoir déduire d’une manière rigoureuse un certain nombre de lois relatives à la composition, à la superposition des couches terrestres, à la direction des fractures qui se sont faites à diverses époques dans cette coque extérieure, à l’âge relatif des brisemens, etc. Ainsi, en laissant de côté ces explications prématurées, sortes d’excroissances qui surchargent les sciences sans les faire grandir, nous voyons la géologie passer par les trois premiers des degrés successifs qu’ont à parcourir, suivant M. Ampère, toutes les connaissances humaines. 1o L’examen des traits les plus saillans de l’objet d’étude, de tout ce qui, dans cet objet, s’offre immédiatement et, pour ainsi dire, de soi-même à l’observation. 2o La recherche de ce qui est comme caché sous cette apparence, l’examen de détail, l’analyse qui conduit à la connaissance de la structure intime. 3o La déduction des rapports qui lient entre eux tous les faits observés. Reste un quatrième degré qui complète la connaissance de l’objet, et qui ne peut venir qu’après tous les autres : c’est celui dans lequel, connaissant bien les faits et les lois qui les régissent, on s’efforce de remonter aux causes. Dans les sciences géologiques, ce quatrième degré qui a pour objet de nous expliquer l’état actuel du globe, en nous faisant connaître ce qui a précédé et amené les grandes catastrophes dont nous apercevons de tous côtés les traces, est ce que l’on nomme Théorie de la terre. D’après ce que nous venons de dire, on conçoit que ce n’est que depuis très peu de temps qu’on a pu s’en occuper avec quelque espoir de succès.

M. Ampère, dans ses leçons sur la classification naturelle des connaissances humaines, a émis, sur la théorie de la terre, des opinions fort ingénieuses, et il a bien voulu nous les développer plus amplement dans quelques conversations particulières ; nous tâcherons d’en donner ici une idée, mais auparavant nous croyons devoir rappeler brièvement les hypothèses d’Herschell sur la formation même du globe.

Prenant les choses de très loin, et s’appuyant des observations qu’il avait faites sur l’apparence des corps célestes, et en particulier des nébuleuses, Herschell se crut autorisé à admettre que la matière dont les mondes sont composés était d’abord à l’état gazeux. En effet, il avait vu que, parmi les nébuleuses, les unes n’offrent à l’œil qu’une lumière diffuse et homogène, analogue à celle de la queue des comètes, tandis que d’autres présentent dans cette même lumière des points plus brillans, qui semblent indiquer que les particules gazeuses commencent à se réunir en noyaux liquides ou solides. Il avait, en outre, remarqué que l’éclat de ces points augmente à mesure que la lumière diffuse va perdant de son intensité ; et de là, il avait conclu assez naturellement que ces différences correspondaient aux différentes phases par lesquelles un monde passe depuis l’époque de sa formation.

« De même, disait-il, que l’homme, pour faire l’histoire du chêne, n’a pas besoin de suivre un arbre de cette espèce pendant la longue période de son existence, qui surpasse de beaucoup la sienne propre, mais qu’il lui suffit de parcourir une forêt pour y observer des chênes dans tous les états par lesquels ils passent successivement, depuis le premier développement de leurs cotylédons jusqu’à leur décrépitude et à leur mort ; de même il suffirait de trouver dans le ciel des nébuleuses qui représentassent les différentes époques de la formation d’un monde, pour en déduire les différens états successifs par lesquels chacun d’eux a passé ou passera. »

Conformément à ce point de vue, Herschell considère chaque nébuleuse comme le germe, comme l’espoir d’un système de mondes futurs analogue au système complet de notre soleil et de nos étoiles ; car, suivant lui, toutes les étoiles, en y comprenant la multitude innombrable de celles qu’on voit dans la voie lactée, ne forment qu’une nébuleuse, parvenue à un point où toute la matière gazeuse s’est déjà concentrée en noyaux solides. Tous ces noyaux constituent un ensemble comparable pour la forme à une meule de moulin dont l’épaisseur, quoique immense, serait encore très petite relativement à son diamètre. Dès-lors, en nous concevant placés dans un point quelconque de l’épaisseur de cette meule, lorsque nous tournons les yeux vers une de ses faces, nous ne pouvons apercevoir dans cette direction qu’un certain nombre des étoiles comprises dans l’épaisseur, tandis qu’en plongeant nos regards dans le sens du diamètre, nous voyons comme une suite infinie d’étoiles les unes derrière les autres, paraissant d’autant plus petites qu’elles sont plus éloignées, et formant par leur réunion l’apparence de la voie lactée.

L’hypothèse d’Herschell, remarque M. Ampère, n’a rien que de très conciliable avec le texte de la Genèse : terra autem erat inanis et vacua ; le sens que les anciens donnaient au mot inanis, entraînant surtout l’absence de matière palpable, peut s’appliquer à l’état gazeux d’un corps. Au reste, ajoute le professeur, on verra bientôt se multiplier tellement les rapports entre le récit et notre théorie, qu’il en faudra conclure, ou que Moïse avait dans les sciences une instruction aussi profonde que celle de notre siècle, ou qu’il était inspiré.

Si l’on admet que les choses se soient en effet passées comme le suppose Herschell, c’est-à-dire que tous les corps, soit simples, soit composés, qui ont concouru à la formation de notre système planétaire et de la terre en particulier, ont d’abord été à l’état gazeux, il faut admettre nécessairement que leur température, à cette époque, était plus élevée que celle à laquelle celui de tous ces corps qui est le moins volatil resterait à l’état liquide. Sans nous inquiéter de savoir quel est ce corps, nous désignerons par la lettre A la température à laquelle il cesse de subsister à l’état de fluide élastique.

Pour qu’il y ait formation de corps liquides ou solides aux dépens de cette immense masse gazeuse, il faudra supposer qu’il s’y opère un refroidissement, et le premier dépôt ne pourra arriver que quand la température sera descendue au point A. Ce dépôt ne se continuera qu’en vertu d’un refroidissement ultérieur, et sans que la partie déposée puisse acquérir une température supérieure à A. C’est ainsi que si l’on a de la vapeur d’eau à 120°, on sait qu’elle ne pourra se liquéfier que lorsque, par un refroidissement successif, elle sera arrivée à 100°, et que, quoiqu’il y ait de la chaleur produite par la liquéfaction, cette chaleur ne peut que maintenir à 100° l’eau déjà déposée, et jamais l’élever au-dessus.

Le premier dépôt, très probablement, ne sera formé que d’une seule substance, soit simple, soit composée ; car il est difficile d’admettre que deux substances différentes se liquéfient précisément au même degré de température.

Quand toute cette première sorte de substance, provenant d’une portion déterminée de l’espace, se sera réunie en une seule masse liquide (masse qui, en vertu de l’attraction mutuelle de toutes ses parties, prendra la forme d’une sphère, si elle n’a pas de rotation sur elle-même, et si elle en a, prendra la forme d’un sphéroïde aplati), il ne se formera plus de dépôt jusqu’à ce que, par la continuation du refroidissement, la masse soit descendue à la température B, qui est celle à laquelle une seconde substance gazeuse se liquéfie. Arrivée à ce point, la seconde substance se déposera sur le premier noyau, autour duquel elle formera une couche concentrique.

Ce dépôt se fera comme le premier, peu à peu, et sans que jamais la température de la surface puisse s’élever au-dessus du point B.

Il en sera de même pour les températures de moins en moins élevées, auxquelles se déposeront successivement les autres substances restées jusqu’alors à l’état de gaz.

Jusqu’à présent nous avons raisonné comme si les diverses substances déposées successivement n’exerçaient les unes sur les autres aucune réaction chimique. Dans ce cas, les parties centrales avaient bien, à la vérité, une température supérieure à celle des couches plus extérieures ; mais en vertu du refroidissement successif et de la différence entre les degrés de température où commence chaque dépôt, on ne voit pas qu’aucune couche puisse jamais reprendre une température assez élevée pour repasser en totalité ou en partie à l’état du fluide élastique, surtout si l’on songe à la pression produite par les couches qui se seraient déposées au-dessus d’elle. Il résulte de là que chaque couche, soit qu’elle se forme d’une substance simple ou d’une substance composée, devrait, dans notre hypothèse, rester homogène, séparée des autres par des lignes de niveau, sans mélanges et sans inégalités à la surface de contact. Tous les dépôts ayant été l’effet d’un refroidissement lent et gradué, les diverses substances seraient rangées précisément dans l’ordre des températures où elles passent de l’état liquide à l’état gazeux.

Ce n’est pas ainsi pourtant qu’est composé le globe de la terre, et ce n’est pas ainsi que doivent l’être les planètes et les soleils répandus dans l’espace. Pour voir ce qui a dû arriver, rendons aux couches successives les propriétés chimiques dont elles sont douées, et cet ordre si régulier sera aussitôt détruit par d’immenses bouleversemens.

Lorsqu’une nouvelle couche se dépose à l’état liquide, soit que la précédente existe encore à cet état, soit que déjà elle ait passé à l’état solide, il doit se manifester entre elles une action chimique résultant de l’affinité entre les deux substances, si chaque couche est formée par un corps simple (ce qui doit être très rare), ou entre les élémens, si l’une d’elle ou si toutes deux sont des substances composées. De là, formation de nouvelles combinaisons, explosions, déchiremens, élévation de température, et (dans le cas où l’une des couches au moins contiendrait des élémens divers) retour à l’état de gaz des élémens qui seraient séparés par le fait des nouvelles combinaisons, soulèvement de la surface par une sorte d’ébullition, enfin formation de matière solide toutes les fois qu’un des nouveaux composés produits exigerait, pour rester à l’état liquide, une température beaucoup plus élevée.

On sait quelle intensité de chaleur résulte des combinaisons chimiques, et combien ces températures sont supérieures à celles qui se produisent par la simple liquéfaction d’un gaz. Il pourra arriver ainsi que des couches inférieures, qui auraient été déjà solidifiées, passeraient de nouveau à l’état liquide, et dans le cas où la masse déposée serait déjà considérable, il faudrait un temps assez long pour que le centre, alors moins échauffé que la surface, se remit avec elle en équilibre de température.

Dans le moment où une de ces combinaisons viendrait de s’opérer, le maximum de température ne serait ni au centre ni à la superficie de la masse, mais sensiblement à l’endroit où la dernière couche reposerait sur la précédente, puisque c’est là que, suivant notre supposition, se développerait l’action chimique.

Ce ne serait qu’après beaucoup de bouleversemens, après que de grands morceaux de croûte déjà solidifiée auraient été soulevés par les élémens revenus à l’état gazeux, et en vertu d’un refroidissement ultérieur, que se pourrait former une croûte continue assez solide pour mettre obstacle à de nouvelles combinaisons chimiques. Mais, quand la température se serait abaissée de manière à permettre que, sur cette couche solide, vint se déposer une nouvelle substance à l’état liquide, susceptible de l’attaquer chimiquement, on verrait se reproduire de nouvelles séries de grands phénomènes analogues à ceux dont nous venons de parler.

Dans le cas où cette croûte solide ne serait pas susceptible d’être attaquée par le nouveau liquide déposé, mais où une couche inférieure serait de nature à l’être, il pourrait arriver que, pendant quelque temps, il n’y eût pas d’action chimique, mais qu’ensuite, au travers des fissures de la couche intermédiaire, fissures produites par des bouleversemens précédens ou causées par le retrait résultant, pour cette couche moyenne, d’un refroidissement postérieur à la solidification, le liquide nouvellement déposé arrivât jusqu’à la couche attaquable. Le premier effet de cette pénétration serait de produire des explosions qui briseraient de plus en plus la couche préservatrice, et mettraient en un plus large contact les deux couches qu’elle séparait. De là résulteraient des bouleversemens nouveaux dont les effets seraient d’autant plus intenses qu’ils auraient tardé davantage, et que les obstacles qu’ils auraient à vaincre seraient plus grands.

C’est ainsi qu’on peut rendre raison des révolutions successives qu’a éprouvées le globe terrestre, du brisement et de la disposition sous toute espèce d’inclinaisons de couches formées d’abord selon des lignes de niveau. On conçoit que la surface de la terre, au lieu d’avoir été en se refroidissant d’une manière graduelle, a dû éprouver des augmentations de température très grandes et très brusques, toutes les fois que se sont produites les réactions chimiques dont nous venons de parler.

Maintenant que la température est tellement abaissée, qu’il n’y a plus, parmi les corps susceptibles d’agir chimiquement avec violence, que l’eau qui soit restée à l’état liquide, ce n’est plus que de l’eau qu’on peut craindre un nouveau cataclysme.

On peut, poursuit M. Ampère, faire, avec une petite masse de potassium, une expérience qui représente en miniature les bouleversemens qui ont dû avoir lieu sur le globe terrestre, quand une substance jusqu’alors gazeuse est tombée à l’état liquide sur ce globe, dont la surface était de nature à agir chimiquement sur elle. Pour cela, il suffit de projeter en l’air de l’eau, de manière à ce qu’elle retombe en gouttes imperceptibles sur ce globule de potassium. À mesure qu’elle y arrive, chaque molécule d’eau est décomposée ; son hydrogène, à cause de l’élévation de température qui se produit, brûle avec une petite flamme semblable à celle d’un volcan ; il se fait au point de contact une petite cavité, qui est le cratère, et l’oxide de potassium se relève sur les bords en formant un monticule, dont le cratère occupe le centre.

Si l’eau tombe en quantité un peu plus considérable, il se fait un embrasement général de la surface du potassium, d’où résulte une multitude de crevasses et d’élévations, comparables aux grandes vallées et aux chaînes de montagnes dont la terre est sillonnée. Au surplus, ajoute M. Ampère, il reste un grand monument des bouleversemens qu’a produits sur le globe la décomposition des corps oxigénés par les métaux dans l’énorme quantité d’azote qui forme la plus grande partie de notre atmosphère. Il est peu naturel de supposer que cet azote n’ait pas été primitivement combiné ; probablement il l’était avec de l’oxigène sous la forme d’acide nitreux ou nitrique. Pour cela, il lui aurait fallu, comme on le sait, huit à dix fois plus d’oxigène qu’il n’en reste dans l’atmosphère. Où sera passé cet oxigène ? Suivant toute apparence, il aura servi à l’oxidation de substances autrefois métalliques et aujourd’hui converties en silice, en alumine, en chaux, en oxides de fer, de manganèse, etc. Quant à l’oxigène qui existe dans l’atmosphère, ce n’est qu’un reste de celui qui ne s’est pas combiné avec des corps combustibles joint à celui qui a été expulsé des combinaisons dans lesquelles il entrait par du chlore ou d’autres corps analogues.

Dans les premiers momens de ce dépôt d’acide nitrique, à mesure que l’acide arrivait sur les métaux non oxidés, la combinaison se produisait, et bientôt il y eut une croûte complètement oxidée. Cette combinaison ne se passa pas, comme on peut le croire, sans qu’il y eût dégagement d’une énorme quantité de chaleur qui volatilisa de nouveau les portions de liquide qui continuaient à arriver, et maintint à l’état élastique celles qui allaient se liquéfier. Mais le refroidissement s’opérant avec le temps, la précipitation recommença, et le noyau solide fut bientôt entouré d’un vaste océan acide. Pendant quelque temps, la croûte oxidée dut protéger contre l’action de cet acide les parties non encore oxidées qu’elle recouvrait ; mais la mer acide, croissant chaque jour, augmentant incessamment sa pression, se faisait chemin à travers les fissures, et de là dut résulter une oxidation d’abord sourde, puis violente, et qui bientôt fit voler la croûte en éclats. De là, comme nous l’avons déjà dit, précipitation du liquide acide, nouvelle formation d’oxides bouillans comme la lave ; puis, par l’effet de la chaleur dégagée dans la combinaison, nouvelle vaporisation du reste de l’acide.

On a déjà dit qu’à mesure que ces événemens se répétaient, la couche d’oxide croissant, l’infiltration était plus difficile, les cataclysmes devenaient plus rares, mais en même temps ils étaient plus violens.

Cependant la terre se hérissait de plus en plus de montagnes formées des éclats de la croûte soulevée et inclinées dans toutes les directions. Il arriva enfin qu’après un refroidissement nouveau, une nouvelle mer s’étant formée, elle ne recouvrit plus toute la surface du noyau solide ; quelques îles apparurent au-dessus des eaux (apparuit arida, dit Moïse), et la terre fut entourée d’une atmosphère formée comme la nôtre de fluides élastiques permanens, mais dans des proportions probablement fort différentes. Il semble, en effet, résulter des ingénieuses recherches de M. Adolphe Brongniart, qu’à ces époques reculées, l’atmosphère contenait beaucoup plus d’acide carbonique qu’elle n’en contient aujourd’hui. Elle était impropre à la respiration des animaux, mais très favorable à la végétation ; aussi la terre se couvrit-elle de plantes qui trouvaient dans l’air bien plus riche en carbone une nourriture plus abondante que de nos jours ; d’où résultait un développement bien plus considérable que favorisait en outre un plus haut degré de température.

C’est ainsi que s’expliquent l’antériorité de la création des végétaux relativement à celle des animaux, et la taille gigantesque des premiers. Nous trouvons, en effet, à l’état fossile des végétaux analogues à nos lycopodes et à nos mousses rampantes, mais qui atteignent deux cents et jusqu’à trois cents pieds de longueur.

La première création était toute composée de plantes acotylédones. À une époque postérieure vinrent s’y mêler des conifères et des cycadées, puis parurent les plantes monocotylédones, et enfin les dicotylédones, que l’on peut regarder comme plus parfaites et mieux organisées pour résister au froid.

Cependant les débris des forêts s’accumulaient sur le sol, s’y décomposaient, et l’hydrogène carboné, qui provenait de cette décomposition, se répandait dans l’atmosphère. Là, il était décomposé par les explosions d’électricité alors beaucoup plus fréquentes en raison de la plus grande élavation de température. Un monument de cette époque nous est offert par les houilles, immenses débris de végétaux carbonisés.

La même action qui avait produit l’apparition des îles (l’action du liquide acide, pénétrant à travers les fissures de la croûte oxidée) se répéta encore, et fut suivie nécessairement des mêmes phénomènes d’effervescence, d’où résultèrent de nouveaux soulèvemens. Seulement, au lieu que les bouleversemens antérieurs n’avaient fait apparaître au-dessus des eaux que des pics isolés, de simples îles, ceux-ci mirent à sec de vastes continens.

À chaque grand cataclysme, la température de la surface du globe s’élevant considérablement, toute organisation devenait impossible jusqu’à ce qu’elle se fût abaissée de nouveau. C’est en raison de cela que nous voyons à des couches qui renferment d’anciens végétaux et même les premiers animaux, succéder d’autres couches où il n’y a plus de débris de corps organisés.

L’absorption et la destruction continuelle de l’acide carbonique par les végétaux rendaient l’air de plus en plus semblable en composition à ce qu’il est maintenant, l’eau en même temps devenait de moins en moins acide. Cependant l’atmosphère n’était pas encore propre à entretenir la vie des animaux qui respirent l’air directement, et ce fut dans l’eau qu’apparurent d’abord les premiers êtres appartenant à ce règne, des radiaires et des mollusques.

La première population des mers fut uniquement composée d’invertébrés, puis vinrent les poissons, et plus tard les reptiles marins, tels que les énormes plésiosaures, et même, d’après le récit de Moïse, des oiseaux qui devaient surtout être des oiseaux aquatiques, puisqu’à cette époque, le rapport des parties découvertes aux parties submergées du globe était bien moindre qu’à présent.

De ces grands reptiles qui ont successivement habité les eaux de la mer, une seule race, dit M. Ampère, mais une race bien dégénérée, sous le rapport des dimensions, subsiste encore aujourd’hui : c’est la tortue.

Après l’époque des poissons, après celle des reptiles et des oiseaux, vinrent les mammifères, et enfin, l’atmosphère s’étant suffisamment épurée, la terre étant capable d’entretenir une plus noble génération, apparut l’homme, le chef-d’œuvre de la création.

Cet ordre d’apparition des êtres organisés, remarque M. Ampère, est précisément l’ordre de l’œuvre des six jours, tel que nous le donne la Genèse. Depuis l’apparition de l’homme, ajoute-t-il, la seule catastrophe qu’ait éprouvée le globe est celle qui correspond au déluge ; peut-être est-ce à elle qu’est dû le soulèvement des chaînes de l’Himalaya et des Andes. Maintenant la croûte d’oxide qui nous sépare du noyau non oxidé est si épaisse, que les bouleversemens sont devenus très rares ; sa résistance est même telle, que, quand une fissure a lieu en quelque point, l’explosion se fait isolément, et ses effets ne s’étendent point à toute la terre ; ainsi, quoique le choc se propage parfois à une grande étendue, le brisement de l’enveloppe solide ou la déjection des matières liquéfiées se fait en un espace très limité. Parmi ces catastrophes de second ordre, la plus remarquable par son étendue est celle qui, à Jorullo, au Mexique, s’observa le 29 septembre 1759, où, entre autres accidens, on vit, dans une savanne située au pied du volcan, une étendue de quatre mille carrés se soulever en vessie, et se hérisser de plusieurs milliers de petits cônes basaltiques, de fumaroles qui exhalaient une vapeur épaisse.

Cette hypothèse d’un noyau non oxidé, déjà présentée par Davy comme la seule admissible, explique très bien les volcans, sans qu’on ait besoin de supposer que la terre ait en elle une chaleur énorme qui serait due à l’état de fusion de toute sa partie intérieure. En effet, cette masse non oxidée est une source chimique intarissable de chaleur qui se manifestera toutes les fois qu’un corps viendra former avec elle quelque combinaison ; de sorte qu’un volcan en activité semblerait n’être autre chose qu’une fissure permanente, une correspondance continuelle du noyau non oxidé avec les liquides qui surmontent la couche oxidée.

Toutes les fois qu’a lieu cette pénétration des liquides jusqu’au noyau non oxidé, il se produit des élévations de terrain, et c’est un effet qu’on pouvait prévoir, puisqu’on sait que le métal en s’oxidant doit augmenter de volume. La chaleur résultant de l’action chimique doit avoir son maximum d’intensité au point où se fait la combinaison, c’est-à-dire à la surface de contact de la partie oxidée avec le noyau métallique, et de là elle doit se propager non-seulement vers l’extérieur du globe, mais aussi vers son intérieur. On voit, d’après cela, que la marche de la chaleur dans l’intérieur du globe est une marche centripète ; à mesure que l’oxidation de la croûte va plus avant, la région des actions chimiques, source de la chaleur, s’approche du centre, et la chaleur dégagée se propage, en s’affaiblissant, du dehors vers le dedans, de sorte que si les métaux étaient moins bons conducteurs, on pourrait, dit M. Ampère, supposer que ce centre est très froid.

Ce que nous venons de dire paraît, au premier abord, être en opposition avec les faits observés. On a reconnu, en effet, qu’à partir de la surface et jusqu’à une certaine profondeur, la température va toujours en augmentant, et on s’est pressé d’en conclure que l’augmentation continue à aller jusqu’au centre, ou au moins jusqu’au noyau liquide. Les observations sont bonnes, mais la conclusion est attaquable. Remarquons d’abord que cette augmentation de température à partir de la surface jusqu’à une certaine profondeur ne fournit pas matière à une objection ; dans notre hypothèse même, elle est nécessaire, puisque le maximum d’intensité de la chaleur doit être au point de contact du noyau métallique avec la couche oxidée. Ajoutons que l’homme s’enfonce au plus à une lieue en terre, de sorte qu’il ne peut observer ce qui se passe que sur du diamètre du globe. Conclure de ce qui s’observe dans cette petite fraction du diamètre ce qui a lieu dans toute son étendue est d’une extrême légèreté, et c’est au contraire en physique une règle imprescriptible, qu’on ne doit considérer une loi comme générale, que lorsqu’elle a été observée directement dans la plus grande partie de l’échelle.

Ceux qui admettent la liquidité du noyau intérieur de la terre, paraissent ne pas avoir songé à l’action qu’exercerait la lune sur cette énorme masse liquide, action d’où résulteraient des marées analogues à celles de nos mers, mais bien autrement terribles, tant par leur étendue que par la densité du liquide. Il est difficile de concevoir comment l’enveloppe de la terre pourrait résister, étant incessamment battue par une espèce de levier hydraulique de 1400 lieues de longueur.

Aujourd’hui, les eaux de la mer n’étant plus acides, quand une fissure se forme dans la croûte terrestre et met à nu le noyau métallique, le liquide qui se précipite sur lui, prêt à l’oxider, est sensiblement de l’eau pure ; donc, les gaz qui se dégageront devront être oxigénés, et c’est en effet ce que confirme l’expérience.

Si cette eau rencontre des métaux très oxidables, et que l’oxigène dégagé ne rencontre aucun corps qui ait pour lui une grande affinité, il se dégagera pur, et pourra, dans certaines circonstances, produire de belles flammes en arrivant au contact de l’air. S’il rencontre au contraire des corps avec lesquels il est susceptible de produire des hydracides, il s’en formera, et comme ces corps se vaporisent aisément, on verra des fumées acides s’échapper par les orifices.

Davy, dans ses voyages aux volcans, a constaté le dégagement de l’hydrogène, soit à l’état pur, soit aux états d’hydrogène sulfuré, chloruré ou carboné.

On pouvait, il y a quelque temps, opposer des objections à cette théorie, en ce qui concerne la formation de l’hydrogène chloruré. On n’admettait pas, en effet, que l’eau pût décomposer un chlorure métallique, et lui arracher son chlore ; mais Berzelius a prouvé récemment, par des expériences directes, que l’eau décompose le chlorure de silicium.

La source de chaleur, avons-nous dit, se trouve au contact de la couche non oxidée et de la croûte oxidée, et elle est due en grande partie à l’action chimique qui a lieu en cette région. Ajoutons qu’il existe, pour sa production, une cause secondaire dans les courans électriques qui résultent du contact de ces deux couches hétérogènes. Un autre effet des courans produits par cet immense couple galvanique se manifeste à la surface de la terre, dans la direction de l’aiguille aimantée. Les courans se produisent aussi au contact des couches des différens oxides, mais moins énergiquement, en raison de la moindre conductibilité des oxides. Leurs effets tendent à se manifester également à la source de la terre ; quant à la direction qu’ils y affectent, on peut soupçonner qu’elle est déterminée par l’action du soleil, qui, échauffant successivement les divers méridiens, diminue ainsi, pour un temps, la conductibilité des parties correspondantes dans les couches les plus superficielles de la croûte.