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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juin 1833/02

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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juin 1833
ARCHITECTURE DES ARAIGNÉES.

On a lu à l’Académie des sciences dans la séance du 13 mai, un mémoire dans lequel M. Léon Dufour, donne une description très complète de la tarentule, et présente sur ses mœurs des détails très intéressans.

Cette aranéide, qui a été l’objet de tant de contes, appartient au genre lycose de Latreille, genre dont les espèces, très nombreuses dans le midi de l’Europe, n’ont point encore été assez étudiées.

Considérées sous le rapport de leurs habitudes (et ces habitudes sont un résultat nécessaire de l’organisation), les lycoses peuvent se partager en deux sections. Celles de la première, plus grandes, plus fortes, plus industrieuses, se creusent dans la terre de véritables clapiers. Celles de la seconde section se tiennent plus habituellement à la surface du sol, et cherchent seulement un refuge dans les anfractuosités du terrein ou sous des pierres.

La Iycose, qui fait le sujet principal des observations de M. Dufour, appartient à la première section. Il l’a observée identique, sauf des différences insignifiantes, en diverses parties de l’Espagne, et s’est bien assuré que c’était la véritable tarentule des anciens, celle des auteurs qui ont écrit sur le tarentisme, celle de Linné, de Fabricius, d’Olivier, etc. Il justifie cette assertion en établissant un rapprochement entre les descriptions de ces différens écrivains, et une description très complète qu’il a faite lui-même de cet insecte. Il montre que M. Latreille s’est trompé en donnant pour la tarentule de Linné et de Fabricius une lycose qui a le dessous du ventre d’un rouge vermillon clair avec une bande transverse très noire.

La lycose décrite dans la seconde édition du nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, sous le nom de Melanogaster, n’est autre chose que la tarentule de M. Dufour, et c’est même en partie d’après les individus envoyés par lui d’Espagne, que cette description a été faite.

La lycose tarentule habite de préférence les lieux découverts, secs, arides, incultes, exposés au soleil. Elle se tient ordinairement, au moins quand elle est adulte, dans des conduits souterreins qu’elle se creuse elle-même, conduits cylindriques, qui ont souvent un pouce de diamètre et qui s’enfoncent presque jusqu’à un pied et plus dans la profondeur du sol. Vertical dans la partie voisine de l’orifice, ce tuyau se courbe à quatre ou cinq pouces de profondeur, se continue quelque temps dans une direction horizontale, puis redevient perpendiculaire. C’est à l’origine du premier coude que se tient la tarentule, qui, de ce poste, voit tout ce qui se passe à l’entrée de sa demeure. « C’est là, dit l’auteur du mémoire, qu’à l’époque où je lui faisais la chasse, j’apercevais ses yeux étincelans comme des diamans, lumineux comme ceux du chat dans l’obscurité. »

L’orifice extérieur du terrier de la tarentule est ordinairement surmonté par un tuyau construit de toutes pièces par elle-même, lequel s’élève d’un pouce au-dessus de la surface du sol, et a parfois deux pouces de diamètre, de sorte qu’il est plus large que le terrier. Il est principalement composé de fragmens de bois sec unis à l’aide d’un peu de terre glaise et tapissé en-dedans d’un tissu filé par l’araignée, tissu qui se continue dans tout l’intérieur du terrier. Cette sorte d’ouvrage avancé a pour objet d’interdire l’entrée aux fragmens que le vent roule à la surface du sol, et en même temps de garantir la demeure du danger d’une inondation.

La tarentule n’est pas la seule espèce de lycose qui élève des tuyaux en maçonnerie au-dessus de l’ouverture de sa demeure souterreine. La lycose habile (lycosa perita. Latr.) découverte par M. Latreille aux environs de Paris, aurait aussi, d’après cet auteur, l’habitude de construire un petit tuyau conique avec des corps étrangers, de la terre, du bois, etc., et de le tapisser également avec un tissu de soie.

La tarentule est un insecte défiant, toujours sur ses gardes, et qui, au premier indice du danger, regagne en un clin-d’œil la partie la plus reculée de sa demeure. Il faudrait donc pour s’en rendre maître, en l’attaquant de front, creuser profondément dans un sol souvent assez dur et employer la pioche et la pelle comme pour déterrer un renard ; mais on réussit sans tant de peine, si on a recours à la ruse. Le moyen employé par M. Léon Dufour consistait à offrir un appât à la voracité de l’araignée en agitant à l’entrée de sa galerie un chaume de graminée surmonté de son épillet. L’araignée, trompée par ce bruit qui lui semblait produit par un insecte, s’avançait à pas mesurés et à tâtons vers l’épillet, et en retirant à propos celui-ci un peu en-dehors du trou, elle s’élançait souvent d’un seul trait hors de sa demeure, dont l’entomologiste avait soin de fermer aussitôt l’entrée. Alors déconcertée, embarrassée de sa liberté, elle éludait fort gauchement les poursuites, et cherchait habituellement refuge dans un cornet de papier préparé à dessein pour l’enfermer.

Si on ne réussissait pas à la faire sortir tout d’abord hors de sa demeure, le premier moment de surprise perdu, il n’y avait plus moyen de lui faire commettre cette imprudence, et elle s’arrêtait près de sa porte, observant les mouvemens de l’épillet. Mais pendant qu’elle était ainsi musant, on lui coupait la retraite en enfonçant obliquement en terre une lame de couteau dans la direction du clapier. Après cela, on en était aisément le maître, soit qu’elle s’obstinât à ne pas bouger de sa demeure, soit qu’elle prît le parti d’en sortir.

Dans quelques circonstances où la tarentule avait bien reconnu que l’épillet n’était pas un animal, elle ne s’inquiétait plus de ses mouvemens, et si on enfonçait le chaume jusqu’à la toucher dans son gîte, elle semblait jouer dédaigneusement avec cet épillet, et le repoussait à coups de pattes sans se donner la peine de gagner le fond de son terrier.

Cette prudence d’ailleurs est assez rare chez la tarentule, et son avidité est cause qu’elle se laisse prendre à différentes sortes de pièges. Ainsi, au rapport de Baglivi, les paysans de la Pouille la chassent en imitant près de son terrier, à l’aide d’un chalumeau d’avoine, le bourdonnement d’un insecte.

La tarentule est susceptible de s’apprivoiser ; M. Dufour en a conservé une dans un bocal de verre au fond duquel il avait placé le cornet de papier, qui lui avait d’abord servi de prison, et qui devenait maintenant pour elle une retraite. L’araignée s’habitua promptement à sa réclusion, et finit par devenir si familière, qu’elle venait saisir au bout des doigts de l’entomologiste la mouche vivante qu’il lui présentait. Après avoir donné à la mouche le coup de la mort avec le crochet de ses mandibules, elle ne se contentait pas, comme la plupart des araignées, de lui sucer la tête ; elle en broyait tout le corps en l’enfonçant successivement dans sa bouche au moyen de ses palpes. Elle rejetait ensuite les tégumens triturés et les balayait loin de son gîte. Après son repas, elle manquait rarement de faire sa toilette, qui consistait à brosser avec les tarses de ses pattes antérieures ses palpes et ses mandibules, tant en-dehors qu’en-dedans ; et, après cela, elle restait immobile.

Le soir et la nuit étaient pour elle le temps de la promenade et des tentatives d’évasion, on l’entendait alors souvent gratter le papier qui fermait le vase dans lequel elle était emprisonnée. Ces habitudes nocturnes confirment l’auteur dans l’opinion qu’il a déjà émise ailleurs, que la plupart des aranéides ont, comme les chats, la faculté de voir la nuit.

Après cinq mois de détention, la tarentule de M. Dufour ne fut plus retrouvée dans son bocal.

Dans une autre occasion, M. Dufour se donna le spectacle d’un combat singulier entre deux tarentules qu’il avait réunies dans un bocal. Après avoir cherché quelque temps à fuir, elles s’approchèrent l’une de l’autre, puis s’étant observées une minute, elles se dressèrent à la fois, se présentant réciproquement le bouclier de leur thorax. Elles restèrent quelque temps en cette position, puis se précipitèrent l’une sur l’autre, s’entrelacèrent de leurs pattes et cherchèrent dans une lutte obstinée à se piquer avec les crochets de leurs mandibules. Une fois, la fatigue fit suspendre la bataille ; mais bientôt les deux combattans qui s’étaient éloignés, reprirent leur posture menaçante, et la lutte ne tarda pas à recommencer. Une des tarentules, après avoir long-temps balancé la victoire, fut enfin terrassée et blessée mortellement à la tête. Elle devint la proie de son antagoniste qui commença par lui déchirer le crâne, et finit par la dévorer tout entière.

Baglivi avait déjà observé ces combats singuliers entre deux tarentules réunies dans une même prison.


Ce n’est pas dans le genre lycose seulement que l’on trouve des espèces remarquables par leur habileté architectonique, et le genre mygale en fournit aussi plusieurs. Telles sont la mygale recluse (mygale nidulans de M. Walckenaer), qui habite la Jamaïque, et la mygale maçonne (mygale cementaria de Latreille), qui se trouve aux environs de Montpellier. Cette dernière construit, dans des terreins inclinés, un nid qui ressemble à plusieurs égards à celui de la tarentule, mais en diffère surtout en ceci, que l’orifice, au lieu d’être simplement protégé par un rempart circulaire, se ferme exactement au moyen d’une porte à charnière dont le bord est reçu dans une feuillure de forme appropriée.

La mygale maçonne emploie une force et une adresse singulière lorsqu’on essaie d’ouvrir la porte de son domicile. Sauvages qui le premier nous a fait connaître les habitudes de cette araignée, ayant voulu une fois soulever la porte au moyen d’une épingle, éprouva une résistance à laquelle il ne s’attendait pas. Il vit l’animal dans une attitude renversée, accrochée par les jambes, d’un côté aux parois de l’entrée du trou, de l’autre à la toile qui revêt le derrière de la porte, tirer à lui cette porte, de sorte que dans cette lutte elle s’ouvrait et se fermait alternativement. La mygale ne céda que lorsque la trappe fut entièrement soulevée ; elle se précipita alors au fond du trou.

La mygale maçonne, dès le premier indice de danger, vient se cramponner contre sa porte. Rien n’est plus facile alors que de lui couper la retraite en ouvrant une tranchée, et de la rejeter à la surface du sol. Alors on s’en empare aisément, car dès qu’elle se trouve ainsi en pleine lumière, elle s’emble privée de toutes ses forces et elle ne marche qu’en chancelant. Nous avons vu qu’il en était à peu près de même pour la tarentule, ce qui semblerait indiquer chez les deux des habitudes nocturnes.

On a donné le nom de mygale de Sauvages, non à l’espèce dont cet observateur a fait connaître les mœurs, mais à une autre qui habite l’île de Corse : on la désigne cependant plus communément sous le nom de mygale Pionnière (mygale fodiens), qui lui a été donné par M. Walckenaer : c’est à cette espèce que M. Latreille attribue la construction de nids qui sont conservés dans la collection du muséum d’histoire naturelle, et qui font l’objet d’un mémoire de M. Audouin sur lequel M. F. Cuvier a lu récemment un rapport à l’Académie.

Ces nids, au nombre de quatre, sont compris dans une masse de terre cubique de trois pouces de côté, et leur réunion sur un si petit espace, indique dans les pionnières des mœurs moins farouches que celles de la plupart des autres araignées. Chaque nid est formé d’un tube cylindrique de dix lignes de diamètre, droit dans les deux tiers supérieurs, et devenant légèrement oblique dans l’autre tiers. La partie inférieure des quatre tuyaux manque, la motte de terre n’ayant pas été enlevée assez profondément, de sorte que jusqu’à présent on ne connaît ni la longueur totale du clapier ni sa direction près du cul-de-sac.

Le tube n’est pas simplement creusé dans la terre argileuse qui forme la masse de la motte ; il est construit à la manière d’un puits, c’est-à-dire qu’il a sa muraille de revêtement formée par une espèce de mortier assez solide, muraille qui peut être isolée entièrement de la masse qui l’entoure.

La partie intérieure de cet ouvrage de maçonnerie semble avoir été construite avec un mortier plus fin que la partie extérieure ; elle est unie à la surface comme si elle eût été passée à la truelle, et revêtue en outre d’une double tapisserie dont la plus grossière est appliquée immédiatement sur la muraille, tandis que celle qui forme la tenture véritable de cet appartement est fine et a l’aspect d’un papier satiné.

Il ne suffit pas à notre pionnière d’être logée chaudement et commodément, il lui faut, pour jouir de ce comfort, être exempte d’inquiétudes et en sûreté contre les ennemis du dehors. Pour remplir ce but, notre mygale fait comme la maçonne une porte à sa maison. Cette porte, dont Rossi a donné une description que complètent aujourd’hui les nouvelles observations de M. Audouin, est de tout l’édifice la partie qui mérite le plus de fixer l’attention. Sa forme générale est celle que nos constructeurs d’instrumens donnent aux soupapes noyées, quand ils veulent qu’elles ferment bien hermétiquement. C’est un disque plus large en haut qu’en bas, une rondelle conique dont les bords sont reçus dans une échancrure de forme appropriée, dans une feuillure, comme disent les menuisiers pour les portes de nos maisons. Au-dedans, la porte de notre mygale est ornée comme il convient pour ne pas faire disparate avec le reste de l’appartement ; au-dehors, au contraire, elle ne montre qu’une surface raboteuse formée par une terre grossière qui se confond avec celle du terrein environnant ; cette apparence plus que modeste a pour résultat de ne point appeler l’attention des êtres qui pourraient être mal intentionnés pour le propriétaire du logis.

Si de l’extérieur de la porte nous passons à considérer sa structure intime, nous y trouvons une complication qu’on était loin de soupçonner. En effet, quoiqu’elle ne soit guère épaisse que de trois lignes, elle résulte de la superposition de plus de trente couches de terre séparées les unes des autres par autant de couches de toile. Toutes ces assises successives s’emboîtent les unes dans les autres à la manière des poids de cuivre en usage pour nos petites balances.

En examinant les couches de toile, on remarque qu’elles se terminent au pourtour de la porte, excepté dans une petite étendue de la circonférence où elles se prolongent dans le mur même et forment ainsi par leur réunion une charnière dont la force est en raison du nombre des couches, et par conséquent proportionnelle au poids de la porte. Cette charnière est élastique et ramène la porte avec d’autant plus de force qu’elle a été plus éloignée de sa position naturelle. Il en résulte que si l’araignée, qui se tient d’habitude en un point d’où elle peut entendre ce qui se passe au-dehors, est obligée de sortir précipitamment pour saisir quelque insecte qui passe, elle n’a pas besoin de perdre du temps à fermer sa maison pour en interdire à l’ennemi l’accès ou même la vue ; la porte se clôt d’elle-même.

On sent bien d’ailleurs que si la mygale a un certain intérêt à fermer, quand elle est absente, sa demeure de laquelle on ne peut rien emporter, il lui est plus important encore de pouvoir en défendre l’entrée lorsqu’elle y est renfermée. Nous avons vu que pour obtenir ce résultat, l’araignée maçonne oppose à l’effort qui tend à écarter le couvercle un effort en sens contraire, se tenant accrochée par les pattes d’une part à sa porte et de l’autre aux murailles de sa maison. C’est là un moyen très grossier, mais que nous trouvons de beaucoup perfectionné dans le cas de la pionnière, d’abord par un emploi plus avantageux des forces musculaires, puis par l’usage d’un appareil destiné à suppléer à leur insuffisance.

Dans la partie opposée à la charnière et précisément au point où nous placerions le verrou, parce que c’est le lieu où la résistance peut s’exercer avec le plus d’efficacité, la pionnière a ménagé un certain nombre de trous dans lesquels elle introduit les forts crochets de ses mandibules qui, une fois entrés, ne font que s’y fixer davantage par les efforts exercés du dehors et sans exiger de la part de l’assiégée aucune contraction musculaire. L’animal peut donc faire usage de toutes ses forces pour se cramponner des huit pattes dont il est pourvu à la tapisserie intérieure de sa maison.