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Méliador/Introduction - I

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Texte établi par Auguste Longnon (Ip. vi-xliii).
I. — Analyse de Meliador.

Le sujet du poème est en lui-même assez simple. Afin d’échapper aux trop pressantes poursuites d’un outrecuidant chevalier, l’héritière présomptive du trône d’Écosse a fait vœu d’épouser le guerrier qui, après cinq années d’épreuves, sera proclamé le plus vaillant. Mais, en raison du grand nombre des chevaliers qui prennent part à la quête de la belle Hermondine, l’action est singulièrement touffue. Un reproche plus grave encore doit être adressé à Froissart : l’intérêt du lecteur se concentre à certains moments sur des personnages qui, dans une œuvre mieux composée, ne se présenteraient pas avec le même relief. Agamanor et Phénonée d’une part, Sagremor et Sébille de l’autre, font trop souvent oublier les véritables héros du roman. Dans ces conditions, une analyse un peu détaillée du poème nous a paru absolument nécessaire, afin de permettre au lecteur de se rendre un compte exact de la marche du récit et de se reporter plus facilement aux épisodes qui auraient attiré son attention.



Hermond, roi d’Écosse, qui avait épousé la sœur de Loth, seigneur de Montgriès, en Northumberland, reste veuf après sept ans de mariage, avec une fille unique, Hermondine. Contraint de soutenir contre le roi de Suède une longue guerre où l’accompagne son beau-frère, il confie la jeune princesse aux soins de Florée, fille de Loth, et les deux cousines demeurent ensemble au château de Montgriès. Non loin de là se trouvait le château de Camois, appartenant à un chevalier du nom de Camel. Les hasards d’une chasse au cerf conduisent un jour Camel jusque sous les murs de Montgriès, en un préau où il sonne l’hallali. Il accepte l’hospitalité de Florée ; mais, malgré les instances de celle-ci et par un motif qu’il ne saurait avouer, il refuse de passer la nuit à Montgriès : il était, en effet, atteint de somnambulisme, et, malgré toute sa bravoure, il n’avait point coutume de dormir sans être veillé (v. 364).

Camel s’en retourne donc de nuit à Camois ; mais, poussé par l’amour, il revient le mois suivant à Montgriès. Cette fois, Florée pénètre les sentiments de Camel à l’égard d’Hermondine et ne lui montre au départ qu’une politesse assez froide. Elle fait part de sa découverte à la jeune princesse, et, pour préserver celle-ci de la recherche d’un chevalier sujet à des accès de somnambulisme, elle décide qu’à l’avenir Hermondine ne paraîtra plus devant lui. À une troisième visite de Camel, Florée explique l’absence de la princesse par une indisposition. Une autre fois, l’entrée du château lui étant refusée sous prétexte de l’état de santé de Florée, il laisse à l’adresse d’Hermondine une lettre par laquelle il déclare son amour. La situation apparaît alors à Florée pleine de périls, mais l’achèvement de la guerre vient la tirer d’embarras, car le roi Hermond rappelle sa fille près de lui (v. 1019).

Après cinq ans et demi d’absence et à la grande joie de chacun des leurs, Loth est rentré à Montgriès et Hermondine au château royal de Signandon où son père exprime le désir de la marier. Cependant Camel, impatient d’une réponse, se met en chasse et poursuit, dans la direction de Montgriès, un cerf qui vient mourir à la porte de cette place. Au son de l’hallali, Loth sort du château, fait bon accueil à Camel qu’il connaît de longue date, et l’invite à souper ; mais le seigneur de Camois, informé du départ d’Hermondine, quitte Montgriès moins joyeux qu’il n’y était entré. Furieux de sa déconvenue, il charge une sienne cousine d’exprimer son mécontentement à Florée et de l’avertir qu’il se vengera sur Loth, si elle ne fait pas revenir Hermondine auprès d’elle. Florée s’excuse de son mieux, mais elle ne parvient pas à apaiser la colère de Camel qui se décide à agir (v. 1205).

Sous le prétexte d’un différend entre ses gens et ceux de Loth, Camel ne tarde pas à lui déclarer la guerre. Il s’empare de la personne de Loth et l’emmène prisonnier à Camois ; il adresse ensuite message sur message à Florée, la menaçant de faire périr son père en prison, si elle ne consent pas à s’employer pour lui. Florée vient alors à un rendez-vous que Camel lui a assigné et ce chevalier lui fait connaître le prix qu’il met à la liberté de Loth : elle devra se rendre auprès d’Hermondine et la disposer à accepter le seigneur de Camois pour époux. Florée se résout à faire le voyage d’Écosse, après avoir obtenu « assurance » pour la terre de Montgriès. Après qu’elle est partie, Camel se relâche un peu de sa rigueur envers Loth ; il promet à celui-ci de lui rendre la liberté et même d’amender le dommage qu’il lui a causé, si Florée réussit dans la mission qu’elle a entreprise (v. 1483).

Arrivée à Signandon, après un voyage de cinq grandes journées, Florée informe Hermondine du malheur de Loth ainsi que des prétentions de Camel, et elle lui demande son sentiment. La princesse demande quinze jours de réflexion, quinze jours durant lesquels le roi d’Écosse reçoit pour elle cinq demandes en mariage : trois de rois, deux de ducs. Pressée par son père, elle se garde bien de lui dire ce qui la préoccupe non moins que Florée et s’excuse sur sa jeunesse : elle n’a point encore quatorze ans révolus. Enfin, sur les conseils de sa cousine, elle déclare au roi Hermond qu’elle a fait vœu d’épouser le chevalier qui, en la cour du roi Artus, sera, après cinq années d’épreuves et de l’aveu de tous, reconnu pour le plus vaillant. Florée estime que cet arrangement, grâce à une lettre qu’Hermondine écrira à Camel, est de nature à donner satisfaction à celui-ci, sans engager cependant l’avenir d’une façon irrévocable. Après avoir pris l’avis de ses conseillers, le roi Hermond condescend au vœu de sa fille : il envoie six chevaliers à la cour du roi Artus, à Carlion, pour faire connaître les conditions de la quête, c’est-à-dire du concours, et, sous la dictée de Florée, Hermondine écrit à Camel une lettre destinée à le convaincre que tout a été combiné pour favoriser son amour (v. 2198).

Florée, prenant alors congé du roi d’Écosse et d’Hermondine, rentre à Montgriès. Le lendemain même de son retour, elle se rend à Camois et remet à Camel la lettre de la princesse. L’annonce de la quête, qu’elle lui représente comme un artifice imaginé en sa faveur, le comble de joie. Il remet donc son prisonnier en liberté, l’accompagne durant plus de deux lieues et revient en son château, convaincu qu’il sera un jour époux d’Hermondine et roi d’Écosse (v. 2446).

L’été venu, le roi Artus songe à donner une fête qui est fixée à la Pentecôte. À cet effet, il envoie des messagers à Tarbonne, vers le duc de Cornouailles, Patris, dont le fils Méliador, âgé de dix-huit ans environ, donne les plus grandes espérances. Si le duc y consent, Méliador sera fait chevalier à la fête prochaine. Le duc ayant répondu affirmativement, Méliador se rend à Carlion : il est au nombre des deux cents nouveaux chevaliers que crée le roi Artus et remporte le prix aux joutes qui ont lieu à cette occasion. Alors que les fêtes se terminaient par un dîner d’adieu, arrivent les six chevaliers envoyés par le roi d’Écosse, accompagnés d’un héraut sur le bouclier duquel est représentée une dame vêtue de bleu et portant couronne d’or en tête, image de la belle Hermondine. Le héraut proclame la quête et en fait connaître les conditions : elle aura pour juges douze guerriers nommés, moitié par le roi Hermond, moitié par le roi Artus ; tout chevalier qui y prendra part ne devra emmener avec lui qu’un seul écuyer et il lui est interdit de faire connaître son nom. Cette annonce est accueillie avec enthousiasme par tous les gentilshommes bretons, et les six chevaliers écossais, comblés de présents par le roi et la reine de Bretagne, partent de Carlion cinq jours après l’achèvement des fêtes pour rentrer à Signandon auprès de leur souverain qui les entend avec plaisir faire l’éloge d’Artus (v. 3219).

Méliador, demeuré à la cour du roi de Bretagne, décide qu’il participera à la quête. Pour se différencier des autres prétendants, il portera comme signe distinctif des parures bleues en l’honneur d’Hermondine et ornera son bouclier d’un soleil d’or. Il s’ouvre de son dessein à Lansonnet qu’il a choisi pour écuyer et le charge de faire préparer son équipement, à Carlion, tandis qu’il retournera passer quelques jours à Tarbonne. Lorsque tout est prêt, il quitte cette ville, sans prendre congé de sa famille et court les aventures. Il se mesure tout d’abord avec Fernagus, qu’il désarçonne et qui, en tombant, se casse le bras. Il apprend ensuite, dans un manoir où il reçoit l’hospitalité, qu’un tournoi aura lieu prochainement devant le château de la Garde et il se remet en route (v. 3503).

Méliador rencontre Gobart des Marais, joute avec ce chevalier qu’il blesse au bras droit et lui ordonne d’aller à Carlion rendre compte du combat au roi Artus. Plus loin, il trouve une petite compagnie de trois damoiselles et de trois écuyers, en quête d’un champion disposé à défendre la dame de Carmelin contre les entreprises d’un chevalier nommé Agamar. Il se dirige donc vers Carmelin, tandis que Camel de Camois, à qui un ordre d’Hermondine interdit de quitter la contrée où il demeure, garde le pays contre tous chevaliers errants, se mesure avec les guerriers que lui envoie Florée et envoie tenir prison à Montgriès ceux d’entre eux qui se rendent à lui (v. 3815).

Méliador arrive à Carmelin où il est reçu à grande joie. Il en sort presque aussitôt pour combattre Agamar, le défait et le reçoit à merci. Après avoir juré désormais de vivre en paix avec ceux de Carmelin et s’être engagé d’aller conter son aventure au roi de Bretagne, le chevalier vaincu recouvre la liberté. Le lendemain, Méliador rencontre sur la route Aramé, oncle (ou cousin) d’Agamar, qui chevauchait vers Carmelin dans l’espoir de venger la défaite de son parent et qu’en raison de la similitude des parures il prend pour son adversaire de la veille. L’oncle est vaincu comme l’avait été le neveu, et le chevalier au Soleil d’Or lui ordonne de déposer les armes à Carmelin avant de partir pour Carlion où il devra faire au roi Artus le récit de ce nouveau combat. Méliador n’est point seul alors à parcourir la Grande Bretagne quérant les aventures, d’autres chevaliers se sont mis en route dès la première année de la quête, cherchant les combats et la gloire. Plus de vingt-quatre chevaliers, ou même plus de deux cent quarante, brûlent de se mesurer avec lui, chacun d’eux voulant surpasser les autres en prouesse et en renommée (v. 4466).

Parmi les preux qu’animait l’espoir de conquérir Hermondine, Agamanor, originaire de Normandie, était l’un des plus distingués. La couleur de ses parures le faisait appeler le Chevalier Rouge et son écuyer répondait au nom de Bertoulet. L’avantage lui demeure dans une rencontre avec le vaillant Agaiant, et il envoie son adversaire témoigner de ce fait d’armes à Carlion. Le même jour, il défait un autre chevalier appelé Gondré et s’en vient coucher au Destour-Manoir, où il entend parler d’un tournoi qui doit se tenir à la Garde, aussi bien que des exploits du chevalier au Soleil d’Or. Le lendemain, il se remet en route, l’esprit tout occupé de la belle princesse d’Écosse (v. 4731).

C’est aussi l’amour d’Hermondine qui avait porte Gratien à quitter l’Italie, sa patrie, pour courir le monde, en compagnie de son valet Manessier. Chevauchant un jour dans une forêt, son attention est éveillée par les cris plaintifs d’une damoiselle nommée Florée, que le félon chevalier Bégot, venait d’enlever à la maison paternelle. Il prend la défense de la jeune fille et force le traître à demander merci. Ce Bégot s’étant précédemment mesuré avec Méliador, avait failli à la promesse d’aller à Carlion rendre compte du combat dans lequel il avait eu le dessous. Gratien ramène Bégot et Florée au château de Montgoffin, chez les parents de la damoiselle, fort heureux de revoir en santé une enfant qu’ils croyaient perdue à jamais, et l’on décide que le déloyal chevalier sera conduit par six ou sept des vassaux de Montgoffin à la cour du roi Artus qui prononcera sur son cas (v. 5192).

Gratien, quittant le château et recevant de la jeune fille un annelet, se déclare à tout jamais son chevalier et lui dit son intention de participer au tournoi de la Garde. Le lendemain même, il trouve une nouvelle occasion de se signaler en attaquant et en tuant un ours qui menaçait la vie d’une autre damoiselle, la sœur d’un jeune chevalier de la quête, Clarin, gravement blessé dans une rencontre avec Camel. La jeune fille avait failli être victime de sa tendresse fraternelle : c’était effectivement en allant puiser de l’eau à une fontaine, par laquelle Clarin se flattait de l’espoir de recouvrer la santé, qu’elle avait rencontré le terrible animal. Elle remercie son sauveur [qui la ramène saine et sauve au château paternel] (v. 5500).

Un autre chevalier de grand renom, Dagoriset, loge un certain soir chez un vieillard, Banidan, dont le fils, de même nom, s’était aussi engagé dans la quête. Il se plaint de n’avoir trouvé depuis longtemps déjà aucune aventure digne de lui, mais Banidan, a eu la veille pour hôte un autre chevalier, également avide de rencontres, et fournit à Dagoriset quelques indications qui lui permettront de le rejoindre : c’est Hermonicet, de Carthage. Le lendemain, tous deux joûtent ensemble, déployant l’un et l’autre un grand courage, sans qu’on puisse décider lequel est le meilleur chevalier. Lassés enfin de combattre sans résultat, ils se quittent en prenant rendez-vous au tournoi de la Garde (v. 5807).

Gratien pénètre dans le Northumberland, et le hasard dirige ses pas vers les bois, où, par ordre d’Hermondine, se tient Camel de Camois, lequel a déjà tué en combat singulier cinq ou six chevaliers et en a envoyé plusieurs autres tenir prison à Montgriès. Il frappe à la porte de ce château, y est reçu par Florée, et comme il témoigne le désir de se mesurer avec quelqu’un des prétendants à la main d’Hermondine, la fille de Loth lui parle de Camel. Le seigneur de Camois, aussitôt avisé de l’arrivée de Gratien, vient le combattre sous les murs de Montgriès et le défait. Le vaincu, contraint de rendre les armes, est livré comme prisonnier à Florée qui apprendrait volontiers la mort de Camel, car, en dépit de la valeur de ce chevalier, elle ne ressent aucune amitié pour lui (v. 6087).

Après cette nouvelle victoire, Camel rentre à Camois. Il serait heureux d’aller au tournoi de la Garde et voudrait qu’Hermondine l’y autorisât. Il le lui demande par une lettre que Florée est chargée de porter à son adresse. Hermondine inclinerait à donner l’autorisation que sollicite un si brave guerrier, mais Florée est d’un avis contraire. Elle pense que sa cousine doit éviter tout ce qui pourrait amener le succès final de Camel : malgré sa valeur, ce chevalier est indigne de la princesse, en raison des accès de somnambulisme auquel il est en proie et qu’elle lui révèle. Hermondine se déclare convaincue, et Florée lui indique alors la ligne de conduite qu’il y a lieu de tenir à l’égard de Camel : elle se rendra au tournoi de la Garde avec l’espoir d’y rencontrer un chevalier capable de vaincre le seigneur de Camois. Elle prend alors congé de la fille du roi d’Écosse et, de retour à Montgriès, elle notifie à Camel l’ordre de continuer à garder sa « frontière » ; celui-ci s’y soumet. Florée part ensuite pour la Garde, en compagnie d’Argente, sa chambrière, et prend en route Argentine, la damoiselle de Carmelin (v. 6489).

Revenons à Méliador qui se rend au tournoi, brûlant de s’y distinguer et d’attirer ainsi l’attention de la princesse d’Écosse qui occupe toute sa pensée. Parmi les deux cents chevaliers réunis pour les joutes qui ont lieu devant le château de la Garde, Agamanor est évidemment l’un de ceux qui recueillent le plus de gloire ; mais, de l’avis de tous, c’est le chevalier au Soleil d’Or qui emporte l’honneur de la journée et Florée le juge digne d’être opposé à Camel. Les joutes terminées, Méliador se retire au logis qu’il occupait la veille et c’est en son absence qu’on lui décerne le prix du tournoi, un épervier. Les fêtes se prolongent durant plusieurs jours et plusieurs nuits, et c’est seulement le quatrième jour après le tournoi que chacun songe à rentrer chez soi (v. 7094).

Camel, informé du retour de la damoiselle de Montgriès, vient entendre de la bouche de celle-ci les nouvelles du tournoi. Florée lui dit les prouesses du chevalier au Soleil d’Or, le héros de la journée, et, faisant aussi l’éloge du Chevalier Rouge, elle fait naître chez le seigneur de Camois le désir de se mesurer avec ces preux : il prie donc la jeune fille de vouloir bien l’avertir au cas où l’un ou l’autre serait vu dans le pays. Au courant du mois, Florée va passer en Écosse quelques jours auprès de sa cousine, pour l’entretenir de l’espoir qu’elle met en Méliador. Dans le même temps, les chevaliers du roi Artus qui avaient assisté au tournoi de la Garde rentrent à Carlion et font à ce monarque le récit de la journée, récit qu’on enregistre aussitôt (v. 7240).

Tandis qu’Agamanor se remet en route fort soucieux, Méliador chevauche le cœur plein d’espérance. Le troisième jour après son départ de la Garde, il joute sans résultat avec Sorelais, un vaillant chevalier. Sorelais court le monde sur l’ordre d’une dame, qui, en récompense de la gloire qu’elle voudrait le voir acquérir, lui a promis son amour. À la prière de Méliador, il chante un virelai qu’il a composé en souvenir de sa belle, et les deux chevaliers prennent ensuite congé l’un de l’autre (v. 7566).

Parlons maintenant de Phénonée, la sœur de Méliador. Son père a vu, à la cour du roi Artus, l’épervier qu’on a décerné au vainqueur des joutes de la Garde. Elle s’informe de celui-ci et pense que ce peut bien être son frère. Pour l’attirer à Tarbonne, elle prie le duc Patris de vouloir bien ordonner un tournoi semblable à celui dont il vient d’être parlé. Patris y consent et envoie en tout pays des hérauts pour annoncer la fête. La nouvelle en arrive à Méliador qui se promet bien d’assister à ce nouveau tournoi (v. 7730).

Le chevalier au Soleil d’Or poursuit son chemin et, certain jour qu’il sommeillait dans un bocage, entre Montgriès et Carmelin, passe une demoiselle accompagnée d’un page : c’était Florée dont Camel se servait pour rabattre vers lui les chevaliers errants qu’elle pouvait rencontrer. Après avoir éveillé Méliador par le chant d’un rondeau, elle lui dit l’histoire de Camel et l’origine de la quête : il devra donc, ou se mesurer avec le seigneur de Camois, ou lui abandonner ses armes et s’engager à ne plus jamais penser à la princesse d’Écosse. La jalousie mord Méliador au cœur : il s’informe si ce Camel, qui lui semble un amant favorisé, a paru au tournoi de la Garde et se dit fort heureux d’avoir à combattre avec un guerrier aussi renommé. Il accompagne donc à Montgriès Florée, qui, à sa targe, le reconnait enfin pour le chevalier au Soleil d’Or. Le combat aura lieu le lendemain ; en attendant, la demoiselle conduit Méliador à la chambre où sont déposées les armes des chevaliers vaincus par Camel. Il examine d’abord les blasons de dix chevaliers prisonniers et reconnaît les armoiries de plusieurs qu’il délivrerait volontiers ; il considère ensuite les blasons de dix autres chevaliers qui ont mieux aimé mourir que de se rendre. Il ressent alors une grande admiration pour la valeur militaire du seigneur de Camois ; mais il déclare néanmoins que son blason prendra le onzième rang parmi ceux des morts ou que Camel mourra de sa main (v. 8650).

On soupe et, dans la soirée, Florée fait dire au seigneur de Camois que le héros du tournoi de la Garde est à Montgriès, disposé à le combattre. Camel se présente le lendemain de bon matin, et se montre tout d’abord assez dédaigneux pour Méliador. Les deux chevaliers en viennent aux mains et font l’un et l’autre de grandes merveilles d’armes. Camel parvient à blesser son adversaire à l’épaule et l’accable de railleries. Bientôt après cependant, Méliador lui coupe le bras dont il tenait l’épée. Le seigneur de Camois, qui a eu un moment l’idée de fuir, se ravise et tente de frapper Méliador au cœur à l’aide de sa targe ; mais le chevalier au Soleil d’Or pare le coup et lui enfonce l’épée dans la gorge. Camel n’est point le seul dont l’amour ait causé la mort : le poète rappelle le souvenir de quelques-unes des plus fameuses parmi les victimes de ce sentiment. À la vue du cadavre de Camel, Florée sent que désormais elle peut vivre en paix, et elle le fait transporter à Camois. La première pensée de Méliador, en rentrant à Montgriès, est de faire sortir de prison les dix chevaliers auxquels on rend leurs armes et leurs chevaux, et qui reçoivent de Florée l’ordre d’aller se présenter au roi Artus. On s’occupe ensuite de la blessure du héros dont la guérison exigera un mois au moins. Tandis qu’on le soigne à Montgriès, les dix chevaliers qu’il a délivrés arrivent à Carlion, où on enregistre le récit des prouesses accomplies par le chevalier au Soleil d’Or, et chacun d’eux se remet en route pour tenter de nouveaux exploits (v. 9364).

Pendant que Méliador est retenu par sa blessure au château de Montgriès, une remarquable aventure arrive à quatre lieues de cette place. Alors que tant de chevaliers songent à se distinguer par leurs faits d’armes, deux frères, Savare et Feughin, ont quitté la maison qui les abritait l’un et l’autre pour tenter les chances de la quête, s’entourant, d’un commun accord, de toutes les précautions nécessaires pour sauvegarder leur incognito. Un certain jour, ils se rencontrent en Northumberland, à la lisière d’une lande et d’un bois ; ils joutent ensemble comme deux braves chevaliers qu’ils sont, et Feughin blesse grièvement Savare. Il est désespéré en reconnaissant son frère dans l’adversaire qu’il a mis en si mauvais point ; mais Savare le rassure et assume toute la responsabilité de ce malencontreux engagement. La litière qui venait de conduire à Camois le corps de Camel sert à transporter le blessé à Montgriès, où la demoiselle du lieu accueille fort courtoisement les deux frères. Alors que Feughin y prodigue ses soins à Savare, Méliador recouvre la santé et prend congé de Florée, dans l’intention de courir de nouvelles aventures (v. 9603).

Florée, voyant Méliador disposé à partir, lui remet un anneau à secret, à l’intérieur duquel se lit une inscription qui le désigne d’une façon suffisamment claire et dont il ignore l’existence : elle prie le chevalier au Soleil d’Or de le porter en souvenir d’elle jusqu’au jour où il pourra dignement l’employer, et celui-ci en prend l’engagement. Méliador quitte alors Montgriès. Florée, après l’avoir suivi des yeux aussi loin qu’elle a pu, écrit à la princesse d’Écosse pour lui apprendre la mort de Camel et lui fait porter la lettre par un écuyer (v. 9770).

Méliador chevauche à travers le Northumberland en songeant à Hermondine et il parvient ainsi jusqu’à la Severn. Remontant alors le cours de cette rivière qui arrose tout le royaume de Norgalles, il rencontre bientôt une demoiselle qui, avec sa suite, venait de descendre d’un bateau, et il s’informe de l’objet de son voyage. Une riche héritière de la contrée, la demoiselle de Montrose, orpheline avec un frère trop jeune encore pour lui être d’un grand secours, l’a envoyée auprès du roi Artus pour implorer la protection de ce prince contre quatre chevaliers ses voisins, quatre frères, qui la veulent dépouiller de sa terre. Méliador offre ses services ; on les accepte. Après le coucher du soleil, il s’embarque avec la messagère et arrive le lendemain à Montrose où chacun se réjouit de sa venue. Les ennemis de la jeune dame sont aussitôt avisés de l’arrivée d’un champion déterminé à les combattre. Les quatre frères se nomment Madrigais, Balastre, Cobastre et Griffamont ; le plus âgé n’a que vingt ans et ils visent tous quatre à acquérir le renom de parfaits chevaliers (v. 10431).

Le château de Montrose, que Jules César a fait construire sur un bras de la Severn, a depuis quitté ce nom pour celui de Chepstow. Méliador y reçoit un accueil digne de lui, et bientôt les quatre chevaliers viennent le défier et poser les conditions de la lutte. L’un d’eux se mettra d’abord à la disposition du champion de Florence, la dame de Montrose : si celui-ci le défait, il aura le lendemain affaire à un autre adversaire ; de même le troisième jour si le sort lui demeure favorable ; enfin, au cas d’une nouvelle victoire, il devra se mesurer le quatrième jour avec celui qui n’aura point encore combattu. Ils règlent ainsi l’ordre de bataille, afin de n’encourir aucun reproche, et trois d’entre eux se retirent (v. 10509).

Griffamont a obtenu de ses frères de se mesurer le premier avec le chevalier au Soleil d’Or, mais il est bientôt forcé de se rendre, et Méliador l’emmène prisonnier au château de Montrose. Ses trois frères se concertent pour le combat du lendemain où Cobastre a le même sort que Griffamont. Tandis que Méliador prend quelque repos après cette seconde victoire, arrivent au château de Montrose un chevalier errant et son écuyer égarés depuis quatre jours dans le pays de Galles. Tangis, c’était le nom du chevalier, est accueilli par la demoiselle et, au récit que lui fait Florence de l’entreprise de Méliador, reconnaissant dans celui-ci le héros du tournoi de la Garde, il n’hésite pas à déclarer qu’elle ne pouvait trouver un meilleur champion. Par discrétion, il n’accepte point l’offre qui lui est faite d’entrevoir le chevalier au Soleil d’Or, mais il témoigne le désir d’assister cependant à l’issue de la lutte engagée. Après l’avoir recommandé à ses gens, Florence prend congé de lui et le laisse avec son écuyer (10960).

Méliador, qui s’est éveillé assez tard dans l’après-midi, se remémore une ballade qu’il a faite en l’honneur de sa dame et, bientôt après, on le vient quérir pour souper. Le lendemain matin, Balastre se présente pour lutter contre lui, et Tangis assiste auprès de Florence au combat que termine une troisième victoire du chevalier au Soleil d’Or. Madrigais, envisageant alors les divers aspects de la situation, s’arrête à l’idée de traiter avec la dame de Montrose de la délivrance de ses frères : il lui adresse à cet effet un chevalier qu’accompagne un héraut. Sur l’avis de Méliador, Florence consent à la paix, moyennant que les quatre frères iront à la cour du roi Artus faire l’aveu de leurs torts et s’engager par serment à servir en toute occasion leur ennemie de la veille. Madrigais accepte les conditions qui lui sont faites. Tangis prend sur ces entrefaites congé de la dame de Montrose et s’embarque sur la Severn dans une nacelle qui le conduira à Bristol ; là il prendra la mer afin d’arriver en temps utile au tournoi de Tarbonne (v. 11532).

Méliador quitte également Montrose par eau dans le dessein de se rendre à Tarbonne. Le premier jour, tout marche à souhait et il entre en mer ; mais, bientôt une tempête s’élève qui se prolonge durant toute la nuit. Le lendemain, au jour, il descend à terre avec ses compagnons dans l’île de Man où s’établira bientôt le roi des Cent Chevaliers : le gros temps le force à y séjourner quatre jours entiers. Au cinquième jour, des pêcheurs de harengs lui disent qu’il est entre Irlande et Écosse : il s’informe alors s’il existe non loin de là quelque ville, grande ou petite, et il apprend que de l’autre côté de la mer se trouve Aberdeen, d’où viennent les pêcheurs et où ils retourneront le lendemain. Méliador se décide alors à partir avec les pêcheurs et débarque à Aberdeen, tout désespéré de renoncer au tournoi de Tarbonne (v. 11827).

Lansonnet, son écuyer, le réconforte, en lui représentant l’heureuse chance qui l’amène en Écosse, à moins d’une journée du château de Montségur qu’habite Hermondine. Il lui conseille de s’introduire auprès de la princesse sous un habit emprunté, en se présentant comme joaillier et Méliador se range à cet avis. Lansonnet achète alors chez les orfèvres d’Aberdeen quantité de joyaux ; le chevalier y joint l’anneau, don de Florée, qui lui semble le plus joli de tous et qu’il pense offrir en étrenne à la belle Hermondine. C’est donc en vêtement noir de marchand, les mains noires comme celles d’un homme de cet état et des souliers à noyaux aux pieds, que Méliador quitte Aberdeen pour se rendre à Montségur en compagnie de son écuyer et d’un garçonnet qui lui sert de guide (v. 12066).

Le prétendu joaillier arrive à Montségur où il se loge en une maison peu distante du château, et, grâce aux bons offices de Fromonde la Grise, il obtient d’être introduit auprès de la princesse. Il lui offre tout d’abord, à titre d’étrenne, l’anneau qu’il tient de Florée : il a grand besoin de vendre, dit-il, et cédera sa marchandise à bon compte. Hermondine retient tout l’assortiment et elle en distribue une partie à ses demoiselles : pendant ce temps, Méliador contemple à loisir la dame de ses pensées. Après avoir dîné en compagnie des suivantes d’Hermondine, il reçoit l’argent qui lui est dû pour les joyaux et quitte le château avec moins de plaisir qu’il n’y était entré, regrettant surtout que la princesse ignore les dangers qu’il a courus pour l’amour d’elle. Accompagné de Lansonnet qu’il a rejoint sur la route, il prend congé de dame Fromonde avant de retourner à Aberdeen. Cheminant ensuite toujours plein de mélancolie, il compose une ballade dans laquelle il se dit plus infortuné que Narcisse et, après une nuit passée dans la ville écossaise, il va de nouveau en quête d’aventures (v. 12616).

En apprenant des mariniers qui ont accompagné Méliador jusqu’en Écosse leur malencontreux voyage, la dame de Montrose est fort émue, car elle prévoit bien que son sauveur ne pourra se rendre au tournoi de Tarbonne. À l’époque fixée, des chevaliers de tous pays viennent se loger aux environs de Tarbonne, où le roi Artus, de son côté, avait envoyé plusieurs de ses gens pour prêter au duc Patris l’appui de leur expérience en matière de joutes. Dans la plaine où devait avoir lieu le tournoi, on venait de construire des tribunes pour les dames et les demoiselles. Parmi les deux cents vaillants chevaliers qui prennent part à la fête, on voit briller au premier rang Gratien, Tangis, Dagoriset et surtout Agamanor, le Chevalier Rouge, que son adresse fait bientôt remarquer de Phénonée ; mais, pressentie par sa mère, la duchesse Aliénor, la jeune fille essaie de se donner le change : à l’en croire, ses regards ne cherchent qu’à deviner son frère, et, les exploits du Chevalier Rouge aidant, elle en vient à penser que ce preux et Méliador ne font qu’un. La retraite sonnée, les valets venus au devant de leurs maîtres enterrent les morts et transportent les blessés en litière, tandis que l’on prépare au château souper et fête de nuit auxquels les damoiseaux assistent en costume de ville. Après le souper, le prix du tournoi (un faucon) est décerné au Chevalier Rouge et, comme on ne sait où trouver le vainqueur, il est convenu que l’oiseau sera porté sans retard à la cour du roi Artus (v. 13262).

Agamanor, demeuré à la fête, se complaît dans la vue de Phénonée pour laquelle il ressent un amour profond, mais il se retire au point du jour et confie ses sentiments à Bertoulet. Les divertissements se prolongent encore durant trois jours et trois nuits, et lorsqu’ils sont terminés Phénonée se croit tellement certaine de l’identité de son frère et du Chevalier Rouge qu’elle adopte pour elle-même la devise de celui-ci, une dame blanche, se proposant de la faire porter à un sien chevalier, en la brisant d’un faucon blanc par allusion au prix du tournoi. Ayant obtenu à cet effet le consentement de son père le duc Patris, elle investit de sa nouvelle devise un jeune chevalier, Lionnel, que de réelles qualités recommandaient à son choix et elle l’envoie courir les aventures à la recherche du Chevalier Rouge : s’il parvient à le joindre et à reconnaître en lui Méliador, il devra lui révéler l’objet de sa mission. Lionnel ne tarde pas à quitter Tarbonne, se dirigeant vers le Northumberland. Le second jour de sa quête, il rencontre le Chevalier Noir et, après l’avoir vaincu, il l’adresse à Phénonée qui seule pourra l’autoriser à reprendre les armes (v. 13602).

Au lendemain de son départ de Tarbonne, Agamanor blesse en combat singulier un chevalier qu’on nomme Corbillier. Deux jours plus tard, il croise la dame de Montrose qui, menant à la cour d’Artus les quatre frères vaincus par Méliador, lui raconte ce dernier exploit du chevalier au Soleil d’Or. Après avoir, le soir même, vaincu dans une joute Conse, un autre chevalier, il continue sa route vers le Northumberland où l’attend plus d’une aventure marquante ; mais il n’est pas possible de les mentionner toutes (v. 13906).

C’est également en Northumberland que chevauchait Méliador. Le cœur navré de n’avoir pu se rendre à Tarbonne, il voit à distance une compagnie de dames et de chevaliers vers laquelle il dépêche Lansonnet et apprend ainsi de son écuyer que ce sont là les gens chargés de porter à la cour d’Artus le prix du tournoi de Tarbonne. En continuant sa route, il joute avec Gerpin, un cousin de Florée, et ce chevalier, grièvement blessé, lui indique le chemin à prendre pour rencontrer les cousins de Camel qui tiennent le pays dans l’espoir de venger la mort de leur parent. Gerpin se rend ensuite au château de Montgriès pour y recevoir les soins de Florée ; guéri, il prend congé de cette damoiselle en même temps que Feughin et Savare qui se séparent de nouveau (v. 14217).

Florée part de son côté en Écosse pour voir la jeune princesse, sa cousine. Chemin faisant, elle a l’occasion de s’entretenir de Méliador avec la damoiselle de Montrose qui s’en revenait de Carlion. Arrivée à Montségur, elle annonce la mort de Camel à Hermondine qui ne peut se défendre de quelque pitié pour ce vaillant homme dont elle a involontairement causé la mort ; mais Florée lui met vite la conscience en repos. Elle aperçoit alors au doigt de la princesse l’anneau de Méliador, anneau dont elle lui révèle l’origine et le secret. Durant trois jours, elle ne cesse de faire l’éloge du chevalier au Soleil d’Or et de raconter ses prouesses, faisant naître ainsi chez Hermondine le désir de juger par elle-même du mérite de ce héros. La princesse cherchant un honnête moyen d’y parvenir, Florée ouvre l’avis qu’elle prie le roi son père de vouloir lui accorder un tournoi : la dame de la Garde et la fille du duc de Cornouailles ont eu chacune le leur, Hermondine peut bien avoir aussi le sien. Le roi Hermond ne résiste pas à un si bon argument et il envoie immédiatement des hérauts proclamer le tournoi qui aura lieu, à cinq semaines de là, devant Signandon, tournoi dont le prix sera une blanche épée. Signandon (Snowdon), qu’on nomme aujourd’hui Estruvelin (Stirling), est un fort château d’Écosse et la résidence la plus ordinaire du roi Hermond. Il y a là un bel emplacement pour le tournoi qu’on prépare (v. 14777).

Méliador, qui parcourait alors le Northumberland, se rencontre avec Lionnel qu’il désarçonne. Remis en selle par Lansonnet, le chevalier de Phénonée dit la mission dont il est chargé ; le fils du duc de Cornouailles n’a garde de se faire connaître au messager de sa sœur, mais lui témoigne beaucoup de courtoisie. On se sépare et Lionnel se trouve bientôt face à face avec Agamanor ; celui-ci, le voyant porter sa propre devise, le met en demeure d’expliquer sa conduite. Aux raisons qui lui sont données, le Chevalier Rouge ne peut répondre qu’une chose : s’il a effectivement remporté le prix à Tarbonne, il n’est pas cependant le frère de Phénonée, à laquelle il serait heureux d’appartenir. Elle lui fait grand honneur, ajoute-t-il, d’ « encargier » sa devise et il autorise bien volontiers son chevalier à la porter. Sur ces entrefaites, arrive un héraut écossais qui convie l’un et l’autre des deux interlocuteurs au tournoi qui se tiendra quatorze jours plus tard, à Signandon, et ils promettent de s’y rendre (v. 15346).

Mais revenons à Méliador et à ce qui lui advint après qu’il eût vaincu Gerpin. À la recherche d’un nouvel adversaire, il trouve Tangis le Norois, l’invite à jouter avec lui et le met en assez mauvais point. Le soir venu, il loge chez une dame veuve, et apprenant d’elle qu’un tournoi doit avoir lieu à Signandon, il se met en devoir d’y aller. Deux jours plus tard, se croisant avec Sansorin, un chevalier de quête, il éviterait volontiers le combat pour ne pas manquer le tournoi, mais Sansorin est le parent de Camel et brûle de se mesurer avec le vainqueur de son cousin. Mal lui en prend cependant, car, grièvement blessé à son tour, il est contraint de se faire soigner dans un manoir voisin, tandis que Méliador parvient en temps utile à Signandon où tout est préparé pour le tournoi (v. 15957).

Plus de cent chevaliers de quête sont présents à l’ouverture de la fête et, parmi eux, Méliador et Agamanor que Florée signale tout d’abord à l’attention d’Hermondine. Tous deux s’y couvrent de gloire ; mais, lorsqu’ils sont enfin aux prises l’un avec l’autre, le fils du duc de Cornouailles désarçonne Agamanor. La valeur de celui-ci n’en fait pas moins une forte impression sur le roi Hermond. Dès maintenant, toutefois, c’est Méliador que les hérauts désignent comme devant recueillir l’honneur de la journée, et le chevalier au Soleil d’Or s’efforce de justifier leurs prévisions. Agamanor n’abandonne pas cependant tout espoir de triompher et ses beaux faits d’armes lui valent de nouveaux applaudissements. Cependant le combat cesse avec le jour et chacun rentre à son logis pour se préparer à la fête de nuit où Méliador s’entend décerner le prix du tournoi (v. 16742).

Le vainqueur se tient à l’une des portes de la chambre où vient d’être proclamé le résultat et, lorsque passe Florée, il la prie à voix basse de ne point oublier le chevalier qui la délivra de Camel ; mais cet appel n’attire pas sur lui l’attention de la damoiselle qui, le prenant pour un valet, passe en lui répondant assez négligemment. Croyant alors qu’on le méprise, il se désespère. Mais ses paroles reviennent à l’esprit de Florée, qui prétexte une indisposition subite pour prendre congé d’Hermondine et quitter la fête : elle espère bien avoir de la sorte quelque nouvelle de Méliador. En effet, son manège n’a pas échappé au chevalier qui la rejoint et se fait reconnaître. Elle l’emmène alors dans une chambre et, après avoir intéressé à la personne de ce preux la chambrière préférée d’Hermondine, elle fait dire à la princesse d’Écosse qu’elle souffre de la fièvre et la prie de venir. Elle ménage ainsi aux deux amants une entrevue qui se termine seulement au point du jour (v. 17764).

Tandis que la princesse essaie de prendre quelque repos avant de reparaître à la fête, Méliador rentre à son logis de la veille pour en partir quelques heures plus tard, en quête de nouvelles aventures. Le lendemain, il rencontre les messagers que la dame de Valerne envoyait aux fêtes de Signandon, pour chercher quelque appui contre les entreprises de son voisin, le seigneur de Châtel-Orgueilleux, et il accepte de prendre sa cause en main. Mais revenons un moment à Tangis de Sormale qu’une malencontreuse blessure a retenu deux mois durant au Brun-Manoir, l’empêchant ainsi de participer au tournoi de Signandon : à peine remis en route, la voix publique lui apprenait le nouveau succès du chevalier au Soleil d’Or. Cependant, celui-ci arrive auprès d’Yvore, la dame de Valerne, et, se mesurant presque aussitôt avec messire Buin, il fait grâce de la vie à ce vaillant homme sous condition de foi et hommage à celle que jusqu’ici il n’a cessé de persécuter. Dès le lendemain matin, Méliador quitte Valerne et se dirige vers le pays de Galles, en songeant à la princesse d’Écosse pour l’amour de qui il compose un rondelet (v. 18463).

Lionnel, le chevalier auquel Phénonée a confié la recherche de Méliador, s’est rendu au tournoi de Signandon, dans le but de faire à sa maîtresse le récit de cette journée. Il revient ensuite à Tarbonne et lui rend compte de sa mission. La fille du duc de Cornouailles, amenée à reconnaître que son cœur l’a trompée, prie Lionnel de tenir cette aventure secrète, le remercie de la peine qu’il a prise et le retient auprès d’elle (v. 18734).

Méliador rencontre un écuyer menant en litière son maître grièvement blessé par les Irlandais. Cet écuyer lui annonce que, poursuivant sa route, il atteindra bientôt le passage de la Garde, sur la rivière de Clarence, par où l’on entre en Irlande : le passage est défendu par deux redoutables chevaliers, Housagre et Panfri ; mais, ajoute l’écuyer, ce serait un bien glorieux exploit que de les vaincre et d’envahir l’Irlande. Bien qu’il ait souvent entendu parler de la barbarie irlandaise, l’idée sourit à Méliador et, à tout prix, il tentera l’ouverture. Arrivé au pas de la Garde et transporté sur l’autre rive par un bateau, il se trouve en face des deux adversaires annoncés qui l’attendent de pied ferme. Panfri tombe sous ses coups et Housagre, réduit à merci et désireux d’éviter le sort de son frère, accepte de garder le passage et de venir désormais en aide aux chevaliers qui s’y présenteront. Toutefois, Housagre prévient son vainqueur que la conquête du pas de la Garde n’est que la moindre partie de la tâche entreprise par lui : il trouvera mainte aventure périlleuse sur la rivière même, car tous les guerriers irlandais ne sont pas défaits ; les routes sont gardées par de nombreux chevaliers qu’il devra combattre, s’il parvient jusqu’à eux. Cette perspective n’effraie point Méliador : il se dirige vers le Brun Rocher que gardent trois chevaliers déjà avisés du succès qu’il vient de remporter. Deux d’entre eux sont fort malmenés par le héros breton et il contraint le troisième, Frotaud le Gris, à prendre la garde du passage sans s’opposer à aucun chevalier de Bretagne. Il poursuit ensuite son chemin sur la rivière de Clarence, qui, à cet endroit, mesure deux lieues de largeur au minimum (v. 19207).

Cependant, Phénonée tombe en une profonde mélancolie. Le souvenir du Chevalier Rouge, ce chevalier dans lequel elle avait cru reconnaître Méliador, ne la quitte plus un seul instant, mais elle ne veut révéler à personne le secret de son cœur et l’on remarque bientôt une altération dans sa santé. Le duc et la duchesse de Cornouailles, cherchant la cause de l’état maladif de leur fille, s’adressent d’abord à ses compagnes, puis à Lionnel : au sentiment de celui-ci, qui raconte les démarches auxquelles il s’est livré par ordre de sa maîtresse, le mal a sa source dans le fraternel amour de Phénonée pour Méliador. Le duc Patris feint alors d’avoir reçu un message de son fils qui se trouverait en Northumberland, et, du consentement de Phénonée, il dépêche Lionnel en ce pays, lui enjoignant de ne point revenir sans avoir de nouvelles assurées de Méliador, auquel il commande d’autre part de venir voir sa sœur (v. 19433).

La mesure prise par le duc amène tout d’abord quelque amélioration dans l’état de sa fille, mais Phénonée retombe bientôt dans un état encore plus fâcheux qu’auparavant. Patris s’avise alors de lui donner pour compagne une proche parente, Lucienne, fille du comte Lucien, et, par une délicate attention, il installe les deux cousines dans un manoir situé non loin de Tarbonne, dans le bois même d’où Méliador partit pour la quête. Lucienne ne tarde pas à gagner toute la confiance de Phénonée et, lui apprenant l’art de composer d’amoureux rondeaux, elle la tire peu à peu de sa mélancolie (v. 19680).

Une certaine nuit, le hasard conduit Lionnel dans la demeure d’un forestier où Agamanor et Bertoulet se trouvaient déjà couchés. Il partage le lit de Bertoulet et ne dort guère, non plus que son compagnon ; ils causent donc, et Lionnel lui fait connaître le but de son voyage et tout ce qui touche Phénonée. Bertoulet exprime le regret de ne pouvoir lui donner aucun renseignement utile et se garde bien de dire quel est son maître. Ils se séparent et Agamanor entend avec plaisir le récit que Bertoulet lui fait de son entretien avec Lionnel. Il compâtit aux peines de celle qui a son cœur, mais il ne saurait se réjouir des sentiments que Phénonée a ressentis pour le Chevalier Rouge, puisque Méliador en est l’objet véritable, et il ne sait à quoi se résoudre. Bertoulet lui conseille alors d’aller voir la fille du duc Patris et de lui parler ; mais comment s’introduire auprès d’elle ? Agamanor possédait heureusement un certain talent de peintre, talent beaucoup moins rare chez les chevaliers qu’on ne pourrait le croire : c’est donc comme artiste qu’il paraîtra chez Phénonée et, qui plus est, comme auteur d’un tableau représentant les aventures du Chevalier Rouge. Son plan d’opérations une fois dressé, il se dirige vers la résidence du duc de Cornouailles, laisse son équipement en dépôt dans une maison située à une journée de Tarbonne et se loge enfin dans cette ville chez un prud’homme, auprès duquel il prend la qualité de peintre (v. 20228).

Agamanor reproduit alors sur une toile divers épisodes du tournoi et des fêtes de Tarbonne où le Chevalier Rouge tient la première place. Le tableau terminé, il l’enroule autour d’un bâton, se rend à la demeure de Phénonée, présente son œuvre à la jeune fille, et celle-ci, après s’en être déclaré acquéreur, laisse à une chambrière le soin de s’occuper de l’artiste. Le peintre amoureux est fort en peine d’être aussi vite séparé de sa dame : il dîne cependant au manoir, mais, lorsque la suivante lui présente quarante marcs en paiement de la toile, il refuse obstinément de les prendre et s’en retourne à Tarbonne, promettant de revenir prochainement avec quelque autre ouvrage (v. 20564).

Après le départ d’Agamanor, Phénonée et Lucienne s’enferment en une chambre pour examiner à loisir l’œuvre du peintre. Lucienne estime que ce tableau qui retrace des souvenirs chers à sa cousine, a été exécuté sur l’ordre du Chevalier Rouge, instruit sans doute de l’inclination de Phénonée et désireux d’apporter un remède au mal dont elle souffre ; elle pense en outre qu’il convient de faire une enquête. Valienne, la chambrière, est mandée à cet effet : on la questionne sur l’attitude du peintre à son départ, et, de sa réponse, Lucienne conclut que l’artiste est, soit un gentilhomme, soit un fou, et qu’il faudra l’étudier attentivement lors de sa prochaine visite. En attendant, Phénonée fait grand cas de sa toile et, bien que n’ayant pas ordinairement de secret pour Lucienne, elle ne lui confie cependant point cette fois toute sa pensée (v. 20689).

Cependant, de retour au logis, Agamanor se lamente : sa folie lui a tout fait perdre ; il s’est déshonoré en reniant chevalerie et s’en veut d’avoir cru qu’une œuvre manuelle pourrait lui valoir l’amour de Phénonée. Il songe à quitter Tarbonne dès le lendemain matin, mais la nuit change ses dispositions et il revient à l’idée de présenter un autre tableau à la dame de ses pensées : cette fois une petite toile offre l’image du Chevalier Rouge, un faucon au poing, en face de Phénonée, à qui il adresse un rondel amoureux. Quatre jours plus tard, l’artiste se rend derechef au manoir du Bois, en déclarant qu’il ne montrera ce nouveau travail qu’à la fille du duc de Cornouailles. Celle-ci, qui a pris soin de placer Lucienne derrière une courtine, reçoit le peintre et, lui faisant son compliment d’un tableau qui l’enchante, elle le presse de questions au sujet du chevalier dont il a reproduit l’image et les hauts faits. Agamanor finit par lui avouer que le peintre et son modèle ne font qu’un seul et même personnage ; il lui déclare son amour et la conjure de le retenir pour son chevalier (v. 21046).

Fort émue des déclarations d’Agamanor, Phénonée l’éloigne un moment pour prendre conseil de Lucienne. Les deux cousines le font ensuite comparaître devant elles, et Lucienne s’attache à lui montrer l’invraisemblance de ses propos. Le Chevalier Rouge raconte alors comment, dès son jeune âge, il s’est occupé de peinture, grâce au voisinage des artistes qui ont décoré le manoir paternel ; il dit aussi la part qu’il a prise à la quête instituée pour l’amour d’Hermondine. Arrivant au récit des fêtes de Tarbonne, il s’étend complaisamment sur le rôle qu’y joua la fille du duc de Cornouailles et, en témoignage de sa véracité, il répète les deux rondeaux qu’il a retenus pour les avoir ouï chanter par Phénonée. Il rappelle aussi sa rencontre avec Lionnel et comment le récit que fit celui-ci à Bertoulet le détermina à se présenter devant l’objet de son amour. Les deux cousines se consultent de nouveau, et Phénonée se montre fort disposée à accueillir favorablement la requête d’Agamanor, mais Lucienne ne l’entend pas encore ainsi : elle déclare que le Chevalier Rouge devra prouver sa vaillance en luttant contre deux chevaliers éprouvés. En attendant le jour fixé pour le combat, Agamanor va rejoindre Bertoulet, tandis que Phénonée ne se rassasie pas de contempler les deux tableaux qu’il a peints pour elle (v. 21831).

Lucienne dépêche immédiatement un messager dans les îles de Cornouailles, afin de mander Morphonet et Abiace, les deux chevaliers qu’elle veut opposer à Agamanor et qui devront se rendre aussitôt à son appel, pour se mesurer, dit-elle, avec un chevalier qui a prononcé de regrettables paroles. Le combat a lieu au jour convenu : Agamanor tient vaillamment tête à ces deux adversaires réunis ; il blesse grièvement Abiace à l’épaule et, plein de courtoisie envers Morphonet qu’il a désarmé, il lui permet de ramasser son épée. Phénonée et Lucienne essaient alors d’arrêter le combat, mais Agamanor, voyant Morphonet prêt à continuer la lutte, refuse d’abandonner le terrain avant son adversaire. Enfin, après de nouvelles passes d’armes, il doit céder aux instances des deux dames qui lui décernent l’honneur de la journée. Abiace reçoit alors les soins de Lucienne, et l’on rentre au manoir où Agamanor et Morphonet prennent place au dîner en face de Phénonée et de sa cousine (v. 22425).

Après le dîner, Lucienne laisse au Chevalier Rouge toute liberté d’entretenir Phénonée de ses sentiments. Tout en reconnaissant le mérite de son adorateur, la fille du duc de Cornouailles répond qu’elle ne peut accorder son amour à un chevalier dont elle ignore l’origine et le nom : elle le presse donc de se nommer. Agamanor objecte en vain l’incognito que doivent garder les chevaliers de la quête. « Je vois bien », lui dit Phénonée, « que vos paroles sont menteuses. C’est pour une autre que vous soupirez ; c’est pour la princesse d’Écosse que vous avez quitté votre demeure et que vous avez décoré votre bouclier d’une dame blanche ; c’est son amour qui vous fit triompher devant Tarbonne ! » Agamanor se défend du mieux qu’il peut : si, en courant les aventures, il a d’abord songé à Hermondine qu’il connaît seulement de réputation, Phénonée a changé le cours de ses idées, car l’amour qu’inspire la vue d’une belle personne est bien plus fort que l’amour résultant d’une grande renommée. D’ailleurs la princesse d’Écosse épousera le plus preux chevalier de la quête, et il ne saurait prétendre au premier rang. Que Phénonée donc veuille bien l’avouer pour son chevalier, il sentira son courage doublé et à la hauteur des plus grandes entreprises (v. 22649).

La conversation des deux amants est interrompue en ce moment par Lucienne, et Phénonée se borne à retenir Agamanor jusqu’au lendemain matin, afin de pouvoir lui donner un cheval en échange du coursier qu’Abiace avait blessé. Lucienne, mise par sa cousine au courant de l’entretien qu’elle vient d’avoir avec Agamanor, lui dicte la réponse qu’il convient de faire à ce preux. On soupe et l’on se livre ensuite dans les vergers aux chants et à la danse. Entre temps, la fille du duc de Cornouailles fait connaître au Chevalier Rouge la décision qu’elle a prise : Hermondine étant destinée au plus preux des chevaliers de la quête, Phénonée n’aura d’autre mari que « le second preux de cette même quête », mais il ne lui déplairait pas que celui-là soit le Chevalier Rouge. Enfin, après avoir goûté quelque repos, Agamanor quitte le manoir, monté sur le cheval que lui a fait donner Phénonée (v. 23052).

Mais laissons là Agamanor et revenons à Méliador, ou plutôt à Hermondine et à Florée. Les deux jeunes filles n’ayant pas encore écrit à Méliador comme elles s’étaient engagées à le faire lors de son départ de Signandon, décident de lui envoyer de leurs nouvelles par un écuyer du nom de Flori. Celui-ci se dirige donc vers l’Irlande et, grâce aux indications que Housagre lui donne au pas de la Garde, il rencontre le chevalier au Soleil d’Or à quatre lieues au-delà du Brun-Rocher, lui remet la lettre dont il est porteur et l’accompagne au pas des Perrons, que gardent deux frères, Arselon et Albanor. Attaqué par eux, Méliador se défend vaillamment et tue Arselon. Albanor s’enfuit pour échapper à la mort et ce troisième passage est acquitté comme les deux premiers (v. 23562).

Tandis que Lansonnet s’occupe de chercher des paysans pour ensevelir Arselon, Méliador prend plaisir à s’entretenir avec Flori de la princesse d’Écosse et à entendre de la bouche de cet écuyer des chansons composées par Hermondine et qu’elle aime à redire. Ils repartent ensuite dans la direction de Dublin. Le jour suivant, le fils du duc de Cornouailles, se mesurant avec un chevalier irlandais nommé Dagor, déclare à son adversaire qu’il n’a point rencontré jusqu’ici un aussi vaillant guerrier. Dagor lui apprend que, pour empêcher plus sûrement son fils de prendre part à la quête dont Hermondine sera le prix, le roi d’Irlande fait garder soigneusement tous les passages de son royaume. Une telle mesure surprend beaucoup Méliador : il pense que le roi d’Irlande doit y renoncer et laisser son fils suivre en toute liberté l’inclination qu’il peut avoir pour les armes. Il prie en conséquence Dagor de faire connaître ce sentiment à son souverain et de lui proposer en même temps la proclamation d’un tournoi qui aurait lieu à sa résidence ordinaire, tournoi dans lequel les chevaliers de la quête, en dépit de leur infériorité numérique, soutiendraient le choc de tous les guerriers irlandais réunis. Dagor serait heureux que l’offre de Méliador fût acceptée ; mais il hésite à se charger d’une telle mission, dans la crainte que le roi ne l’accuse de lâcheté. Après une courte reprise, il se décide cependant à porter à son maître les propositions du chevalier breton que Flori consent à ne pas quitter avant le retour de Dagor (v. 24449).

Interrogé dès son retour à Dublin sur l’état de défense de l’Irlande, Dagor annonce au roi Sicamont la défaite de ses plus vaillants hommes et remplit le message dont l’a chargé Méliador. Ces nouvelles attirent sur lui la colère du monarque irlandais qui lui ordonne de courir dès le lendemain au-devant de Méliador, et, sous peine de la vie, de le lui amener mort ou vif. Mais Sagremor, loin de partager les sentiments du roi son père, pénètre secrètement le soir dans la chambre de Dagor, lui confie son vif désir de mener la vie d’un chevalier et arrête ses dispositions pour partir avec lui. Le lendemain matin, l’épervier au poing, Sagremor se rend dans le bois voisin et, tandis que les deux écuyers qui l’accompagnent vont à la recherche de l’oiseau envolé, il rejoint Dagor. À peine réunis, ils rencontrent un guerrier breton, Rolidanas, auprès duquel Dagor s’informe du chevalier au Soleil d’Or. C’est de Rolidanas que les deux écuyers de Sagremor apprennent le jour même la fuite de leur maître avec Dagor : ils s’expatrient alors pour éviter la colère du roi qui, ne recevant le soir aucune nouvelle de son fils, ni des serviteurs de celui-ci, le fait chercher de toutes parts et meurt de chagrin moins de quatre mois après (v. 24888).

Poursuivant sa route en compagnie de Sagremor durant de longues journées, Dagor retrouve enfin Méliador et lui dit le peu de succès de la proposition qu’il a transmise au roi d’Irlande. En témoignage de sa véracité, il lui présente le fils de ce monarque et Méliador, informé de la vocation guerrière du jeune prince, confie à Dagor le soin de le conduire à la cour du roi Artus. À cet effet, il dégage le chevalier irlandais de l’obligation de combattre à nouveau contre lui, mais lui laisse cependant la liberté d’agir à sa guise dans les rencontres qui pourraient survenir. Ils se séparent, et le fils du duc de Cornouailles donne alors congé à l’écuyer de Florée, en lui remettant à l’adresse d’Hermondine une lettre avec un rondeau que la princesse d’Écosse se hâte d’apprendre et apprend ensuite à sa cousine (v. 25160).

Dans le même temps, Dagor conduisait Sagremor à la cour du roi Artus et, chemin faisant, enseignait au jeune prince tous les devoirs d’un parfait gentilhomme. À une petite journée de distance de Carlion, il rencontre un chevalier northumbrien, qu’accompagnait une belle et gracieuse damoiselle, son amie, et qui témoigne le désir de jouter avec lui. Dagor y consent ; mais Sagremor, craignant un accident qui ne permette point à son compagnon de remplir la mission dont il est chargé, conseille à la damoiselle d’intervenir pour arrêter le combat, après une passe d’armes demeurée sans résultat, et les deux champions accèdent au désir de celle-ci. Enfin, Dagor et Sagremor arrivent à Carlion et obtiennent une audience du roi Artus. Le chevalier irlandais fait au monarque breton le récit de ses aventures et le prie de vouloir bien accueillir le jeune prince qui vient à sa cour pour y apprendre le métier des armes. Le roi y consent avec plaisir, présente Sagremor à la reine Genièvre et, peu après, il donne une fête militaire au cours de laquelle l’héritier du trône d’Irlande devient chevalier (v. 25812).

Sagremor jouit de la faveur d’Artus et passe gaîment son temps, tantôt auprès du roi, tantôt auprès de la reine. Une très jeune damoiselle, Sébille, l’héritière de Montmille en Northumberland, captive bientôt le cœur du prince d’Irlande qui se hasarde un jour à lui dire son amour et ne réussit qu’à effrayer et à rendre plus circonspecte la naïve enfant qui jusque là s’ébattait en toute innocence avec lui. Frappé du changement que présente désormais l’humeur du nouveau chevalier et ne pouvant lui en faire avouer la cause, Dagor lui reproche son inaction et le presse de courir les aventures. Il apprend alors de Sagremor la cause de sa préoccupation. Cependant le jeune prince est plus que jamais rempli de la pensée de Sébille : il se lamente de l’indifférence de la belle, trouve un peu d’adoucissement à sa souffrance en composant une ballade amoureuse et prend finalement le parti de quitter la cour. Mais auparavant il veut prendre congé de Sébille, de Sébille seule, et trouvant celle-ci à point nommé, il lui annonce son départ. S’il part, c’est que bien différente de ce qu’elle était naguère, elle ne ressent plus pour lui que de la haine. Sébille proteste énergiquement, mais en vain : il est vrai qu’elle ne songe pas à l’amour et qu’elle s’en remet du soin de fixer sa destinée au roi et à la reine. Ses excuses n’apaisent point Sagremor : haï de celle qu’il aime, il doit la fuir. Il lui demande néanmoins de vouloir bien se souvenir parfois du jeune chevalier errant qui entreprend de courir le monde en quête de gloire, portant en l’honneur d’elle sur son bouclier une dame vêtue de bleu. Il la prie en outre de permettre qu’il lui baise la bouche. À ce moment, Sébille jette sur Sagremor un regard d’une douceur telle qu’il n’en perdra jamais le souvenir et le jouvenceau parvient à cueillir le baiser tant souhaité, baiser qui le reconforte pour de longues années. Enfin, et sans ajouter un mot, il laisse Sébille qui s’enfuit toute honteuse. Il va ensuite revêtir ses armes et quitte secrètement Carlion, sans emmener avec lui aucun serviteur ; puis, à travers les plaines de Northumberland, il se dirige vers Gaules (v. 26432).

Revenons maintenant au roi d’Irlande que la perte de son fils fit mourir de douleur. Les Irlandais, ayant décidé de se donner un nouveau souverain afin d’obvier aux maux qui menaçaient l’Irlande envahie, envoient tout d’abord six chevaliers s’informer de Dagor et de Sagremor à la cour du roi Artus. C’eût été pour eux une grande joie de retrouver l’héritier du monarque défunt, mais Artus ne peut qu’apprendre aux messagers le départ du jeune prince, bientôt suivi de celui de Dagor, désireux de retrouver son élève. Après quinze jours passés à Carlion dans l’attente de quelque nouvelle, ils reviennent annoncer aux Irlandais le peu de succès de leur mission. De l’avis de plusieurs, Sagremor est mort victime de sa témérité ; or il ne convient pas de demeurer privé de roi et l’on offre alors le pouvoir suprême au plus fameux chevalier d’Irlande, à Bondigal. Celui-ci l’accepte ; il est couronné à Dublin et le nouveau souverain, d’un naturel fort belliqueux, fait garnir les frontières de l’Irlande de guerriers chargés d’interdire l’accès du pays à tout chevalier venant du dehors. L’Irlande se trouve ainsi fermée à Sagremor qui est passé en Bretagne ; s’il veut rentrer en possession de son héritage, il le lui faudra conquérir et il n’y manquera sans doute point (v. 26591).

Pendant que Méliador poursuivait son chemin au pays d’Irlande, son attention est attirée par une damoiselle qui chevauchait accompagnée d’un nain, chantant un rondeau et précédant de peu un chevalier irlandais, Carentron, son ami. Malgré l’avis qu’il reçoit de la belle voyageuse, Méliador s’arrête pour lui adresser une question et se voit bientôt défié par Carentron, fort ému de voir sa mie en compagnie d’un étranger. Quoique l’Irlandais fût un très vaillant guerrier, il n’en est pas moins contraint de se rendre à merci et promet à son vainqueur d’aller conter son aventure au roi Artus. En conséquence, il se met en route vers le pays de Galles, avec la damoiselle, dans l’équipement ordinaire d’un chevalier vaincu qui ne s’est pas encore acquitté de l’ordre à lui donné par son heureux adversaire, c’est-à-dire désarmé et l’épée pendue à rebours (v. 26910).

Parlons maintenant de la fille du duc de Cornouailles que l’état de santé du comte des Îles, père de Lucienne, oblige à se séparer de sa cousine et qui, sur le conseil de celle-ci, est envoyée auprès de la reine Genièvre où elle pourra assister à la clôture de la quête, car les cinq années que doit durer le concours touchent bientôt à leur terme. Fort bien accueillie du roi et de la reine de Bretagne qui la nomment « belle cousine », on lui donne Sébille pour compagne et les deux jeunes filles se prennent l’une pour l’autre d’une grande amitié. Un jour, Phénonée voit arriver à la cour d’Artus deux chevaliers grands et forts, vaincus par Agamanor qui les y a envoyés : cette circonstance ravive son amour et elle regrette de ne pouvoir s’en entretenir avec Lucienne ; mais, peu après, au récit que Sébille lui fait du départ de Sagremor, elle répond par ce qu’elle sait du Chevalier Rouge (v. 27245).

Retournons à Sagremor. Un jour que le damoiseau chevauchait seul, l’esprit tout occupé de Sébille, il n’entend pas le salut que lui adresse en passant une damoiselle nommée Margadine. Fort étonnée et ne sachant à quel motif attribuer le silence du chevalier, elle envoie son valet le prier de venir lui parler. Apprenant que Sagremor cherche avec qui se mesurer, elle lui indique son propre frère, un chevalier qui ne redoute personne et qui a récemment combattu le Chevalier Rouge ; elle le mène ensuite jusqu’à un endroit fort voisin du lieu où il pourra trouver ce frère qu’on appelle Morenois. Mais la rencontre ne tourne pas à l’avantage de celui-ci : il est blessé à l’épaule. La lutte cesse alors à la prière de Margadine et l’on conduit Morenois en son manoir pour lui donner les soins que nécessite son état. Pendant la nuit, Sagremor apprend avec douleur que son adversaire, précédemment vaincu par le Chevalier Rouge, a manqué à l’honneur en ne se rendant pas, conformément à l’engagement qu’il en avait pris, à la cour d’Artus : il reproche vivement à Margadine de l’avoir mis en face d’un tel champion et, après avoir tancé Morenois lui-même, il ordonne au félon chevalier de se rendre sans retard à Carlion pour y confesser sa coupable conduite. Avant de quitter la demeure de Morenois, il confie à Margadine une lettre pour Sébille, puis se sépare du frère et de la sœur qui prennent la route de Carlion (v. 27918).

Morenois, conduit en litière à Carlion, est reçu ainsi que sa sœur à la cour du roi. Artus accueille ses aveux avec bienveillance, et il est fort heureux de pouvoir donner à la reine des nouvelles de Sagremor. Les deux voyageurs sont retenus à la cour et Margadine mise au rang des demoiselles de Genièvre. Dagor, en ce moment auprès du roi, est charmé de pouvoir s’entretenir de Sagremor avec Morenois et, désireux de venir en aide à l’inexpérience du damoiseau, quitte Carlion après s’être enquis du chemin qu’il faut prendre pour le retrouver. Margadine, de son côté, se lie avec Sébille et lui remet la lettre du jeune homme. Sébille, qui prend grand plaisir à la lecture de cette missive, exprime à la sœur de Morenois l’espoir d’avoir bientôt d’autres nouvelles de son amant (v. 28276).

Bientôt après avoir pris congé de Morenois, Sagremor se trouve dans une forêt enchantée, connue sous le nom d’Archinai, laquelle avoisine l’Humber. Il y chevauche un jour entier sans boire ni manger, car telle est la vertu de la dite forêt qu’on n’y éprouve ni faim ni soif. Sagremor attribue cette merveilleuse circonstance au pouvoir de ses armes et de la dame vêtue de bleu figurée sur son bouclier ; cependant pour asseoir plus fortement son opinion, il dépouille son armure, pend son écu à un arbre qui lui semble étonnamment froid, appuie sa lance contre le même arbre et place son épée à une autre branche. Tandis qu’il est ainsi désarmé et que son cheval paît tranquillement, un cerf blanc s’élance soudain du buisson et, passant rapidement devant le damoiseau, effraie le cheval qui s’enfuit. C’est en vain que Sagremor se lance à la poursuite de sa monture, car le cerf en fuyant de son côté entrave la course du chevalier et accélère par sa présence l’allure du cheval. Lorsqu’enfin Sagremor s’arrête exténué, ne sachant plus que faire, le cerf s’arrête aussi, et semble inviter le damoiseau à le monter. Le jeune prince enfourche ce coursier d’un nouveau genre, mais il ne tarde pas à perdre les traces de son cheval et il est emporté par l’animal vers un lac où il a de l’eau jusqu’à la ceinture… (v. 28468).

…Sagremor voit en songe Sébille [chantant un virelai], sur lequel ils devisent ensuite, le damoiseau protestant qu’il n’a jamais parlé de [l’amour qu’il ressent pour elle], si ce n’est à une pucelle d’une grande discrétion (sans doute Margadine). Il la conjure ensuite de lui faire entendre certain rondeau amoureux, traitant du même objet que le virelai. Après qu’elle s’est exécutée et pour obéir à la requête de Sébille, Sagremor chante à son tour un virelai de sa composition qui lui vaut d’agréables compliments. Mais aussitôt la belle disparaît et l’émotion que ressent alors le jeune prince est si forte qu’il s’éveille subitement. La vue de ce qui l’entoure le ramène à la réalité et il se prend à regretter que le songe qu’on vient de dire ne soit qu’un leurre. Privé de ses armes et de son cheval, n’ayant plus même auprès de lui le cerf qui l’a conduit en ces lieux, il lui serait impossible de repousser une attaque quelconque. Tandis qu’il se livre à ces tristes réflexions, Sagremor voit devant lui trois dames d’une grande distinction et d’une beauté parfaite. Toutes trois vêtues de blanc et se tenant joyeusement par le doigt, elles adressent aimablement la parole au chevalier, lui demandant comment il a pénétré dans leur verger. Sagremor raconte alors de point en point ce qui lui est advenu et les trois dames délibèrent ensuite au sujet du damoiseau qu’elles ont ravi et transporté dans leur demeure. Il importe en effet qu’on sache que les dames qui ont enlevé Sagremor ne sont autres que des nymphes, suivantes de Diane[1]. Il en sera encore parlé plus loin, mais le moment est venu de dire la fin de la quête, objet principal du présent poème (v. 28831).

Vers le terme de la cinquième et dernière année de la quête, tous les chevaliers qui y ont pris part viennent d’Irlande, de Galles et de Northumberland à Carlion, afin de comparaître devant les douze arbitres choisis dès le début. Les juges, qui se livrent à une enquête impartiale, tiennent en grande estime Agamanor, Gratien, Dagoriset, Lucien, Feughin, Savare et une dizaine d’autres chevaliers ; mais, en attendant le tournoi final, ils leur préfèrent encore le vainqueur de Camel, que la voix publique désigne déjà comme le triomphateur probable. Le roi de Bretagne et celui d’Écosse arrivent ensuite, avec toute la chevalerie des deux royaumes, au lieu préparé pour le tournoi où doit être proclamé le plus méritant chevalier de la quête. Sur la Tweed et à la limite des deux pays, on avait construit pour Artus un grand et magnifique manoir nommé d’abord Monchus et qui, abandonné par la suite, fut alors appelé le Vieux-Manoir ; relevé plus tard par un roi d’Angleterre, fils du roi Henri et de la reine Aliénor, qui y avait vu le jour, il reçut de ce prince le nom de Roxburgh qu’il porte encore aujourd’hui. Le roi d’Écosse s’établit sur la même rivière et à cinq lieues plus haut. La maison qu’il habitait avec sa fille subsiste encore : on l’appelait alors la Blanche-Lande, mais c’est aujourd’hui l’abbaye de Melrose qu’occupent des moines noirs. Au nombre des hôtes d’Artus et de Genièvre figurent le duc et la duchesse de Cornouailles, leur nièce Lucienne, et les trois damoiselles de la Garde, de Montrose et de Carmelin. Hermondine, de son côté est accompagnée de plus de cent vingt dames ou damoiselles, parmi lesquelles Florée, son amie préférée (v. 29103).

Artus envoie quérir le roi et la princesse d’Écosse qui se rendent à Monchus avec leur suite. Hermondine reçoit, au sujet de la quête ordonnée en son honneur, les félicitations de la reine Genièvre et, pour inaugurer les fêtes, celle-ci donne un souper suivi de caroles et de chants. La plus grande partie de la journée suivante est consacrée au tournoi où figurent 1,566 chevaliers. En brillant au premier rang des combattants, Méliador et Agamanor justifient les espérances qu’Hermondine et Phénonée ont mises, chacune de leur côté, en l’un d’eux ; mais le chevalier au Soleil d’Or l’emporte incontestablement sur le Chevalier Rouge et, dans un engagement prolongé entre ces deux guerriers, Agamanor aurait été désarçonné par son adversaire si leur combat n’avait été interrompu par l’irruption d’un grand nombre d’autres chevaliers. L’heure de la retraite ayant enfin sonné, tous ceux auxquels la journée n’a point été funeste rentrent en leur logis (v. 29593).

Les deux rois et leur suite de retour à Monchus, le prix du tournoi est adjugé au chevalier du Soleil d’Or et l’on s’informe de son logis. Le roi de Bretagne va l’y chercher en compagnie du roi Hermont et de tous les chevaliers, et l’on reconnaît alors dans le triomphateur le fils du duc de Cornouailles, Méliador, que l’on amène en grande pompe à la demeure royale. Hermondine accepte pour époux le vaillant homme qui, pour l’amour d’elle, a souffert tant de fatigues depuis cinq ans. Comme la veille, on termine la journée par un souper général, des danses et des chants ; après quoi, chacun s’en va reposer, à l’exception toutefois du duc Patris, de la duchesse sa femme et de leurs enfants qui, tout heureux de se trouver réunis, passent la nuit à deviser (v. 30045).

Le lendemain du tournoi, Méliador devient l’heureux époux de la princesse d’Écosse et, le surlendemain, on célèbre le mariage d’Agamanor avec la fille du duc de Cornouailles. Un jour plus tard encore, on marie trois autres des plus vaillants chevaliers de la quête : Gratien, le chevalier d’outre les monts, épouse Florence la damoiselle de Montrose, Dagoriset la damoiselle de Carmelin et Tangis le Norois l’héritière de la Garde. Ces trois mariages accomplis, les deux cours se transportent au manoir du roi Hermont, à la Blanche-Lande, où les fêtes recommencent de plus belle. On y arrête dès le premier soir l’union de Florée, l’héritière de Montgriès avec un parent du roi Artus, Agravain, qui s’illustrera plus tard sous le nom de chevalier au Blanc Écu, et celle de Lucienne, la cousine de Phénonée, avec Tristan le Sauvage. Deux jours plus tard, le roi Artus fait annoncer un nouveau tournoi, pour l’été suivant, à Camalot, la capitale du royaume de Logres : quatre prix y seront décernés au vainqueur de quatre chevaliers, trois prix à celui qui en vaincra trois, et ainsi de suite. On se sépare enfin, avec l’intention de se revoir à la date indiquée (v. 30763).


Le manuscrit principal du roman se termine aujourd’hui au moment où l’auteur va nommer le duc Wenceslas de Luxembourg, à la prière duquel il avait écrit cette œuvre. On a donc à déplorer la perte de la fin des aventures de Sagremor, dont Froissart s’était engagé à reprendre le récit après la conclusion de la quête. Suivant toute apparence, le jeune chevalier était le héros du tournoi de Camalot et, uni enfin à Sébille, remontait sur le trône d’Irlande. C’est certainement à cette partie du poème que se rapporte le quatrième des fragments du manuscrit A dont nous croyons devoir donner une rapide analyse :

Pesagus, dont l’amie a été enlevée par deux chevaliers qui lui ont aussi ravi ses armes, raconte à Sagremor la mésaventure dont il est la victime. Le jeune chevalier irlandais offre son aide à Pesagus qui, l’ayant acceptée, sonne du cor pour défier les ravisseurs, Sagremor les rencontre, tue l’un et laisse l’autre en mauvais point. Pesagus recouvre ainsi son amie et celle-ci, reconnaissante, offre à son sauveur l’hospitalité en sa maison du Haut-Manoir.



La lecture de Meliador donne exactement l’impression de l’un de ces romans de chevalerie qui troublèrent la cervelle de Don Quichotte. De même que les livres composant la bibliothèque du bon hidalgo, il renferme le récit de prouesses de chevaliers errants, et cette expression même de « chevalier errant » y est couramment employée pour désigner Méliador et ses émules. On ne voit d’un bout à l’autre de l’ouvrage, que chevaliers rêvant à la conquête d’une princesse qui les appellera à partager son trône. Toujours prêts à défendre l’innocence opprimée en la personne d’une jeune et belle héritière, ils se montrent après la victoire d’un absolu désintéressement et n’imposent jamais au vaincu qu’un seul engagement : celui de ne plus combattre avant d’avoir fait, à la cour du roi Artus, le récit public de sa défaite. L’épisode de Sagremor, retenu par trois fées en un séjour enchanté, est à rapprocher de l’aventure de Roger, victime des enchantements d’Alcine[2]. Enfin, comme pour rendre la ressemblance parfaite entre les romans dont Cervantès a fait la satire et le poème de Froissart, on trouve dans celui-ci aussi bien que dans ceux-là cet amusant détail du guetteur qui, par une sonnerie de trompette, avertit les habitants du château de l’imminente arrivée d’un chevalier[3].


  1. Ou mieux des fées (cf. vers 30343).
  2. Orlando furioso, canti vivii.
  3. Meliador, vers 3824–3830. Comparez ce passage de l’œuvre immortelle de Cervantès : « En esto sucedió acaso que un porquero que andaba recogiendo de unos rastrojos una manada de puercos (que sin perdon así se llaman), tocó un cuerno, á cuya señal ellos se recogen, y al instante se le representó á Don Quijote lo que deseaba, que era que algun enano hacia señal de su venida. » (El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, prim. parte, cap. ii.)