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Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/Introduction

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Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. I-LI).

INTRODUCTION

Le mémoire que nous publions a été écrit par Jean Law de Lauriston, ancien chef de la loge française de Cassimbazar, dans le Bengale, et se réfère à des événements auxquels il prit part et qui s’accomplirent dans ce pays et dans l’Empire Mogol depuis 1756 jusqu’en 1761. C’est au début de cette période que nous perdîmes Chandernagor et que se livra la bataille de Plassey, qui prépara la soumission du Bengale à la domination britannique. À la suite de ces événements, Law qui avait échappé aux poursuites des Anglais, erra pendant quatre ans dans le Béhar et l’Empire Mogol, cherchant un prince de l’Inde qui voulut employer son épée contre les ennemis de la France et ceux de son propre pays. Vaincu avec le Grand Mogol Shah-Alem à la bataille d’Elsa le 15 janvier 1761, il fut fait prisonnier, retenu pendant un an dans le Bengale et, en 1762, autorisé à rentrer en France.

Les dangers qu’il avait courus, l’illustration personnelle de son nom, — Law était neveu du célèbre financier de la Régence, — les exploits de Bussy dans le Décan, la chute encore toute récente de Dupleix, l’épisode du Trou Noir, la bataille de Plassey, les révolutions du Bengale, tout donnait aux événements de l’Inde un extraordinaire retentissement ; en ces événements, l’épopée confinait presque partout à l’histoire et l’invraisemblable était une réalité. Les imaginations étaient surprises et confondues tout à la fois et les hommes politiques eux-mêmes n’entendaient rien à des révolutions que l’humiliation séculaire des Européens devant les Mogols ou les Maures ne pouvait faire pressentir aux esprits même les plus avisés. Dans la disgrâce de Dupleix, il y eut moins de haine que d’ignorance.

Lorsque Law arriva en France peu de temps après ces événements, il était naturel que pour satisfaire une curiosité légitime, le ministre lui demandât un récit de ses aventures et des circonstances au milieu desquelles elles s’étaient produites. Law, qui aimait à écrire et écrivait fort bien, n’hésita pas un instant à satisfaire à des désirs qui auraient pu être des ordres et il écrivit à l’usage de M. Bertin un volumineux rapport[1].

Nous ne savons pas avec certitude ce que contenait ce rapport ; des quatre manuscrits connus de l’ouvrage de Law, aucun n’est la reproduction exacte du mémoire rédigé en 1763. Mais il est aisé de le présumer. Il contenait naturellement le récit des aventures de Law dans le Bengale et l’Empire Mogol ; mais, pour des pays alors si lointains et si mal connus, quel pouvait être l’intérêt d’un pareil récit, s’il n’était accompagné de notes ou d’explications préalables ? Law le comprit et, pour « donner plus de clarté » à son œuvre — ce sont ses propres termes, — il le fit précéder d’une description de l’Empire Mogol, et il y joignit une explication des principaux termes indigènes, une carte des provinces par où il avait passé et un cahier des routes ou de l’itinéraire que les événements plus que sa propre volonté l’avaient plus d’une fois obligé à adopter.

Soit que ce mémoire ait été particulièrement apprécié, soit que les services antérieurs de Law aient seuls suffi à lui mériter cette faveur, il fut en 1764 désigné pour reprendre possession de nos établissements dans l’Inde après la paix de Versailles, et, cette reprise effectuée, présider à leur destinée comme gouverneur.

Law s’embarqua dans l’été de 1764 et arriva dans l’Inde au mois de février suivant ; il réoccupa alors Karikal et Pondichéry, puis s’en alla au Bengale, où il séjourna plus d’un an. L’idée lui vint en route de revoir son travail primitif et de le compléter par des notes ou des développements nouveaux. « Partie de ce mémoire, nous dit-il dans une note d’un des manuscrits — celui du British Muséum — a été écrite à Paris en 1763 et partie en 1764 pendant mon second voyage aux Indes ; mais plusieurs notes ont été ajoutées depuis. »

En complétant ainsi son œuvre, Law songeait-il à une publication éventuelle ? C’est possible et tel est notre sentiment. On n’écrit pas 400 pages d’histoire d’un intérêt manifeste et soutenu et l’on ne complète pas ce travail avec un soin si particulier, si l’on ne songe un peu à la postérité. Mais si Law eut cette pensée, il est certain qu’il mourut sans la faire connaître. Sommes-nous aujourd’hui sans le savoir et sans le vouloir ses exécuteurs testamentaires ? Il n’y aurait rien de fâcheux pour sa mémoire, car l’œuvre que nous publions est celle d’un vaillant homme, d’un esprit clair et d’un bon Français.

Nous avons dit plus haut qu’il existait à notre connaissance quatre manuscrits du mémoire de Law. Deux sont en Angleterre, l’un à l’India Office, sous la cote O. V. 272 et l’autre au British Muséum (Manuscript Department, additional Manuscript n° 20.914) ; les deux autres sont en France, le premier aux Archives du Ministère des Colonies, dans la série Inde : Correspondance générale, C2 97, et le second à la Bibliothèque Nationale (f. fr., nouv. acq. n° 9.363).

Le plus complet de tous et celui qui paraît le mieux répondre aux indications fournies dans la lettre à M. Bertin est celui du British Muséum. Il contient en effet :

1° la lettre précitée de Law à M. Bertin, avec cette indication marginale qui donne son titre à l’ouvrage : Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol et particulièrement sur celles du Bengale depuis l’année 1756 jusqu’à la fin de janvier 1761 ;

2° la description de l’Empire Mogol au moment où vont s’accomplir les événements racontés dans le mémoire ;

3° le mémoire lui-même, divisé en 13 chapitres avec des indications marginales pour les huit premiers[2] ;

4° un « cahier des routes » indiquant les itinéraires suivis par Law depuis son départ de Cassimbazard jusqu’à sa captivité ;

5° une « table d’explications » dans laquelle Law définit les principaux termes indigènes contenus dans le mémoire ; l’un de ces articles, celui de Bénarès, est très détaillé et constitue un véritable cours de philosophie religieuse ;

6° enfin une carte. Cette carte est celle de Danville, le géographe bien connu de cette époque. Cette carte, qui est de 1752, représente une partie du Béhar et de l’Empire Mogol jusqu’au delà de Delhy ; elle est intéressante, parce que Law y a ajouté à la main son propre itinéraire, qui est en lignes jaunes dans le manuscrit et ressort en lignes plus grosses dans la photographie que nous en donnons.

Il est possible qu’à part les notes dont quelques-unes ont été ajoutées après 1763 et dont certaines peuvent être datées de 1773 ou 1774, ce manuscrit soit la reproduction exacte de celui qui fut remis à M. Bertin, mais il est certain que ce n’est pas l’original lui-même ni même une copie tout à fait contemporaine. Outre les notes qui fournissent à cet égard une indication précieuse, il y a avec les autres manuscrits des différences de rédaction, très courtes assurément, mais assez nombreuses, qui ne portent jamais sur le fond de l’ouvrage, mais sur sa composition elle-même. Cette composition est plus soignée dans le manuscrit du British Muséum ; on dirait que l’auteur se souciait d’écrire pour l’Histoire. La division en chapitres et les notes marginales qui n’existent dans aucun des autres manuscrits, peuvent, elles aussi, être considérées comme un désir de l’auteur de faire connaître son ouvrage au public. Enfin, on ne saurait nier que l’une des phrases du chapitre Ier n’ait à ce point de vue une importance toute particulière. On lit en effet à la page 14 du manuscrit (voir plus bas, page 71) : j’aime mieux renvoyer le lec teur…, tandis que dans les autres manuscrits la phrase est : j’aime mieux vous renvoyer… Évidemment, Law ne se serait jamais permis d’écrire la première phrase en s’adressant à M. Bertin. La substitution d’une expression à une autre n’a pas été faite sans motif.

Comme le manuscrit du British Muséum, texte et notes, est d’un seul tenant, nous serions tenté, en raison de l’une de ces notes, de placer sa composition entre les années 1773 et 1775. Cette note est relative à Baladgirao, pechoua ou premier ministre des Marates. En cette note, Law raconte à grands traits certains faits de l’histoire marate jusqu’en 1773 et il les précise quand il approche de cette date. Comme il s’est passé dans l’histoire de ce peuple des faits extrêmement importants en 1775, il serait surprenant que Law n’en ait pas parlé, si à ce moment il n’avait déjà achevé la révision ne varietur de son mémoire primitif.

Cela n’est évidemment qu’une supposition, mais elle est infiniment vraisemblable[3].

Quant au moment où le manuscrit entra au British Muséum, on le sait d’une façon précise. Il y entra en 1855, à la suite d’une vente de la bibliothèque de lord Rothesay. Cette vente avait été ainsi annoncée : Catalogue de la riche bibliothèque du Très Honorable lord Stuart de Rothesay contenant plusieurs manuscrits illustres et importants, recueillis principalement pendant les années où l’ambassadeur britannique résida à Lisbonne, Madrid, La Haye, Paris, Vienne, Saint-Pétersbourg et le Brésil. Or Charles Stuart baron de Rothesay fut ambassadeur à Paris de 1815 à 1830 ; c’est vraisemblablement à cette époque qu’il fit l’acquisition d’une copie du mémoire.

On ignore comment se fit cette acquisition. Le maréchal de Lauriston, fils de Jean, était un des hommes les plus en vue du royaume[4] ; il se peut qu’en raison des relations qu’il devait avoir avec l’ambassadeur d’Angleterre, il lui ait gracieusement donné copie d’un récit qui faisait honneur à son père et intéressait aussi l’histoire de la Grande-Bretagne. La famille du maréchal ou plutôt celle de Jean lui-même pourrait dire si elle possède encore un exemplaire dans ses archives, et si cet exemplaire correspond à celui du British Muséum.

Examinons maintenant les autres manuscrits.

Ils ont ceci de commun qu’à quelques variantes d’expressions près, ils représentent exactement le même texte et ne comprennent que le mémoire lui-même, diminué du chapitre VIII. Et l’on peut voir par l’ouvrage imprimé que l’ensemble des suppressions représente environ un tiers de l’ouvrage total.

Pourquoi ces suppressions ? On le sait pour le manuscrit de l’India Office.

Le travail de Law, d’une étude si approfondie, d’un intérêt si réel et d’une étendue si considérable dut être connu très rapidement en dehors des sphères officielles. En 1774, M. Orme, le célèbre historien des luttes des Anglais dans l’Inde, possédait déjà la carte de l’itinéraire que Danville lui avait donnée et il priait lord Selbourne de lui procurer un exemplaire du mémoire lui-même. Il faut croire qu’il ne réussit pas dans sa tentative, puisqu’en 1785 il ne le possédait pas encore. À ce moment, un nommé M. Johnson, chef de la loge anglaise de Vizagapatam et parent de Law[5], vint à Paris. Il exprima à Law dans quel embarras se trouvait M. Orme pour continuer son histoire, faute de quelques renseignements sur le Bengale à l’époque où Law y conduisit son détachement. Law s’empressa de lui envoyer l’essentiel de son mémoire, ainsi qu’il le qualifie lui-même. Au surplus, on ne lira pas sans intérêt la lettre de Law à M. Orme, et qui est du 22 septembre 1785 :

Monsieur,

Fâché de voir que vous paraissiez décidé à ne point continuer votre ouvrage des transactions militaires de la Nation Britannique dans les Indes orientales, j’en avais demandé la raison il y a quelque temps à M. Johnson et luy ai fait la même demande à son arrivée icy ; il m’a répondu que vous vous trouviez arrêté faute de quelques éclaircissements sur divers objets, entre autres sur ce qui pouvait avoir rapport au détachement que je commandais ; sur quoi je proffite de son retour pour vous faire parvenir l’essentiel d’une relation que je me suis avisé de faire à mon retour de l’Inde en 1763 et que je remis en 1764 au ministre. Elle va depuis le commencement des troubles dans le Bengale jusqu’au 15 janvier 1761 que je fus fait prisonnier. Je souhaite que vous veuillez bien la recevoir comme une marque d’amitié et de confiance de ma part ainsi que de l’intérêt que je prends à l’ouvrage que vous avez entrepris, qui vous fait honneur et dont tout le public désire la continuation.

Je certifie la vérité de ma relation en tout ce qui me regarde et mon détachement ; quant aux autres objets, sur lesquels je peux avoir dit autrement que les rapports des uns et des autres, vous en jugerez ; il se peut que je me sois trompé, mais il vous sera aisé de voir que je tiens bien des choses de plusieurs Anglais même, avec lesquels je me suis souvent entretenu pendant toute l’année 1761, n’étant parti du Bengale qu’en 1762. Vous verrez même, autant que je peux me souvenir, que j’ay pris quelque chose de votre premier volume des Transactions, première édition.

Je vous prie instament, Monsieur, de garder pour vous même et pour votre usage cette relation que je vous envoie, sans la communiquer à qui que ce soit, si ce n’est peut-être à quelqu’un de vos amis intimes en qui vous avez une entière confiance, et cela du moins jusqu’à ce que vous en ayez tiré ce que vous jugerez à propos pour votre ouvrage ; autrement il pourrait se faire que quelque mal intentionné prit plaisir à en faire des extraits pour vous prévenir dans le public. Si mon nom parait, je voudrais que ce ne fut que par votre plume.

J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus distingués, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Law de Lauriston.

Le manuscrit de l’India Office ne reproduisant que l’essentiel de l’œuvre originale, ne saurait avoir la même importance que celui du British Muséum. Mais il a un autre intérêt. Autant qu’on en peut juger par l’écriture, il est de la main même de Law. La lettre à M. Orme, bien que n’étant pas jointe au manuscrit, — elle est contenue dans la série O. V. 293, — est en effet de la même écriture que celle du manuscrit et il semble difficile d’admettre que Law n’ait pas écrit lui-même la lettre qu’il adressa à M. Orme.

Cette particularité donne-t-elle plus d’authenticité au manuscrit de l’India Office ? Nous ne le croyons pas. Il y a dans le manuscrit du British Muséum une dizaine de notes qui sont de la même écriture et si l’on admet, comme il est vraisemblable, que cette écriture soit celle de Law, ces quelques notes suffisent à donner au manuscrit la même valeur qu’un original. Law a pu relire le manuscrit qu’il annotait ; au point de vue historique, cela suffit.

Les différences de rédaction que nous avons signalées plus haut sont plus embarrassantes, à cause des dates. D’après la lettre à M. Orme, le manuscrit de l’India Office devrait être de 1785, or nous avons placé la rédaction du manuscrit du British Muséum entre 1773 et 1775 et nous avons dit que cette rédaction était meilleure que celle de l’India Office. Pourquoi Law n’a-t-il pas envoyé à M. Orme le texte revu et amendé ? C’est sans doute parce qu’il a utilisé un manuscrit antérieur, correspondant, aux suppressions près, à celui qui fut remis à M. Bertin.

Quant à ces différences de rédaction, dans l’impossibilité de publier deux textes dans le même travail, nous avons naturellement adopté celui du British Muséum, qui est plus complet et n’est pas moins authentique que l’autre. Seulement, comme il y a parfois entre les deux textes des nuances de pensées assez sensibles, nous avons conservé entre crochets quelques expressions du manuscrit de l’India Office, qui nous ont paru plus intéressantes. Veut-on quelques exemples ? nous les empruntons aux chapitres IV et V de l’ouvrage :

On me dit d’aller [par Mednipour] ou Catek,…

L’idée des Anglais était [sans doute] de nous mettre hors de défense…

Khodadakhan que les Chets eux-mêmes avaient fait venir [de je ne sais quel endroit de l’Inde] pour leur sûreté…

Mirdjafer invite les Anglais à monter [à Morshoudabad]…

Une partie du détachement [qui formait l’avant-garde] descendit [sans s’arrêter] jusqu’à Rajemolle…

qui [quoi qu’ennemi, s’intéressait à notre sort par humanité, connaissant] par sa propre expérience…

Nous avons au contraire maintenu les suppressions, infiniment plus nombreuses, lorsqu’elles ne présentaient pas d’intérêt, comme dans les phrases suivantes :

le peu de fermeté ou plutôt la lâcheté du nabab…,

on trouveroit peut-être quelques canons et mortiers…

se croyant toujours poursuivis…

Quand, au lieu de suppressions, il y a des modifications, nous avons toujours suivi le manuscrit du British Muséum, qui est plus court et plus précis : c’est même pour ce motif que nous lui attribuons une rédaction postérieure. Voici des exemples empruntés aux mêmes chapitres :

L’expression : il y avait encore des Français par les chemins, a été remplacée par : il y avait encore du monde par les chemins ; — ailleurs, détachement remplace troupe ; — ce que bon lui sembleroit prend la place de ce qu’il voudroit ; — je mis donc mes ouvriers à défaire ce qui avoit été fait est remplacé par je mis donc à l’ouvrage tous les pionniers que j’avois ; — il falloit plier au lieu de il falloit céder ; — retournèrent auprès du nabab au lieu de : retournèrent voir le nabab, etc.

Les expressions sont parfois renversées : à ce qu’exigeait M. Watts au lieu de à ce que M. Watts exigeait

Toutes ces suppressions ou modifications sont peu importantes, et ne méritent pas de retenir l’attention. Lorsqu’elles en vaudront la peine, nous les indiquerons par des notes spéciales.

Il nous reste maintenant à parler des manuscrits français. Leur examen ne sera pas long. Le manuscrit du ministère des Colonies est, à quelques expressions près, la reproduction fidèle de celui de l’India Office. Il se trouve inséré dans une série de documents qui se rapportent aux années 1763 à 1765, mais comme ce recueil fut constitué au xixe siècle par un fonctionnaire qui rangea les pièces dans leur ordre chronologique, on ne saurait en conclure que c’est entre 1763 et 1765 que le manuscrit fut rédigé. Nous pensons cependant, comme pour celui de l’India Office, qu’il fut écrit avant 1772. L’écriture est nette et très lisible.

Quant au manuscrit de la Bibliothèque Nationale, il fait partie de la collection Margry et a été copié dans le courant du xixe siècle sur celui du ministère des Colonies. C’est assez dire qu’il ne saurait avoir de valeur que si les trois autres venaient à disparaître.


M. S. Ch. Hill, qui habite Londres, a bien voulu se charger avec nous d’établir, pour cette édition, la concordance entre les manuscrits du British Muséum et de l’India Office. Nul n’était plus qualifié pour accomplir un pareil travail. M. Hill a été autrefois chargé de la conservation des archives du Gouvernement de l’Inde, il a été directeur de l’enseignement dans les Provinces Centrales ; il a publié de nombreux ouvrages ou brochures sur l’Inde. En chacun de ses travaux, il a apporté la conscience et la probité professionnelle d’un historien. M. Hill, qui est un bon Anglais et qui aime son pays, ne pousse point l’égoïsme national jusqu’à ne pas reconnaître dans les adversaires d’antan les qualités et les vertus qui ont fait leur gloire et font une partie de la nôtre ; avant qu’aucun Français n’ait eu ce soin pieux et patriotique, il s’est attaché, en plusieurs monographies, à faire connaître quelques-uns de nos compatriotes qui se sont illustrés dans l’Inde. Il suffit à cet égard de citer son volume sur Claude Martin et surtout celui intitulé : Trois Français dans le Bengale[6]. Ces trois Français sont Renault, qui eut la triste destinée de présider à la chute de Chandernagor en 1757, le chevalier Courtin dont la course errante à travers le Bengale à la suite de l’abandon de Dacca mérite toute notre admiration et enfin Law lui-même. M. Hill, qui a eu entre les mains les manuscrits de ce dernier, en a publié de nombreux extraits dans l’ouvrage précité ; il a en outre publié la première partie du mémoire dans son troisième volume du : Bengale en 1756-1757 (p. 160-214), édité à Londres par J. Murray en 1905 ; il a bien voulu s’associer à nos efforts pour faire connaître l’œuvre tout entière. Il est juste que dans l’édition de cet ouvrage nous lui attribuions la part qui lui revient et lui témoignions toute notre reconnaissance.

On a respecté dans cette édition l’orthographe des noms propres indigènes et en général celle des noms communs, lorsqu’elle ne constitue pas une faute notoire ; toutefois, comme il n’est pas d’orthographe pour les noms propres et que ceux de l’Inde ont, même de nos jours, les formes les plus variées et les plus méconnaissables, nous avons dressé en un tableau qu’on trouvera à la fin de cette introduction les diverses orthographes adoptées par d’autres auteurs sans les épuiser toutes et notamment les orthographes anglaises qui se différencient si profondément des nôtres ; ces dernières ont été empruntées à l’Impérial Gazetteer qui fait foi en la matière. Le lecteur pourra ainsi reconnaître sans trop de peine le même personnage ou la même localité sous les vocables les plus étranges et les plus dissemblables.

Quant à la ponctuation, nous préférons avouer que, sans se soucier plus qu’il ne convient de celle des documents, nous avons adopté celle qui serait employée de nos jours. Quand on publie un texte ancien, c’est pour qu’il soit lu ; or rien ne gêne plus la lecture que des ponctuations défectueuses ou qui ont cessé d’exister et on reconnaîtra bien qu’une ponctuation mauvaise n’ajoute rien à la valeur d’un document.

Nous en dirions autant des divisions en paragraphes si, contrairement aux usages de son siècle et surtout à ceux du xviie siècle, Law n’avait lui-même fait dans son texte des divisions claires et nombreuses qui reposent la vue et soutiennent l’attention ; il est très rare que nous ayons été obligé d’apporter plus de lumière dans le manuscrit.

On sait peu de choses de la vie de Jean Law avant les événements qu’il raconte. Nous nous sommes vainement adressé à cet égard à la famille qui peut-être ne connaît rien et nous n’avons trouvé dans les documents officiels que des renseignements trop succincts.

Jean était le premier enfant de William ou Guillaume Law, le frère de l’illustre financier de la Régence.

Les deux frères étaient eux-mêmes issus d’une famille écossaise qui, si l’on en croit l’annuaire de la noblesse de 1863, remonterait jusqu’au xive siècle ; mais rien n’est moins certain que toute la succession d’aïeux titrés et blasonnés qu’on invoque pour son illustration. Celle qu’elle tient du financier de la Régence est plus certaine et de meilleur aloi.

Guillaume Law était encore en Angleterre où il se maria en 1716 à une nommée Rebecca Dewes[7], lorsque la fortune de son frère commença à s’élever en France. Quand cette fortune fut mieux établie, Guillaume vint à Paris où il se fixa ; il semble qu’il ait d’abord habité le quartier de l’église Saint-Roch ; c’est là que son premier fils Jean naquit en 1719. Guillaume fut à diverses reprises employé par l’abbé Dubois dans des négociations politiques ou financières au delà de la Manche ; le subtil abbé ménageait alors le puissant financier et cherchait à utiliser ses relations en Angleterre. Lorsque vint la débâcle du Système, Guillaume fut pécuniairement rendu responsable de l’insuccès de son frère et enfermé au Fort l’Évêque, où l’on emprisonnait les débiteurs insolvables. Après que les passions suscitées par ce désastre furent calmées, il put en sortir sans que sa fortune fut entamée. Il ne paraît pas au surplus que cette fortune ait jamais été considérable ; elle s’accrut pourtant en 1729 à la mort du financier d’une partie de sa succession. Jean Law mourut sans enfants légitimes, mais la majeure partie de ses biens avait été confisquée après son départ de France et il ne transmit à ses héritiers naturels qu’un héritage des plus modestes, qu’aucun document ne permet d’évaluer.

Guillaume Law continua de vivre en France jusqu’en 1752, époque de sa mort. On ne suit plus sa trace à partir de 1721 que par la naissance de ses enfants.

Ces enfants furent :

Jean, né le 15 octobre 1719, baptisé le 3 novembre ;

Rebecca-Louise, née en 1720 ;

Jeanne-Marie, née en 1722, épousa en 1743 Jean-Georges de la Cour, puis M. de Bermandet ;

Jacques-François, né le 20 janvier 1724 ;

Enfin Élisabeth-Jeanne, née en 1725, épousa François-Xavier de Boisserolle.

De ces enfants, deux ont laissé un nom dans l’histoire : Jean et Jacques-François[8].

Lorsque ces enfants furent arrivés à l’âge d’homme, ils furent, comme Bussy et tant d’autres gentilshommes de cette époque, envoyés dans l’Inde pour y chercher fortune. Le souvenir de leur oncle, créateur de la nouvelle compagnie des Indes, leur fut à cet égard une précieuse recommandation : la compagnie se les attacha, l’aîné dans ses services civils et le second dans ses services militaires.

La mémoire de leur oncle, non moins que leur mérite personnel, les fit avancer tous les deux assez vite dans la carrière qu’ils avaient adoptée. Comme leur rôle fut très distinct et ne se trouva jamais mêlé aux mêmes événements, nous dirons tout de suite, sans entrer d’ailleurs dans aucun détail, que Jacques-François, arrivé comme son frère à Pondichéry en 1742, y séjourna la plus grande partie de sa vie ; il se distingua d’une façon particulière à la défense de cette ville en 1748 et fit ensuite la guerre dans le Tanjore et dans le Carnatic. Chargé par Dupleix des opérations contre Trichinopoli, il succomba devant cette place le 2 juin 1752 par une capitulation qu’on lui a souvent reprochée et qui fut la cause très directe de la chute de Dupleix et de sa politique[9]. Il servit ensuite dans le Décan avec Bussy et s’y conduisit avec honneur et courage ; en 1753, il sauva Bussy à Haïderabad d’une situation qui paraissait désespérée. Il ne revint en France qu’une seule fois et s’y trouvait en 1763, lorsqu’il présenta un mémoire explicatif de sa conduite à Trichinopoli. Lorsque Jean fut nommé gouverneur de nos établissements dans l’Inde, et qu’il prit possession de ses fonctions en 1765, il exprima le désir que son frère lui fut adjoint comme major des troupes. Ce désir ne devait pas être exaucé ; Jacques mourut à l’île de France à la fin de 1766 ou plutôt au commencement de 1767. Il n’avait pas quarante-trois ans[10].

Jean eut une carrière toute différente. Il ne resta que deux ans à Pondichéry et fut envoyé dans le Bengale en 1744. Nous n’avons pu retrouver à quel titre il y servit jusqu’en 1747. Au Bengale, la compagnie n’entretenait pas de forces militaires et les postes de début étaient ceux de commis, puis de sous-marchands. Il fallait généralement assez de temps ou des services exceptionnels pour devenir chef de loge ou de comptoir. Law devint très vite chef de la loge de Cassimbazar. En 1746, ce poste, qui n’eut jamais qu’une importance secondaire, ainsi que nous l’expliquerons plus loin, était occupé par M. Fournier, un des plus anciens employés de la compagnie. La compagnie estimant que ses intérêts à Cassimbazar ne nécessitaient plus que la présence d’un agent subalterne, le remplaça par un sous-marchand, M. Dalbert, qui mourut le 24 octobre, quelques jours seulement avant que M. Fournier n’eut effectivement quitté Cassimbazar. Il fut remplacé par un nommé M. de la Marre, qui se montra inférieur à la tâche qui lui était confiée, fut rappelé à Chandernagor et remplacé à son tour par Jean Law dans le courant de l’année 1747.

Law devait rester chef de la loge de Cassimbazar jusqu’en 1757, quelques semaines après la prise de Chandernagor, alors qu’il dut lui même fuir devant les Anglais et chercher dans l’Empire Mogol un asile et une espérance.

Avant d’arriver à ces événements, qui sont l’objet du présent ouvrage, et pour mieux se rendre compte des difficultés au milieu desquelles Law allait se trouver, il n’est peut-être pas inutile d’indiquer la situation politique de nos différents établissements du Bengale en 1747.

On sait pourquoi ces établissements furent fondés. Depuis un siècle, les Anglais et les Hollandais tiraient de grandes richesses du Bengale. Le Bengale était réputé la partie la plus riche de l’Inde. Lorsqu’après avoir abandonné nos rêves d’établissement à Madagascar, nous prîmes le parti d’aller, nous aussi, aux sources mêmes de la fortune, il était naturel qu’après avoir pris pied à Surate et à Pondichéry, nous eussions l’idée de nous fixer également au Bengale.

Balassor fut notre premier établissement : Duplessis s’y établit en 1684. Balassor est situé en dehors de l’estuaire du Gange, à quelque distance de la mer, sur une petite rivière au cours sinueux et mobile. On ne tarda pas à s’apercevoir que la situation était mauvaise et, sans l’abandonner, M. Deslandes obtint en 1692 d’Ibrahim khan, nabab de Dacca, l’autorisation de se fixer à Chandernagor, sur l’Hougly. Chandernagor ne devait être lui-même qu’un entrepôt des marchandises qui pouvaient arriver par voie d’eau de l’intérieur du pays. Afin de faciliter l’achat et la concentration de ces marchandises, on établit peu à peu d’autres postes le long des fleuves et c’est ainsi qu’on se fixa d’abord à Cassimbazar puis à Dacca (1726).

Dacca[11] était à la fin du xviie siècle la capitale du Bengale et tirait de ce fait une importance toute particulière ; bâtie sur un des bras de la Padma, qui met en communication le Gange et le Brahmapoutre, elle était en situation d’utiliser à son choix ces deux grandes voies navigables. En 1704, le nabab Murshid kouli khan transféra le siège du gouvernement au cœur même du Bengale, à Moxoudabad, sur le Baghirathaï. Moxoudabad changea alors de nom et prit celui de Morshoudabad ou Murshidabad qu’elle a conservé. On comprend dès lors pourquoi nous nous y sommes établis ; les Anglais y étaient déjà fixés depuis 1658.

Deslandes, d’Hardancourt et Dirois furent les trois premiers chefs de la loge de Chandernagor ; ce fut au temps de M. Dirois que fut établie, par un édit du 27 janvier 1726, la liberté du commerce d’Inde en Inde qui amena beaucoup de bâtiments dans le Bengale et prépara ainsi une prospérité que Dupleix devait si heureusement développer[12].

Dupleix, qui était dans l’Inde depuis huit ans, remplaça Dirois en 1730. Continuant l’œuvre de ses prédécesseurs, il fonda la loge de Patna en 1732, celle de Jougdia en 1738, prit pied au Pégou vers la même époque par une occupation à Syriam et créa en 1738 un établissement à Bender Abbas, sur le golfe Persique. En 1735, il avait obtenu du nabab l’autorisation de faire frapper des monnaies d’or et d’argent au bancassal ou hôtel des monnaies de Murshidabad, au moment même où le gouverneur Dumas obtenait du nabab d’Arcate un privilège analogue pour les roupies de Pondichéry.

Nos établissements étaient en pleine voie de prospérité lorsque Dupleix fut appelé au gouvernement de Pondichéry en 1741, et fut remplacé à Chandernagor par M. Burat puis, à partir de 1746, par M. Duval de Leyrit, précédemment chef de la loge de Mahé.

Cette prospérité se maintint jusqu’en 1745 ; mais alors deux causes vinrent paralyser l’essor de nos établissements : la guerre avec l’Angleterre et les invasions des Marates dans le Bengale.

La guerre avec l’Angleterre, qui eut tant de retentissement à la côte de Coromandel avec les sièges de Madras et de Pondichéry, ne fut point transportée dans le Bengale, où les loges françaises et anglaises convinrent entre elles de la neutralité du Gange. Réserve prudente : le nabab de Murshidabad n’eut sans doute pas toléré la guerre. À cette époque, les événements n’avaient encore révélé à personne la faiblesse politique et militaire de l’Empire Mogol et des divers états qui lui étaient attachés par des liens plus ou moins étroits. La crainte des Maures était un dogme bien établi auprès de toutes les puissances européennes, et nul dans le Bengale n’eut osé contrecarrer les ordres du nabab. Or, le nabab ne considérait les Européens que comme des contribuables qu’il pouvait pressurer mais qu’il ne devait pas détruire. Autant de nations, autant de revenus. Il pouvait bien tolérer que l’une cherchât à paralyser les opérations commerciales de l’autre, mais il lui importait qu’aucune ne fut totalement anéantie.

C’est pourquoi, après la déclaration de guerre de 1744 en Europe, les Anglais, plutôt que de menacer directement nos établissements du Bengale, se bornèrent en général à gêner notre navigation et à entraver notre commerce. Ils y réussirent à merveille et dès 1747, malgré leurs échecs à la côte de Coromandel, ils avaient acquis dans la vallée du Gange une situation prépondérante qui dominait de beaucoup celle de la Hollande et de la France.

Comme d’habitude, les procédés pour arriver à ce résultat ne furent pas d’une loyauté parfaite. Dès le début de 1745, ils saisirent en rade de Balassor deux vaisseaux français, l’Heureux et le Dupleix. En octobre 1746, au moment même où ils perdaient Madras, ils eurent l’idée de s’emparer de Chandernagor : l’état major des vaisseaux anglais fut même convoqué à Calcutta sous prétexte de célébrer la fête du roi, mais en réalité pour prendre toutes les dispositions nécessaires contre nos établissements. Les mesures de défense que nous prîmes alors firent échouer cette tentative et les Anglais dissimulèrent leur retraite en prétendant que s’ils avaient songé à des mesures militaires, c’était pour résister à une incursion des Marates contre Calcutta[13].

Au début de 1747, le commandant Griffin fit arrêter à Ingely, dans le Gange, un vaisseau hollandais et le fit décharger à terre, sous prétexte qu’il y avait à bord des Français et des marchandises françaises. Il y avait en effet à bord plusieurs Français dont deux officiers ; ils furent arrêtés et leur arrestation maintenue, malgré les protestations des directeurs français et hollandais de Chandernagor et de Chinsura.

Au mois de juillet suivant, un navire français, la Charmante, commandé par M. Caignon, fut aussi arrêté à Ingely par trois boats anglais armés en guerre. Toutes les réclamations qu’on adressa au Conseil de Calcutta restèrent vaines et sans résultat. À la même époque, les Anglais saisirent encore des vaisseaux hollandais, portugais, maures et arméniens, parce qu’ils les croyaient propriété française ou supposaient qu’ils avaient des Français à leur bord.

Ces divers attentats produisirent le résultat qu’en attendaient les Anglais ; le commerce français du Bengale ne fut pas ruiné mais il fut très affaibli et la situation de nos divers établissements devint des plus précaires. Il n’en était aucun qui ne fut endetté ; Chandernagor et Cassimbazar furent les plus éprouvés ; Chandernagor devait 300.000 roupies en 1751.


Les incursions des Marates, si fréquentes à cette époque, ne furent pas moins préjudiciables à la prospérité de nos établissements. En ravageant le Bengale, les Marates s’étaient engagés à respecter les propriétés européennes et, ce qui paraît surprenant, ils tinrent parole ; mais à cette parole on ne croyait guère et l’on agissait toujours comme si l’on redoutait d’eux les pires catastrophes.

Ces incursions commencèrent en 1742 par l’invasion du Béhar par Basker Punt, lieutenant de Ragogy Bonsla. Ce dernier s’était depuis dix ans taillé une royauté véritable dans le Bérar qu’il ne cherchait qu’à agrandir. L’occident lui étant fermé par d’autres chefs marates aussi puissants que lui, Dummaji Gaeckwar, Mohadji Holkar et Ranoji Sindia, il se jeta sur le Bengale, que nul ne cherchait à lui disputer. L’invasion de 1742 faillit coûter le pouvoir au nabab du Bengale ; trahi par un de ses principaux officiers, il vit les Marates s’emparer du Catec, de Mednipour et de la ville d’Hougly ; seul, un gonflement du fleuve empêcha les envahisseurs d’entrer dans le district de Murshidabad. Pendant que les Marates s’endormaient sur ce succès, une contre-attaque imprévue du nabab leur fit perdre en un instant tous leurs avantages et Basker Punt dut rétrograder jusque dans le Bérar. Une autre invasion en 1744 amena les Marates jusqu’à Burdouan ; le nabab les éloigna, dit-on, par une somme d’argent. Basker Punt revint quelque temps après avec une nouvelle armée ; le nabab se débarrassa de lui par un crime. Sous prétexte de parlementer, il l’attira dans sa propre tente et l’y fit assassiner.

Une nouvelle invasion trouva un précieux encouragement dans une révolte des Afghans qui étaient au service du nabab ; la fortune ne fut favorable ou contraire ni aux uns ni aux autres ; les pluies et diverses préoccupations firent rentrer Ragogi Bonsla dans le Bérar. À la fin de 1747 et au commencement de 1748, les Marates parurent encore jusqu’aux portes de Murshidabad.

Ces incursions répétées, sans succès assuré de part et d’autre, jetaient les esprits dans une inquiétude continuelle et paralysaient toutes les transactions commerciales. Les opérations étaient à chaque instant traversées par de nouveaux incidents et nul n’osait engager sa parole ou son argent sur un avenir incertain et toujours périlleux. Les loges européennes participaient à ce malaise, quand elles n’étaient pas obligées de prendre des mesures effectives pour leur défense ; en 1746, Chandernagor fit de grosses dépenses pour s’entourer d’un fossé protecteur.

La puissance du nabab donnait seule quelque sécurité aux Européens. Le nabab était alors Aliverdi khan, âgé d’un peu plus de 70 ans. Aliverdi était arrivé au pouvoir dans d’assez singulières conditions, comme c’était l’usage dans l’Inde. Au temps où Murshid Kouli khan (nommé encore Jaffer khan) était nabab de Bengale[14], il maria sa fille unique à un nommé Sujah khan, qu’il avait chargé pour son compte du gouvernement d’Orissa. Sujah khan avait à Bourhampor, dans le Décan, un parent pauvre nommé Mirza Mohammed ; ce Mirza avait deux fils, Hadji Ahmed et Mirza Mohammed Ali. Ces deux hommes vinrent avec leur père chercher fortune auprès de Sujah khan, qui les accueillit avec bienveillance et leur procura des emplois dans son gouvernement. Tous deux avaient de précieuses qualités pour réussir : Hadji Ahmed, l’aîné, était insinuant, souple et judicieux ; à ces qualités le plus jeune ajoutait de réels talents militaires. Tous deux ne tardèrent pas à acquérir une grande influence et leurs conseils avisés contribuèrent à donner de la force et de l’éclat à l’administration de Sujah khan.

Néanmoins, ce dernier n’était pas aimé de son beau-père. Lorsque Murshid mourut en 1725, il déshérita son gendre pour laisser le pouvoir à son petit-fils, Safras khan. L’audace et l’habileté des deux frères firent échouer ces dispositions ; ils se soulevèrent et, avant que Safras khan eut pu faire acte de nabab, Sujah khan était déjà maître de la capitale. Des lettres patentes du Grand Mogol confirmèrent cette élévation.

Sujah khan, déjà nabab du Bengale et d’Orissa, acquit encore le Béhar en 1729. Ce fut pour lui une occasion éclatante de témoigner sa reconnaissance à ceux qui l’avaient porté au pouvoir : Mirza Mohammed fut chargé de l’administration de la nouvelle province et reçut à cette occasion le titre d’Aliverdi khan. Il administra avec prudence et accrut la prospérité du Béhar.

Sujah khan mourut en 1739 et transmit régulièrement sa succession à son fils Safras khan. Ce dernier était un homme incapable et entièrement adonné au plaisir et à la débauche ; au lieu de ménager ceux qui, dans cette situation, auraient pu le mieux protéger son trône, il ne négligeait aucune occasion de les humilier et de les couvrir d’affronts. Les fortunes privées étaient elles-mêmes menacées et avec elles la vie de leurs propriétaires. Le danger commun réunit de communs efforts et notamment ceux d’Aliverdi khan et de Jogot Chet, le plus riche banquier du Bengale. De tout temps, les questions d’argent ont joué un rôle considérable dans la direction politique des peuples ; il est peu de pays où elles aient eu pour l’indépendance nationale plus de désastreuses conséquences que dans le Bengale. Retenons le nom de Jogot Chet ; ce fut lui plus encore qu’Aliverdi khan qui renversa la puissance de Safras khan ; ce sera un de ses héritiers qui en 1757 trahira le successeur d’Aliverdi khan et livrera le Bengale à la domination anglaise. Chaque pays de l’Inde aura tour à tour un Jogot Chet qui préparera, presque toujours sans le vouloir, les voies à cette domination .

Safras khan fut détrôné et tué dans une bataille en 1740 et Aliverdi khan obtint sans peine du Grand Mogol le firman qui lui transmettait sa succession. Le pays entier reconnut rapidement son autorité qui s’étendait sur le Bengale, le Béhar et l’Orissa. On a vu jusqu’en 1748 ses luttes contre les Marates ; comme elles n’avaient pas détruit sa puissance, elles la consolidèrent et Aliverdi khan gouverna le Bengale jusqu’à sa mort avec autorité et avec un mélange d’humanité et de barbarie qu’on retrouve toujours, même chez les meilleurs des princes de l’Inde.

Les différentes loges européennes subissaient ses caprices avec obéissance et résignation. Ces caprices n’allaient jamais jusqu’à la démence, mais ils étaient toujours arbitraires. Veut-on un exemple : en 1747, un riche marchand arménien mourut à Calcutta sans laisser d’enfants. Le nabab réclama aussitôt sa succession sous prétexte qu’il avait droit à l’héritage de tous les étrangers qui mouraient en ses états sans laisser de descendance directe et, sans attendre le règlement de l’affaire, il fit arrêter et emprisonner un des agents que le défunt entretenait à Murshidabad. Sous cette pression, Aliverdi toucha quelque argent ; mais il ne jugea pas la somme assez forte et il envoya des cavaliers chez le chef de la loge anglaise de Cassimbazar pour le sommer de lui faire livrer l’exécuteur testamentaire de l’Arménien, qui habitait Calcutta. À la suite de pourparlers avec le Conseil de cette ville, l’affaire se termina par une transaction. [15]</includeonly

Telles étaient les difficultés de diverse nature au milieu desquelles les établissements européens et notamment les nôtres vivaient en 1747. Nous allons voir maintenant comment le commerce pouvait se mouvoir au milieu de ces difficultés.

Le crédit n’existait pas comme aujourd’hui : en général, toutes les opérations entre Européens et Indiens se faisaient au comptant. Au début d’une saison, nos établissements recevaient de France une somme d’argent plus ou moins considérable, proportionnée à leurs besoins ; avec cet argent, on achetait des marchandises ou l’on faisait des commandes qui devaient s’exécuter au cours de l’année ; à la fin de la saison, ces marchandises étaient transportées à Lorient, qui était le port de la compagnie. Les marchandises arrivées de France étaient de même vendues pendant le cours de l’exercice.

Ce système manquait d’ampleur, mais il était conforme aux mœurs du temps. On en voit tout de suite les inconvénients ou même les dangers. Si par naufrage ou par toute autre cause accidentelle, les fonds n’arrivaient pas de France à l’époque prévue, il fallait restreindre les achats aux disponibilités des loges, généralement très faibles, ou bien recourir à des usuriers qui encaissaient en réalité tout le bénéfice des opérations. Si une guerre survenait, les navires risquaient d’être pris et, s’ils échappaient à ce péril, ils n’étaient pas toujours sûrs d’arriver à destination ou d’y arriver à temps ; or, pour le succès des opérations commerciales dans l’Inde, les dates d’arrivée et de départ étaient pour ainsi dire impératives ; un retard d’un mois ou deux suffisait pour tout compromettre.

C’est pour obvier à ces inconvénients que Dupleix conçut quelques années plus tard les idées générales de sa politique. Si l’Inde, pensait-il, pouvait offrir par elle-même des ressources financières assez considérables pour se passer des fonds d’Europe, toutes les difficultés provenant des retards ou même des guerres viendraient à disparaître ; le commerce trouverait toujours sur place l’argent dont il aurait besoin. Il est vrai que pour avoir cet argent, il fallait posséder la terre elle-même : Dupleix ne recula pas devant les conséquences de son système et résolument il entreprit la conquête plus ou moins déguisée du Carnatic et du Décan. Il espérait, à la fin de ses peines, réaliser la fameuse formule qu’il exposa à la compagnie, trop tard peut-être, en octobre 1753 et qui se résume en ces mots : pour assurer l’avenir du commerce français dans l’Inde, il faut à la compagnie dans l’Inde elle-même « un revenu fixe, constant et abondant[16] » .

Si ces revenus avaient existé après 1745, il est probable que nos établissements du Bengale n’auraient pas été dans la situation précaire où ils se trouvaient encore en 1756, lorsqu’éclata la seconde guerre avec l’Angleterre. Tous nos comptoirs demandaient qu’on leur fit passer des fonds dès le commencement de l’année ; il n’était pas toujours possible de leur donner satisfaction.

À défaut d’argent comptant, il y avait avant 1745 dans le Bengale de riches marchands indigènes qui consentaient volontiers à satisfaire avec leurs propres fonds aux commandes de la compagnie. Depuis que le pays était déchiré par des guerres civiles ou menacé par des invasions étrangères, ces marchands n’ouvraient plus leurs bourses, même dans les besoins urgents, et ne voulaient plus travailler qu’au fur et à mesure des avances qu’on leur faisait parvenir.

Pour exécuter les ordres de France, on était réduit à s’adresser aux usuriers ou aux banquiers[17]. Au nombre de ceux qui firent ainsi des avances à la compagnie se trouvait le fameux Jogot Chet. Ces avances portaient surtout sur la loge de Cassimbazar.

Jogot Chet mourut au commencement de 1746, laissant pour seuls héritiers deux enfants en bas âge, dont l’un se nommait Chetmatabraye. Pendant leur minorité, ce fut avec un nommé Roupsongy que nous eûmes à discuter nos intérêts ou plutôt nos dettes. Roupsongy en demanda le remboursement.

Or, depuis le commencement des incursions marates, il ne se faisait plus aucune transaction à Cassimbazar. En l’absence de tout commerce, le Conseil de Chandernagor résolut en mars 1745 sinon d’évacuer complètement la loge. du moins de ne plus y laisser qu’un simple agent subalterne, un ouaquil et quelques pions. M. Fournier, qui commandait la loge, reçut en conséquence l’ordre de revenir à Chandernagor, puis, sur l’annonce d’une nouvelle invasion marate, de rester à son poste. L’évacuation de Cassimbazar était d’ailleurs interprétée par les Anglais comme une sorte de faillite, et tous les rapports administratifs de cette époque nous représentent l’influence des Anglais comme bien supérieure à la nôtre, même après la chute de Madras. Roupsongy crut voir dans notre départ la perte de son gage.

Le danger marate ayant disparu peu de temps après, M. Fournier reçut de nouveau l’ordre d’abandonner la loge, dont l’entretien était trop onéreux. Cette fois les Chets[18], encore conseillés par les Anglais, s’y opposèrent résolument ; ils demandèrent tout au moins que M. Fournier ne quittât pas Cassimbazar sans leur avoir laissé des gages suffisants. Après quelques pourparlers et pour leur donner satisfaction, on leur donna des gages sur les draps que nous avions à Patna et M. Fournier put quitter Cassimbazar le 15 octobre 1746. Les meubles de la loge étaient à peine embarqués que, sur les ordres du nabab, les douaniers s’opposèrent à leur départ. On leva ces nouvelles difficultés avec le procédé habituel en ces régions, c’est-à-dire avec de l’argent et enfin dans les premiers jours de décembre le convoi put arriver à Chandernagor.

On a vu qu’après son départ, M. Fournier fut remplacé par des agents subalternes, d’abord M. Dalbert, puis M. de la Marre et enfin Law.

Avec la vente des draps de Patna, M. Renault, alors directeur de la loge, put rembourser 50.000 roupies aux Chets en 1747 ; mais on n’éteignit pas la dette qui continua jusqu’en 1756 à donner à Law les plus grands soucis. À la fin de 1747, Chandernagor reçut quelques subsides. « Ces secours, écrit le Conseil en une lettre du 31 décembre, nous sont parvenus fort à propos tant pour subvenir aux dépenses ordinaires du comptoir que pour faire cesser les importunités des héritiers de Jogotchet, lesquels non contents des arrangements pour l’année passée pour leur faire toucher le produit des draps qui sont à Patna à mesure qu’on les vendrait, nous ont fait demander plusieurs fois par leur goumasta d’Ougly le paiement de ce qui leur restait dû par la compagnie ; au moyen de quelques remises que cet envoy et les lettres de change nous ont mis en état de leur faire tant ici [Chandernagor] qu’à Cassimbazar, nous les avons tranquillisés ; mais depuis quelques jours ils recommencent leurs instances auprès de M. de Leyrit[19]. »

À part ces difficultés incessantes avec les héritiers de Jogotchet, on connaît peu les faits qui se passèrent à Cassimbazar après 1747 ; on sait seulement que Law alla deux fois à Patna, en 1751 et en 1754, probablement à cause de ces difficultés. On sait aussi qu’il se maria en 1755 et qu’il épousa Jeanne Carvalho, fille de dom Alexandre Carvalho et de Jeanne de Saint-Hilaire[20]. D’après une note du temps, il semble que les économies qu’on s’était proposé de réaliser en confiant la loge à un personnage moins important que M. Fournier, ne soient restées qu’à l’état d’espérance[21] ; la loge comprit toujours un personnel européen disproportionné à son importance réelle.

Le rôle de Law, comme celui de tous les chefs de loge, consistait essentiellement à vendre et à acheter pour le compte de la compagnie, à acquitter ses engagements, à étendre ses relations et son crédit. Pour l’exercice de ce commerce, il avait en sous-ordre des courtiers, nommés saukars, connus des autorités locales, chargés de passer et faire exécuter les différents marchés dans toutes les contrées et en faire parvenir les résultats à la loge ou au comptoir. Les marchandises rassemblées à la loge étaient envoyées à l’entrepôt général sur des bateaux portant pavillon français, sous la conduite de pions ou cipayes attachés à la loge, lesquels étaient munis d’un dastok ou passeport délivré par le chef même de la loge. Les factures en français accompagnaient le dastok ; les conducteurs de navires n’étaient soumis qu’à la simple exhibition de ce dernier ; les droits de douane étaient acquittés au bureau de douane le plus à portée du lieu de destination. Les envois de l’entrepôt aux différentes loges se faisaient de la même manière. Les employés de la douane et les officiers de terre du pays arrêtaient et confisquaient ce qui n’était point revêtu de ces formes : ainsi toute fraude était écartée, et la puissance qui avait accordé les privilèges comme celle qui les avait obtenus avaient leurs intérêts également garantis.

Chacune de nos loges avait sa fonction propre. Chandernagor était l’entrepôt général ; à Balassor, on achetait quelques cauris, mais cette place ne servait plus en réalité depuis longtemps que pour porter secours aux vaisseaux qui entraient dans le Gange et qui se trouvaient sans pilotes ; Patna achetait du salpêtre et vendait des draps de France ; à Dacca, on achetait des toiles dites mallemolles et des broderies ; à Jougdia, fondée à l’embouchure du Brahmapoutre et déjà presque disparue sous les eaux, on achetait des bafitas, des sanas et des hamans ; enfin Cassimbazar achetait surtout des soies.

Cette ville, alors très florissante et très peuplée, n’était en réalité qu’un faubourg de Murshidabad, la capitale du Bengale. La loge française était située sur la rive gauche du Baghirathaï, à l’endroit où ce fleuve ayant formé une boucle d’une certaine étendue commence à reprendre son cours vers le sud. À l’époque où Law vint en prendre possession, on avait été obligé d’y faire quelques travaux pour empêcher que la loge ne fut emportée par les inondations. La même habitation logeait tous les employés. Les soies étaient dans des bâtiments annexes et des apentifs abritaient les vers à soie.

La loge n’était pas défendue. Lorsque survinrent les invasions marates, on creusa à la hâte un fossé pour se défendre moins contre les Marates eux-mêmes qui avaient garanti l’inviolabilité de nos établissements, que contre les coureurs et les maraudeurs de toute sorte qui accompagnaient toujours une armée en marche. La loge anglaise était mieux défendue et pouvait soutenir un siège ; celle des Hollandais n’était pas mieux protégée que la nôtre.


Nous avons dit que Cassimbazar tirait toute son importance des soies qu’on y achetait. Il est intéressant de constater que c’est encore aujourd’hui la principale industrie du pays, où l’un de nos compatriotes, M. Gourju, continue [1913] d’acheter ou même de fabriquer des soies pour nos établissements de Lyon.

Au début de notre installation au Bengale, on faisait venir directement ces soies à Chandernagor en confiant à des marchands indigènes le soin de les acheter sur place. La mauvaise qualité des soies ainsi obtenues détermina la compagnie à envoyer à Cassimbazar des employés qui l’achèteraient pour son compte et c’est ainsi que la loge fut constituée. Ce ne fut pas suffisant : les vendeurs de Cassimbazar et environs faisaient travailler la soie chez eux et n’y apportaient pas tous les soins nécessaires ; la soie était de qualité inégale et se vendait difficilement en Europe ; la compagnie se résolut alors de la faire virer à la loge. À cet effet, on achetait les potnis ou écheveaux de soie, tels qu’ils provenaient de la coque des vers ; il y avait des marchands qui rassemblaient ces potnis dans toutes les aldées voisines de Murshidabad jusqu’à près de trente lieues à la ronde.

Les vers fournissaient de la soie pendant onze mois de l’année. Celle de novembre à janvier était la plus fine et la meilleure parce que, dans cette saison qui est la plus fraîche du Bengale, les feuilles de mûrier sont extrêmement tendres. On appelait cette soie agni. Celle de février et de mars, dite soita, faisait la deuxième qualité. La soie d’avril, mai et juin était la plus mauvaise de toutes en raison de l’aridité du sol et formait la quatrième et dernière qualité ; on la nommait atchary. Enfin la soie de juillet, août et septembre, qui faisait la troisième qualité, était dite soie saony.

La compagnie n’achetait que les trois premières qualités : la quatrième était trop mauvaise. La première étant la plus estimée était aussi la plus recherchée et la compagnie ne la trouvait pas toujours sur le marché. Les Anglais et les Hollandais, qui avaient toujours des avances alors que les Français devaient souvent vivre au jour le jour, se trouvaient naturellement dans une situation privilégiée pour leurs achats et c’étaient eux qui enlevaient de préférence les premiers approvisionnements. En 1752, on estimait que les Anglais achetaient environ 4 à 5.000 mans de soie[22], tant pour leur compagnie que pour leur commerce particulier ; les Hollandais allaient jusqu’à 2 ou 3.000 ; les Français n’avaient jamais pu dépasser 6 à 700. Mais ce commerce n’était rien en comparaison avec celui des marchands d’Hayderabad et de Delhi ni avec celui des Arméniens, agissant pour le compte des négociants de Surate ; l’ensemble de ce commerce indigène dépassait celui de tous les Européens.

On n’a jamais su d’une façon précise le bénéfice que ces établissements pouvaient procurer à la compagnie ; mais il y a lieu de croire qu’en temps normal et si aucune circonstance malheureuse ne venait contrarier les opérations, ces bénéfices devaient être considérables. Lorsque, sous un prétexte quelconque, le nabab voulait tirer des loges quelque argent, il envoyait des troupes autour des aldées pour empêcher les vivres d’y entrer. Chacune des loges s’en tirait avec un cadeau de 20 à 30.000 roupies et il était rare qu’annuellement on ne donnât pas ainsi au nabab de 150 à 200.000 francs. Aucun établissement n’eut pu survivre à de pareilles libéralités, si le commerce n’eut laissé des bénéfices extraordinaires[23]. La main-d’œuvre n’était pas chère ; elle ne l’est pas beaucoup plus aujourd’hui ; les produits s’achetaient bon marché et se vendaient un gros prix ; il n’est pas surprenant que, malgré l’insécurité politique de ce pays, la compagnie des Indes ait fait les plus grands efforts pour s’y établir et pour y rester.

La vie était facile pour les agents ; on y menait à bon compte un train de grand seigneur. La nature était clémente, sauf pendant les journées torrides de juin et de juillet ; le pays prêtait à tous les rêves de l’imagination et à toutes les satisfactions de la réalité ; on y côtoyait les civilisations antiques sans crainte pour les idées modernes, et, si la vie courante se déroulait avec son cortège habituel de bonheur et d’infortune, les hommes de l’Occident voyaient toujours dans l’Inde le pays des Dieux où le paradis était descendu sur la terre, et où l’existence n’était qu’un tissu d’éternelles félicités.

La situation générale de Cassimbazar et de nos autres établissements du Bengale ne s’était guère modifiée depuis 1747 lorsque survinrent les événements qui nous firent perdre nos possession[24]. Mais il y avait eu dans le Bengale lui-même des changements, qu’il convient de signaler.

On a vu que jusqu’en 1747 Aliverdi khan avait résisté avec succès à toutes les invasions marates. La fortune lui fut moins favorable dans les années qui suivirent et en 1750, à la suite d’une incursion plus désastreuse que les précédentes, il dut céder à Ragogy Bonsla les revenus de la province de Catec. La puissance marate se trouva ainsi portée jusqu’aux portes du Bengale et jusqu’à l’embouchure du Gange.

Aliverdi mourut le 9 avril 1756 à l’âge de 80 ans. Il ne laissait pas d’héritiers mâles ; il avait eu trois filles et son frère Hadji Ahmed avait eu trois fils. Les trois cousins avaient épousé les trois cousines. Le plus jeune fils d’Hadji Ahmed, nabab de Patna, fut tué en 1747 par les Afghans révoltés et les deux autres moururent peu de temps avant Aliverdi ; l’un d’eux nommé Newadjes Mahmet khan et surnommé le Petit Nabab, paraissait devoir succéder à son oncle et beau-père. Il ne restait à Aliverdi que des petits-neveux ; ce fut l’un d’eux nommé Souradja doula qu’il choisit comme successeur. Souradja doula, dont on lira la courte et tragique existence, était le fils aîné du nabab tué à Patna en 1747 ; il avait un frère et des cousins, dont l’un, nommé Saokotjingue, était nabab de Pourania.

On ne peut dire que le Bengale eut échappé à la destinée qui le menaçait s’il eut eu à sa tête un autre homme que Souradja doula, qui fut un tyran cruel et malavisé ; les événements historiques sont souvent déterminés par des causes obscures et profondes, qui échappent à toutes les prévisions. La longue et brillante lignée des Antonins n’a pas empêché la chute rapide de l’empire romain ; la crainte qu’inspirait Aliverdi khan cachait mal l’anarchie et la corruption qui étaient à la base de toutes les institutions indoues. Tôt ou tard l’Inde devait mourir de ces vices. Par leurs succès faciles, Dupleix et Bussy avaient montré l’irrémédiable faiblesse du Carnatic et du Décan et c’était l’histoire de la veille. Pourquoi cette faiblesse ne serait-elle pas un mal général ? pourquoi le Bengale et l’Indoustan ne suivraient-ils pas les destinées du sud ? Il suffisait d’un incident et il fallait un homme. Nous avions eu Dupleix ; les Anglais avaient Clive. Survint l’incident du Trou Noir et, avant que l’écho de ce drame ne se fut assourdi, Clive avait décidé de l’indépendance de l’Inde et tous les vieux royaumes, tous les vieux empires étaient anéantis.

A. Martineau.

    Il existait en outre un cazana ou rente payée par le comptoir à la pagode de Ingol Addy. Ce compte était ainsi libellé :

    Pour le droit de cinquante roupies sicca par mois de cazana transporté à la dite pagode par le nabab à qui ce droit se payoit précédemment en cent cinquante roupies sicca, cy 
    150 r.s.

    En 1790, le chef de la loge de Cassimbazar était M. de Fécamp, chevalier de l’ordre de Saint-Louis.

  1. Bertin (Henri-Léonard-Jean-Baptiste), né en 1719, après avoir été successivement intendant du Roussillon, de Lyon (1754) et lieutenant général de police (1757), avait été nommé le 23 novembre 1759 contrôleur général des finances. Il le demeura jusqu’au 13 décembre 1763. Une fois par mois, le contrôleur général devait se rendre à l’hôtel de la Compagnie pour présider une des « assemblées d’administration », tenue chaque semaine par les Directeurs en présence des Commissaires du Roi (Weber. La Compagnie française des Indes, Paris, 1904, p. 441). Si nous en croyons le même auteur, Bertin serait devenu, après sa sortie du contrôle général, et dès 1764, l’un de ces commissaires du Roi qui « furent toujours les véritables directeurs de la Compagnie ». Il était tout naturel que Law adressât son mémoire à un personnage aussi intimement mêlé à la politique de la Compagnie.
  2. Nous avons continué ces notes pour les derniers chapitres, parce qu’elles introduisent plus de clarté dans le texte et qu’elles en facilitent la lecture ; mais il est bien entendu qu’elles ne sont pas de l’auteur.
  3. Si des critiques ou des experts peuvent trouver dans la composition du papier une indication utile, le manuscrit porte en filigrane une fleur de lys et le nom D. et C. Bhauw.
  4. Le maréchal Alexandre de Lauriston mourut en 1827.
  5. M. Johnson avait épousé Jeanne Law de Tancarville, fille de Jacques-François et, par conséquent, nièce de notre auteur. Jeanne était née le 18 juillet 1757.
  6. Three Frenchmen in Bengal or the commercial ruin of the french settlements in 1757. By S. C. Hill. — London, Longmans, Green and C°, 1903, 182 pages.
  7. Les généalogistes ont imprimé que Rebecca Dewes appartenait à l’illustre famille de Percy. La vérité est qu’elle se nommait Dewes, sans autre parenté notoire.
  8. Les titres attachés à la famille Law étaient ceux de Lauriston, qui est une localité aux portes d’Edimbourg, Clapernon ou Clapernow, qui se trouve également en Écosse et enfin Tancarville, qui est dans les environs de Rouen. Nous ignorons à quelle époque ces titres entrèrent dans la famille ; l’acte de baptême de Jean porte qu’il naquit de Guillaume Law, gentilhomme écossais. Quoiqu’il en soit, le titre de Lauriston fut porté au xviiie siècle par Jean et sa descendance et celui de Clapernon et Tancarville par Jacques-François et ses enfants. Ces deux descendances existent encore.
  9. Law se défendit naturellement d’avoir rien fait qui ne fut conforme aux ordres qu’il avait reçus ou qui ne lui ait été imposé par les circonstances.

    Il ne saurait entrer dans le cadre de cette introduction d’élucider ce problème, le plus grave peut-être de notre politique coloniale ; nous nous bornerons à reproduire ici, parce qu’elle est insérée dans le manuscrit du British Muséum à la suite du mémoire de Lauriston, une lettre de l’abbé Prévôt à Jacques Law, du 20 août 1763:

    « Il est vrai, Monsieur, que me faisant l’honneur de m’écrire il y a trois semaines, vous ne m’avez pas marqué votre adresse, et n’ayant passé que 24 heures en Paris, je me suis borné à vous laisser pour réponse, si vous preniez la peine de renvoyer chez Mr Arnould, que j’aurois tous les égards dus à la justice de vos plaintes. Aujourd’hui, Monsieur, que la lecture des deux mémoires, et mes propres informations m’ont tout à fait éclairé, je vous promets beaucoup plus. Vous serez maître du tems, de la forme et des termes de la réparation ; je ne crois pas devoir moins à l’excès de l’injustice et de l’outrage, et je ne vous demanderai, en retour, que d’être bien convaincu de l’innocence de mes intentions. Mettez vous, s’il vous plait, à ma place. Je me suis servi du Mémoire de Mr Dupleix que je ne connois pas personnellement, comme des relations de MM. Dumas, de Labourdonais, de Leyrit, de Bussy, de Moracin, etc. Pouvais-je me défier qu’une pièce autorisée par des seings connus et publiée sans aucune apparence d’obstacle, et demeurée fort longtems sans réclamation, contint d’impudentes faussetés et de noires calomnies ; je loue, Monsieur, la noble chaleur qui respire dans votre défense, et je ne suis pas moins indigné que vous, contre ceux qui l’ont rendue nécessaire ; mon désaveu l’est aussi, je le reconnois ; et loin d’être humiliant pour moi, comptez, Monsieur, que j’en ferai gloire ; que la honte et le remord soyent pour ceux qui vous ont injustement noirci, et dont la mauvaise foi m’a jeté dans une si malheureuse erreur ; ainsi j’aurai l’honneur de vous voir à Paris au premier voyage que je ferai ; je le hâterois, si je n’étois retenu malgré moi, par un long et douloureux rhumatisme, mais il commence à se ralentir, et je compte d’être à Paris vers la fin du mois. Agréez, Monsieur, en avancement d’expiation, l’offre de mes très humbles services et les vrais sentimens de considération, d’estime et de zèle avec lesquels je ferai profession d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

    « Signé : l’abbé Prévost, premier aumônier de S. G. Mgr le Prince de Conty. »

    En marge est écrit : à Saint Firmin, dans le Parc de Chantilly, vingt août mil sept cent soixante trois.

    Sur l’enveloppe : à M . le chevalier Law, chez M. le Président Rosset, rue de la Jussienne, à Paris.

  10. Jacques-François Law, plus communément appelé le chevalier Law, avait épousé le 17 février 1751 Marie Carvalho, fille de dom François Carvalho, gentilhomme portugais, et de Marie Saint-Hilaire. Il eut quatre enfants :

    Marie-Josèphe, née en 1752, épousa Louis de Bruno ;

    Françoise, née le 12 mars 1754, épousa Charles Culling Smith ;

    Jeanne, née le 18 juillet 1757, épousa sir Samuel Johnson ;

    Jacques-Louis, baron de Clapernon, né le 8 août 1758.

  11. Dacca avait remplacé Rajmahal comme capitale en 1608.
  12. Le commerce de la compagnie des Indes était un monopole. Afin de permettre à ses agents de faire des opérations commerciales régulières, elle leur permit à partir de 1726 de faire du commerce au delà du Cap de Bonne-Espérance, dans l’Océan Indien et les mers de Chine. C’est ce qu’on appelle le Commerce d’Inde en Inde.
  13. Arch. Col., C2 6, p. 165.
  14. Murshid Kouli khan fut nabab du Bengale de 1704 à 1725.
  15. Si l’on veut avoir une idée de la richesse des Chets, on ne lira pas sans intérêt la lettre suivante de Luke Scrafton au colonel Clive, datée de Moraudbaug, 17 décembre 1757. Luke Scrafton évalue les revenus annuels des Chets à plus de 42 lakhs, soit 10 ou 11 millions de francs.

    Sir,

    As I am not obliged to any great attendance at the Durbar, I employ much time in enquiries into the nature and circumstances of the Government — By what I hâve been informed the revenues arising on the lands are yearly 134 Lacks. The Nabob’s Jaguers, Duty on trade, &., may produce 26 more, the monthly expences from 12 to 15 lacks. Juggutseat is in a manner the Government’s banker : about two thirds of the revenues are paid into his house and the Government give their draught on him in the same manner as a Merchant on the Bank, and by what I can learn the Seats make yearly by this business about 40 lacks. They account with the Government for current Siccaes. A Zemindar having revenues to pay to the Seats, they state the amount of Batta thus :

    If he pays them current Siccaes, they charge him with a Batta of 
    An 8   per cent
    If Sonnaut 
    Rs 6, 9   per cent
    If the letters of the Sonnaut are effaced or the stamp not clear, they charge him 13 Rs. 8 a. per cent on all such rupees, and they never fail to find this defect in a 1/4 part of them. This they call Daughey, which turns out about 
    3,6  per cent
    On Arcot to make this Current Sicca 
    10,9
    Arcot Duchey, that is such as are defficient in weight besides the equivalent for the defficiency in weight they charge 
    6,11
    Daughey Arcot, the same as on Sonnaut 17,8 per cent, which in the same way of reckoning is above 
    46  per cent.
    Usley and Pusley Arcot are a species of Arcot of the same weight and standard, as the others, and are distinguished by a cross† ; they are mostly paid in by the Tellingee and Burdwan Zemindars. On them they charge 
    25  per cent

    So that on the article of 2 thirds of the revenues paid into their house, they clear at least 10 per cent Besides an Interest of 32 per cent not on any money really paid out of the house, but thus — the rents are due every 10, 20, or 30 days as the custom happens to be. A Zemindar who is to pay his revenues into the Seats house, begs he will admit of a delay. Agreed, but he does not give the Government credit, until it is really paid, with the growing interest, and then only for the Principal.

    Another way is he lends money by the year at 3,2 p. et. per month, the bond to be made up every 4 or 6 months with accumulated Interest, and an exhorbitant Batta as if really paid, and a new bond given with this heavy addition.

    By the information of the Chief of the Dutch Tanksaul, the Seats coin 50 lacks a year, and clear on the recoinage of old rupees and Arcot into Siccaes 7,8 per cent.

    Now for an estimate of their yearly profit on two thirds of the revenues being 106,000,300 (106 lacks), they clear 10 per cent}} 1,060,000
    Interest from the Zemindars 12 per cent 
    1, 350,000
    On 50 lacks received, at 7 per cent 
    350,000
    They dont lend less than 40 lacks a year at 5, 2 per Ct. and on good security, for if the Zemindar cannot pay them, the lands are made over as security. I cant estimate this less than 
    1, 300,000
    (42 lacks 60,000 rupees) We cant reckon less than 7 or 8 lacks for the advantage of having the Batta in his own power, which he raises and falls daily according to the sums he has to pay or receive. Tho exchange on the Nabob’s remittance to Delhi, the Marattoes, Patna, &, &, &. Roydulub and the Chutah, Nabob are both bent on making an example of them, but the young one says let us have the Sunnud first. For my part I think admitting extortion was no crime, I think the circumstance of the Nabob’s empty treasury, the proportion his expences bear to his revenues, and consequently the difficulty he will have to pay us makes Jugutseat’s riches a very convenient crime, for I know no other the Nabob has to pay us, but by fleecing mm. I would propose this for the method, a Calculate of what is extortion from what may be deemed a just profit, reckoning from the death of the old Juggutseat, and demand the ballance. It will be about 2 crore. If you approve of this first essay, I will send you a project for the payment of our treaty, but I am rather apt to think you will say of me as Segoomdead the poor man is troubled with a flux of Pens.

    I am, Sir,

    Your most obedient humble servant

    Luke Scrafton.

    Moraudbaug,

    the 17th. December 1757.

    M. Orme, en annotant cette lettre, dit qu’elle est fort curieuse, mais qu’il faut peut-être ne pas l’accueillir sans réserve. La seule objection, dit-il, est la grande richesse que les Chets doivent avoir accumulée. (V. India Office, Orme manuscripts 18, pp. 5041-43.)

  16. Lettre du 16 octobre 1753. — Arch. Col., C2 84, p. 18 à 25.
  17. L’intérêt normal de l’argent était de 12 %.
  18. À partir de la mort de Jogot-Chet, le nom de Chet est désormais attribué à ses héritiers sans distinction de personnes et l’on verra au cours du mémoire de Law quel rôle considérable ces fameux banquiers jouèrent au moment de la bataille de Plassey.
  19. Lettre du 31 déc. 1747. Arch. Col., C2 6, 2e série.
  20. De son mariage avec Jeanne Carvalho, Jean Law eut neuf enfants, qui furent :

    1° Jeanne, née en 1757, mariée en 1777 au comte de la Fare Lopez ;

    2° Anne, née en 1761, morte en bas âge ;

    3° Jean, né en 1765 à Chandernagor, mort en bas âge ;

    4° Jean-Guillaume, né à Chandernagor le 8 septembre 1766, mort avec le massacre de La Pérouse ;

    5° Jacques-Alexandre-Bernard, né à Pondichéry le 1er février 1768, devint maréchal de France ; mort en 1827 ;

    6° Charles-Louis, né à Pondichéry le 11 juillet 1769, fut receveur général des finances à Tarbes ; mort en 1847 ;

    7° Joseph-Charles, né à Pondichéry le 20 août 1770, fut officier d’artillerie, mourut en Écosse ;

    8° François-Jean-Guillaume, né le 2 août 1771 à Pondichéry, s’établit en Angleterre, où il mourut vers 1823, non marié ;

    9° Louis-Georges, né à Pondichéry le 6 août 1773, fut receveur général des finances à Nantes, mort en 1834.

    Il existe encore des descendants de Jeanne, du maréchal, de Charles-Louis et de Louis-Georges.

    Nous n’avons pas retrouvé de documents nous permettant d’établir le budget de la loge de Cassimbazar à l’époque de Law ; mais il existe aux archives de Pondichéry — document non coté — un état des recettes et des dépenses de la loge en 1790. Bien que ce document n’ait aucun rapport avec l’administration de Law et qu’il ait été établi à une époque où les dépenses de nos loges étaient très réduites, après deux reprises de possession — 1765 et 1785 — nous croyons devoir le reproduire à titre de simple curiosité.

    Cet état est établi par quartier ou trimestre ; l’état des quatre quartiers est identique en recettes et en dépenses.

    1° Recettes
    .

    État de recette du comptoir de Cassembazar pour le premier quartier de l’année 1790.

    Savoir :

    Reçu des habitans de l’aldée pour les cazanas ou rente qu’ils doivent au roy pour leur terreins — roup. sicca 
    180
    d°, pour la ferme de Paraque — 
    45
    d°, du sel — 
    6
    d°, du tabac et de bettle (bethel) — 
    14
    d°, de la paille et bois — 
    6
    d°, du bateau de passage — 
    18
    d°, de différents menus droits — 
    7
              Total 
    276
    1° Soldes
    .

    État de la paye des gens employés au service du comptoir de Cassembazar,

    Savoir :

    Un divan ou régisseur de l’aldée à raison de 18{e 
    par mois}}
    54
    3 écrivains à 5r sicca par mois 
    45
    1 calassy pour le pavillon à 4r d° 
    12
    1 collecteur                   à 3 d° 
    9
    1 chef pion                    à 4 d° 
    12
    12 pions, chaque, 3 
    108
    1 portier, 4 
    12
              Total 
    252
  21. Voici quel était l’état du personnel de la loge de Cassimbazar le 23 janvier 1756. Il y avait :

    un commandant,

    3 employés sous-marchands,

    1 aumônier,

    1 chirurgien,

    1 interprète,

    1 officier de troupes,

    17 fonctionnaires européens,

    13 fonctionnaires mixtes,

    35 domestiques noirs ; au total un effectif de 73 personnes.

    À la même époque, il y avait 642 employés à Chandernagor, 118 à Dacca, 55 à Patna, 28 à Jougdia et 26 à Balassor. (Arch. Col., C2 12, 2e série).

  22. Il y avait deux sortes de man : le grand man estimé 75 livres ou 36 kil. 712 et le petit man estimé 25 livres ou 12 kil. 237.
  23. On estime que la Compagnie envoyait en moyenne chaque année dans l’Inde entière 12 millions de marchandises et de numéraire ; et que ces 12 millions rapportaient 6 millions de bénéfices nets ; mais avec ces 6 millions, il fallait pourvoir aux dépenses d’administration en France qui s’élevaient à 2 millions et demi ; l’administration des postes dans l’Inde, avec ses dépenses régulières et ses libéralités forcées, en absorbait davantage ; il restait en réalité fort peu de chose pour constituer une réserve avec laquelle on put entreprendre dans de bonnes conditions les opérations commerciales de l’année suivante.

    Ces capitaux étaient insuffisants pour procurer à la Compagnie des dividendes appréciables ; il eut fallu en envoyer davantage. En 1714, à une époque où les affaires de la Compagnie étaient loin d’être prospères, il se consommait en France 16 millions de soieries de l’Inde et en 1787, il s’en consommait jusqu’à 60 millions. On ne saurait donc considérer la période dont nous nous occupons comme une période particulièrement florissante.

  24. Au moment où se produisirent ces événements, les chefs de nos loges étaient : Renault à Chandernagor, Courtin à Dacca, de la Bretesche à Patna, Picques à Jougdia et Rauly à Balassor.