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Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre III’

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CHAPITRE iii.


Premières exécutions à l’Hippodrome. — Affiches retirées par ordre.

J’ai oublié de dire que M. Arnault nous avait promis qu’il nous donnerait une certaine somme, qu’il passerait un écrit plus tard (on voit bien qu’il avait affaire à des femmes). Pour mon droit d’auteur, je n’eus que six billets, pour la première représentation. Cette œuvre annoncée, attira une grande affluence de monde ; on refusa même beaucoup de personnes. — Que je trouvai le drame de Silistrie, long. Enfin, toute la pompe militaire se déploie ; les soldats qui chantaient les chœurs, sont sur deux rangées au fond du théâtre, et viennent jusqu’où se préparait la bénédiction des drapeaux. Il y avait deux musiques militaires, l’une à pied, et l’autre à cheval ; l’on entendait de loin en loin les coups de canon : c’était un très beau spectacle. Le signal est donné, les fanfares se font entendre. Oh ! comme mon cœur battait ! La première strophe est chantée (c’était pour une voix de baryton), et les chœurs après, entonnent leur partie. C’est fort applaudi, les bravos partaient de tous côtés. La cantate avait réussit ! j’étais très-heureuse, et ce qui me faisait encore beaucoup de plaisir, c’est que les auditeurs, en s’en allant, répétaient le refrain du chœur ; ce qui ne leur arrive que quand la musique les a pleinement satisfaits. — On me reconduisit en voiture découverte, et je passai au milieu des soldats, qui tous s’empressaient de me saluer. Ma foi, j’avoue franchement que, ce jour là, j’étais un peu fière de cet incontestable succès.

Le dimanche suivant, la seconde représentation eut lieu, et ce qui surprendra sans doute, je n’obtins pas un seul billet. Lorsque je me présentai, M. le directeur me donna la main, et vint lui-même me placer. La salle était comble, et l’on a refusé, m’at-on dit, plus de trois mille personnes ; cette fois là, mon succès fut plus grand encore, car la cantate eut l’honneur du bis. — Je pouvais donc espérer, non seulement vendre mon œuvre ; mais bien encore, que mon nom obtiendrait quelque retentissement. L’auteur des paroles, dont le caractère véhément ne m’était point alors assez connu, me fit perdre la bonne veine qui semblait s’ouvrir pour mon avenir. — Voyant le succès que cette deuxième audition obtint, ne voilà-t-il pas qu’elle s’ingéra d’aller faire une scène à ces braves soldats, qui faisaient de leur mieux, et au moment où ils sortaient, elle les apostropha d’une manière très peu gracieuse, en leur disant devant tout le monde : « Vous avez très-mal chanté aujourd’hui, vous ne mettez pas assez d’entrain et de vigueur. Je chanterais mieux que vous. — Eh bien ! Madame, reprit le chef de musique (fort choqué d’une pareille sortie), chantez désormais, comme vous le voudrez. »

Je ne me trouvais point là, malheureusement, au moment où cette inconvenante conduite eut lieu, et lorsque je l’appris, j’en fus désespérée, pensant avec justesse, que c’était une affaire perdue, et que notre oeuvre ne serait plus exécutée.

En effet, la Triple Alliance est affichée pour la troisième fois, lorsqu’un ordre de M. le maréchal Magnan arriva à M. Arnault, afin qu’il fit enlever immédiatement les affiches : ses soldats ayant été molestés par l’un des auteurs, refusaient de prêter désormais leur concours ! — Malgré que j’étais en droit d’adresser de vifs reproches à Mme Lormeau, n’aimant point à discuter, je ne lui en fis que de très légers, m’apercevant surtout que cette dame ne supportait aucune espèce d’observations.