Aller au contenu

Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre XVIII

La bibliothèque libre.
◄  XVII.
XIX.  ►

CHAPITRE xviii.


Mon opéra de Lully au théâtre de Brest.

L’ouverture commence, et des applaudissements après se font entendre. Mon joyeux chœur des marmitons fait son effet, il est applaudi ; mais je m’aperçois que, dans les couplets, la première chanteuse n’est pas bien disposée. En effet, elle avait eu une forte querelle avec la directrice pour son costume, ce qui lui avait occasionné une attaque de nerfs, et lui retira une partie de ses moyens. L’opéra en souffrit, car c’était le principal rôle ; il n’en fut pas moins applaudi. Cependant je trouvai mon succès bien mince, auprès de celui que j’avais obtenu au théâtre de Montmartre.

Mon opéra était encore affiché pour le lendemain, la première chanteuse prit sa revanche et chanta parfaitement son rôle ; mon succès, ce jour-là, fut bien plus grand. Beaucoup de personnes vinrent me complimenter dans ma loge. On jeta sur la scène des vers et une couronne de laurier. Voici ceux qui étaient attachés à la couronne :

(À l’auteur de la Jeunesse de Lully.)

Vos inspirations ont enchanté nos cœurs,
L’art y porte au génie un concours efficace,
Vous n’êtes plus l’auteur qui vient demander grâce,
Mais l’heureux lauréat qu’on inonde de fleurs.
Soyez contente et fière ! ô ! belle est la couronne,
Quand au nom du pays, la justice la donne.

Les journaux rendirent un très-bon compte de ma musique. Enfin j’avais réussi dans ma ville ! je reçus quantité de visites. Je m’occupai alors de monter un concert, je le fis par souscription, pensant avec raison que c’était la meilleure manière. Je fis, en effet, une assez jolie recette. Voici une petite anecdote qui arriva à mon concert. Comme je l’ai déjà dit, l’on n’est jamais prophète dans son pays, et bien des personnes étaient convaincues que ma musique ne pouvait être bonne. — Sur le programme, il y avait, dans la première partie, l’air de Marguerite d’Anjou (de Meyerbeer), et dans la deuxième, grand air de Lully. La personne qui devait chanter ces deux morceaux, au lieu de dire, au numéro indiqué, l’air de Marguerite d’Anjou, dit l’air de Lully. À la fin, il est très-applaudi, et un Monsieur, musicien amateur, qui assistait à ma soirée, dit à l’un de ses voisins : Quelle belle musique ! il n’existe qu’un Meyerbeer. Lorsque notre compatriote en fera autant, ah ! ah ! ah ! ah ! je le lui souhaite. L’un de mes cousins, qui se trouvait derrière ce Monsieur, lui dit : Ma cousine serait charmée, si elle vous entendait, Monsieur, car ce morceau que vous vantez tant est bien d’elle, et non de M. Meyerbeer. Ah ! bien oui, reprit-il (riant toujours), elle est vraiment bien capable de faire de la musique comme celle-là. — Vous n’avez donc point été entendre son opéra ? — Non, certes, reprit-il. — Eh bien ! Monsieur, pour vous convaincre de ce que je vous dis, j’aperçois une personne qui a assisté à la représentation de Lully, je vais l’appeler. Effectivement, cet auditeur confirma la chose, au grand désappointement du musicien amateur qui resta fort sot, et qui, de plus, fut le lendemain la fable de toute la ville.