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Ma religion (Tolstoï, trad. Ourousov)/IX

La bibliothèque libre.
Traduction par L. D. Ourousov.
Fischbacher (p. 162-175).
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IX

Que tout le monde pratique la doctrine de Jésus et ce sera le règne de Dieu sur la terre ; que je la pratique moi seul, et je ferai ce qu’il y a de mieux pour tous et pour moi-même. Il n’y a pas de salut en dehors de l’accomplissement de la doctrine de Jésus.

Mais où puiser la foi pour la pratiquer, la suivre sans cesse et ne jamais y faillir ? Je crois, Seigneur, — viens au secours de mon incrédulité.

Les disciples demandaient à Jésus de raffermir leur foi. « Je veux faire le bien et je fais le mal, » dit l’apôtre Paul.

Il est difficile de se sauver, — voilà ce que l’on pense et ce que l’on dit généralement.

Un homme se noie et appelle au secours. On lui tend une corde, qui seule peut le sauver, et l’homme qui se noie dira : raffermissez en moi la croyance que cette corde sera mon salut. Je crois que cette corde me sauvera, mais venez en aide à mon incrédulité.

Que veut dire cela ? Si un homme ne saisit pas ce qui doit le sauver, cela veut dire évidemment que cet homme ne comprend pas sa situation.

Comment se peut-il qu’un chrétien qui fait profession de croire à la divinité de Jésus et de sa doctrine, quel que soit le sens qu’il lui attribue, dise qu’il veut croire et qu’il ne le peut pas ? Dieu en personne, descendu sur la terre a dit : le feu, les tourments, les ténèbres éternels vous attendent, et voici votre salut : ma doctrine qu’il faut accomplir. Il n’est pas possible qu’un pareil chrétien ne croie pas au salut qu’on lui offre, qu’il n’en profite pas et qu’il répète : « Viens au secours de mon incrédulité. » Pour qu’un homme puisse dire cela, il faut non seulement qu’il ne croie pas à sa perdition, mais il faut encore qu’il soit certain de ne pas périr.

Des enfants sont tombés d’une barque dans l’eau. Pendant un instant leurs habits et leurs faibles mouvements les maintiennent à la surface du courant et ils ne se doutent pas du danger. De la barque qui s’éloigne on leur jette une corde. On leur crie qu’ils vont périr, on les exhorte à saisir la corde (les paraboles de la femme qui a trouvé un centime, du berger qui a retrouvé une brebis, du festin, du fils prodigue, ne parlent que de cela), mais les enfants ne croient pas ; ils ne croient pas, non pas à la corde ; ils ne croient pas qu’ils vont périr.

Quelques enfants frivoles comme eux leur ont assuré qu’ils peuvent continuer à se baigner gaiement, même quand la barque se sera éloignée. Les enfants ne croient pas que bientôt leurs habits seront trempés, leurs petits bras épuisés, qu’ils s’enfonceront, suffoqueront et se noieront. C’est à cela qu’ils ne croient pas et c’est pour cela seulement qu’ils ne croient pas à la corde de salut.

Comme ces enfants tombés à l’eau ne saisissent pas la corde qu’on leur tend, persuadés qu’ils ne périront pas, ainsi les hommes qui croient à la résurrection des âmes ne pratiquent pas les commandements de Jésus-Christ, leur Dieu, persuadés de même qu’ils ne périront pas. Ils ne croient pas à ce qui est certain, uniquement parce qu’ils croient à ce qui ne l’est pas.

C’est à cause de cela qu’ils s’écrient : « Mon Dieu, raffermissez-nous dans la foi que nous ne périrons pas. » — Cela n’est pas possible. Pour qu’ils aient foi qu’ils ne périront pas, il faut qu’ils cessent de faire ce qui les mène à leur perte, et qu’ils commencent à faire ce qui les sauvera, — il faut qu’ils saisissent la corde de salut. Or, c’est ce qu’ils ne veulent pas faire, ils veulent se persuader qu’ils ne périront pas quoiqu’ils voient périr, sous leurs yeux, leurs camarades l’un après l’autre. C’est précisément ce désir de se persuader de ce qui n’est pas qu’ils appellent la foi. Il est bien clair qu’ils n’en ont jamais suffisamment et qu’ils voudraient en avoir davantage.

Quand je compris la doctrine de Jésus, alors seulement je compris que ce que ces enfants appellent la foi n’est pas la foi et que c’est précisément cette foi que l’apôtre Jacques dénonce dans son Épître[1].

« Chap. ii, 14. « Mes frères, dit Jacques, que servira-t-il à quelqu’un de croire qu’il a la foi, s’il n’a point les œuvres ? La foi pourra-t-elle le sauver ? (15) Si un de vos frères ou une de vos sœurs n’ont point de quoi se vêtir, et qu’ils manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre ; et que quelqu’un d’entre vous leur dise : allez en paix, je vous souhaite de quoi vous garantir du froid et de quoi manger, sans leur donner néanmoins ce qui est nécessaire à leur corps ; à quoi leur serviront vos paroles ? (17) Ainsi la foi qui n’a point les œuvres est morte en elle-même. On pourra donc dire à celui-là : vous avez la foi et moi j’ai les œuvres ; montrez-moi votre foi qui est sans œuvres, et moi je vous montrerai ma foi par mes œuvres. Vous croyez qu’il n’y a qu’un Dieu : vous faites bien ; mais les démons le croient aussi, et ils tremblent. Mais voulez-vous savoir, ô homme vain, que la foi qui est sans les œuvres est morte ? Notre père Abraham ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel ? Ne voyez-vous pas que sa foi était jointe à ses œuvres, et que sa foi fut consommée par ses œuvres… (24) Vous voyez donc que c’est par les œuvres que l’homme est justifié, et non pas seulement par la foi… (26) Car, comme le corps est mort lorsqu’il est sans âme, ainsi la foi est morte lorsqu’elle est sans œuvres. »

Jacques dit que l’unique indice de la foi — ce sont les actes qui en découlent, et que par conséquent une foi dont ne découlent pas des actes consiste uniquement en paroles, avec lesquelles on ne peut ni apaiser la faim de qui que ce soit, ni se justifier, ni se sauver. Une foi dont ne découlent pas des actes n’est pas la foi. Ce n’est qu’une disposition à croire à quelque chose, ce n’est qu’une vaine affirmation, sur paroles, que je crois à quelque chose à quoi je ne crois guère en réalité.

D’après la définition de l’apôtre Jacques, la foi est le mobile des actions, et les œuvres sont une manifestation de la foi.

Les Juifs disaient à Jésus (Marc, xv, 32, Matth., xxvii, 42, et Jean, vi, 30) : — « Quel miracle donc faites-vous, afin qu’en le voyant nous vous croyons ? que faites-vous d’extraordinaire ? »

Jésus leur répond que leur désir est vain et qu’on ne peut aucunement les forcer à croire ce qu’ils ne croient pas. Il dit (Luc, xxii, 67) : « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. » (Jean, x, 25, 26) : « Je vous parle et vous ne me croyez pas… Mais pour vous, vous ne me croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. »

Les Juifs exigent exactement ce qu’exigent les chrétiens élevés par l’Église ; ils demandent quelque signe extérieur qui les fasse croire à la doctrine de Jésus. Jésus leur répond que c’est impossible, et il leur explique pourquoi. Il dit qu’ils ne peuvent pas croire parce qu’ils ne sont pas de ses brebis, c’est-à-dire ne suivent pas le chemin de la vie qu’Il a montré à ses brebis. Il explique (Jean v, 44), où gît la différence entre ses brebis et les autres ; il explique pourquoi les unes croient et les autres non, et quelle est la pierre angulaire de la foi. « Comment pouvez-vous croire, dit-il, vous qui empruntez votre doctrine, δόξα[2], les uns aux autres, mais la doctrine qui vient de Dieu seul, vous ne la cherchiez point. »

Pour croire, dit Jésus, il faut rechercher la doctrine qui vient de Dieu seul. « Celui qui parle de son propre chef cherche (à propager) sa doctrine personnelle, δόξαν, mais celui qui cherche (à propager) la doctrine de celui qui l’a envoyé, celui-là est fidèle à la vérité et il n’y a pas de mensonge en lui. (Jean, vii, 18.)

La doctrine de la vie, δόξα, est le fondement de la foi, et les actes découlent spontanément de la foi. Mais il y a deux doctrines de la vie : Jésus renie l’une et reconnaît l’autre. L’une de ces doctrines, — source de toutes les erreurs — consiste à enseigner que la vie personnelle est quelque chose d’essentiel et de réel appartenant à l’homme. C’est la doctrine qu’a suivie et que suit encore la majorité des hommes, celle qui inspire les diverses croyances des hommes du monde ainsi que tous leurs actes. L’autre doctrine est celle qui a été enseignée par tous les prophètes et par Jésus-Christ, savoir : que notre vie personnelle n’acquiert un sens que par l’accomplissement de la volonté de Dieu.

Si un homme confesse une doctrine qui met en relief la vie propre et personnelle, il considérera que son bien personnel est la chose du monde la plus importante et il considérera comme le vrai bien : la richesse, les honneurs, la gloire, la volupté ; il aura une foi correspondante à son inclination et ses actes seront toujours conformes à sa foi.

Si un homme confesse une doctrine différente, s’il fait consister la vie uniquement dans l’accomplissement de la volonté de Dieu, ainsi que le faisait Abraham et ainsi que l’enseignait et le faisait Jésus, sa foi découlera de ses principes et ses actes y seront conformes.

C’est pourquoi ceux qui croient que la vie personnelle est le vrai bien ne peuvent avoir foi dans la doctrine de Jésus. Tous leurs efforts pour en faire leur foi resteront toujours vains. Pour y croire, il faut qu’ils changent leur manière d’envisager la vie. Tant qu’ils ne la changeront pas, leurs actes coïncideront toujours avec leur foi, et non avec leurs intentions et leurs paroles.

Chez ceux qui demandaient à Jésus des miracles comme chez les croyants de nos jours, on peut rencontrer le désir de croire à la doctrine de Jésus-Christ, mais ce désir ne peut se réaliser dans leur vie, quels que soient leurs efforts pour y réussir. Ils auront beau prier, communier, faire de la bienfaisance, bâtir des églises, convertir les autres, ils ne pourront suivre l’exemple de Jésus parce que leurs actes découlent d’une foi basée sur une tout autre doctrine que celle qu’ils confessent. Ils ne pourraient offrir en sacrifice un fils unique comme le fit Abraham, tandis qu’Abraham ne pouvait même pas avoir d’hésitation sur la question de savoir s’il offrirait ou non son fils en sacrifice à Dieu, à ce Dieu qui seul constituerait pour lui le sens et le vrai bien de la vie : de même Jésus et ses disciples ne pouvaient pas ne pas donner leur vie pour les autres parce que cela seul constituait à leurs yeux le sens et le bien de leur vie. C’est précisément dans cette incapacité de comprendre ce qui forme la substance de la foi, que se trouve l’explication de cet étrange état moral des hommes qui, tout en reconnaissant qu’on doit vivre suivant la doctrine de Jésus, s’efforcent cependant de vivre contrairement à cette doctrine, c’est-à-dire conformément à leur croyance que la vie personnelle est le souverain bien.

La base de la foi, c’est le sens qu’on prête à la vie et qui détermine ce que l’on y estime important et bon, ou peu important et mauvais. La foi même, c’est l’appréciation du bien et du mal. Si aujourd’hui les hommes qui ont une foi basée sur leurs propres doctrines ne réussissent aucunement à la mettre d’accord avec la foi qui découle de la doctrine de Jésus, il en était de même autrefois pour les disciples. Ce malentendu apparaît fréquemment dans l’Évangile en termes clairs et tranchants. Les disciples de Jésus lui demandent à plusieurs reprises de raffermir leur foi dans ses paroles. (Matth., xx, 20-28, et Marc, x, 35-48.) Selon ces deux Évangiles, après ce mot si terrible pour chaque homme qui croit à la vie personnelle et qui fait consister son bien dans les richesses de ce monde, après les mots : « Le riche n’entrera pas dans le royaume de Dieu », et après ces paroles encore plus terribles pour les hommes qui croient seulement à la vie personnelle : « Celui qui ne renoncera pas à tout, jusqu’à sa vie, pour la doctrine de Jésus ne pourra pas se sauver, » Pierre demande : Quelle récompense aurons-nous, nous qui t’avons suivi après avoir renoncé à tout ? Puis, Jacques et Jean, et selon l’Évangile de Matthieu, leur mère, Lui demandent de faire en sorte qu’ils prennent place à ses côtés quand il sera dans sa gloire. Ils demandent que Jésus raffermisse leur foi par la promesse de récompenses. À la question de Pierre, Jésus répond par une parabole (Matthieu, xx, 1-16) ; à la question de Jacques, il réplique : Vous ne savez pas vous-mêmes ce que vous voulez, c’est-à-dire vous demandez l’impossible. Vous ne comprenez pas la doctrine. La doctrine est dans le renoncement à la vie personnelle et vous demandez la gloire personnelle, — une récompense personnelle. Vous pouvez boire la coupe que je bois (vivre comme je vis), mais pour ce qui est de vous asseoir à ma droite et à ma gauche, cela m’est impossible. Et à ce propos Jésus ajoute : Ce n’est que dans la vie mondaine que les grands de ce monde profitent et jouissent de la gloire et de la puissance personnelles ; mais vous, mes disciples, vous devez savoir que le vrai sens de la vie humaine ne se trouve pas dans le bonheur personnel, mais dans le fait de servir chacun et de s’humilier devant chacun : L’homme n’est pas venu au monde pour être servi, mais pour servir et donner sa vie personnelle comme la rançon de plusieurs. En réponse à l’exigence de ses disciples, qui lui révèlent leur inaptitude à comprendre sa doctrine, Jésus ne commande pas d’avoir foi, c’est-à-dire de modifier l’idée qu’ils se font des biens et des maux qui découlent de leur doctrine (Il sait que c’est impossible), mais Il leur explique le sens de la vie qui est la base de la foi, c’est-à-dire Il leur enseigne le vrai discernement du bien et du mal, de l’important et du secondaire.

À la question de Pierre : « Que recevrons-nous, — quelle récompense aurons-nous pour nos sacrifices ? » Jésus répond principalement par la parabole des ouvriers loués, du xxe chapitre de Matthieu, qui commence par ces mots : le royaume des cieux est semblable à un père de famille, etc. ; Jésus explique à Pierre qu’il ne comprend pas la doctrine et que c’est la cause de son manque de foi. Jésus dit : la rémunération proportionnée au travail n’a d’importance qu’au point de vue de la vie personnelle. La foi dans la récompense pour le travail, en proportion du travail, découle de la doctrine de la vie personnelle.

Cette foi est basée sur la présomption de je ne sais quels droits que nous nous figurons avoir ; mais l’homme n’a droit à rien, il n’a que des obligations pour le bien qu’il a reçu, c’est pourquoi il ne peut compter avec personne. Alors même qu’il donnerait toute sa vie, il ne rendrait pas tout ce qu’il a reçu, c’est pourquoi le Seigneur ne peut pas être injuste pour lui. Mais si l’homme fait valoir ses droits sur sa vie, s’il compte avec le Principe de tout, dont il tient la vie, il ne prouve par là qu’une chose, — c’est qu’il ne comprend pas le sens de la vie. Les hommes, après avoir reçu un bienfait, exigent encore autre chose. Les ouvriers de la parabole se tenaient au marché oisifs, malheureux, — ils ne vivaient pas. Un Seigneur les prend et leur donne le bonheur suprême de la vie, — le travail.

Ils acceptent le bienfait du Seigneur et puis ils sont mécontents, parce qu’ils n’ont pas nettement conscience de leur situation. Ils sont venus travailler avec leur fausse doctrine de droit au travail et à la vie, par conséquent, avec l’idée de la rémunération qui leur est due pour leur travail. Ils ne comprennent pas que ce travail est le bien suprême qu’ils ont reçu gratis et pour lequel ils doivent s’efforcer de se montrer reconnaissants, et non pas exiger un payement. C’est pourquoi les hommes qui ont des idées à l’envers sur la vie, comme ces ouvriers, ne peuvent pas avoir la foi véritable.

La parole du Maître et de son ouvrier, qui revient des champs, dite en réponse à la prière des disciples de raffermir et d’augmenter leur foi, précise encore plus nettement quelle est la base de la foi enseignée par Jésus.

(Luc, xvii, 5, 10). Aux paroles de Jésus que le bien c’est de pardonner à son frère, non pas une fois, mais sept fois soixante-dix fois, — les disciples, épouvantés de la difficulté d’observer cette règle, objectent : … qu’il faut avoir la foi pour pratiquer cela ; raffermis donc et augmente en nous la foi, disent-ils, comme précédemment ils demandaient : Que recevrons-nous pour cela ? Maintenant ils tiennent exactement le langage des soi-disant chrétiens : Je veux croire, mais je ne puis ; raffermissez en nous la foi que nous serons sauvés. Ils disent : fais en sorte que nous croyions, — c’est ce que disaient les Juifs à Jésus, en lui demandant des miracles. — Par des miracles, ou par des promesses de récompense, fais en sorte que nous ayons foi dans notre salut ! »

Les disciples disent ce que nous disons nous-mêmes : Ah ! combien il serait agréable de pouvoir vivre de notre vie égoïste, et de croire encore en même temps qu’il vaudrait beaucoup mieux pour nous, pratiquer la doctrine de Dieu. C’est là une attitude qui nous conviendrait ; mais elle est contraire au sens de la doctrine de Jésus, et nous nous étonnons ensuite de ne pouvoir aucunement avoir la foi. Comment Jésus dissipe-t-il ce malentendu ?

Par une parabole dans laquelle il montre ce que c’est que la vraie foi. La foi ne peut provenir de la confiance en ses paroles ; la foi provient uniquement de la conscience de notre situation. La foi est basée uniquement sur la conscience raisonnée de ce qu’on a de mieux à faire dans une situation donnée. Il démontre qu’on ne peut pas éveiller cette foi dans les autres par des promesses de récompense ou des menaces de punition ; que cette foi-là ne sera qu’une confiance très faible, qui croulera à la première épreuve, mais que la foi qui déplace les montagnes, — celle que rien ne saurait ébranler, se fonde sur la conscience de notre perte inévitable si nous ne profitons pas du salut qui nous est offert.

Pour avoir la foi, il ne faut compter sur aucune promesse de récompense. Il faut comprendre que l’unique moyen d’échapper à l’inévitable naufrage de la vie, c’est la vie conforme à la volonté du Maître. Quiconque aura compris cela ne cherchera plus à se raffermir dans sa foi, mais travaillera à son salut sans avoir besoin d’aucune exhortation.

À la demande des disciples de raffermir en eux la foi, Jésus dit : « Quand le propriétaire revient des champs avec l’ouvrier, il ne lui commande pas de dîner aussitôt, mais il lui ordonne de pourvoir au bétail et de le servir lui, le maître, et alors seulement l’ouvrier se met à table et dîne. L’ouvrier fait tout cela et ne considère pas comme lésé, il ne se vante pas de ses travaux, et ne demande ni reconnaissance ni récompense, car il sait que cela doit être ainsi et qu’il ne fait que ce qu’il doit, que c’est la condition inévitable de son existence et en même temps le vrai bien de sa vie. Ainsi, dit Jésus, quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, comptez que vous n’avez fait que ce que vous deviez faire. Quiconque a compris sa position à l’égard du Maître comprendra qu’il n’a la vie que tant qu’il obéit à la volonté du Maître, il saura en quoi consiste son bien et il aura cette foi pour laquelle l’impossible n’existe pas. Voilà la foi qu’enseigne Jésus. La foi, selon la doctrine de Jésus, est basée sur la conscience parfaite du vrai sens de la vie.

La base de la foi selon la doctrine de Jésus, c’est la lumière (Jean, i, 9-12). « Celui-là était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu. Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. Mais il a donné, à tous ceux qui l’ont reçu, le pouvoir d’être faits enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom (essence), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Jean, iii, 19, 21 : Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne s’approche point de la lumière de peur que ses œuvres ne soient condamnées. Mais celui qui fait ce que la vérité lui prescrit s’approche de la lumière, afin que ses œuvres soient découvertes, parce qu’elles sont faites en Dieu.

Pour celui qui a compris la doctrine de Jésus, il ne peut pas être question de raffermissement de la foi. La foi selon la doctrine de Jésus est basée sur la lumière de la vérité ; Jésus ne fait jamais appel à la foi à sa personne, il faisait appel à la foi à la vérité.

Jean, viii, 40 : Il dit aux Juifs : ... Vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai apprise de Dieu (v. 46) : « Qui de vous me convaincra d’aucun péché ? Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » Jean, xviii, 37. Il dit : « ... Je ne suis né et je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »

Jean, xiv, 6 : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » « Le Pere, dit-il aux disciples dans le même chapitre, verset 16, vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous. » 17. Ce consolateur, « l’Esprit de Vérité que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera en vous. »

Il dit en un mot que sa doctrine tout entière est la vérité — et que Lui-même est la vérité.

La doctrine de Jésus-Christ est la doctrine de la vérité. C’est pourquoi la foi en Christ n’est pas la croyance en un système sur la personne de Jésus, mais la connaissance de la vérité. On ne peut persuader personne de croire à la doctrine du Christ, on ne peut stimuler personne par aucune promesse à la pratiquer. Quiconque comprend la doctrine du Christ aura foi en Lui, parce que cette doctrine est la vérité. Et quiconque connait la vérité, indispensable à son bonheur, ne peut pas ne pas y croire ; c’est pourquoi un homme qui a compris qu’il se noie ne peut pas ne pas saisir la corde du salut. Aussi la question : Comment faire pour croire ? est une question qui témoigne que l’on n’a pas compris la doctrine de Jésus-Christ.

  1. Cette épître fut longtemps repoussée par l’Église, et, quand on l’accepta, elle fut l’objet de quelques altérations : certains mots sont omis, d’autres sont changés de place ou traduits arbitrairement. Je conserve la traduction usitée en rétablissant seulement les passages inexacts d’après le texte de Tischendorf.
  2. δόξα, ici comme dans d’autres passages, est traduit incorrectement par le mot gloire ; δόξα, du verbe δοκέω, veut dire manière de voir, jugement, doctrine.