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Mister Flow/Chapitre 07

La bibliothèque libre.
Librairie Baudinière (p. 135-149).

VII

Helena ne voulut point laisser refroidir mes bonnes intentions. Dès le lendemain, elle m’apprenait que « c’était pour la nuit même » et elle ne m’en parla plus, me laissant à mes réflexions.

Elles ne furent point maussades. Évidemment, il y avait un moment ennuyeux à passer, mais après ! Et puis, j’étais devenu amoureux fou d’Helena. Enfin, puisque j’étais résolu à risquer le coup, je voulais me montrer aux yeux de la noble lady, comme on dit, en beauté !

Pour être plus sûr de moi, je fis, ce jour-là, quelques petites stations dans les bars de la ville et la Compagnie des I. B. F. aidant, car on les rencontre toujours dans les bons endroits, je me sentais plein de courage et de décision. Le poker dice, cependant, continuait à ne m’être guère favorable. Mais j’avais une façon de jeter au barman : « Mettez tout ça à mon compte et à ce soir ! » qui me valait des marques de respect que je n’eusse certainement point obtenues en payant. Inutile de dire que je ne fis aucune apparition au bar du Casino. À la Potinière, je m’en tirai en me levant pour bavarder avec Harry, au bras duquel je m’éloignai tout doucettement, en oubliant de régler ma consommation. Ainsi, chaque jour m’apprenait à vivre et d’une façon qui me comblait de satisfaction pour mon ingéniosité grandissante. Je ne m’étonnais plus que, par ces temps de vie chère, on parvînt à faire figure, même sans grande pécune. Moi, je n’en avais pas du tout et j’occupais une chambre à vingt-cinq louis dans le meilleur hôtel de la plage, j’avais ma table aux « Ambassadeurs », une maîtresse enviable entre toutes, la fréquentation des grands seigneurs et crédit dans tous les établissements de boisson. Il ne s’agit, au fond, que de savoir s’y prendre et j’étais persuadé que beaucoup de ceux qui m’entouraient n’étaient pas beaucoup plus riches que moi.

L’après-midi, nous allâmes aux courses (Helena avait fait prendre des billets d’entrée par Fathi) et ce fut un enchantement. Jamais les femmes ne m’avaient paru aussi jolies. Il faisait un temps magnifique. Jamais je n’avais encore contemplé un pareil bouquet de toilettes, ni d’aussi jolies jambes (je veux dire : en pareille quantité). Helena, mise à miracle, était très entourée et j’étais fier de me montrer à ses côtés, d’autant qu’elle prenait souvent mon bras et s’y appuyait avec le plus tendre abandon. Un moment, elle me quitta pour s’entretenir quelques minutes avec Moor, l’entraîneur, qui passait. Elle revint et me dit, à l’écart : « Moor ne m’a jamais donné que deux tuyaux et ils sont arrivés tous deux à une belle cote. Moor me fait la cour depuis longtemps, le rustre ! et il m’est reconnaissant que je ne l’aie pas renvoyé déjà à son crottin. En attendant, il m’a donné un tuyau sûr, pour dimanche. »

— Dans le Grand Prix ?

— Non !… un prix sans importance que l’on considère comme couru… Mais l’affaire est arrangée. Le favori sera tiré ; c’est ce que j’ai compris. Moor m’a dit de jouer Spada. On l’a à dix contre un. Crois-tu que c’est rageant, Rudy, de n’avoir pas un penny !

— Vous en aurez demain, Helena !

— Je vous adore, Rudy !

Soudain, j’aperçus Alcide Victor qui nous observait. Mais je fis comme si je ne l’avais pas vu, ce cher faiseur de têtes…

Le dîner, aux Ambassadeurs, fut des plus gai. Aimable société, j’étais déjà chauffé à blanc. Je fus, paraît-il, étourdissant. Et Helena me dit encore : « Je vous adore, Rudy ! »

Comme je ne savais pas danser, elle me fit la grâce de ne danser avec personne et ce n’était pas là un mince sacrifice. Nous nous retirâmes de bonne heure. Elle avait fait louer une baignoire au théâtre. C’était jour d’opéra, mais je serais bien embarrassé de vous dire lequel. Derrière les grillages dorés, Helena m’étourdissait de caresses. Sa bouche me brûlait, j’aurais bien passé la nuit là, mais il fallut partir. Nous revînmes, toujours suivi par Fathi, aux salles de baccara. On y étouffait. Mais Helena devait sentir que tout cet or, remué autour de moi, achevait ma préparation. Elle me maintint là, devant les tables, impuissant. Je finis par demander grâce… Elle me dit :

— Non ! pas encore ! Je travaille pour vous, Rudy !… J’ai su par Mary quels étaient les habitants de notre couloir, au Palace. Ils ne sont pas encore rentrés à l’hôtel. En voici trois. Et elle me les désigna. Quand ils auront quitté la partie, nous serons tranquilles, tu ne feras pas de mauvaise rencontre.

Dans le moment, elle échangea un long regard avec une vilaine figure que je connaissais bien. C’était le traitant en bijoux qui, le premier soir, au « Privé », bavardait en me crachant dans le cou. J’avais eu des tuyaux, depuis, sur le personnage. Il s’appelait Abraham Moritz ; la saison précédente il avait eu une sotte histoire au « Normandy ». Après avoir, comme de coutume, dans la nuit, suivi la partie au Casino, il se promenait, dès huit heures du matin, dans les couloirs du « Normandy » devant la porte de ces dames pour lesquelles le Sort avait été particulièrement cruel et qui étaient en possession de bijoux d’importance. À la première apparition d’une femme de chambre, il faisait savoir « que Monsieur Abraham était là et qu’il sollicitait l’honneur d’être reçu ». Il l’était ou il ne l’était pas. Il ne se lassait jamais. Ce furent les gérants qui se fatiguèrent de rencontrer toujours « Monsieur Abraham » dans cet hôtel où il n’avait même pas une chambre. Ils le prièrent de déguerpir et, comme il voulut le prendre de haut, ce fut un agent qui vint le sortir, avec tous les honneurs dus à sa persévérance. Cette année, il avait pris carrément une petite chambre au « Royal » et il ne semblait point qu’il le regrettât, surtout depuis qu’il connaissait les embarras financiers de lady Skarlett.

— Ah ! Ah ! fis-je, c’est notre homme aux bijoux ?…

— C’est lui, darling, mais ne le regardez pas !…

Elle m’entraîna sur la terrasse qui communiquait directement avec les salles de jeu par des portes-fenêtres que l’on avait laissées ouvertes par ces chaleurs.

— Rudy, il ne faut pas que l’on puisse soupçonner que vous allez être pour quelque chose dans tout ce qui va se passer… Vous êtes de mon avis, Rudy ?

— Tout à fait de votre avis, Helena !

— Il faut prier Dieu que nous soyons toujours aussi d’accord, darling, pour le meilleur comme pour le pire !

— Il faut, Helena !…

— Nous allons finir la soirée chez Léonie et nous allons certainement y rencontrer cet homme ainsi que quelques autres. Je vous prie de ne pas le regarder plus que les autres et, de tout ce qui se dira, peut-être, vous ne comprendrez rien !… Vous êtes un petit I. B. F. qui ne s’intéresse qu’à son verre… Je vous emmène parce qu’ils pensent bien que je ne puis sortir seule à cette heure.

— Quelle est cette Léonie ?…

— Rien du tout !… Une dame qui tient un bar près de la gare. Maintenant, restez ici, je vais me débarrasser de mes bijoux à l’hôtel, dans les mains de Fathi et attendez-moi au coin de la rue et de la place Morny.

Elle me quitta. Il pouvait être deux heures du matin. À deux heures et demie, je faisais les cent pas au coin de la place Morny. Tout ce quartier était maintenant désert. Les rares passants qui me frôlaient rentraient du cercle et s’écartaient de moi. Avec ma canne dans ma poche, mon col relevé, mon feutre rabattu sur le visage, j’avais l’air de m’être posté là pour faire un mauvais coup. L’« expédition » commence, pensai-je, et, assez inquiet de moi-même, je ne jouissais pas de la peur que j’inspirais aux autres. Ainsi, peu à peu, mon exaltation tombait et je me pris à la regretter.

Je vis bientôt s’avancer une silhouette féminine, enveloppée d’un manteau sombre, une capote enfoncée sur les yeux. Je ne doutai point que ce fût Helena. Elle vint à moi, me prit le bras et dirigea mes pas. Nous traversâmes la place, dont le dernier café venait de fermer et, cinq minutes plus tard, Helena frappait trois coups de poing sur une petite porte qui s’ouvrit et se referma derrière nous.

— Oh ! bonsoir, lady Helena ! salua l’accueillante Léonie… Vous avez eu une bonne idée de venir ce soir, vous trouverez joyeuse compagnie…

— Tant mieux, Léonie ! répondit Helena… car je m’ennuie tant, depuis le départ de sir Archibald !…

Nous étions dans un bar des plus ordinaire et rien de particulier ne signalait Léonie, qui avait la figure fort honnête au-dessus d’une poitrine bien portante. Son petit commerce n’allait pas fort le jour, mais elle avait imaginé d’accueillir certains clients la nuit, quand tous les autres établissements étaient fermés. Un cabinet leur était réservé derrière la salle commune. À cette heure, c’est elle qui servait. Pas de domestique. Elle ne s’occupait que de vendre ses petits verres le plus cher possible. Le reste lui était complètement indifférent. C’était appréciable.

Passant au milieu des tables, sur lesquelles des tabourets étaient déjà empilés, elle nous ouvrit la porte du petit cabinet du fond où nous fûmes accueillis assez bruyamment par une demi-douzaine d’habitués, tous des hommes, qui me parurent assez mal élevés, car ils ne se levèrent point à l’arrivée de lady Skarlett, se bornant à nous faire place à côté d’eux et à nous serrer la main au-dessus de la table. Lady Helena me présentait, mais ils me connaissaient tous et j’aurais pu, si j’avais été moins préoccupé, mesurer là l’importance du personnage que je jouais à Deauville.

Ces figures ne me disaient rien encore, mais je sus, par la suite, grâce à Helena, ce qu’elles étaient et ce qu’elles cachaient. Tout cela n’était pas un monde bien propre. Il y avait là le fameux Lévis, qui avait déjà tait parler de lui avec son singulier « matryscope », appareil destiné à déceler la grossesse et qui, avec le premier argent des gogos, avait fondé la « Compagnie industrielle transcontinentale »… Ce « transcontinentale » en disait long sur l’appétit du jeune homme qui était décidé à répandre son activité dans les deux hémisphères. Il était élégant, du reste, de propos énergiques, avec des yeux de Levantin, tout ce qu’il faut pour séduire.

Un autre jeune homme, que l’on appelait Démétrius, s’était spécialisé dans le « lavage » des chèques. Leurs compagnons étaient plus âgés, d’apparence plus tranquille et devaient, depuis longtemps, avoir trouvé, comme on dit, le filon pour faire fortune sans trop de risques. On les sentait à l’abri des coups du sort et ils consentaient, avec un sourire d’indulgence, à écouter les théories de ces jeunes gens qui rêvaient de bâtir des fortunes mondiales. C’étaient les sages.

M. Parent, par exemple, était tout à fait digne de respect. Il avait commencé par être petit clerc d’huissier, puis il avait fait son droit, passé ses examens, s’était fait inscrire au barreau de Paris (comme moi), s’était vite rendu compte qu’il faisait fausse route (comme moi) et s’était établi homme d’affaires. Deux pièces, rue Turbigo, mais ce n’était pas là qu’il opérait. Il était tout le temps sur les routes, n’emportant avec lui qu’une valise et son « portefeuille ». Il emportait aussi quelque chose de très lourd, mais qui ne se voyait pas : sa science approfondie des lois relatives aux opérations financières. Le coup de génie de cet homme avait été de choisir sa clientèle dans le clergé, qu’il séduisait par une affectation d’opinions ultra-réactionnaires. On a conservé, au Parquet, comme des modèles, les textes de ses circulaires. Il écrivait à ses victimes :

« Conservateur, au point de vue politique, par tradition de famille, je suis également conservateur par tradition financière. En ce temps de négation sociale et religieuse, les amis de l’ordre doivent serrer les rangs autour des capitaux. »

Pour sa part, il s’y entendait. Voici comme il opérait, généralement dans les campagnes. Il entrait en relations avec le curé, se faisant recommander par quelque ecclésiastique qu’il venait de flouer et qui ne connaissait pas encore son malheur. On déjeunait ou l’on dînait, mais c’était généralement au dessert que l’affaire se concluait. Pendant le repas, on avait parlé affaires, placement de fonds :

— Montrez-moi donc votre portefeuille, disait notre homme, et je vous montrerai le mien ! Je vois bien que vous en êtes resté aux fonds d’État et aux Chemins de fer. La misère !… Je sais bien, d’autre part, que les valeurs industrielles et étrangères ne sont point de tout repos, mais, quand on sait s’y prendre, on s’en tire à peu près sûrement, car elles ne sont point toutes mauvaises.

Finalement, il prouvait qu’avec les mêmes capitaux le brave curé pouvait, sans grand risque, tripler, quadrupler ses revenus. Le curé mordait d’autant à l’appât que M. Parent semblait n’avoir voulu que l’instruire. Et ce n’est qu’après bien des hésitations que le voyageur condescendait à échanger une grande partie des valeurs de tout repos de son hôte contre les paperasses qu’il avait, lui, rapportées des « Pieds Humides ». Le tour était joué. Il l’avait renouvelé cent fois, deux cents fois et, toujours, l’ecclésiastique s’y laissait prendre. Il engageait même M. Parent à passer chez son vicaire, quand celui-ci avait des fonds à placer. M. Parent avait été poursuivi cinq ou six fois et il avait été convoqué chez le juge d’instruction. Il y arrivait, tranquille comme Baptiste :

— Mon Dieu ! monsieur le juge, je n’ai trompé personne ! M. le curé n’est pas un imbécile. Il est d’âge à comprendre les risques que l’on court quand on met ses fonds dans l’industrie. Si l’affaire avait réussi, il ne se serait pas plaint. Elle était mauvaise. Je n’y suis pour rien. J’en ai été moi-même victime, car, y ayant foi, j’ai refusé de lui passer tous mes paquets. Enfin, monsieur le juge d’instruction, y a-t-il une loi qui défende d’échanger telle obligation ou telle action contre telle autre ? Non, cette loi n’existe pas et ne saurait exister !

Après quelques explications de ce genre, le Parquet avait fini par laisser M. Parent gagner sa vie comme il l’entendait. Maintenant, il était millionnaire.

Mais, le plus réussi de tous dans cette jolie collection, c’était M. Jacob. Il était au bout de la table et je le reconnus tout de suite comme l’un des deux individus qui me crachaient dans le cou, le soir de mon arrivée au « Privé ». Or, si Abraham Moritz était bien bijoutier, M. Jacob, lui, ne l’était pas. C’était le fameux antiquaire de Rouen. Helena devait me raconter comment il avait fondé sa fortune en vendant quinze cent mille francs à M. William Knox, de New-York, une collection de « Boucher » dont pas un ne méritait le prix de la toile. Knox n’avait voulu rien dire, de peur de porter un préjudice irrémédiable à toute sa galerie et, aussi, de passer pour un sot. Voyant que le faux lui réussissait si bien, Jacob résolut de continuer dans la partie, mais, cette fois, dans le meuble, car, pour les faux en peinture, il était brûlé auprès des experts. Il vint s’établir à Rouen, au cœur de la Normandie. Il ramassa ce qu’il put trouver d’authentique, au plus juste prix, et dépeça tous ces meubles. Avec une planche de l’un, une porte de l’autre, une serrure de celui-ci, un pied de celui-là, il refit tous les mobiliers qu’il lui fallait pour faire marcher ses affaires. Il y a des ouvriers incomparables dans le genre. Les plus malins y sont trompés. Jacob faisait travailler ses artistes en secret, dans un coin retiré de la vieille ville de Bayeux. Quand l’objet était prêt et suffisamment vermoulu, il était expédié dans son hôtel du cours Boieldieu où, pendant la bonne saison, les étrangers qui fréquentaient nos plages étaient invités à venir admirer ces purs joyaux qui avaient, naturellement, tous leur histoire se rattachant, pour une petite partie, à l’histoire de France.

Avec tous ces dollars et toutes ces livres, Jacob put se payer le luxe de travailler aussi dans l’authentique, ce qui faisait passer le reste, et il mit son amour-propre à acquérir, au plus juste prix, des pièces de collections et des toiles qui avaient la forte cote. Dans le moment, il avait des tapisseries de Bayeux qui lui servaient de réclame et deux petits Rubens dont il réclamait un million. Jacob, entre temps, s’était livré à d’excellentes opérations de terrain du côté de Saint-Severs. On ne connaissait pas la fortune de Jacob. Que l’on ne s’étonne point que je m’attarde un peu sur les aventures de ces messieurs réunis, ce soir-là, chez Léonie. On en connaîtra prochainement la raison.

La conversation était générale et quelconque. Elle roulait sur les courses, autour des bouteilles de champagne, quand la porte s’ouvrit. Abraham Moritz fit son entrée. Je dus serrer la main de ce gentilhomme. Au milieu du silence général, un échange de propos assez bref eut lieu alors entre le nouveau venu, Jacob et Helena, mais je n’y compris rien, car ils se servaient d’une langue que je ne connaissais point et que je sus, par la suite, être du yidish. Helena ne paraissait point contente, mais je vis qu’elle cédait et, quand elle se leva, j’eus lieu de croire qu’ils étaient tous d’accord. Nous sortîmes tous les deux et nous prîmes le chemin de l’hôtel.

— Les bandits ! gronda-t-elle, mais ils me le paieront !

Puis, elle proféra de sourdes syllabes où s’exhalait sa grande irritation et dans lesquelles je ne saisissais que deux ou trois jurons énergiques. Car j’ai déjà dit que cette femme, d’une grâce et d’une distinction royales, jurait, par instants, comme un charretier. Je n’osais l’interroger. Elle finit par me dire : « Cher, vous venez d’assister à un conseil d’administration. Ces messieurs ont fondé une société pour m’acheter mon collier et mes bijoux. Il y en a, au moins, pour une trentaine de millions. Mais ils me font valoir les petits ennuis qui les menacent. Et ils m’offrent sept tout juste. C’est à prendre ou à laisser ! »

Faut-il le dire ? Au fond, tout au fond de moi-même, j’eusse désiré, lâchement, que l’affaire ne se fît point. Je me raccrochais à cela au moment d’agir. Je commençais à trouver que sept millions, c’était bien peu pour le mal que j’allais me donner !…

— Si j’ai accepté, petit chéri darling, c’est bien pour vous !…

Je rentrai à l’hôtel les jambes cassées. Elle me poussa dans sa chambre, me fit ses dernières recommandations :

— Soyez calme, rappelez-vous bien votre petite leçon d’hier. Vous ne courez aucun risque, tous les voisins sont rentrés. Restez en tuxedo ; si l’on vous rencontre près du lavabo, personne ne s’étonnera. En vérité, je voudrais faire ce petit ouvrage. Que ne suis-je pas à votre place, Rudy ?…

Elle me glissa elle-même, dans la poche intérieure de mon pardessus, les outils nécessaires en me demandant : « Ça, c’est pourquoi faire ? And this one ?… et cet autre ?… et ça ? » Je répondis comme dans un rêve, mais à son entière satisfaction. Elle m’embrassa d’un petit baiser net sur les lèvres et je me trouvai dans le couloir, la main aux tempes, la gorge sèche, les dents serrées. C’est là, décidément, l’état physique normal du cambrioleur apprenti. C’était la seconde fois que j’éprouvai cette impression d’angoisse étouffante. Je vous assure que c’est extrêmement désagréable. Ceux qui n’en guérissent pas feront bien de ne pas persévérer dans le métier. C’est comme pour le mal de mer : si vous ne l’avez pas surmonté au bout du troisième voyage, remettez-vous à planter vos choux.

Eh bien ! maintenant, je puis vous le dire, tout cela, c’étaient des idées !… car tout s’est très bien passé !…

Personne n’est venu me déranger. L’affaire s’est déroulée comme Helena l’avait dit. Elle a simulé un malaise. J’ai entendu Fathi se lever. J’ai attaqué la porte avec la décision du désespéré, ce qui l’a fait craquer un peu fort et m’a rejeté haletant dans le lavabo, mais la plainte d’Helena et la voix de Fathi me rendant un nouveau courage, j’achevai ma besogne. Le coffre-fort céda à mes instances et à celles du levier-découpeur de Durin, en un temps que je ne saurais apprécier, car il me parut interminable… Mais j’étais résolu alors à ne pas m’en aller sans en avoir eu raison, me disant qu’il valait mieux pour moi être surpris dans la chambre que dans le couloir, puisque j’aurais là, tout de suite, Helena, entre Fathi et moi, pour étouffer le scandale. Après m’être emparé du coffret, je refermai le placard, ainsi que la porte, aussi bien que possible. Je retournai au lavabo, comme c’était convenu. Quelques minutes plus tard, la porte d’Helena s’entr’ouvrait. J’étais bientôt près d’elle. Elle me prit le précieux coffret des mains, avec son plus aimable sourire.

— Croyez-vous, me dit-elle, que Fathi ne voulait pas me quitter ! Il voulait absolument passer la nuit sur ma descente de lit. Maintenant, nous pouvons être tranquilles, il s’est recouché dans sa chambre !

Ce disant, elle faisait jouer la fermeture à secret, connue d’elle, de sir Archibald et de Fathi, et elle ouvrit le coffret…

Il n’y avait rien dedans !…

Mais cela, n’est-ce pas, elle ne pouvait pas le prévoir ?… Tout cela s’était très bien passé, jusque-là !