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Molière, Shakspeare, la Comédie et le Rire/La Comédie/Traité de l’art de faire des comédies

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 223-273).
La Comédie

TRAITÉ
DE L’ART DE FAIRE DES COMÉDIES
OU COLLECTION MÉTHODIQUE DE MES OBSERVATIONS PRÉSENTES ET FUTURES SUR CET OBJET[1]



PRÉFACE



Le livre de la cuisinière bourgeoise, lorsqu’il donne la recette nécessaire pour faire un civet de lièvre, commence par ces mots fort judicieux « Il faut avoir un lièvre. »

C’est donc en vain qu’on veut être artiste si l’on n’a pas de génie.

Tous les avis du monde ici ne feront rien si vous n’avez pas cette impulsion profonde ; faites-vous auditeur, ce livre-ci vous serait tout aussi utile et inutile que tout autre. Mais il me semble que si Collé eût bien conçu tout ce qui suit il eût fait de meilleures pièces et en plus grand nombre.

Au reste je n’écris que pour moi. Je sais par expérience que des vérités bien enchaînées sont plus lumineuses qu’étant isolées. C’est pourquoi j’arrange les vérités suivantes recueillies ou découvertes par moi, à diverses époques.

Chassons donc toutes les fausses notions que nous pouvons avoir recueillies sur l’esprit, le jugement, le génie, l’imagination, etc., etc., dans les auteurs de la sorte de Marmontel et consorts.

Appliquons-nous non pas à faire des phrases brillantes et à produire la sensation du comique par exemple en raisonnant sur la comédie, défaut commun en France, mais à faire avancer la science.

Je me transporte sur la frontière. Je ne répète point ce qui me semble connu.


QUELQUES PRINCIPES NÉCESSAIRES[2]




Limagination et la raison ne sont pas réellement des facultés élémentaires de notre esprit, mais seulement des manières de s’en servir. Les mots expriment des résultats et non pas des éléments (T. 3. 80).

Il n’y a pas un seul de nos jugements auquel toutes nos facultés intellectuelles n’aient coopéré. Il n’y a donc rien que l’on puisse attribuer exclusivement à la sensibilité, à la mémoire, au jugement ou à la volonté (Ibidem).

Étudier les faits de la logique ou art de penser, c’est se voir penser, chercher ce qui se passe en nous quand nous pensons.

De même étudier l’ennui, cette hideuse cause des beaux-arts, c’est chercher ce qui se passe en nous quand nous nous ennuyons, et quand nous sortons de l’ennui.

De même pour le rire, le sourire, etc., etc.

Étudier un gouvernement, c’est s’appliquer à le voir marcher. Delolme[3] voit marcher le gouvernement anglais. Ce qu’on aperçoit d’abord c’est la manière dont le roi agit dans ses actions difficiles, dans la déclaration d’une guerre par exemple.

En descendant jusqu’aux choses les plus fines on verrait la raison pour laquelle un ambitieux du comté de Sussex s’enivre avec ses voisins dans son village, de là la nature de l’ennui anglais, de là la nature de leurs beaux-arts.

L’ambitieux du département de la Drôme va à Valence, s’insinue dans toutes les affaires, flatte le Préfet, prend un air important, a une conduite privée pleine de froideur et de sagesse, ses opinions ne sont jamais tranchantes, il présente tant qu’il peut l’idée d’un bon cheval coupé qui a juste autant de force qu’il en faut pour exécuter ce qu’on veut lui faire faire, mais qui n’inquiète jamais par un excédent inutile.

Le degré d’esprit qu’il faut pour être un bon préfet est tout ce que doit montrer l’ambitieux de la Drôme. Or l’esprit n’est que le 3e ou 4e mérite d’un préfet (to see d’Alphonse).

L’exactitude, l’habitude du travail, la connaissance des lois et règlements passent avant l’esprit, si sage qu’on veuille le supposer. Il est évident qu’il ne s’agit point d’inventer des choses nouvelles.

Avec ces qualités l’ambitieux du comté de Sussex ne se ferait jamais nommer au Parlement (voir Vivian de Mlle Edgeworth).

Voilà un exemple de la manière baconienne d’étudier les gouvernements et les mœurs.

En raisonnant ainsi on parviendra à voir que la vraie comédie est un fruit qui ne peut croître que dans les monarchies. I have accordingly seen poindre le bourgeon de cet arbre, à la cour de Westphalie, le fruit fut mûr au bout de trois mois d’existence of this court (Interroger en cela M. Doligny).

Je ne méprise nullement l’homme qui obtient peu à peu, beaucoup de petites distinctions et enfin une place importante en faisant vingt visites par jour. Je cherche uniquement à le connaître.

Je ne hais ni n’aime personne, je cherche à connaître.

*

Les classes ne sont que dans nos têtes et non pas dans la nature. Il y a toujours des objets difficiles à classer. Les classes sont bonnes quand elles aident notre esprit dans ses recherches, sans lui faire prendre de fausses notions. Je prie que l’on se souvienne de cela toutes les fois que je parlerai de classement.

M. de T[racy] distingue dans nos perceptions :

1o sensations,
2o idées composées,
3o souvenirs,
4o jugements,
5o et désirs (3. 204).

Dans nos sensations simples il faut comprendre toutes les manières d’être que l’on appelle communément sentiments, ou affections de l’âme ; tels que les sentiments de contentement ou de tristesse, de confiance ou de découragement, de force ou de faiblesse, d’activité ou de langueur, de calme ou d’agitation, etc.

Nous sommes aussi sûrs de ces sensations-là que [de] celles de froid, de chaud, etc. Ce qui n’empêche nullement qu’elles ne soient souvent fondées sur des jugements faux.

L’homme auquel l’optimiste de Collin donne une sensation de bien-être, est sûr de cette sensation-là, quoique peut-être les raisonnements par lesquels on lui apprend à supporter le malheur manquent de justesse.

Le philosophe qui est à côté de cet homme aurait tort de lui contester sa sensation. Il peut voir le peu de justesse des moyens qui l’ont produite, mais il ne peut contester la sensation. Nous voyons un sauvage venu pour la première fois à Philadelphie tomber en admiration à la vue d’une tête à perruque, charpentée grossièrement. Nous ne pouvons lui nier sa sensation : elle est agréable. Nous ne pouvons pas lui donner un vrai ridicule[4].

Le hasard me présente un portrait de Voltaire, l’idée assez compliquée que j’ai de cet homme célèbre se présente à moi. Je suis sûr de la sentir (je vois bien le petit hérissé de ses tuyaux de lunettes comme une étoile de mer), mais qui me dit que cette idée ressemble à ce que fut François Arouet ?

Chaque petit tuyau n’a été allongé qu’en vertu d’un jugement, chacun de ces jugements peut être inexact.

À proprement parler nous ne pouvons pas avoir de souvenir réel d’une simple et pure sensation (T. 3. 212. Maine de Biran).

Quels souvenirs ai-je conservés des premiers temps de mon séjour à M[arseille] with Mél[anie] ?

La différence qui se trouve entre les conclusions de l’homme passionné et de l’homme froid, raisonnant sur l’objet de la passion du premier, bien expliquée (3. 212 et 213).

Par les mêmes mots ils entendent des choses différentes.

Un amoureux parle du bonheur à son père avare. Bonheur signifie pour le fils possession de l’objet aimé ; pour le père possession d’un million. Ils parlent des moyens d’atteindre le bonheur. Peut-on s’étonner si leurs moyens diffèrent ?

Les passions comme les sentiments ne sauraient en aucune manière être pour nous le sujet de souvenirs réellement exacts (3. 217). Féconde, grande vérité.


CHAPITRE PREMIER



Il faut que je commence par oublier tous les raisonnements tout faits, peu généraux, que je peux avoir lus ailleurs[5]. Collé par exemple est plein de charmantes petites vérités tamisées, dès qu’il veut approfondir il déraisonne.

[Une âme sensible écoutant de belle musique ou voyant de beaux tableaux, apercevra d’excellents modèles à suivre, ou des principes lumineux. Toutes les définitions du goût que j’ai vues jusqu’à présent (Clair, Condillac, etc.) se réduisent (bien analysées) à : « Le bon goût, c’est mon goût », etc., il est impossible que ce ne soit pas ainsi[6].]

Il faut dans les arts avoir constamment les yeux fixés sur la butte. Ils n’estiment leurs efforts qu’autant qu’ils l’atteignent[7].

Qu’on inspire le respect à l’âme des spectateurs par le caractère du jeune Horace, par une symphonie sublime, par le sombre péristyle d’un temple immense, par un tableau montrant Brutus envoyant ses fils à la mort, les moyens seuls sont différents. L’âme a été conduite au respect, suivant les lois de cette affection, lois qu’une âme sensible découvre en se soumettant à l’action de tous les arts, et écoutant ce qui se passe en elle.

La caricature montrant un mari chargé du petit chien qui s’échappe, du parapluie, de la petite fille etc., etc., fait rire de la même manière que telle situation comique de Molière, ou que dans un ballet comique un important qui en voulant faire de la dignité tombe et se casse le nez.

[Je désire me faire une idée nette du comique qui est cause du rire. Je veux que cette idée comprenne toutes les espèces de rire.

Je désire avoir une idée semblable du sourire et du sublime. Je mets sublime parce que l’effet produit par cette qualité des choses n’a pas de nom. Je crois que le sourire est causé par la vue du bonheur, mais je n’ai vu cette pensée nulle part, — ainsi la cause du sourire n’a pas non plus de nom. Peu de personnes comprennent ces sortes de choses. Par conséquent, il n’existe pas de langues (ou de signes convenus pour des choses qu’on n’a pas à exprimer)[8].]


CHAPITRE 2



Définition de quelques mots qui reviennent sans cesse en parlant Comédie. Qu’est-ce que le rire, le ridicule, le comique ? la plaisanterie ? le bon ton ? le sourire ? un caractère ? la gaîté ?


CHAPITRE 3

Le Rire



Ier principe : être comique c’est se tromper dans les moyens d’atteindre son but.

2e principe : Pour le passionné le comique ne paraît pas assez important pour le distraire des pensées de sa passion ; par la même raison pour le bilieux la détente du comique part plus difficilement. C’est peut-être pour ces deux causes qu’Alfieri était peu propre à faire des comédies. La première empêche J.-J. Rousseau de connaître bien le comique (voir ce qu’il dit du Misanthrope).

Le peuple français ne me semble pas le plus gai, mais le plus vif que je connaisse.

Le français, peuple actif et vain qui met la vanité à paraître gai (Vu en sortant de Bautzen le 23 mai 1813, le lendemain de la bataille).

Le Français ne désire pas assez profondément d’aller à son but pour que la passion l’empêche de faire attention à toutes les jouissances, à tous les désappointements de vanité (de sa vanité) qu’il rencontre dans son chemin. L’homme qui va à un rendez-vous ou qui va voir si le décret qui le nomme à une place importante est signé, a-t-il assez d’attention de reste pour être jaloux d’un cabriolet à la mode.

Fairisland et Anelli dans leur état ordinaire, rencontrant un carrick charmant.

Le rire est incompatible avec l’indignation. Ce sentiment vient de ce que nous songeons à notre sûreté ou à de grands intérêts[9], or l’homme qui songe à sa sûreté est trop occupé pour rire (16 février 1813 : myself revenant de Moscou[10]).

L’odieux est la gangue qui se mêle au métal comique et qui le gâte. Le comique ne peut passer dans le commerce et être visible au vulgaire que séparé totalement de cette gangue.

[Ainsi il peut être utile au poète comique de lire de plats ouvrages. Hier j’ai vu une mine de comique (par exemple) dans l’impromptu de garnison de Dancourt (sous son nom) 19 mai 1811[11].]


CHAPITRE 4



La plaisanterie est l’image de quelque chose d’absurde présenté à l’imagination du spectateur, mais non pas comme une chose réelle, mais sans chercher à faire illusion, et dont il rit d’autant plus que son jugement l’avertit moins haut que c’est une absurdité, une supposition.

Exemples :


Que feriez-vous, Monsieur, du nez d’un marguillier ?

Regnard.


L’imagination du spectateur se retrace avec une extrême rapidité ce qu’un jeune homme élégant ferait d’un nez de marguillier, l’absurdité qu’il y aurait à un jeune homme de désirer un nez de marguillier.

Cette image passe si vite que toute idée de joug, de cruauté, n’a pas le temps de paraître.


Mais je crois, entre nous, que vous n’existez pas.

Voltaire (Systèmes).


Rien de plus fou que de faire dire à quelqu’un, à qui on parle, qu’on croit qu’il n’existe pas[12].

La plaisanterie est encore un ridicule apparent jeté sur quelqu’un[13] qui peut être repoussé avec avantage par une autre plaisanterie, une autre image gaie offerte au spectateur, (c’est ainsi que j’aurais dû répondre à Gobert me disant : « Je crois bien que vous mourrez un jour. » — « Mais ce sera de gras fondu ») qui, outre les mêmes avantages que la plaisanterie attaquante, a encore celui de la difficulté vaincue, de la soudaineté, de l’extrême vivacité excitée par le désir de nous plaire.

Ce ridicule apparent porte souvent sur une base absurde, quelquefois cette base est donnée pour telle par l’homme qui fait la plaisanterie.

2e espèce de plaisanterie : Elle est alors d’une gaîté extrême et nous donne deux plaisirs.

1o Le sourire par la vue d’un homme assez heureux pour faire de telles illusions. Les gens soi-disant raisonnables ont le ridicule d’être fiers de n’être pas susceptibles de ce genre d’illusions, c’est-à-dire fiers d’être châtrés, fiers de manquer d’un des premiers moyens de bonheur.

2o Le rire par l’effet naturel du ridicule moissonné sur la personne plaisantée.

La plaisanterie de cette seconde espèce est un genre de gaîté où il n’y a rien d’âcre. Le vrai et profond comique au contraire est toujours à côté de quelque chose d’âcre. Pour peu que l’auteur s’oublie, ce comique peut jeter le spectateur dans des sentiments haineux. C’est un des défauts de l’Églantine dans les Précepteurs par exemple.

Le vrai comique est un fruit délicieux, qu’il faut cueillir sur un arbre épineux dont les feuilles et les piqûres sont un poison violent.

Les pauvres poètes comiques, en tant que connaisseurs de l’homme meurent presque tous empoisonnés par la mélancolie, Molière, Dominique dit-on, Chamfort.

Celui qui fait une plaisanterie se rend momentanément inférieur à ceux devant qui il la fait, et il ne peut nier que son sort ne dépende du jugement qu’ils vont porter.

Louis XIV fit une seule plaisanterie en sa vie. Voici ce que M. de Lévis dit dans ses souvenirs, page 26.

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CHAPITRE 5

Le Bon ton



Duclos (1.165) dit :

« Dans les hommes qui ont le plus d’esprit, le [bon ton] consiste à dire agréablement des riens, et à ne pas se permettre le moindre propos sensé si l’on ne le fait excuser par les grâces du discours ; à voiler enfin la raison, quand on est obligé de la produire, avec autant de soin que la pudeur en exigeait autrefois, quand il s’agissait d’exprimer quelqu’idée libre. L’agrément est devenu si nécessaire (1750) que la médisance même cesserait de plaire, si elle en était dépourvue. Il ne suffit pas de nuire, il faut surtout amuser[14]. »

Loin de me fâcher de cela comme Duclos, je le trouve parfaitement pensé. Qu’est-ce en effet que la société ? Je parle de celle qui existait en 1770 dans le salon de Mme du Deffant. C’est l’art de faire que des hommes rassemblés, et indifférents les uns pour les autres, se donnent mutuellement le plus de plaisir possible.

Pour cela nous avons plusieurs moyens.

1o En faire tous des anges.

2o Les pénétrer les uns pour les autres de l’amitié la plus vraie.

3o Leur donner le bon ton, tel à peu près qu’il a existé en France, dans le salon de Mme du Deffant, et que Duclos le dépeint.

Les premiers moyens étant impossibles seulement, il ne me semble pas si criminel de chercher à perfectionner le dernier.

L’homme qui peut passer sa soirée avec une maîtresse adorée, avec un ami intime et gai, à composer, en un mot à satisfaire un goût quelconque bien décidé, est un sot de venir dans un salon où rien ne lui paraîtra assez fort pour lui faire plaisir.

Mais l’homme indifférent, et l’homme capable de goût dans ses moments d’indifférence, n’ont rien de mieux à faire, après avoir travaillé le matin (élément nécessaire du bonheur), fut-ce à deviner des énigmes du Mercure, que d’aller passer une soirée dans une société de bon ton, (myself, 17 février 1813).

Helvétius se trompe lourdement sur le bon ton, peut-être parce qu’il n’était pas aimable.

Voici un petit dialogue de Chamfort qui semble avoir manqué du principe précédent :

A. — Vous connaissez M. le Comte de ***. Est-il aimable ?

B. — Non. C’est un homme plein de noblesse, d’élévation, d’esprit, de connaissances, voilà tout.

(Dialogue 15, page 228.)

Je conçois très bien ce comte-là. Il n’y a qu’à avoir le caractère pessimiste.

En pensant au bon ton, il peut arriver, qu’on vienne à songer aux convenances.


Des convenances


En étudiant les mœurs de l’Italie au XVIe siècle, je crois voir que la science des convenances s’est perfectionnée, et c’est tant pis pour nous.

1o À cause de la gaîté. La plupart des actions de la vie étant sérieuses exigent aujourd’hui plus de sérieux que jadis. Rien n’est plus arbitraire, la science des convenances enlace toutes nos actions, atteint à tout, fait de la vie un conte appris par cœur (Ex. M. de Chambaudain le fils). Cela ôte toute espèce de physionomie.

Les nobles vénitiens en 1740 (de Brosses) quittaient le masque pour monter au Sénat, et en sortant du Sénat, montaient dans leur gondole avec une fille. Le quart d’une telle action perdrait un Français de 1812.

2o Il y a moins de naturel. Beaucoup de mots de Henri IV ne conviendraient pas aujourd’hui à un roi.

Mme de Sévigné cite les contes de La Fontaine et une chanson qui finit par et leurs femmes on baisera, ce que Mme de Polignac n’eût pas fait, il y a trente ans, et ce que ne feraient pas nos femmes honnêtes.

Cela me semble une suite naturelle des progrès de l’esprit, et aurait besoin d’être corrigé par un gouvernement attentif à la volupté publique. C’est le contraire. Tout en 1812 porte aux bonnes mœurs, au roide, à l’ennui. Il ne nous reste que les filles ed io voi adesso a pranzar con una.


CHAPITRE 6



La vue du bonheur (pour nous) nous fait sourire. Pour que le sourire paraisse, il faut un assez grand degré de soudaineté.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


CHAPITRE 7

Des caractères[15]



Qu’est-ce que le caractère d’un homme ? C’est sa manière habituelle de chercher le bonheur. La collection de ses habitudes, dans la chasse du bonheur qui fait l’occupation de tous les hommes.

Les passions éclipsent le caractère ; cela est tout simple, un grand intérêt qui n’est pas habituel fait sortir l’individu de ses manières habituelles.


CHAPITRE 8

De la gaîté



La gaîté est..  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

Dans le Merchant of Venice de Shakspeare Gratiano est un homme aimable, mais d’une manière bien plus élevée qu’un aimable français.

Par exemple, le couplet


With mirthLet me play the fool
With mirth.................

(page 8.)


est de la gaîté annonçant le bonheur, gaîté qui parmi nous friserait le mauvais ton, car ce serait montrer soi heureux et parler de soi. La vraie gaîté française doit montrer aux autres qu’on n’est gai que pour leur plaisir. Autrement on s’expose à faire naître un peu d’envie, et en un clin d’œil ce sentiment chasse le bonheur du spectateur. L’homme qui montre trop sa gaîté, quelque vraie qu’elle fût, est donc impoli.

[Sous le règne de Louis XV, Gratiano aurait annoncé trop de fermeté pour ne pas faire songer qu’il pourrait être incommode. Il voit les choses de plus haut que l’homme gai français et les exprime par des figures annonçant de la sensibilité. Gratiano m’inspire de la bienveillance[16].]


CHAPITRE 9



Preuves logiques de ce qui précède.

.........................


CHAPITRE 10


Nothing can please many and please long but…… representations of general nature.

Particular manners.

Johnson
in Shakspeare
1.3.



Tout cela posé, voici l’art de faire des comédies[17].

J’ai l’idée d’un sujet. Avant de faire un plan, arrêter les caractères de chaque personnage. Écrire et numéroter les actions des personnages ridicules. Ces actions sont de deux genres bien différents :

1o Situation comique.

2o Situation prouvant le caractère.

Les meilleures sont celles qui comiques pour un des interlocuteurs peignent en même temps le caractère de l’autre.

Les situations des personnages intéressants ne sont que d’une sorte, peignant leur caractère.

Les meilleures parce qu’elles éloignent la fadeur sont celles qui mettent l’interlocuteur du personnage intéressant, dans une situation comique[18].

[Frapper quelquefois par une situation de laquelle le spectateur tire la morale que je veux inculquer. Georges Dandin aux genoux de celui qu’il sait bien vouloir le faire cocu et forcé à cela par le crédit de son beau-père, prêt à l’abîmer. Chercher des situations autant que les traits de caractère, les chercher toutes.

Pour rechercher directement les positions comiques, il faudrait pouvoir les séparer des traits de caractère. Il y a les positions comiques données par le hasard comme, dans le genre de leçon morale, la femme cachée derrière le paravent de the school for scandal. La seule situation fait que les spectateurs se disent avec la plus grande énergie un million de choses, et ces choses sont précisément les mêmes que la femme se dit et que la pièce veut inculquer.

L’imagination n’empêche pas de voir, mais faisant sans cesse exagérer les proportions d’une partie, elle empêche de porter d’un caractère un jugement sain, parce qu’elle empêche de voir en quelle quantité il a toutes les qualités qu’il a et par conséquent quel doit être le résultat de leur ensemble.

Avant que de peindre un caractère, il faut parfaitement déterminer ce caractère (de manière à ne pas prendre pour sa caractéristique celui d’un autre caractère voisin), c’est-à-dire le mot qui le nomme. Ainsi avant de faire le vaniteux décrire parfaitement en une demi-page ce que c’est que la vanité. Séparer entièrement les actions qui désignent l’orgueil.

Quel est le plus comique pour peindre un Letellier vaniteux ou 1o son valet pour gagner une étrenne de trente francs le détermine à une action très importante, le mariage de sa fille par exemple, et cela en lui faisant voir qu’il aura occasion de faire une de ces crèmes qu’il fait si bien ; ou 2o un simple hasard lui fait voir qu’il aura cette crème à faire, et il se décide[19].]


CHAPITRE 11



Le but moral est une bêtise des Laharpe. Le seul but est de faire rire. Dans toute comédie, où l’on admet une habitude de l’âme vicieuse, cette habitude doit faire tomber le vicieux dans le plus grand malheur de cette habitude vicieuse. Vivre avec cinquante mille livres de rente et une laide femme est un bonheur pour l’avare, malheur pour le jeune homme tendre.

Le mot vicieux est trop fort. Le vicieux produirait l’indignation chez les spectateurs. Je parle d’une manière répréhensible de chercher le bonheur.

Exemple : toujours la comédie classique de l’École des Femmes et le personnage d’Arnolphe.

Il y a l’habitude d’âme répréhensible de chercher le bonheur dans l’action d’être marié, et cependant de n’être point cocu. Il est conduit par ce qu’il fait pour arriver à son but précisément à être cocu, et en herbe, ce qui est la perfection du genre et bien plus difficile qu’après la cérémonie.


CHAPITRE 12



Application du principe précédent.

L’avare peut-il être ridicule ?

Oui.

1o Le véritable avare en le montrant…[20]


CHAPITRE 13



Exemples.

Comique d’expression de Voltaire.

[Turcaret, acte 1er, scène 2.

Frontin racontant à la Baronne ce qu’il a dit pour consoler le Chevalier :

— M. le Chevalier, lui dis-je, qu’allez-vous faire ? Vous passez les bornes de la douleur du lansquenet.

Genre de comique employé très souvent par Voltaire, et qui consiste à faire que les personnages admettent dans leur style de plaisanteries extrêmement fines contre le but qu’ils doivent avoir. Ces plaisanteries font beaucoup d’effet dans leur bouche, et réellement quelquefois, rarement on a pu voir dans la nature qu’un avare affligé, par exemple, employât pour se plaindre des mots qui font plaisanterie contre l’avarice dupée. J’appelle cela le style du pamphlet.

Ce genre tue l’illusion et la sympathie, mais il abrège en ce que l’auteur peut se passer ainsi d’un second personnage pour faire la plaisanterie à son protagoniste[21].

Dans l’exemple cité, le naturel était que Frontin dît :

— M. le Chevalier, vous passez les bornes de la douleur… et que Marine ajoutât « de la douleur du Lansquenet. »

Mais Lesage a raison, la plaisanterie eût été aussi froide qu’elle est vive. L’état de Frontin diminue le manque de naturel, et c’est un personnage si inférieur, que Lesage a bien fait de le sacrifier un peu, pour aviver la scène en faisant rire.

Exemple de Voltaire :

..............................
..............................
..............................

Les auteurs emploient quelquefois cette même brèche au naturel pour donner aux sots du parterre le plaisir de deviner une finesse, cette platitude est devenue d’obligation.

Exemple :

La Baronne dit à Turcaret (acte 1er, scène 5) :

Turcaret. — Non, madame, ce n’est point dans cette vue que…

La Baronne. — Vous vous trompez, monsieur, je ne vous en aime pas davantage pour cela.

La tournure est contre le but de la Baronne.

« Ce n’est point par ces choses-là que mon amour peut s’augmenter… » ou quelqu’autre chose dans ce genre[22].]


CHAPITRE 14[23]



Pourquoi l’Italie est-elle la patrie des arts[24] ?


Caractères italiens et français

7 avril 1813.


Le caractère italien est mélancolique, c’est-à-dire que leurs idées sur le bonheur sont produites par des corps bilieux, quelquefois avec des embarras dans le bas-ventre.

Ce caractère mélancolique est le terrain dans lequel les passions germent le plus facilement. Ce caractère ne peut guère s’amuser que par les beaux arts. C’est ainsi qu’il me semble que l’Italie a produit et ses grands artistes et leurs admirateurs qui en les aimant et payant leurs ouvrages les font naître.

Cela explique bien leur amour pour la musique qui soulage la mélancolie et qu’un homme vif et sanguin, tel que Mallein, ne peut aimer de passion puisqu’elle ne le soulage de rien, et ne lui donne habituellement aucune jouissance vive.

Tout cela est assez conforme à la théorie qui fait naître les beaux-arts de l’ennui[25]. Je mettrais [à] la place du mot ennui, le mot mélancolie qui suppose tendresse dans l’âme. L’ennui de nos Français que les choses de sentiment n’ont jamais rendus ni très heureux ni très malheureux, et dont les plus grands chagrins sont des malheurs de vanité, se dissipe par la conversation où la vanité qui est leur passion dominante trouve à chaque instant l’occasion de briller, ou par le fonds de ce qu’on dit ou par la manière de le dire. La conversation est pour eux un jeu, une mine d’événements. La conversation française telle qu’on peut l’entendre tous les jours au café de Foy, et dans les lieux publics, me paraît le commerce armé de deux vanités.

Toute la différence, c’est qu’au café de Foy, où se rendent de pauvres rentiers de la petite bourgeoisie, la vanité est basée sur le fond de ce qu’on dit. Chacun raconte à son tour des choses flatteuses qui lui sont arrivées. Celui qui est censé écouter attend avec une impatience mal déguisée que son tour soit arrivé, et alors entame son histoire sans répondre à l’autre, en aucune manière (il en est ainsi de tous les lieux observés par Louis).

Le bon ton qui là comme dans un salon élégant part du même principe[26] consiste au café de Foy à écouter l’autre avec une apparence d’intérêt, à sourire aux parties comiques de ses contes, et en parlant de soi à n’avoir pas l’air hagard et inquiet de l’intérêt personnel. Air que Meunier à Marseille avait tant de peine à cacher sous ses minauderies patelines, et qui paraissaient à nu chez certains courtiers provençaux qui venaient nous voir. (M. Garnier faisant dans les sucres.)

Cet intérêt personnel trop nu, dans quelques couples de parleurs du café de Foy, leur donne l’air de deux ennemis, rapprochés par force, pour discuter leurs intérêts.

Dans la bonne compagnie, ce n’est pas du fond de l’histoire, mais de la manière de la conter, que celui qui parle attend une bonne récolte de jouissances de vanité. Aussi choisit-on l’histoire aussi indifférente que possible à qui parle.

Volney raconte[27] que les Français, cultivateurs aux États-Unis, sont fort peu satisfaits de leur position isolée et disent sans cesse : « C’est un pays perdu, on ne sait avec qui faire la conversation », au contraire des colons d’origine allemande ou anglaise.

Je croirais que cette bienheureuse conversation, remède à l’ennui français, n’excite pas assez le sentiment pour soulager la mélancolie italienne.

C’est d’après les habitudes, filles de cette manière de chercher le bonheur, que M. Widemann, qu’on me cita à Milan comme un des hommes les plus aimables d’Italie, les plus roués, nous faisait de la musique à tous bouts de champ chez la comtesse Simonetta.

La nature a fait le Français vif et non pas gai. Exemple Alexandre Mallein. Et l’Italien mélancolique et tendre. Exemple Cimbat dont son rang et sa fortune auraient dû faire un ci-devant jeune homme et non pas un artiste[28].


Sur le ton que portent dans la discussion MM. Crozet, Paul et Chinese[29].

Le vicomte est remarquable par le bon ton. Ses pensées ne valent peut-être pas celles de Louis ou de M. Myself, mais ceux-ci gagneraient beaucoup en amabilité s’ils pouvaient prendre l’habitude d’exprimer les leurs comme lui[30]. On retrouve chez ces deux derniers quelques légères nuances des peines qu’ils se sont données pour acquérir ces idées excellentes. Ils ont encore quelquefois une légère teinte de pédanterie. M. Myself a quelquefois la brusquerie d’un homme qui sait l’algèbre, répondant à quelqu’un qui lui porte des objections sur la théorie de l’addition.


CHAPITRE 15

Sur le comique romantique[31]



Sur la nécessité de quelque chose d’aérien et de romantique dans le comique : idée indiquée par Schlegel, mais avec l’obscurité et le vague qui sont de coutume chez un écrivain allemand.

Le 17 décembre, je suis chassé des Variétés où l’on venait de donner : Tout pour l’enseigne et les Chevilles de maître Adam par le sec et la vraie vue du mauvais côté. Le rôle du pauvre barbouilleur Crouton me fait l’effet de ces pauvres chiens barbets crottés que je rencontre dans les rues s’en allant chez eux ; ou plutôt les excellents gestes de détresse que fait Potier me donnent une tristesse sèche que rien ne peut vaincre que l’oubli. J’étais très gai, très sensible, pensant avec fire to the… Schlegel, plein de vivacité. Le malheur de ce pauvre diable, son peu d’énergie pour repousser les injures (peu d’énergie qui vient de l’expérience), m’attristent si fort, me tournent tellement à l’attendrissement, sur le sort général de l’humanité, que quoiqu’on allât donner la pièce à la mode le : Sérail en goguette, où Potier a un bon rôle, j’ai été obligé de sortir malgré ma raison, et je suis venu lire cette plate rapsodie nommée Biographie universelle.

Quelque chose d’aérien, de fantastique dans le comique, quelque chose qui donne des sensations analogues à celles que produit la musique.

Geoffroy dans son bon feuilleton du 16 décembre 1813, sur l’Étourdi, dit, en lui comparant les Folies amoureuses :

« Je ne sais laquelle des deux pièces est la plus folle : celle de Regnard n’est pas d’un comique meilleur que celui de l’Étourdi. Ce n’est qu’un tissu d’extravagances, mais la prodigieuse gaîté du dialogue fait tout passer.

« Regnard est un bel esprit ivre. »

C’est cette dernière raison qui me fait plaisir[32]. Pour que ce genre de gaîté me plaise il ne faut pas que le bel esprit ivre songe à tous moments qu’il fait de jolies choses. Il ne doit penser à cela qu’une fois pour toutes, en commençant sa pièce. Je veux que l’auteur soit un homme heureux par une grande imagination qui s’amuse, qui soit dans un doux délire. Ce sont ces mots d’un comique meilleur que je critique.

Alors ce genre de gaîté détachée de la terre et de ses soucis me semble un très bon genre, méconnu par Geoffroy et par les critiques français et auquel Schlegel m’a fait penser. Bien entendu qu’il ne faut pas croire qu’en quittant le caractéristique par impuissance on tombe dans le comique romantique[33]. C’est une des choses pour lesquelles il faut le plus que l’écrivain soit né. Cela s’avoisine au genre de plaisanterie de La Fontaine. Falstaff est tout à fait dans ce genre. Il me semble que l’idée de Schlegel qu’il faut quelque chose de poétique dans la comédie n’est pas mauvaise, mais pourquoi diable, l’explique-t-il si peu ?


CHAPITRE 16



Ce qui précède bien compris, voici des maximes sur cet art.


1

L’odieux est la gangue qui se mêle au métal comique.


2

Un auteur doit distinguer soigneusement l’idée qu’il s’est faite d’un personnage de celle qu’il en a inculquée dans la tête du spectateur.

Si l’auteur ne se rappelle souvent cette vérité, l’amour-propre le fera tomber dans de lourdes erreurs.


3

PETITE COLLECTION DE PRINCIPES


1er principe : être comique, c’est se tromper dans les moyens d’atteindre son but.

2e principe : Pour le bilieux la détente du comique part plus difficilement.

Pour le passionné le comique ne paraît pas assez important.

3e principe : ........................

4e principe : La vraie gaîté française doit montrer aux écoutants qu’on n’est gai que pour leur plaire.

Je n’admets plus pour principes les 5e et 6e notés il y a deux ans.

*

[Dessiner aussi une pièce pour les personnages qui n’ont pas finesse et profondeur. Se mettre dans la tête que toutes les nuances d’un tableau de Raphaël leur échappent et qu’elles ne sont sensibles qu’aux clairs et aux grandes ombres. Mettre ces grands traits largement, mais sans qu’ils offensent les yeux connaisseurs (ce qui me semble un lieu commun).

*

28 janvier 1816. — Pédants (excellents modèles de). My two young fellows[34]. Ils ne trouvent que des plaisirs de vanité, là où nous trouvons mille plaisirs tendres. Un beau passage du Tasse ne produit d’autre effet que de rappeler un passage un peu semblable de Pétrarque. En un mot l’âme d’un pédant développé, c’est le commentaire du Tasse dans les Classici italiani. Toujours pleins d’humeur, et piqués sans naturel, sans la moindre trace de caractère.

*

29 juillet 1816. — En lisant Vivian, excellente comédie de caractère et roman, excellent dessin à la Michel-Ange, je vois le terrible défaut de la Comédie de caractère, on s’attend à ce que le personnage va faire. Dès que l’on voit attaquer une des plus fermes résolutions de Vivian, on s’attend qu’il va tomber. Comment remédier à cela ?

Peut-être qu’il n’y a pas de réponse générale et que s’il y a des remèdes, ils sont différents pour chaque cas particulier.

*

On peut se représenter la société perfectionnée du 19e siècle comme un toit couvert de tuiles à crochets. Un auteur qui ne veut pas tomber à tout moment dans le genre officiel doit garder l’anonyme. Voici ce pauvre diable, rabaissé encore dans son petit vol, par l’Université dont, je crois, il est membre. Un auteur franc est une tuile renversée en sens contraire, il nuit à la régularité du toit, et s’expose à être inquiété[35].]

*

26 mai 1813. — En avant de Bunslau (Silésie). — Voulez-vous rendre frappant pour le vulgaire le ridicule le plus fin, attirez au plus haut degré l’attention du vulgaire en donnant beaucoup de richesse et de puissance au protagoniste. Vous illuminez ainsi ses moindres qualités.

*

Consoler, c’est donner au malheureux la force de détailler sa douleur, le rendre regrettant.

*

Beaucoup de gens ne sont-ils pas tristes parce que le manque de caractère les porte à beaucoup s’occuper des difficultés de la vie.

*

La qualité de malade imaginaire ne peut guère germer que dans un cœur non sensible, et surtout sans générosité. Ex. Lady Pacé.

*

Je ne vois après une âme sensible, d’autres sources de goût raisonneur le mécanisme de la Société, suite d’échanges dans le 4e volume de Tracy ; la 8e section de l’homme ; Hobbes sur le rire ; myself sur le sourire ; la table analytique de Cabanis par Tracy ; la logique de ce dernier.

*

Du ton convenable, dans les discussions scientifiques sur la comédie :

Le ton simple et légèrement gai est le ton philosophique (c’est-à-dire le plus convenable aux discussions sur la Comédie). Un ton plus sérieux, d’une apparence plus profonde, monterait l’esprit de manière qu’il ne pourrait plus sentir les exemples donnés de gaîté, de plaisanterie, etc.


Que feriez-vous, Monsieur, du nez d’un Marguillier ?


Le ton de Collé est à peu près modèle.

M. Mys[elf] pêche contre ce principe, et en écrivant les anecdotes qui lui servent d’exemple, and in the world en les contant.

*

[14 mars 1813. — Le philosophe voit le ridicule. Par exemple l’affectation du Comte magistrat, le style magistral des Particularités sur les…… des Finances (un livre).

L’art de le rendre sensible, d’en faire rire tout le monde forme le talent du poète comique.

Dire en faisant telle remarque : « c’est ridicule », peut instruire l’auditeur, mais ne le fait pas rire. Il faut donc deux choses au Mocenigo :

1o Philosophie pour apercevoir les affectations.

2o Art de nous en faire rire.

(to see the remark made in 1000 an on Machia and Collé)[36].

*

18 mars 15. — Le Philosophe et le Comiqueur ou Machiavel et Collé.

Le philosophe dit : « J’entre au café de la belle Venezie. Il y avait au comptoir une vieille femme avare. »

Le comique écrit le dialogue suivant :

La vieille femme au comptoir. Le garçon dans l’arrière-boutique.

Un petit éclat.

la vielle femme. — Qu’est-ce qui a cassé ce verre ?

le garçon. — (après un petit silence et d’un ton de voix sournois). — Le feu.

la vielle femme (grayonnant). — C’est dix sous de perdus. Tous les jours il se casse quelque chose.

Et elle reprend la conversation avec une voisine qui lui conte qu’elle a pris médecine et la composition de cette médecine une once de casse… etc.

La voisine gémissant de son mal ; la vieille femme de son verre cassé.

Vu in nature[37].]

*
PRINCIPE DE MOSCOU
1er octobre 1813.

… En comédie on ne peut pas dessiner avec un trait noir[38], [comme on fait dans le Roman.

Dans le Roman, en traitant ce sujet, je décrirais le caractère de Saint-Bernard, par exemple, en dix lignes, mais en comédie il faudrait le faire conclure de ce qu’on voit. Car écouter un caractère de La Bruyère est froid au théâtre.

C’est-à-dire qu’on ne peut faire voir de contour que par l’opposition de deux couleurs :

A et B.

Or il faut avoir de la place pour les couleurs A et B. Comment faire rire de Vigier faisant l’important, si l’on n’a pas vu qu’il n’est mêlé dans aucune affaire importante ?]

  1. Décembre 1818. Je mets en ordre ces vérités à moi connues depuis longtemps.
  2. Ce chapitre, fruit d’une lecture de Tracy, se trouve au tome 15 de R. 5896.N. D. L. É.
     
  3. « Sur les pas de Montesquieu », incidente ajouté sur le manuscrit du tome 25 de R. 5896.
  4. En 1816, non, mais à la Cour de Louis XV avec des femmes telles que la Comtesse de la critique du Légataire, oui. (Note du ms. R. 5896, tome 25.)
  5. I see no other springs de goût-raisonneur que la 8e section de l’Homme, Hobbes sur le rire, and Myself sur le sourire, la table analytique de Cabanis par Tracy et la logique du même.

    (Cette note provient des addenda du Molière de 1812.)

  6. Ce fragment entre crochets provient des annotations manuscrites du Molière de 1812. N. D. L. É.
     
  7. Le manuscrit du tome 15 de R. 5896 donne ainsi ce paragraphe : « Il faut dans les arts avoir constamment les yeux fixés sur l’âme du spectateur, comme les canonniers ont les yeux fixés sur la butte. Ils m’estiment… » etc. Et Beyle ajoute en marge : « Bravo ! Corollaire de l’observation précédente. Vous voulez émouvoir le spectateur. Il faut connaître ses mœurs. Molière cherchait à plaire au parterre. Lee sots veulent plaire à la postérité, mot vide de sens inventé pour consoler la médiocrité. Qui peut deviner ce que sera la postérité ? » N. D. L. É.
  8. Ce fragment entre crochets provient du manuscrit du tome 15 de R. 5896. N. D. L. É.
  9. L’homme qui s’indigne voit : 1o sûreté, ou grands intérêts, 2o l’attaque de tout cela.
  10. Vous voyez comment le comique glisse sur l’homme affligé, sur l’homme passionné et même sur l’homme pensif et tendre qui se repaît de romans d’amour dont il est le héros. (Note d’un brouillon de 1816 dans R. 5896, tome 2).
  11. Ce fragment entre crochets provient du manuscrit du tome 15 de R. 5896.N. D. L. É.
     
  12. Le manuscrit du tome 15 de R. 5896 termine ici par ces mots : « Ici finit la copie de ce qui est sur Tracy, reste ce qui se trouve à la fin du 1er volume de Molière. »N. D. L. É.
     
  13. Absurdité gaie, greffée sur quelqu’un, qui s’évanouit à la réflexion… (Note du manuscrit R. 5896, tome 25.)
  14. Il est évident que les deux Chambres et les appels à l’opinion publique qui en sont la suite étranglent le bon ton d’une nation. (Note du manuscrit R. 5896, tome 25.)
  15. Parmi les notes de la main de Stendhal qui surchargent une édition de Montesquieu qui se trouve actuellement dans la bibliothèque Doucet, on peut relever celle-ci : « Résumé of all my dramatic doctrine : pour peindre un caractère d’une manière qui me plaise il faut qu’il y ait beaucoup d’incidents qui le prouvent et beaucoup de naturel dans la manière d’exposer ces incidents. » N. D. L. É.
  16. Ce fragment entre crochets provient du Molière de 1812 et du tome 25 du ms. R. 5896. N. D. L. É.
  17. Voici un système de Comédie qui me fut dit par Myself en août 1810. (Variante du ms. R. 5896, tome 25.)
  18. À la suite de ce chapitre je place ici entre crochets quelques réflexions sur les caractères et les situations comiques écrites vers 1804–1805 et qui sont égarées à la page 102 de R. 5896, tome 15.
  19. Ils prouvent également, mais le premier est plus théâtral. (Note de Stendhal ajoutée le 13 février 1816).
  20. Le manuscrit original reproduit ici tout le chapitre consacré à l’Avare de Molière, qui se trouve plus haut dans l’analyse des pièces du grand comique, page 177.
  21. Vu celà, je crois, avant d’avoir lu Grimm. (Note de R. 5896, tome 25.)
  22. Tout ce chapitre entre crochets ne se trouve que sur les pages de garde du Molière de 1812 et dans le tome 25 de R. 5896. Le titre seul et l’indication du chapitre figuraient sur le manuscrit original.N. D. L. É.
  23. Ce chapitre tout entier est extrait du manuscrit R. 5896, tome 25, de la Bibliothèque de Grenoble.

    Le manuscrit principal, celui de décembre 1813, ne renfermait que les quelques lignes suivantes :

    « Autre application des principes précédents.

    « Caractère italien et caractère français. (28 mai 1818 à Bautzen.)

    « L’Italien, peuple passionné, bilieux et mélancolique.

    « Le caractère italien est mélancolique, c’est-à-dire que leurs idées sur le bonheur… » N. D. L. É.

  24. Il y a la raison politique : 1o pays riche ; 2o pays à ennuyés.
  25. Elvezio. — Ennui d’un homme tendre toujours mêlé de regrets.
  26. Dans une société composée d’indifférents se donner réciproquement le plus de plaisir qu’il est possible.

    Je prends mes exemples dans un salon où tout le monde peut entrer.

  27. Les voisins font des visites ou en rendent ; voisiner et causer sont pour des Français un besoin d’habitude si impérieux que sur toute la frontière de Louisiane et du Canada, l’on ne saurait citer un colon de cette nation, établi hors de la portée, et de la vue d’un autre. En plusieurs endroits ayant demandé à quelle distance était le colon le plus écarté : « Il est dans le désert, me répondait-on, avec les ours, à une lieue de toute habitation, sans avoir personne avec qui causer. »
    Volney : Tableau des États-Unis.
  28. Dans leur conversation l’Allemand et l’Italien cherchent plus à faire sympathiser ; le Français à faire compter avec lui, à faire regarder celui qui parle comme un rival aimable, qu’à faire partager ses sentiments. À la première vue l’Allemand vous traite comme un ami, l’Italien comme un prince. Le Français avec la vanité sous les armes vient vous faire sentir qu’il est homme de bon ton.
  29. Paul désigne cet autre ami de Beyle : Barral ; et Chinese et Myself, Beyle lui-même. N. D. L. É.
     
  30. Le bon ton étant de paraître désabusé de tout, le bon ton du vicomte est impossible à appliquer sur les idées, la plupart d’invention, de Louis et de Dominique. Août 1816.
  31. 17 décembre 1813. (Ce chapitre est extrait des feuillets de garde du Molière de 1812. N. D. L. É.)
  32. Cela a été éclairci par la théorie du beau idéal moderne, vue le 1er novembre 1814.
  33. Les artistes égyptiens supprimaient les contours par impuissance et non pour faire du beau idéal.
  34. Mes deux jeunes hommes. Beyle écrivait une comédie qui avait pour titre Letellier ou Les Deux Hommes. N. D. L. É.
  35. Tous ces passages entre crochets se trouvent sur les pages de garde du Molière de 1812.
  36. Voir la remarque faite à Milan sur Machiavel et Collé.
  37. Ces deux fragments entre crochets ne se trouvent que sur le Molière de 1812. N. D. L. É.
     
  38. Le manuscrit original se termine sur cette remarque frappante. Ce qui est ajouté à la suite entre crochets vient des annotations du Molière de 1812. N. D. L. É.