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Mon berceau/La Bibliothèque Nationale

La bibliothèque libre.
Bellier (p. 403-407).


LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE


UN CHAMP EN PLEIN PARIS — LENTEURS
ADMINISTRATIVES — UNE AILE S. V. P.

Si vous le voulez bien, nous allons voisiner un peu aujourd’hui, une fois n’est pas coutume ; aussi bien nous n’avons qu’à traverser la rue des Petits-Champs, au Palais-Royal, au commencement de la rue Vivienne, pour nous trouver dans le deuxième arrondissement, en face de la Bibliothèque nationale.

Du reste, à tout prendre, elle n’est point le monopole du voisin, elle est plus que parisienne, car elle est bien avant tout une gloire nationale, et c’est pourquoi il est bon de rappeler de temps en temps qu’elle existe, car les pouvoirs compétents semblent l’avoir complètement oubliée depuis longues années.

Autrefois, voilà bien longtemps, un groupe de maisons particulières se trouvait adossé au célèbre établissement et formait le coin des rues Vivienne et Colbert ; la presse alors mena pendant de longs mois, que dis-je, pendant des années, une vigoureuse campagne pour obtenir la démolition d’immeubles qui étaient un danger permanent pour nos précieuses collections.

Il y avait un restaurant à trente-deux sous, du commerce, par conséquent beaucoup de fourneaux et de cheminées en pleine opération, comme disent les Canadiens, et l’on ne songeait pas sans frémir à l’incendie, au terrible incendie qui pouvait, en une belle nuit, détruire la Bibliothèque, comme il avait détruit l’Opéra.

Les bibliothèques de province, comme celle de Troyes, par exemple, s’isolaient bien, il n’était point tolérable que celle de Paris ne s’isolât pas de même.

Enfin la voix de la presse fut entendue, les immeubles furent achetés et démolis et… tout fut dit.

Oui, tout fut dit et voilà vraiment ce qui dépasse tout ce que l’imagination peut rêver ; comment, tout le monde sait que la place manque à la Bibliothèque, que les volumes étouffent, que les brochures gémissent pendant des mois avant d’être classées, que les journaux et les revues sont empilés par millions dans des greniers impraticables, que les recherches pour les érudits, les savants, les travailleurs ou simplement les curieux sont impossibles à cause de ce stage interminable, désastreux et inévitable des derniers venus et cependant on ne fait rien, on ne songe à aucune solution, on ne bouge pas plus que si la Bibliothèque nationale n’avait jamais existé, c’est un comble !

Comment, vous avez dépensé des millions pour acheter ces immeubles et pour les démolir, en vue de l’incendie, c’est entendu, mais aussi en vue de l’agrandissement, et l’on garde précieusement ce terrain si chèrement conquis, en friche, en simple friche comme une quantité négligeable d’un coin perdu de la Lozère, en vérité c’est à n’y pas croire.

C’est le cas de parodier le célèbre monologue de Leroy :

— Ce terrain ne sert à rien, enlevez-le.

— Nous ne pouvons pas.

— Bouchez-le.

— Impossible.

— Louez-le à des maraîchers ou à des éleveurs de lapins qui y planteront des carottes.

— C’est une idée, nous essayerons.

Plaisanterie à part, ce terrain vague, entouré de planches malpropres, est une honte pour le deuxième arrondissement, pour Paris, pour la France.

Il n’y a qu’une solution, elle s’impose, elle est impérieusement réclamée par tout le monde, aussi bien au Palais-Royal qu’au palais de la Bourse, c’est la construction d’une aile à l’angle des rues Colbert et Vivienne, en pendant à celle qui se trouve au coin des rues Vivienne et des Petits-Champs, à l’opposite, de l’autre côté du petit jardin de la bibliothèque qui jette si heureusement sa note gaie et vivante dans ce coin le plus fréquenté de Paris.

Mais on me dira peut-être qu’il n’y a point de fonds disponibles, que les crédits sont épuisés, qu’il faudrait que la Ville s’entende avec l’État, qu’il y a la commission des bâtiments civils, que les architectes officiels ne sont point d’accord, qu’il faudrait mettre en mouvement plusieurs départements ministériels et les concilier, etc., etc.

Tout cela est possible et je n’en ai cure et je ne veux pas le savoir.

Qu’il s’agisse de la Ville ou du Gouvernement, d’un bureau ou d’un autre, il doit y avoir quelque part un monsieur compétent et autorisé, il faut le dénicher, il doit se trouver dans un coin de fromage quelconque une initiative endormie, il faut la réveiller.

Car enfin qu’on ne s’y trompe pas, il y a quelqu’un qui est plus fort que la routine, que la léthargie bureaucratique, que la somnolence ministérielle, que la poussière des dossiers, c’est l’opinion publique ;

C’est à elle que nous nous adressons de nouveau aujourd’hui, avec la ferme conviction de mener à bien notre tâche ; la presse a obtenu la démolition des immeubles par crainte de l’incendie, la presse doit obtenir l’achèvement de notre Bibliothèque nationale, et ce n’est plus au nom seulement du premier ou du second arrondissement que nous demandons cette aile si désirée, c’est au nom de tout ce qui pense, lit ou écrit en France, au nom d’un intérêt supérieur que personne n’a le droit de méconnaître, fût-il ministre ou président du Conseil municipal de Paris.