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Mon poète, il est vrai (Leconte de Lisle, Premières poésies)

La bibliothèque libre.
Premières Poésies et Lettres intimes, Texte établi par Préface de B. Guinaudeau, Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 35-38).
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Rennes, octobre 1838.


MON POÈTE, IL EST VRAI



Mon poète, il est vrai, jamais rien ne nous sèvre
De ce lait parfumé qui nourrit notre lèvre ;
Jamais l’élan secret qui nous brûle toujours
Ne cesse d’exhaler, en limpides amours,
En fortes vérités, en nobles harmonies,
Le charme impérieux de ses voies infinies ;
Et, quels que soient les cris de ce monde moqueur,
Qui jette le dédain à tout accent du cœur,
Quel que soit son éloge ou quel que soit le blâme,
Consciencieux et forts de notre intime flamme,
Nous semons pas à pas le sourire et les fleurs,
L’hymne au juste, la crainte au méchant, et nos pleurs
En offrandes d’amour sur les âmes flétries
Versent leurs doux parfums et leurs plaintes fleuries.
Tels, mon poète, ainsi que d’un blanc lys penché,
Tombent les accents purs de votre amour caché,
Telle la douce voix de vos chastes pensées,
D’une douleur intime en secret oppressée,

S’épanche sur mon cœur qui devine tout bas
Celle que vous aimez et ne me nommez pas.



Poète, j’aime, aussi, mais d’amour idéale,
Un jeune cœur voilé d’une ombre virginale,
Et mon esprit créant un doux rêve, au hasard,
Chante son front brillant et son charmant regard.

C’était un soir d’avril aux limpides lumières,
Un soir où le soleil, harmonieusement,
Regardait, plein d’amour, l’humble toit des chaumières,
Ses rayons purs et doux tombaient du ciel dormant ;

Des parfums inconnus aux humaines poussières,
S’épanchaient des parvis du calme firmament,
Quand son œil, soulevant ses humides paupières,
Vint chercher ma pensée, oh ! si pensivement,

Plein de si pure foi, que les splendeurs dernières
Du soleil qui mourait avec enivrement,
Que les parfums du soir et ses molles lumières

S’éteignirent soudain, comme ombres éphémères,
Et que, mondes et cieux, pour mon regard aimant,
Pâlirent au rayon de ses prunelles chères.



Puis, le songe qui change et qui renaît toujours
Vient créer d’autres vers chantant d’autres amours.
J’approche doucement du sopha blanc et rose,
Où celle que je rêve, un frais matin, repose,
Et je lui dis : « Venez ; assez de long sommeil !
L’oiseau chante, l’aurore a pleuré le réveil
Du printemps, jeune roi de la jeune nature,
Et les feuilles d’avril, en laissant leur fourrure
De neige, maintenant, tout humides de pleurs,
Pour leur frais négligé n’ont choisi que des fleurs.
Oh ! venez, voulez-vous !… Mais, couvrez vos épaules ;
L’haleine de l’aurore a de fraîches paroles.
Qu’il fait beau ! Qu’il fait doux ! On dirait qu’aujourd’hui
Le matin adoré de plus de pourpre a lui,
Que le ciel est jaloux, belle, de vos louanges,
Et qu’il mêle à ses feux bien des grâces étranges.
Venez donc admirer nos monts accoutumés :
L’Orient, plein d’amour, de ses yeux enflammés
Leur tresse un diadème, et dore sur leurs pentes
Ces ruisseaux de cristal, ceintures murmurantes,
Dont les ondes, hier, jouets des aquilons,

Ont repris doucement le chemin des vallons.
Oh ! qu’il est enivrant le parfum de ces roses !…
Ces guirlandes du ciel, encor fraîches écloses,
Qui brillent de bonheur sous l’œil du jour levant,
Et font sécher leurs pleurs par les ailes du vent !
Telle, si quelque jour, l’âme nue et flétrie.
Je savais les regrets et les larmes, Marie,
Si le destin menteur prenait, ô mes amours,
Ce que je t’ai donné, l’ivresse de mes jours…
Si le dédain cruel s’abattait sur ma vie,
Et, rejetant mon cœur aux serres de l’envie,
M’exilait, morne et seul, au chemin des douleurs,
Oh ! que ta douce main daigne essuyer mes pleurs,
Que ton sein gracieux soutienne mon front pâle,
Et que je vienne aussi, ma blanche virginale,
Contempler ce beau ciel dont le printemps est roi,
Ce ciel brillant et doux, mais bien moins doux que toi !