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Monologues en prose/Le Coq-à-l’âne

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Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 71-72).


LE COQ-À-L’ÂNE


À Paris, quand on flâne, il n’y a rien d’amusant comme de saisir au vol la conversation des passants.

On n’entend ni le commencement ni la fin ; on prend les mots comme ils viennent : le hasard leur donne une tout autre valeur, et la phrase la plus simple prend des proportions étranges.

Alors, entre celui qui parle et celui qui écoute, se produit le phénomène que la grammaire française (Dieu lui pardonne !) appelle un coq-à-l’âne.

Je ne manque pas d’anecdotes pour prouver ce que j’avance ici ; mais la plupart sont de nature à ne pouvoir être dites que dans la plus grande intimité.

Si vous y tenez, je vous en conterai quelques-unes entre la poire et le fromage.

En attendant, écoutez bien celle-ci.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un gros monsieur descendait l’avenue des Champs-Élysées. Une dame obèse était pendue à son bras. (L’avenue des Champs-Élysées n’était pas assez large !)

Je marchais derrière eux, le nez en l’air, sans songer à rien, et de temps en temps la brise m’apportait des lambeaux de leurs paroles.

Or la grosse dame disait :

« Oui, mon ami, quatorze sangsues, et pas moyen de la faire revenir.

« C’est son gendre qui les posait en disant : « Allons, belle-maman, encore une ! »

« Alors le docteur, à bout de remèdes, imagina de lui appliquer je ne sais quoi sur la plante des pieds.

« La voilà qui se réveille comme par enchantement. Elle se trémousse en criant : « Vous me chatouillez… vous me chatouillez… laissez-moi donc, vous me chatouillez !… »

La grosse dame disait cela en riant très fort, et le gros monsieur faisait : Oh ! oh !… ah ! ah !… tandis que l’écho murmurait ces mots : « Vous me chatouillez !… vous me chatouillez ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En ce moment passaient deux jeunes ouvrières, fort gentilles, ma foi : une grande et une petite.

La petite dit à la grande : « Tu vois le monsieur qui est avec la grosse dame, eh bien… il paraît qu’il la chatouille ! »