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Monologues en prose/Le Nain Colibri

La bibliothèque libre.
Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 89-93).


Le Nain Colibri


Dans les longues soirées d’hiver, il arrive souvent que les familles paisibles et honnêtes, après avoir épuisé tous les jeux innocents, cherchent en vain le moyen de distraire leurs invités.

C’est le moment d’exhiber le nain Colibri.

On choisit dans la société deux jeunes gens dévoués, et on place une table devant une fenêtre à grands rideaux.

Le premier jeune homme dévoué se place devant la table, les bras dans une paire de bottes pour simuler les jambes du nain.

Le second jeune homme dévoué, caché derrière le premier, est chargé de faire les gestes.

Le nain est coiffé d’un turban et couvert d’un manteau écarlate.

De chaque côté on place un candélabre.

Un troisième personnage, armé d’une baguette, fait le barnum et récite le boniment suivant :

Mesdames et Messieurs,

Le phénomène que j’ai l’honneur de vous présenter a été découvert en Turquie, où il faisait les délices du sultan Yousouf-rataïa-ta-pouf.

Âgé de vingt-neuf ans trois mois six jours, depuis quarante ans que je le montre, il n’a pas grandi d’une ligne et ne m’a jamais donné que des sujets de satisfaction.

Il s’appelle Colibri comme son père et sa mère dont auxquels il leur ressemble comme une goutte d’eau.

Monsieur Colibri, saluez l’honorable société !

Il aurait pu être roi comme son père et sa mère, mais il a préféré être nain.

C’est sa petite taille qui a décidé sa vocation !

Cela n’empêche pas, mesdames et messieurs, que le seigneur Colibri jouit de toutes les qualités physiques de santé et mentales d’intelligence.

Non seulement il possède un excellent caractère, mais encore, grâce à l’éducation dont il m’est redevable, il parle toutes les langues connues : le français, l’italien, l’anglais, l’espagnol, le persan, le chinois, l’auvergnat, le charabia, le sourd-muet, le limousin, le gascon, et même l’argot, qui est sa langue maternelle, car sa noble famille est originaire de la Butte-aux-Cailles.

Mesdames et messieurs, le seigneur Colibri va vous chanter d’une voix mélodieuse un des airs nationaux qu’il a rapportés de Turquie, en s’accompagnant sur la guitare. Allons, monsieur Colibri, travaillez !

LE NAIN

Chafouïa, chafouïa,
Tsi, tsi, tsi, Isi,
Chafouïa, chafouïa !
Macoco, boum ! boum !
Kilchaka flemar
Barba slandachar
Boum Victor Hugo !

Maintenant, monsieur Colibri va vous faire entendre une romance où la mélancolie se confond avec une douce tristesse.

LE NAIN

Je suis la délaissée
Qui pleure nuit et jour
Celui qui m’a trompée.
C’est mon premier amour !

Ce motif est si touchant qu’il pleure.

Tenez, pauvre Colibri, séchez vos larmes avec ce mouchoir !

Le seigneur Colibri va aussi danser le pas tartare en s’accompagnant avec la guitare (tiens, ça rime !).

Allons, dansez, monsieur Colibri.

Je ferai remarquer à l’honorable assistance que les talents chorégraphiques de mon phénomène ne s’arrêtent pas là, car il exécute avec une égale souplesse :

La polka ;

La valse ;

La mazurka ;

Le pas français ;

Le pas de la grenouille en goguette ;

Le pas du homard persécuté ;

Le pas de l’araignée qui remue ;

Les ailes de pigeon ;

Le hanneton perturbateur ;

Le pas du hareng saur désossé ;

Le pas du sénateur inamovible.

Monsieur Colibri, vous avez très bien dansé.

Pour votre récompense, vous aurez un marron glacé. (Il lui présente un sac de marrons glacés.)

Vous pouvez remarquer, messieurs et mesdames, qu’il y a une lacune dans l’éducation de mon phénomène.

Je n’ai jamais pu lui apprendre à trouver sa bouche !

Nous allons terminer par quelques petits exercices dans lesquels le nain Colibri développera toute son intelligence et sa perspicacité.

Monsieur Colibri, levez la tête.

Baissez la tête.

Ouvrez la bouche.

Fermez la bouche.

Agitez la main droite.

Vous vous trompez, ce n’est pas celle-là.

Comment ! vous ne distinguez pas encore la droite de la gauche !

Le nain. — Hi, hi, hi, ho, ho, ho !

Monsieur Colibri, quelle est la personne la plus aimable de la société ?

Et la plus belle ?

Bravo, Colibri, vous avez bon goût.

Et la plus gourmande ?

Oh ! monsieur Colibri, êtes-vous bien sûr que ce soit cette demoiselle ?

Vous vous trompez sans doute !

Maintenant, mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier.

J’aime à croire que vous avez été charmés par les innombrables talents de l’illustre Colibri. S’il en est ainsi, vous reviendrez le voir, et vous en ferez part à vos amis et connaissances.