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Monologues en prose/Ma femme est élue

La bibliothèque libre.
Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 53-55).


MA FEMME EST ÉLUE !

À Coquelin cadet.


Enfin, ça y est !… ma femme est élue !

Vous n’avez pas l’air de comprendre… élue, oui, ma femme… elle est députée !

Eh bien ! je ne suis pas fâché que ce soit fini, ces élections. Quel tracas, mon Dieu, pendant huit jours !

Ah ! ça a été dur : deux ballottages ! Mais au dernier tour, ma femme a enfoncé son adversaire avec deux mille voix.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je puis me vanter d’avoir de la chance. On ne sait pas ce que c’est que d’avoir son épouse dans la politique.

D’abord nous aurons droit à la circulation gratuite sur les chemins de fer. Oui, nous pourrons aller tous les dimanches à Courbevoie pour rien !

J’aurai des entrées de faveur pour les séances ; mais je n’irai pas : le bruit me fait mal à la tête ; j’en ferai profiter mes amis… ça vous pose !

Ensuite on viendra nous offrir des pots-de-vin. Il y en a qui refusent : pas si bêtes, nous autres. Dame ! il faut bien faire bouillir la marmite.

Enfin, pendant que ma femme prononcera des discours, elle ne me fera pas de scènes. C’est toujours ça de gagné pour la tranquillité. Et quand il y aura des séances de nuit ! C’est moi qui vais m’en payer ! hé, hé ! vous croyez que je me gênerai ?… Polisson, va !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Parlons sérieusement.

Je vais commencer par donner ma démission. Plus de bureau, plus de rond de cuir, plus de grattoir, plus d’administration !

Mais je ne resterai pas oisif pour cela.

C’est moi qui ferai le marché, qui surveillerai la cuisine :

« Annette, si vous mettiez le pot-au-feu ? Vous serez en retard, ma fille… pas trop d’ail dans le gigot !… »

Je m’occuperai aussi des soins du ménage !

« Monsieur, la clef du sucre !… Monsieur, le tournebroche est cassé !… Monsieur, la couturière est en bas, elle vient pour prendre mesure… »

Est-ce que tout cela ne vaut pas mieux que de faire des additions ?

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Par exemple, je n’y serai pour personne. Vous comprenez, il y a des gens qui viennent solliciter des faveurs, des recommandations :

« … Mon ami, j’ai un neveu… Monsieur, je suis votre cousin… » Non, non, pas de faveurs pour les cousins, ma femme s’en occupera, c’est son affaire. S’il fallait protéger tout le monde, on n’en finirait plus. Il y a déjà ma belle-mère qui m’a demandé… Tiens, une idée !… si je la faisais porter aux prochaines élections, ma belle-mère ! Je me charge de soigner sa candidature ; mais plus tard… Attendons pour cela que ma femme soit sénateur.