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Mouvement des Sciences

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Mouvement des Sciences.

La science en France, aujourd’hui, se trouve presque entièrement concentrée à Paris, et l’Institut est presque le seul lieu public où il en soit question. L’immense publicité qu’ont reçue les séances de cette académie par le compte rendu hebdomadaire de ses travaux, qui, pour quelques personnes est un registre d’annonces gratuites, et l’analyse de ses séances donnée dans les divers journaux quotidiens, exercent une attraction puissante sur tous ceux qui ont besoin d’entretenir d’eux-mêmes le public ; aussi la foule des lithotriteurs, des orthopédistes et des autres médecins adonnés à des spécialités, est accourue pour participer à cette publicité et à la large curée des prix Monthyon. Quelques villes de province possèdent, à la vérité, des établissemens et des publications scientifiques, et l’on peut citer en première ligne Strasbourg, Bordeaux, Caen et Montpellier ; cependant tout ce qui s’y fait d’important revient encore à Paris comme à un centre unique. La Suisse et la Belgique, quoiqu’elles obéissent aussi en partie à la puissance attractive de Paris, ont des universités et des sociétés savantes où se produisent aussi des travaux bien dignes d’attention ; mais c’est l’Allemagne avec ses grandes universités, ses nombreuses publications et sa réunion annuelle de naturalistes, qui semble être aujourd’hui la terre classique de la science proprement dite.

Le système des sociétés savantes d’Angleterre, de ces sociétés dont chacun peut être membre, moyennant une contribution annuelle, et qu’on n’a pu importer avec un plein succès en France, où les fortunes privées sont moins considérables, ce système ne paraît pas avoir produit jusqu’à ce jour de grands résultats ; la réunion annuelle de l’association britannique qui vient d’avoir lieu est une vaste conversation entremêlée de communications souvent fort importantes, sans doute, mais qui ne sont pas toujours bien neuves. Les sociétés royales de Londres et d’Édimbourg, la société géologique et plusieurs autres, ont des réunions plus fréquentes, assez riches en communications originales, qu’elles nous font connaître dans des procès-verbaux et dans des transactions publiées avec un luxe dont la science profite.

Les travaux publiés en Suède ne sont pas sans importance, mais ils ne nous arrivent guère que par l’intermédiaire des Allemands. Les académies de Pétersbourg et de Moscou, qui comptent parmi leurs membres au moins autant d’étrangers que d’indigènes, publient leurs mémoires en diverses langues ; l’Italie, qui pourtant présente des savans fort distingués, n’a point de centre où ils puissent se grouper et ne produit que des publications insignifiantes ; les États-Unis d’Amérique, enfin, nous fournissent aussi quelques recueils scientifiques.

Ce n’est que dans cet ensemble de publications qu’on peut prendre une idée générale des progrès de la science ; malheureusement il n’existe plus aujourd’hui de recueil comme le Bulletin universel de Férussac, pour en donner régulièrement une analyse.

Sans prétendre nous-mêmes tenir lieu de ce recueil important, nous essaierons de donner chaque mois un précis clair et simple de ce qui nous aura paru le plus remarquable, en remontant, quand il sera nécessaire pour l’intelligence du sujet, à des faits antérieurement publiés, nous attachant surtout à ceux qui paraissent susceptibles de quelques applications usuelles.


Les étoiles filantes. — Depuis que M. Olmsted, aux États-Unis, a reconnu que chaque année, vers le 13 novembre, l’atmosphère terrestre est traversée par une grande quantité d’étoiles filantes, ce phénomène périodique a vivement excité l’attention des observateurs, et les étoiles filantes, auxquelles on ne songeait pas d’abord, sont devenues, pour beaucoup de gens, un sujet facile de correspondance avec l’Institut. Il fallait une explication : sont-ce donc des corps formés à l’instant de leur apparition par des élémens d’abord répandus dans l’espace à l’état de gaz ? C’est ainsi que de célèbres astronomes ont tenté d’expliquer la formation des corps célestes en général et de notre système planétaire en particulier. Les étoiles nébuleuses qui sont des endroits du ciel étoilé, rendus plus clairs par une lumière diffuse et indécise, leur ont paru être des mondes en voie de formation ; la condensation successive de ces nébulosités produira, disent-ils, comme il est arrivé pour notre monde, des planètes circulant dans des orbites concentriques, autour d’un nouveau soleil. Cette supposition montrerait assez bien comment peuvent se former les étoiles filantes et les globes de feu dans les différens points du ciel, et comment ces corps en état d’ignition par suite de leur mode de formation, se meuvent dans diverses directions. Mais pour le phénomène périodique du 12 au 13 novembre, il nous faut quelque autre chose. Sont-ce des débris de planètes, des planètes en miniature, des astéroïdes, comme on a proposé de les nommer ? Ces corps circuleraient autour du soleil, et, obéissant à l’attraction des autres corps célestes, traverseraient notre atmosphère avec une rapidité si grande, qu’ils s’échaufferaient au point de devenir lumineux. Cette deuxième supposition, qui suffirait encore pour les étoiles filantes de tous les jours, ne saurait expliquer cette nuée d’étoiles filantes que nous rencontrons tous les ans. Il a donc fallu recourir à une troisième hypothèse ; et pour la plus grande satisfaction des amateurs d’étoiles filantes, on l’a trouvée, cette raison, en imaginant autour du soleil une atmosphère toute parsemée de ces petits corps et formant une nébuleuse d’une espèce particulière. On avait bien eu besoin déjà de cette atmosphère solaire pour expliquer un phénomène connu sous le nom de lumière zodiacale, et qui consiste en une large bande lumineuse qu’on aperçoit, en certains temps, dans la direction du zodiaque au-dessus du point où le soleil vient de se coucher. Toutefois cette nébuleuse solaire qu’on avait presque oubliée est venue fort à propos s’allonger précisément vers le point de l’orbite terrestre que nous devons traverser le 12 novembre. Et voilà la cause de ces pluies d’étoiles filantes qui ont fait l’admiration des Américains aux États-Unis.

Mais les observateurs d’étoiles filantes ont promptement reconnu que ce n’est pas seulement le 13 novembre qu’on peut jouir du spectacle de ces légers phénomènes ; la nuit du 10 août a offert dans ces deux dernières années un si grand nombre d’étoiles filantes, qu’il faudra sans doute supposer pour cette époque un autre prolongement de la nébuleuse solaire ; et si, comme on peut l’espérer, d’autres belles nuits parsemées d’étoiles filantes obligent à supposer d’autres prolongemens encore, on finira par penser que nous sommes toujours dans la nébuleuse, ce qui n’éclaircira point du tout la question.

Cette année, il faut le croire, sans la malencontreuse clarté de la pleine lune, le phénomène eût répondu à l’impatience des correspondans bénévoles de l’Institut, et, au lieu d’une seule étoile filante aperçue par les astronomes de l’Observatoire, on en eût compté des centaines.

Nous devons pourtant remarquer en passant que ce phénomène si bien constaté dans notre hémisphère boréal, pour la nuit du 12 au 13 novembre, n’a point été vu l’an passé par l’astronome sir Herschell, qui se trouvait alors au cap de Bonne-Espérance, tandis qu’un observateur de l’île Maurice, dans ce même hémisphère, prétend avoir vu un grand nombre d’étoiles filantes en 1832 ; à la vérité, elles se mouvaient dans toutes les directions, sans égard pour l’hypothèse de la nébuleuse qui les obligerait à marcher toutes dans le même sens.

Il faudra encore d’autres contradictions pour amener d’autres explications, jusqu’à ce que le phénomène, après avoir occupé quelque temps le monde savant, retombe dans la classe des phénomènes qu’il ne nous est point donné d’expliquer.


Variations atmosphériques. — L’atmosphère dans laquelle nous vivons exerce sur nous presque autant d’influence que sur les végétaux ; les grands phénomènes dont elle est le siége et les vicissitudes qu’elle éprouve ont une importance si grande pour les arts, pour les travaux de l’homme, qu’on a dû chercher depuis long-temps les moyens de prévoir à l’avance ses changemens ou tout au moins de déterminer exactement son état actuel. Tel est le but de la météorologie.

Cette science était une fureur en France il y a quelques vingt ans ; partout on faisait des séries et des résumés d’observations. Il semblait qu’on dût arriver ainsi aux plus beaux résultats ; néanmoins aucune déduction un peu importante n’a été obtenue encore de cette infinité de chiffres ; bien plus, on est à peine fixé sur la marche à suivre pour ces observations ; M. Arago, depuis 1830, a cessé de publier des résumés météorologiques annuels dans ses Annales de physique, et depuis deux ou trois ans les indications de l’hygromètre de Saussure ont cessé d’être enregistrées sur les tableaux dressés chaque mois à l’Observatoire. Il faut convenir aussi que, de tous les moyens de mesurer le degré d’humidité de l’air, l’hygromètre de Saussure est peut-être le moins rigoureusement exact : le cheveu, qui en s’allongeant par l’humidité fait marcher l’aiguille de l’instrument, a peu de régularité dans les variations qu’il éprouve, et de plus il est incessamment altéré par la fumée, le brouillard et la poussière. Cependant la connaissance du degré d’humidité de l’air n’a pas moins d’importance que les indications barométriques. Chacun sait, en effet, que le vrai baromètre, indiquant seulement la pression de l’atmosphère, est souvent plus trompeur dans ses prédictions météorologiques que les prétendus baromètres en forme de capucins de carton qu’on voit sur la cheminée des gens de campagne. C’est que ceux-ci sont des hygromètres, indiquant, quoique d’une manière fort imparfaite, le degré d’humidité de l’air. Ce degré d’humidité, outre sa relation avec les autres phénomènes atmosphériques, a une grande influence sur tous les corps organisés et particulièrement sur les végétaux ; car si l’air contient trop peu d’humidité, il enlève aux plantes plus d’eau que le sol ne leur en peut fournir. On conçoit donc combien il est utile pour le physicien comme pour l’agronome de connaître au juste l’état de l’atmosphère sous ce rapport. Eh bien ! ce qu’on a fait pour la mesure des températures, quand on a pris pour point de départ ou pour zéro de l’échelle thermométrique la congélation de l’eau, on a essayé de le faire aussi pour mesurer le degré d’humidité, et l’on a pris pour terme de comparaison le point auquel commence à se déposer la rosée. L’air à cet instant contient autant d’humidité ou de vapeur d’eau qu’il en peut contenir, il est ce qu’on appelle saturé.

La quantité d’humidité nécessaire pour cette saturation varie avec la température ; il en faut plus pour l’air chaud que pour l’air froid ; mais l’air, saturé ou amené au point de rosée, agit toujours de même sur la végétation ; et l’air qui ne serait qu’à moitié saturé, fût-il plus froid ou plus chaud, dessécherait également les plantes et les objets humectés.

Les physiciens anglais qui, dans la dernière réunion de l’association britannique, se sont beaucoup occupés des diverses questions de la météorologie, et particulièrement de celle-ci, déterminent ainsi le point de rosée qu’ils inscrivent dans leurs tableaux. Ils comparent la température d’un thermomètre exposé librement à l’air avec celle d’un autre thermomètre dont la boule, entourée d’une étoffe mince, est entretenue constamment humide par un fil qui conduit, à la manière d’un siphon, l’eau d’un petit réservoir placé au-dessus. Ce dernier thermomètre se trouve naturellement refroidi par l’évaporation de l’eau : il indique, par exemple, 17 degrés, pendant que l’autre en indique 20 pour la température de l’air. Or, on sait que dans l’air parfaitement sec le thermomètre à boule humectée aurait baissé de 12 degrés ; on en peut donc conclure, au moyen d’une règle assez simple le degré de saturation et le point précis auquel se déposerait la rosée.

Dans ce cas, l’effet produit est le quart de celui que produirait l’air parfaitement sec ; par conséquent, sauf les corrections exigées pour une exactitude pareille, on pourrait dire que l’atmosphère contient les trois quarts de l’humidité nécessaire pour son entière saturation.

Cette année où les aurores boréales ont été si fréquentes, même en été, les physiciens anglais ont signalé l’apparition de nuages noirs, pendant le jour, dans la partie du ciel où se montreront des aurores boréales durant la nuit suivante. On savait déjà que l’aiguille aimantée, par l’agitation extraordinaire qu’elle éprouve, indique ces brillans phénomènes dans les lieux même où ils ne sont pas visibles ; mais cette nouvelle indication, si elle était exacte, donnerait le moyen de prévoir ce phénomène, et nous serions désormais moins exposés à ne le connaître que le lendemain de son apparition.

Une découverte dont l’influence se fera sentir dans presque toutes les parties de la physique, dans des mesures de la densité des gaz et des vapeurs, de la vitesse du son, de la thermométrie, de la hauteur des montagnes et des réfractions astronomiques, est celle que M. Rudberg, savant physicien allemand, vient d’annoncer dans les annales de Poggendorff.

Pendant plus de trente ans, on a regardé comme exacte la mesure de la dilatation de l’air et des gaz trouvée, presque en même temps, par MM. Gay-Lussac, en France, et Dalton, en Angleterre. Cette dilatation était, pour 100 degrés du thermomètre, de trois cent soixante-quinze millièmes du volume ou de la deux cent soixante-septième partie de ce volume à la température de la glace. Des calculs immenses ont été faits sur cette donnée ; maintenant si M. Rudberg a raison en prétendant que la dilatation n’est que de trois cent soixante-quatre millièmes, tout serait à refaire ; il faut espérer que les physiciens français nous démontreront que M. Rudberg s’est trompé.


Découvertes chimiques. — Les découvertes de la chimie, dans ces derniers temps, nous ont fourni bien plus de mots que de faits ; et quels mots, grand dieu ! La chloronaphtalase ! l’hydrobenzamide ! des mots aussi longs que barbares, et plus propres encore que les odeurs les plus repoussantes de la chimie à écarter les néophytes.

Il y a eu quelques faits pourtant ; l’Académie des sciences, ou du moins son rapporteur, M. Becquerel, a paru croire à la réalité d’un procédé pour la fabrication du rubis. Rien n’est plus simple : on n’a qu’à soumettre à la chaleur excessive d’un chalumeau à gaz oxigène et hydrogène de l’alumine ou même de l’alun, en y ajoutant un peu de chrome pour donner la couleur ; ce qu’on obtient ainsi a, dit-on, la composition chimique et la dureté du rubis ; quant à l’éclat de ce rubis de fraîche date, on n’en parle point ; cela rappelle les essais tentés en 1828, avec enthousiasme, pour fabriquer du diamant. Pourquoi non ? le diamant n’est-il pas du charbon pur, du carbone cristallisé ? Il n’y avait qu’à prendre une combinaison contenant du carbone, ce qui n’est point rare du tout, et susceptible d’abandonner à la longue cette substance en cristaux. On arriva bien à obtenir quelque chose, et l’on fit tant de bruit de ce quelque chose, que les joailliers durent trembler pour leur riche industrie ; mais finalement, de tous les chimistes fabricans de diamant, celui qui prétendait être arrivé le plus près du but, a jugé beaucoup plus à propos d’exploiter annuellement la mine des prix Monthyon, pour des procédés de momification, que d’établir une fabrique de carbone cristallisé en concurrence avec les mines du Brésil et de Golconde. Il est vrai de dire aussi que tout le monde n’est pas d’accord sur cette grande simplicité de composition et de fondation du diamant : tout récemment encore un célèbre physicien d’Édimbourg, sir David Brewster, a cru reconnaître, par certaines expériences d’optique, que le diamant est un produit d’origine végétale. Ce serait une sorte de résine primitivement molle comme l’ambre jaune ou succin qui passe à l’état fossile avec les arbres résineux d’où il provient, et qui souvent même, pour preuve de son origine, contient des insectes antédiluviens.

Un autre fait qui, sous certains rapports, n’aurait pas moins d’importance, c’est la fabrication artificielle, nouvellement annoncée, du principe auquel les meilleurs vins vieux doivent leur bouquet, et qu’on a nommé l’éther œnanthique, ce qui veut dire en grec fleur ou bouquet du vin. Déjà depuis quelques années on était parvenu à isoler ce principe, mais ce sera bien mieux encore, s’il est vrai qu’on puisse le fabriquer de toutes pièces Quelle bonne fortune pour les marchands de vin comme celui qui, accusé d’un délit malheureusement bien connu autrefois, d’avoir débité dans Paris du vin fabriqué seulement avec du trois-six, du sucre et de la teinture, soutenait devant le tribunal la pureté de son vin ! Le célèbre Vauquelin avait été chargé de démontrer la fraude par l’analyse chimique : « Ce ne peut être, disait-il, du vin véritable, parce qu’il ne contient pas de tartre. — Bon, reprit aussitôt le marchand de vin, j’en mettrai désormais. »

Le procédé employé dans les usines de M. d’Arlincourt, pour rendre le zinc moins altérable, mérite de fixer notre attention. Ne doit-on pas être surpris de voir que les seuls alliages employés dans les arts soient connus depuis plusieurs siècles, et que la chimie moderne, tout en reconnaissant la supériorité de ces alliages pour certains usages, n’ait pas cherché à donner à l’industrie quelque nouvel alliage plus durable que le zinc, plus solide que le plomb, moins altérable que la tôle ou que le fer-blanc, et en même temps moins cher et d’un usage moins dangereux que le cuivre ? Eh bien ! il paraît que ce problème a été résolu, du moins en partie, et qu’il l’a été par l’industrie. L’alliage de zinc, de plomb et d’étain qu’on annonce sous le nom de zinc non oxidable, résiste beaucoup mieux que le zinc pur à l’action des acides et des substances salines, suivant ce qu’a dit à l’Académie M. Dumas, membre de la commission chargée de l’examiner ; mais on ne saura qu’après des expériences long-temps prolongées, s’il peut remplacer, comme on l’annonce, le cuivre pour le doublage des navires.


M. Dumas et M. Liebig. — Jamais aucune science ne s’est prêtée plus complaisamment que la chimie aux conceptions des théoriciens ; s’il n’est plus question aujourd’hui de la transmutation des métaux, on recherche avec autant d’ardeur les lois de l’arrangement des molécules dans les corps, de la combinaison et de la transformation des substances organiques. L’introduction, dans cette science, des formules qui, désignant chaque élément par une lettre, n’ont de commun avec celles de l’algèbre que l’emploi des lettres et des chiffres, a singulièrement favorisé le goût des faiseurs de théories. Ces chimistes en effet se sont imaginé pouvoir tirer de leurs formules complaisantes des résultats aussi exacts que ceux des géomètres.

Cependant M. Dumas qui n’est pas seulement un des plus habiles théoriciens, mais à qui la science doit aussi des faits nombreux et importans, vient d’annoncer publiquement qu’il s’est associé à M. Liebig, un des plus savans chimistes de l’Allemagne, pour poser dans un traité spécial les bases et les règles de la chimie organique plus encombrée chaque jour de petits faits et de grands mots. Ces deux auteurs se sont souvent trouvés en désaccord pour leurs déductions théoriques ; on doit donc espérer que leur association aura au moins pour résultat de diminuer le nombre des théories, et, par exemple, de nous fixer sur la valeur de l’atome de carbone qui, pour M. Dumas et pour ses élèves, a été jusqu’ici moitié moindre que pour les autres chimistes français et étrangers. Nous n’osons espérer d’ailleurs trouver dans l’ouvrage des deux chimistes tout ce que M. Dumas a pompeusement annoncé dans son discours à l’Académie, lorsque, se posant comme un chimiste suprême et prêtant l’ombre de ses ailes aux jeunes gens appelés à concourir à son œuvre, il dit que la science a dévoilé les mystères de la végétation et de la vie animale, qu’elle a saisi la clé de toutes les modifications de la matière dans les animaux ou les plantes, et qu’elle a trouvé le moyen de les imiter dans ses laboratoires.

En regard de ce programme, nous citerons l’introduction dans la science d’un nouveau mot créé par le célèbre Berzelius, de Stockholm, pour exprimer la cause de certaines réactions que l’on voit constamment se reproduire dans les mêmes circonstances sans pouvoir les expliquer. Ainsi, par exemple, l’acide sulfurique très affaibli, que l’on fait bouillir avec l’amidon, transforme cette substance en sucre sans lui enlever ou lui fournir aucun élément nouveau ; une transformation semblable s’observe dans la germination des graines farineuses, et dans beaucoup d’autres circonstances. Or, l’esprit humain est ainsi fait qu’à défaut d’une raison, qu’il ne peut trouver, il se contente d’un mot ; c’est le virtus dormitiva, c’est la réponse d’Orgon à cette question : Pourquoi l’opium fait-il dormir ?

Voilà pourtant ce qu’a inventé M. Berzelius ; sa force catalytique est cette force inconnue qui détermine des effets inexplicables.

Long-temps encore et toujours peut-être, nous le craignons bien, il faudra se contenter dans la chimie organique de constater des effets produits, à moins qu’on n’aime mieux donner des mots pour des raisons.


Révolutions du globe. — La géologie, qui promet de nous révéler l’histoire entière de la formation du globe, semblait devoir bientôt atteindre à la hauteur de l’astronomie, sa sœur aînée, tant elle avait grandi rapidement depuis un quart de siècle ; mais voilà qu’elle s’est rabattue presque partout à la description technique des accidens locaux et des superpositions de roches, ou, tout au plus, à leur coordination suivant des dénominations nouvelles, inventées à propos pour donner une teinte d’actualité à la science, et pour rendre promptement arriérés les travaux qui datent seulement de quelques années.

En France, la discussion qui semblait devoir être si belle sur la question des soulèvemens, soit qu’on eût en vue l’origine successive des grandes chaînes de montagnes, soit que l’on considérât seulement les volcans plus ou moins anciens, et ceux même qui se sont formés de nos jours, comme cette fameuse île Julia, la discussion, disons-nous, s’est confinée sur un tout petit coin de terre : il s’agissait de savoir si un banc de calcaire compacte, d’origine lacustre, exploité à Château-Landon, est ou n’est pas d’une formation plus récente que les grès de Fontainebleau. Cette localité, depuis quinze ans, a été observée soigneusement par plus de vingt géologues distingués. La question semblerait devoir être résolue tout d’abord : eh bien ! M. Prévost et M. Élie de Beaumont sont sortis de cette sorte de champ clos, remportant chacun son opinion tout entière, de sorte que l’on devrait marquer d’une balise ce maudit calcaire de Château-Landon pour en éloigner désormais les géologues.

Cependant on recherche avidement en Amérique et en Europe les preuves d’un soulèvement ou d’un abaissement graduel du sol, preuves que l’on trouve aujourd’hui si évidentes aux bords de la mer Baltique, et qui doivent introduire assurément de nouveaux élémens dans l’étude du décroissement des températures locales.

On a récemment signalé dans la péninsule Scandinave un phénomène géologique d’où l’on pourra tirer des conséquences très importantes, s’il vient à être constaté dans d’autres localités. M. Sefstroem, directeur des mines de Fahlun en Dalécarlie, le même qui naguère découvrit le dernier corps simple de la chimie, qu’il nomma vanadium, ayant observé que toutes les sommités des roches primitives, quand elles sont découvertes ou déblayées, se montrent arrondies d’un seul côté, polies et creusées de rainures dirigées dans le même sens, a supposé que c’était le résultat d’un immense courant antédiluvien, dont la profondeur aurait été au moins de quinze cents pieds, à en juger par l’élévation des points sur lesquels il a exercé son action. Les blocs de pierre, entraînés par un courant si puissant, auraient, en s’arrondissant eux-mêmes, usé les roches sur lesquelles ils glissaient rapidement ; une partie de ces blocs se trouve encore en amas considérables dans toute la Suède, où ils sont restés déposés de l’autre côté des mêmes montagnes, qui faisaient obstacle au courant ; les autres, entraînés à des distances plus considérables par le courant qui venait du nord-nord-est, sont épars dans les plaines du nord de l’Allemagne ; c’est ce qu’on nomme les blocs erratiques.

On peut bien penser que de tels courans ont dû jouer un grand rôle dans les dernières révolutions de la surface du globe ; cependant M. Agassiz de Neuchâtel, qui s’est fait un nom par ses belles recherches sur les poissons fossiles, propose d’expliquer d’une autre manière le poli que présente, en quelques endroits, la surface des roches. Il a reconnu dans les Alpes que les blocs de pierre poussés par le pied des glaciers, et qui forment ces larges amas nommés des moraines, agissant concurremment avec la glace, ont poli complètement les roches sur lesquelles ils s’appuient : conséquemment il veut attribuer à des glaciers qui ont cessé d’exister depuis long-temps les surfaces polies qu’on observe sur tout le revers méridional du Jura, en face des Alpes, et il regarde les blocs erratiques qui reposent sur ces surfaces, comme des restes d’anciennes moraines ; il suppose même que les phénomènes observés en Suède ont la même origine. Assurément il n’est pas impossible d’admettre que primitivement le Jura, avant d’être fixé à son niveau actuel par suite des dernières révolutions du globe, ait été soulevé beaucoup plus haut. Les glaciers alors auraient pu reposer au-dessus des couches humides et nuageuses de l’atmosphère à laquelle la terre devait sa température, presque partout uniforme ; mais on doit marcher avec beaucoup de précaution dans cette voie d’explication pour éviter de retomber dans les anciens rêves, qui jadis avaient jeté un si grand discrédit sur la géologie.


Animaux antédiluviens. — La découverte inattendue d’une mâchoire fossile de singe, trouvée par M. Lartet dans les terrains tertiaires des environs d’Auch, avait fait évènement dans la paléontologie. Cuvier avait plusieurs fois répété qu’on ne connaissait aucun fossile de quadrumane ; c’était un argument en faveur de l’opinion des créations successives ; il semblait en même temps que cette considération devait ne laisser aucun espoir de trouver des fossiles humains. Mais cette mâchoire de singe, examinée par M. de Blainville, se trouva provenir précisément d’un des genres qui se rapprochent le plus de l’espèce humaine, d’un gibbon, dont les congénères ne se trouvent aujourd’hui que dans les îles de la Sonde ; ce fut, pour M. de Blainville, l’occasion d’examiner la distribution géographique des singes, et ce savant se trouva conduit à nier formellement l’existence de ces animaux à l’état sauvage sur les rochers de Gibraltar ; M. Geoffroy-Saint-Hilaire releva cette assertion, et prétendit que la question de la distribution géographique devait disparaître devant la considération plus importante de l’influence du milieu ambiant ; c’est ainsi qu’en opposition avec le principe de l’immutabilité des espèces professé par Cuvier, il nomme le principe d’après lequel il prétend que les espèces existant primitivement à la surface du globe ont été successivement modifiées, à mesure que la température, l’état de l’atmosphère et les autres circonstances ont changé. Toutefois la question incidente de l’existence à Gibraltar des singes avec ou sans queue se trouva longuement débattue, et, en attendant que les naturalistes puissent se prononcer en connaissance de cause sur un de ces animaux pris ou tué dans cette localité, plusieurs voyageurs sont venus attester qu’ils en avaient vu des bandes nombreuses, et qu’ils avaient été témoins de leurs espiègleries.

D’autres ossemens fossiles très intéressans, trouvés aux environs d’Auch, ont été envoyés plus récemment au Jardin-des-Plantes par M. Lartet qui, dans sa lettre d’envoi, faisait des remarques importantes sur la nature des animaux dont ils provenaient. M. de Blainville, dans son rapport, signala, entre autres choses curieuses, des carnassiers phocéens, c’est ainsi qu’il nomme les phoques, et chercha à contredire M. Lartet dans ses inductions, sans songer qu’il s’exposait grandement lui-même à être contredit, pour avoir prétendu que tous les cerfs doivent déposer chaque année leur bois, tandis que le contraire a été observé dans les contrées intertropicales, où la variation des saisons est bien moins sensible que dans nos climats.

Les zoologistes transcendans. — Les observations de M. Lartet, concordant avec les idées antérieures de M. Geoffroy-Saint-Hilaire, sont devenues la cause indirecte d’une discussion qui a eu, pour résultat, d’éloigner des séances de l’Institut ce dernier naturaliste qui, avant de se livrer tout entier à ses études philosophiques d’aujourd’hui, avait rendu de nombreux et d’incontestables services à la zoologie ; mais on doit espérer que ses adieux à l’Académie ne sont pas irrévocables.

Des remarques faites en passant dans son mémoire, sur la manière dont George Cuvier avait contribué à mettre d’accord les théologiens avec les géologues, amenèrent une réplique passablement acerbe de M. Frédéric Cuvier, qui avait cru, mal à propos, la mémoire de son frère attaquée.

M. Geoffroy, si fier du principe de l’unité de composition, que depuis long-temps il regarde comme un fait parvenu au plus haut degré d’évidence et comme digne d’entrer en ligne avec le principe de la gravitation universelle ; M. Geoffroy qui, conséquemment se fait proclamer le Newton, le Kepler de la France, dans un dictionnaire pittoresque, s’est figuré à tort qu’il n’avait pas toute la liberté nécessaire pour répondre ; et mécontent des entraves que lui opposait le réglement de l’Académie, il s’est trouvé, dit-il, forcé par des meurtrissures trop nombreuses et trop incisives de renoncer à ses études de paléontologie. C’est ainsi qu’il s’exprime dans une brochure adressée à ses confrères, en annonçant qu’il va désormais reprendre ses études de la loi d’attraction de soi pour soi ; loi que personne assurément ne comprend aujourd’hui. Il accuse en même temps l’un des consuls de l’Académie, demeuré seul en l’absence de l’autre consul, d’avoir usé trop largement à son égard de sa position de maître absolu, et pourtant, si consul il y a, M. Flourens est bien le plus accommodant et le plus pacifique des consuls. Enfin, dans la brochure que nous venons de citer, M. Geoffroy se plaint encore de ce que l’Académie a refusé de lui payer les frais d’un voyage à Oxford qu’il voulait faire pour trouver la confirmation d’une de ses idées. Cette confirmation toutefois lui a été fournie par le squelette d’un crocodile fossile découvert auprès de Caen par M. Deslongchamps qui, à ses propres frais et avec une admirable patience, a su en réunir les débris déjà en partie dispersés avec les blocs de pierre dans lesquels ils étaient engagés.

M. Deslongchamps, dans un fort beau mémoire qu’il a publié, sans juger à propos de le soumettre préalablement à l’Institut, a donné à ce grand lézard antédiluvien le nom de Pœkilopleuron, pour indiquer les diverses sortes de côtes dont il était pourvu. Cet animal, en effet, avait le long du ventre une réunion d’os analogues à ceux qui entourent les organes respiratoires dans la poitrine, de sorte qu’il paraît avoir dû posséder un double système respiratoire.

Un autre académicien, non moins adonné que M. Geoffroy aux spéculations de zoologie transcendante, M. Serres, vient d’annoncer que tous les naturalistes, jusqu’à ce jour, se sont mépris dans la comparaison qu’ils ont voulu faire des organes des mollusques avec ceux des animaux vertébrés ; car, suivant lui, les mollusques, tels que les limaçons, les huîtres et les diverses coquilles marines, représentent l’état embryonaire des animaux vertébrés ; ce sont des embryons permanens. Il ajoute « que leur nature, de même que leur formation et leur développement, sont des déductions rigoureuses ou des corollaires de la loi centripète des développemens organiques. » Nous craindrions de n’être pas compris si nous voulions le suivre dans ses nombreuses déductions théoriques ; nous ferons observer seulement que si la loi centripète, dont M. Serres est l’inventeur, et qui exprime simplement que dans certains cas des organes d’abord multiples ou divisés paraissent se centraliser, ou, plus exactement, se rapprocher d’un centre à mesure que le développement avance, que si cette loi est confirmée par des faits nombreux, elle est contredite aussi par des faits non moins nombreux, notamment dans le développement et les métamorphoses des insectes.


Les zoologistes classificateurs. — M. Jourdan, que sa position de directeur du musée d’histoire naturelle de Lyon a mis à même de réunir et d’acheter aux frais de la ville, un grand nombre de mammifères curieux, en a profité pour inonder la science de nouvelles dénominations génériques. Un de ses derniers mémoires sur deux mammifères carnassiers, dont il fait les genres amblyodon et hémigale, lesquels paraissent devoir rester dans le genre paradoxure, quoique l’un se rapproche des ratons et l’autre des genettes, a été l’objet d’un rapport de M. de Blainville, qui conclut dans le même sens que nous. Dans ce rapport, M. de Blainville fait observer avec raison que le but des divisions systématiques dans la science étant d’aider l’esprit à distinguer les êtres innombrables de la création, on doit, en même temps qu’on établit un assez grand nombre de divisions principales, éviter de créer une multitude de sous-divisions qui ne serviraient qu’à ramener le désordre et la confusion là où on voulait précisément l’éviter. Nous avons entendu avec un grand plaisir M. de Blainville s’exprimer ainsi dans l’instant où la nomenclature envahit toute l’histoire naturelle, et lorsque, par exemple, entre vingt entomologistes, on trouve à peine un naturaliste véritable. On parle d’un grand ouvrage que le savant professeur doit publier bientôt sous le titre de Système du règne animal. Ce sera une œuvre de judicieuse critique en même temps que d’observation directe, si nous en jugeons par l’esprit dans lequel sont conçus les rapports qu’il lit souvent à l’Institut, et par le désir qu’il doit éprouver d’asseoir sa réputation sur une base plus stable que des mémoires épars et des ouvrages incomplets ou faits à la hâte.

M. Geoffroy-Saint-Hilaire fils a créé récemment aussi de nouveaux genres de mammifères : nous les supposons volontiers plus solidement établis que ceux de M. Jourdan, quoiqu’ils n’aient pu l’être que d’après l’étude des animaux empaillés, qui est loin de fournir tous les renseignemens dont on aurait besoin. Il a fait connaître des observations nouvelles sur un animal de l’Afrique australe, voisin des hyènes par sa forme, quoique plus petit, et qu’il avait décrit, en 1824, sous le nom de protèle. Cet animal, caratérisé par ses dents molaires, tout-à-fait simples, se nourrit surtout, dit-il, des queues si lourdes et si grasses que portent les moutons d’Afrique, et que l’on est quelquefois forcé de soutenir dans un petit charriot.


La pyrale et l’Académie. — Une commission nommée par l’Institut, sur la demande des propriétaires et cultivateurs de vignes, à Argenteuil, tout près de Paris, était allée constater le dommage causé par la pyrale, mais n’avait pu y apporter aucun remède efficace ; M. Duméril, qui l’avouait dans son rapport, se hasardait pourtant « à conseiller de frotter, avec un linge rude, le pied des ceps de vigne, pendant la gelée, et à les barbouiller aussitôt avec une eau chargée de chaux, » pour détruire les petites chenilles qui restent alors engourdies entre les fibres de l’écorce. Il rappelait les observations faites anciennement, sans plus de résultat, et citait un mémoire de Bosc qui se termine ainsi : « Les multiplications extraordinaires des insectes ne sont pas de longue durée, et cela doit donner aux habitans d’Argenteuil l’espoir d’être dédommagés l’année prochaine. »

M. Audouin qui, depuis quelque temps, en vue sans doute d’un fauteuil académique, a porté toutes ses idées sur l’application de l’histoire naturelle des insectes à l’agriculture, s’est fait envoyer par le ministre pour lutter contre le même fléau qui a dévasté, cette année, les vignobles du Mâconnais. Or, la pyrale est tout simplement un petit papillon qui, à l’état de chenille, a vécu aux dépens des jeunes pousses et des feuilles de la vigne. Ses dégâts ne se font voir que quand il s’est multiplié extraordinairement ; on conçoit parfaitement qu’alors les cultivateurs désirent et demandent un préservatif contre un mal qui, s’il allait toujours croissant, les aurait bientôt ruinés ; mais le certificat savamment rédigé que les cultivateurs du Mâconnais ont récemment adressé à l’Académie, à l’appui du rapport de M. Audouin en butte aux attaques d’un adversaire jaloux, prouve sans contredit que ces cultivateurs étaient au moins capables d’inventer les procédés que M. Audouin est allé leur indiquer. Car, en définitive, à part les lampions placés dans les vignes, à vingt-cinq pas de distance, sous des cloches huilées, et auxquels on paraît devoir renoncer, il ne s’agit plus que d’aller cueillir les œufs déposés sur les feuilles.

Cette fameuse pyrale a été le sujet de trois ou quatre lectures faites d’urgence à l’Institut. Tous les journaux en ont retenti ; mais on a dû rester convaincu que l’agriculture et l’Académie des sciences n’ont pas grand’chose à démêler ensemble. Réaumur, un des plus grands naturalistes du dernier siècle, n’a pu, quoiqu’il ait parfaitement constaté les dégâts causés par beaucoup d’insectes, n’a pu, disons-nous, rendre aucun véritable service à l’agriculture, qui doit attendre bien plus d’une pratique éclairée et d’une attention de tous les instans que de la théorie la plus savante.

Ce n’est pas la première fois que des dégâts immenses ont été produits par des causes semblables ; nous citerons seulement les ravages causés, en 1735, par une grosse chenille verte, ordinairement assez commune, mais qui, dans cette année-là, s’était multipliée à l’excès. Toutes les récoltes de légumes, les trèfles, les avoines, les chanvres même, furent presque entièrement détruits dans tout le pays entre la Seine et la Loire, en Auvergne et en Bourgogne ; les plantations de tabac furent également dévastées en Alsace. La désolation était à son comble dans les campagnes. Cette multiplication prodigieuse, l’ignorance l’attribuait à des maléfices. « Dans quelques endroits, disait Réaumur, on m’a assuré avoir vu le vieux soldat qui avait jeté ce sort. Dans d’autres endroits on a vu la laide et méchante vieille qui avait opéré tout le mal. » Eh bien ! on n’alluma point de lampions sous des cloches de verre, on ne fit point la cueillette dont les Mâconnais sont enthousiasmés aujourd’hui, et, l’année suivante, il n’était plus question de chenilles vertes : tout allait au mieux.

Il ne faut pas douter que la pyrale ne disparaisse aussi des cantons dévastés cette année, car la multiplication de chaque espèce est soumise à des vicissitudes très grandes, par suite des variations atmosphériques, et parce qu’elle trouve dans d’autres espèces d’animaux destructeurs des ennemis qui concourent avec les élémens pour rétablir l’équilibre dans les productions de la nature. En 1735, on avait fait des processions contre la pyrale ; aujourd’hui, on envoie un naturaliste ; si, comme nous l’espérons, les dégâts de cet insecte sont moins considérables l’année prochaine, on ne manquera pas d’attribuer au naturaliste la cessation du fléau, comme autrefois on l’attribuait à la procession.

Dans ce débat sur la pyrale, en vérité, on serait tenté de croire que la question n’a été bien comprise que par l’auteur d’un long et plaisant projet de loi pour dresser les petits oiseaux à faire la guerre aux insectes, suivi d’un code pénal contre les chats qui sortiraient pendant le jour sans avoir les pattes garnies de mitaines.

Tout cela concourt à démontrer ce qu’on savait déjà, le peu d’utilité d’une section d’agriculture à l’Institut. Aussi, toutes les dernières élections de cette section ont-elles porté sur des physiologistes ou sur des botanistes, et la prochaine vacance y introduira sans doute un entomologiste ou un chimiste. La section d’agriculture ne contiendra plus alors que le trop plein des autres sections, et ce sera très bien, pourvu que les agriculteurs ne demandent plus désormais des recettes et des préservatifs à l’Institut. Il ne restera plus qu’à souhaiter une semblable transformation dans la section de médecine, qui paraît aujourd’hui ne servir que d’enseigne pour attirer la foule au partage des prix Monthyon et pour appeler les annonces médicales.


Les vers à soie des Chinois. — Nos lecteurs trouveront peut-être que nous les menons un peu loin à propos d’agriculture, mais ils nous sauront gré certainement de leur citer quelques procédés chinois qui prouveraient, au besoin, combien est supérieure à la théorie une longue et persévérante pratique en économie agricole. Les missionnaires seuls, jusqu’à ce jour, avaient pu nous transmettre quelques notions sur la civilisation immuable de la Chine ; sur cette civilisation de quarante siècles, murée désormais pour nous, occidentaux si mobiles, si variables, et dont les plus anciennes industries datent à peine de deux ou trois siècles. Ces renseignemens incomplets ont suffi pour prouver que la production de la soie est bien autrement perfectionnée dans cette contrée lointaine que chez nous, et pour déterminer le ministre des travaux publics à faire imprimer aux frais de l’état un résumé que M. Stanislas Julien a été chargé de faire, de tous les livres publiés en Chine sur les vers à soie et sur les mûriers.

Ce résumé, déjà traduit dans presque toutes les langues de l’Europe, nous a fait connaître des procédés dont on n’avait nulle idée, et qu’on traiterait hautement d’absurdités, si l’expérience ne venait chaque jour en constater le mérite. Ainsi, l’on vient de reconnaître en Piémont que véritablement, comme l’annonce ce livre, les vers à soie peuvent être nourris avec des feuilles de mûrier humectées et saupoudrées de farine de riz. Cette farine, qu’ils ne mangeraient point seule, ils la mangent alors avec avidité ; leur accroissement en devient plus rapide, leur conservation est plus assurée, et ils donnent un produit incomparablement plus beau. Diverses autres substances farineuses, de même que les feuilles de mûrier séchées et réduites en poudre, sont également acceptées par les vers à soie, quand on en saupoudre les feuiles fraîches et légèrement humectées.

Voilà donc, pour suppléer aux feuilles de mûrier, des moyens bien préférables à l’emploi des feuilles de scorzonère qu’on a essayé plusieurs fois de leur substituer.

Il faut signaler aussi, comme déjà vérifié par l’expérience, le procédé employé par les Chinois pour faire mourir les chrysalides dans leurs coques, sans les exposer à la chaleur du soleil, ou d’un four, ou de la vapeur qui altère plus ou moins la soie : il leur suffit, pour cela, d’enfermer dans des vases bien clos les cocons avec des paquets de sel desséché qui, absorbant l’humidité nécessaire à l’existence des chrysalides, les font périr et les transforment en véritables momies.

Beaucoup d’autres indications, puisées dans leurs livres, prouveront sans doute que des procédés soumis par les Chinois à l’épreuve d’une si longue pratique, ne sont pas plus à dédaigner que leur moyen de creuser des puits artésiens. Aujourd’hui que les innombrables livres chinois commencent à être moins rares en Europe, on doit donc désirer que des hommes laborieux se dévouent à l’exploitation d’une mine si féconde. Nos sciences et surtout notre industrie s’enrichiraient ainsi des procédés de ce peuple, qui, s’il n’a pas l’esprit inventif, sait au moins conserver, en les perfectionnant, les découvertes qu’il a une fois faites, et se trouve ainsi véritablement riche de tout ce que lui ont légué deux cents générations qui se sont succédées sur le même sol.


F. D.