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Naissance, vie et mort des maladies infectieuses/Chapitre III

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CHAPITRE III

MORT DES MALADIES INFECTIEUSES

Les pages précédentes ont convaincu le lecteur des difficultés que nous éprouvons à nous représenter comment sont nées les maladies infectieuses. Si séduisantes que nous apparaissent les conceptions auxquelles il est logique de se rattacher, il faut bien convenir de leur fragilité et de leur caractère provisoire. Si nos connaissances des faits passés offrent une telle précarité, combien moins solides encore doivent être celles que nous projetons sur l’avenir.

Nous avons vu que certaines maladies infectieuses sont aussi vieilles que l’histoire et que, si nous étions incapables de savoir quand la plupart ont commencé, il était permis d’admettre que certaines n’étaient apparues que dans des temps relativement récents.

Ces maladies existeront-elles toujours ? S’il en naît d’inédites, comme il est logique de le supposer, vont-elles s’ajouter aux autres ou bien le nombre des maladies se réduira-t-il par suite de la disparition, de la mort de certaines ?

Nous allons tenter de demander sur ces points des éclaircissements aux documents historiques et à l’expérimentation, ainsi que nous l’avons fait pour la naissance des maladies infectieuses.

Il nous faut toutefois remarquer que la naissance et la mort des maladies ne sont pas des phénomènes qui puissent se dérouler d’une même manière. La naissance d’une maladie constitue un fait ou une suite de faits particuliers : un fait si la virulence se montre brusquement à la manière d’une mutation, une chaîne de faits si la maladie ne se crée que par suite des essais successifs d’un agent vivant et de sa lignée. De toutes façons, on conçoit que ces tentatives puissent être enrayées et la chaîne rompue par la cause la plus minime, une lacune, une interruption dans les conditions favorables. Nous avons répété à satiété que l’insuccès, dans les œuvres de la nature, était la règle et la réussite l’exception, une infime exception.

Lorsque la maladie infectieuse est établie, la petite tribu d’agents pathogènes, primitivement attachée (et avec quelle instabilité) à un groupe limité d’individus est devenue un peuple immense qui, sans cesse, trouve devant lui des êtres sensibles chez lesquels il se multiplie. Une maladie infectieuse ne saurait donc s’arrêter, une fois développée, comme elle s’arrête fréquemment d’elle-même au moment incertain de sa naissance. Il ne suffit plus que la cause qui amène la rupture de la chaîne agisse sur un certain nombre de germes ; il faudrait qu’elle agit sur tous les germes de la maladie et sensiblement au même moment. Le génie d’adaptation est tel chez ces infiniment petits que ceux qui ne seraient pas atteints par la force destructive pourraient, par une modification de leurs aptitudes, de leurs moyens d’attaque, ruser en quelque sorte avec l’adversaire et reprendre la lutte compromise sous des formes nouvelles.

Il faudrait donc, pour qu’une maladie infectieuse disparût que la cause qui interviendrait frappât l’ensemble de ses agents pathogènes et non quelques-uns. Avons-nous des raisons de penser que cet événement a pu se produire déjà ou qu’il puisse un jour se produire ?

LES DONNÉES HISTORIQUES ET LES DONNÉES DES OBSERVATIONS PRÉSENTES

Autant que dans la recherche de l’origine des maladies, le témoignage de l’histoire ne saurait nous donner la solution du problème. Cependant, si nous considérons le présent comme le plus récent passé, l’observation de la manière d’être actuelle de certaines maladies, rapproché de l’enseignement des faits qu’on peut retenir des archives médicales, ne nous fournira pas d’un secours négligeable. Après que nous aurons éprouvé la valeur des autres procédés d’investigation, ce seront peut-être, en définitive, ces faits d’observation comparée qui nous éclaireront le mieux sur l’avenir des maladies infectieuses, abandonnées à elles-mêmes. Le reste est entreprise des hommes.

Pour les raisons déjà exposées : incompétence des premiers observateurs, date toute récente de l’acquisition des connaissances les plus indispensables à l’étude du problème, il nous faut convenir que nul document historique ne nous permet d’affirmer qu’une maladie infectieuse (humaine ou animale) ait jamais disparu.

Tout ce que les observations, pratiquées depuis que la médecine est une science, nous montrent de moins obscur, c’est que les maladies infectieuses, se modifient avec le temps, qu’elles évoluent. Nous le savions déjà pour ce que nous en avons dit en traitant de la vie des maladies. Qui dit vie dit évolution. Donnons quelques exemples de transformations observées :

La pneumonie est une ancienne connaissance à nous. Elle a été, depuis longtemps, excellemment observée et décrite dans sa forme classique, dite franche parce que les symptômes en sont bien apparents, tranchés, lobulaire parce qu’elle frappe, dans ce cas, un lobe tout entier d’un poumon, fibrineuse parce que le lobe atteint est compact, imbibé de la fibrine du sang (fibrineuse aussi est l’expectoration caractéristique). On reconnaît le tableau de la pneumonie classique dans de très anciens auteurs, pour ne pas remonter trop loin dans les écrits du xviie siècle ; Grisolle, au milieu du xixe, nous a laissé une description qui, tant pour les qualités de l’observateur et de l’écrivain que pour la netteté des symptômes observés est un chef-d’œuvre. Or, nous l’avons dit déjà et nous devons le répéter en cette place, cette pneumonie classique devient de plus en plus rare. On la rencontre bien encore chez l’enfant, chez l’adolescent ; aux autres âges de la vie, ce n’est plus d’ordinaire la maladie de Grisolle. Le pneumocoque tend de plus en plus aujourd’hui, semble-t-il, à déterminer dans le poumon la production de petits foyers (au lieu d’un gros bloc) qui se succèdent (alors que, dans la pneumonie classique, tout le bloc évolue à la fois) ; d’autre part, le microbe paraît se localiser plus fréquemment sur les séreuses pour y déterminer des abcès (pleurésies, péricardites, méningites purulentes). Ce changement d’allure du pneumocoque n’indique nullement que l’évolution se fasse dans le sens d’une diminution de la gravité des manifestations qu’il détermine. Il semble que ces manifestations aient de moins en moins le caractère d’une infection générale et que le pneumocoque, comme nous l’avons dit, tende à produire des lésions localisées. Une localisation fâcheuse, au péricarde par exemple, offre une gravité infiniment plus forte, du fait de son siège, que ne le serait une atteinte aiguë à plus grand éclat (fièvre élevée, abattement, etc.).

Si récente qu’elle nous apparaisse, la fièvre méditerranéenne, nous l’avons dit, évolue déjà, du type de maladie générale qu’elle était et qu’elle est d’ordinaire encore, vers les localisations osseuses et articulaires.

Depuis son importation en Europe, la syphilis a beaucoup changé. Elle déroule ses symptômes moins vite, occasionne moins de lésions mutilantes de la face, des muqueuses, donne de moins belles éruptions ; par contre, elle détermine plus souvent à longue échéance des lésions nerveuses très graves (paralysie générale, ataxie). On attribue ce changement à l’action du mercure qui ne modifie pas seulement la maladie chez l’individu, mais agit aussi sur le microbe. Un européen qui s’infecte dans un pays où la population indigène se soigne mal prend souvent une syphilis mutilante, plus voisine de la syphilis de la Renaissance, voisine de celle que présentent les indigènes eux-mêmes. Déjà, depuis qu’on utilise, pour le traitement de la syphilis, les dérivés de l’arsenic et du bismuth, on a noté des modifications de virulence du tréponème. Lorsque le traitement ne donne pas la guérison radicale, il serait difficile de dire si son action a été favorable. Il vaut mieux porter toute sa vie des cicatrices disgracieuses qu’être atteint un jour d’ataxie ou de paralysie générale.

C’est un fait indiscutable d’observation que le typhus exanthématique, lorsqu’il sévit de façon endémique dans un pays, y est moins grave pour la population autochtone que pour les individus immigrés. Il en était de même autrefois dans les pays de l’Europe occidentale, en particulier en France où le typhus sévissait depuis des siècles sous le nom de pourpre. Sa gravité d’ordinaire n’y était pas très grande. Les progrès de la civilisation, une propreté individuelle et sociale meilleure ont fait disparaître de chez nous cette maladie depuis plus d’un siècle, sans qu’on se soit douté que sa disparition suivait celle du pou. Lorsqu’un français contracte le typhus en pays étranger, il le prend, à présent, sous une forme sévère, souvent fatale s’il est adulte. Le typhus montre donc une tendance à diminuer de gravité sur les populations qu’il frappe régulièrement de pères en fils. Cependant sa virulence n’est pas abaissée pour l’espèce humaine puisque les races qui ont perdu le contact avec le typhus s’y montrent d’une sensibilité extrême. De cette double observation, il semble bien ressortir que, si le typhus avait continué de frapper l’espèce humaine toute entière, il se serait de lui-même, par tous les pays, atténué. L’existence de la forme inapparente comme maladie de récidive, chez lez gens qui ont subi une atteinte ancienne, indique par quelle étape le typhus aurait passé avant de disparaître du globe.

La fièvre jaune semble se comporter de la même façon que le typhus vis-à-vis des races qui habitent depuis longtemps les régions qu’elle frappe, en particulier vis-à-vis des nègres. Ne pouvant s’étendre sur toutes les régions du globe, en raison des conditions de température nécessaires à l’évolution de son agent pathogène chez le moustique qui le transmet (ce moustique présente une aire de dispersion très vaste), elle aurait donc une tendance naturelle plus grande à s’effacer que le typhus. Le typhus, en effet, peut se rencontrer dans les climats les plus froids puisque le pou, chez lequel son agent pathogène cultive, trouve, sous toutes les latitudes, les températures nécessaires à son évolution, grâce à la chaleur du corps de l’homme qui l’héberge. Dans les climats particulièrement rigoureux, le typhus montre une prédilection saisonnière pour l’hiver, le port des vêtements dont l’homme inculte ne se sépare point offrant les plus grandes commodités à la pullulation des parasites.

Retenons de ces faits leur signification générale qui est grande. Si nous nous plaçons au point de vue immédiatement pratique, nous avons plus à espérer, dans la lutte actuelle contre les maladies infectieuses, des méthodes dont notre intelligence nous arme que de l’attente philosophique du moment où l’universalité du mal et sa succession au travers des siècles amèneront peut-être sa disparition insensible.

L’ENSEIGNEMENT DES MÉTHODES EXPÉRIMENTALES

Les méthodes de laboratoire ne nous donneront pas, sur les modes possibles de disparition des maladies infectieuses, des indications aussi précieuses que celles dont elles nous ont fourni pour expliquer leur naissance.

Elles montrent seulement qu’il nous est possible d’obtenir artificiellement l’affaiblissement, même la suppression du pouvoir pathogène d’un agent infectieux et, comme conséquence, que nous pouvons, par l’utilisation des germes affaiblis, rendre assez résistantes les espèces animales sensibles pour qu’elles ne contractent pas la maladie naturelle ou bien échappent aux plus dangereux de ses efforts.

L’expérimentation nous permet donc d’agir sur le microbe et sur le sujet sensible.

1o Atténuation et suppression expérimentales de la virulence d’un agent pathogène

L’atténuation, la suppression même du pouvoir pathogène des virus a parfois été obtenue et appliquée empiriquement avant les travaux de Pasteur sur la vaccination du charbon. Ce n’est cependant que depuis ces travaux qu’on peut parler clairement d’atténuation ou de suppression de la virulence.

Rappelons en quelques lignes les expériences classiques de Pasteur. Il part d’une culture de virulence commune, récemment isolée et capable de donner un charbon mortel au mouton par inoculation sous la peau. Les repiquages de cette culture sur milieux ordinaires, mis à l’étuve à 37°, donnent des cultures filles dont la virulence est semblable à celle de la première culture. Cette virulence se maintient égale à travers les générations ultérieures de culture pendant des mois, des années, tant que rien n’est changé aux facteurs de l’expérience.

Dans ces conditions, le microbe se développe avec abondance et il montre, au bout d’un temps très court, à côté des formes ordinaires de division, d’autres formes bactériennes qui contiennent des spores. La spore est la forme de résistance du microbe ; elle lui permet de se maintenir vivant pendant des années dans le sol et c’est pour cette raison que, paissant à la surface des champs dans lesquels ces spores se trouvent, les moutons s’y infectent et que le charbon se perpétue dans certaines régions. La spore n’est pas seulement la forme de résistance par laquelle le microbe échappe aux agents de destruction, elle lui conserve aussi sa virulence. Aucun procédé n’est capable de diminuer son pouvoir pathogène. Inoffensive par elle-même, elle donne naissance, dès que les circonstances sont favorables pour sa germination, à des formes bactériennes qui montrent une activité égale à celle des bactéries dont la spore était issue.

Il convenait, pour obtenir les cultures de moindre virulence qu’il cherchait à produire dans le but de les utiliser comme vaccins, que Pasteur trouvât le moyen d’empêcher la production des spores. Il y est parvenu en portant la température de culture de 37° à 40°,5.

À cette température, la bactérie du charbon se développe encore, bien qu’avec une moindre abondance, mais elle ne donne plus du spores. En même temps, son pouvoir pathogène baisse. Il baisse régulièrement à mesure que la culture vieillit à l’étuve, si bien qu’en y faisant, à jours déterminés et successifs, des prises, on obtient, par leur inoculation aux animaux sensibles, des maladies de plus en plus réduites. Fait intéressant, si on repique sur milieux ordinaires ces cultures et qu’on porte à 37° les cultures filles, celles-ci présentent le même degré d’atténuation que les cultures qui leur ont donné naissance.

Les vaccins anticharbonneux ne sont autre chose que des cultures, choisies avec discernement dans cette série de produits de virulence progressivement atténuée. En fin de compte, le séjour à 40°,5 aboutit à la suppression totale de la virulence. Pasteur est ainsi parvenu à obtenir, au bout d’un mois environ, des races du bacille du charbon, semblables aux échantillons les plus virulents de l’espèce microbienne, se conservant indéfiniment et poussant abondamment dans les repiquages, mais dépourvues à la fois de la propriété de donner des spores et de virulence. (Nous avons vu au chapitre de la naissance des maladies infectieuses, qu’on pouvait restituer le pouvoir pathogène à ces inoffensives cultures et le développer ensuite à tel point qu’il dépasse les activités les plus marquées que produit la nature.)

Les expériences de Pasteur montrent donc qu’un microbe pathogène peut perdre progressivement sa virulence. La méthode employée pour obtenir ce résultat est purement artificielle. Il est évident que jamais de telles conditions ne peuvent se trouver réalisées dans la nature et que, si pareil accident arrivait par impossible à un échantillon de virus charbonneux, il n’arriverait pas en même temps à tous les bacilles charbonneux du monde. Ce n’est donc pas de l’atténuation progressive et de son dernier terme, la perte de la virulence des microbes que nous pouvons attendre la disparition des maladies.

Cet argument nous dispense d’insister sur les autres méthodes expérimentales d’atténuation ou de suppression de la virulence. Elles sont nombreuses. Où Pasteur, dans ses recherches, faisait usage de la chaleur, on a pu employer, avec des résultats analogues, l’addition de produits chimiques aux cultures, le passage des virus par d’autres animaux (procédé qui tantôt exalte, tantôt diminue l’activité pathogène vis-à-vis de l’espèce naturellement atteinte). Ces méthodes, excellentes au point de vue pratique pour l’atténuation des microbes et la production de vaccins, ne sauraient donner une explication de la façon dont les maladies peuvent naturellement s’affaiblir et disparaître.

2o Renforcement expérimental de la résistance des espèces sensibles

On peut augmenter la résistance d’une espèce animale vis-à-vis de l’agent pathogène auquel elle est naturellement sensible en la mettant dans les meilleurs conditions physiologiques (protection contre le froid, contre une trop grande chaleur, abondance et qualité de l’alimentation). Ces procédés n’ont, dans la pratique des laboratoires, qu’une influence impondérable. Devant l’inoculation d’un virus bien actif, tous les individus d’une même espèce animale se montrent sensiblement égaux. L’augmentation naturelle de la résistance des individus d’une espèce pourra réduire la gravité de ses atteintes dans l’espèce ; elle ne suffira pas à faire disparaître la maladie.

Nous ne possédons qu’une méthode efficace de renforcement de la résistance ou mieux de création de celle-ci ; elle consiste dans la préparation et l’emploi de produits spécifiques d’origine microbienne : vaccins vivants ou morts et sérums préventifs.

Il est évident que nous ne pouvons que difficelement espérer qu’un jour le perfectionnement et l’emploi universel de nos méthodes aboutisse à la suppression de telle ou telle de ces maladies.

D’autre part, faute de logique, la nature ignore de tels procédés. Néanmoins, ces créations du génie humain offrent assez d’intérêt pour que nous nous y arrêtions quelque peu. Elles permettent de protéger des individus, des collectivités, de débarrasser une région, pour un temps déterminé tout au moins, d’une maladie infectieuse. Si elles n’ont pas pour résultat sa disparition totale, elles peuvent en être une étape préparatoire.

De toute façon, l’étude de ces mesures est de nature à nous donner quelques lumières sur ce que pourrait être le mode naturel d’extinction des maladies.

RÔLE DE L’HOMME DANS LA SUPPRESSION DE LA MALADIE INDIVIDUELLE ET DE L’ÉPIDÉMIE

Nos moyens de protection de l’individu et des collectivités contre les maladies infectieuses offrent une grande diversité. Il en est d’inconscients, comme la pratique acquise des habitudes d’hygiène ; il en est d’appliqués aux conditions de développement, de propagation de chaque maladie ou groupe de maladies quand la contagion se fait, pour un certain nombre de sujets, de la même manière.

Nous parcourrons rapidement ces divers procédés, en nous en excusant auprès de ceux auxquels ces détails élémentaires sont familiers.

Vaccinations préventives

Elles emploient, suivant les progrès de notre connaissance ou les cas, tantôt le virus vivant lui-même (c’est-à-dire la matière virulente), tantôt les cultures vivantes de l’agent pathogène spécifique, tantôt le virus mort, les cultures tuées ou bien un poison microbien, tantôt le sérum d’un animal qui a reçu en inoculation quelqu’un de ces mêmes produits ou bien le sérum d’un animal qui a présenté antérieurement la maladie contre laquelle on veut protéger un autre être. On peut enfin mélanger les sérums avec les virus, les cultures ou les produits microbiens.

Il nous suffira de donner un exemple de chacun des procédés que nous venons d’indiquer :

1o Le vaccin jennérien qui protège contre la variole est un virus vaccinal vivant.

2o Les vaccins charbonneux, cultures de virulence atténuée, sont des vaccins microbiens vivants.

3o Les vaccins antityphoïdique, anticholérique, antipesteux que nous employons d’ordinaire sont des cultures mortes des microbes correspondants.

4o L’anatoxine de Ramon qui vaccine contre la diphtérie est un poison soluble du bacille diphtérique, modifié par l’addition de formol et transformé, de ce fait, en vaccin.

5o Le sérum anticlaveleux de Borrel est produit par l’inoculation du virus vivant de la clavelée sous la peau du mouton.

6o Les sérums antidysentérique, antipesteux, antistreptococcique sont préparés par l’inoculation au cheval de cultures ou vivantes ou le plus souvent mortes des microbes spécifiques.

7o Les sérums antidiphtérique, antitétanique par l’inoculation au cheval des poisons solubles des microbes de la diphtérie et du tétanos.

8o Les sérums préventifs du typhus exanthématique et de la rougeole que nous avons introduits en médecine humaine sont les sérums des individus convalescents de ces maladies.

9o La vaccination préventive de la clavelée peut être réalisée par un mélange du virus vivant (claveau) et de sérum anticlaveleux.

N’allongeons pas la liste d’exemples aussi bien connus.

Ces divers produits préventifs ne confèrent pas des immunités pareilles.

Les vaccins vivants se comportent, au point de vue de l’immunisation, de la même manière que les maladies qu’ils préviennent. Il faut un certain temps, une dizaine de jours au moins, pour que le sujet qu’on vient d’inoculer se trouve vacciné ; par contre, l’immunité, une fois établie, est de longue durée.

Les microbes morts ou produits microbiens donnent une immunité qui demande aussi quelque temps avant d’être acquise ; sa durée ne saurait dépasser quelques années, parfois quelques mois.

Les sérums confèrent une immunité immédiate, mais qui ne dure que quelques jours ou quelques semaines.

Les mélanges de virus et de sérum donnent des immunités un peu plus rapides que celles des sérums seuls et plus durables.

Ces divers procédés ont tous leurs applications particulières. Pour la prévention d’une même maladie, il peut arriver que le médecin dispose de plusieurs méthodes. Il choisit, parmi elles, suivant les circonstances. On inocule, par exemple, le sérum antidiphtérique à un enfant exposé à la contagion parce que ce sérum lui conférera une immunité immédiate ; on lui préférera l’anatoxine, si l’on agit en dehors du milieu contagieux, l’immunité, conférée par l’anatoxine, étant de longue durée, tandis que celle qui suit l’inoculation du sérum est des plus brèves.

Protection par moyens mécaniques

On peut se protéger contre un malade atteint d’une affection contagieuse, quel que soit le mode de la contagion, en l’isolant ou bien en soustrayant de son contact ses semblables indemnes. Lorsqu’il s’agit d’une maladie récemment importée qui n’a frappé qu’un ou quelques sujets, cette mesure, strictement appliquée, peut amener, à elle seule, l’arrêt, la disparition de l’épidémie.

Le port de vêtements, les soins ordinaires de la propreté, l’habitude de se laver les mains après tous les contacts suspects protège souvent l’homme, sans qu’il s’en doute, des dangers d’une contamination. En cas d’épidémie, la sévère application de ces mesures sauve bien des gens.

On a vu, dans ces derniers temps, reparaître l’emploi du masque dont nos ancêtres, ignorants du mode ordinaire de transmission, faisaient usage pour se défendre de la peste. C’est un procédé bien incommode. Il peut protéger parfois de la contagion de la grippe, même de celle de la peste pulmonaire qui se gagne par la toux du malade.

Le chirurgien protège les plaies de ses malades contre l’infection par les procédés aseptiques dont la plupart agissent en évitant l’apport des microbes par les mains et les instruments, mais dont certains, application de teinture d’iode sur la peau, lavages à l’eau stérile, sont des moyens purement mécaniques.

Protection par emploi de substances antiseptiques

L’antiseptie a précédé l’aseptie dans les soins à donner aux plaies ; elle ne la vaut pas ; mais souvent on l’associe à elle avec avantage.

Il n’y a pas d’antiseptiques que les produits qu’on applique sur la peau ou les muqueuses pour les protéger des microbes. Certains médicaments internes sont aussi des antiseptiques. Le mercure, les composés arsenicaux ou bismuthiques agissent directement sur le tréponème de la syphilis en le détruisant ; même action destructive des composes arsenicaux sur les spirochètes des fièvres récurrentes, de certaines matières colorantes sur les trypanosomes, de la quinine et de ses dérivés sur l’hématozoaire du paludisme, de l’huile de Chaulmoogra sur le microbe de la lèpre, etc.

La désinfection des expectorations, des urines, des selles pendant la maladie, des locaux ensuite, est souvent demandée aux antiseptiques.

On fait encore appel parfois à la même méthode pour stériliser les eaux d’alimentation.

Stérilisation par moyens physiques

Dans le même but de destruction ou d’arrêt des germes pathogènes, on emploie la chaleur, les filtres.

Suppression de l’invertébré transmetteur

Lorsqu’une maladie se transmet par un invertébré piqueur, on se protège de celui-ci ou bien on cherche à le détruire. La lutte contre le typhus consiste dans la suppression du pou, la défense contre le paludisme et la fièvre jaune a pour base la protection contre les moustiques adultes (grillages) et la suppression des facteurs nécessaires à leur reproduction (assèchement des mares, régularisation des cours d’eau pour éviter la stagnation, pulvérisation de pétrole à la surface des eaux pour asphyxier les larves, etc.).

Suppression du réservoir de virus

En traitant systématiquement les paludéens d’une région par la quinine, on détruit dans leur sang les hématozoaires, si bien que les moustiques qui échappent aux mesures dirigées contre eux, ne peuvent plus s’infecter sur l’homme. Leurs piqûres ne transmettront pas le paludisme.

Par l’institution de services de dépistage et de traitement de la syphilis chez les professionnelles qui l’entretiennent et la communiquent, on agit de même manière.

Suppression de l’animal malade ou suspect

Il est des cas dans lesquels l’abatage des animaux malades ou suspects constitue la meilleure méthode pour éviter la propagation du mal. Tel est le cas de la rage où la loi française ordonne de mettre à mort l’animal enragé et les bêtes qu’il a pu mordre. Tel est aussi le cas des épizooties qui sévissent sur les petits animaux de basse-cour ; le peu de valeur de ces animaux et l’extrême contagiosité des maladies font, de cette mesure radicale, le plus sûr moyen d’arrêter la contagion.

VALEUR DE L’EFFORT HUMAIN POUR LA DISPARITION DES MALADIES INFECTIEUSES

Nous venons d’énumérer les principales catégories de méthodes dont l’observation et les progrès des connaissances scientifiques ont armé l’homme et qui lui permettent de se défendre contre les maladies infectieuses et d’en protéger les animaux utiles à sa vie.

La liste que nous avons donnée n’est pas complète. Le fût-elle, il faudrait y ajouter les découvertes de demain.

Telle que nous l’avons donnée cette liste a pu paraître longue. Elle n’a pas appris grand’chose à la plupart des lecteurs. Si nous avons jugé bon cependant de la dresser, c’est parce que nous désirions qu’elle soit présente à l’esprit, maintenant que nous allons chercher d’estimer la valeur de l’effort des hommes, appliqué à l’œuvre de suppression des maladies infectieuses.

L’avenir des méthodes humaines ne nous renseignera guère sur les moyens que, sans l’homme, la nature peut employer pour amener la disparition de ces maladies. Sauf le cas des vaccinations préventives, méthode qui nous a été inspirée par la connaissance de l’état réfractaire qui suit souvent l’atteinte naturelle, la nature ne saurait employer aucun de nos procédés. Ils sont le fruit de l’intelligence et nécessitent une technique logique.

Si donc, à l’exception près que nous avons dite, l’effort des hommes peut réaliser un jour la suppression d’une ou de quelques maladies infectieuses, le fait n’appartiendra qu’à lui ; il ne sera pas d’ordre naturel, il n’éclairera pas sur les voies obscures par lesquelles la nature peut arriver au même but. Il n’y en aura pas moins suppression, mort de maladies.

Est-il possible qu’un tel résultat puisse couronner les efforts des hommes ? Ce résultat, non atteint jusqu’à ce jour, n’est pas formellement impossible. Certes, les difficultés sont grandes, la réussite très aléatoire, éloignée à coup sûr et, dans l’état actuel de nos connaissances, elle ne saurait être espérée que pour quelques maladies.

Afin de permettre de bien comprendre les espoirs autorisés et les ambitions défendues, le fort et le faible des méthodes, il nous faut choisir un certain nombre d’exemples.

Nous devons, tout d’abord, ne pas nous forger l’illusion de supprimer les maladies que les conditions mettent au-dessus de nos méthodes. Comment, en effet, envisager comme possible l’extinction de la grippe, mal insaisissable dans ses foyers d’origine et de conservation qui se gagne d’homme à homme souvent avant qu’aucun symptôme ait permis de le reconnaître ? Par quels moyens faire disparaître de la surface du globe la peste qui se conserve sur les rongeurs sans supprimer rats, souris et rongeurs sauvages ? Est-ce là une entreprise qui soit jamais possible ?

Ne nous occupons donc ici que de problèmes pour la solution desquels nous n’avons à compter qu’avec les difficultés techniques ou sociales d’application de nos méthodes.

Nous connaissons aujourd’hui un mode de traitement de la syphilis qui, patiemment appliqué et subi, amène la guérison de la maladie. Avant même qu’on soit assuré de cette guérison, l’individu traité cesse d’être contagieux. La lutte contre la syphilis est aidée par la connaissance d’une méthode de diagnostic (la réaction de Bordet-Wassermann) qui permet de dépister tous les cas de syphilis, fussent-ils anciens ou nuls en symptômes.

En pratiquant le traitement périodique des professionnelles, en soignant tout cas de syphilis, il est aisé aujourd’hui, dans une région civilisée, de faire disparaître la contagion. Le tout est affaire de conscience de la part des intéressés et des médecins, de bonne organisation sociale et d’argent. Déjà, dans certains pays, en tête des quels il convient de citer la Belgique et les États scandinaves, la lutte antisyphilitique a donné des résultats merveilleux. On ne contracte pour ainsi dire plus la maladie dans ces pays ; le seul péril consiste dans les cas importés, vis-à-vis desquels l’action défensive est sévèrement engagée.

Si ces pays existaient seuls, si les mesures qui y sont appliquées pouvaient être étendues avec la même rigueur au monde entier, la syphilis qui ne peut se conserver que chez l’homme cesserait dans un court délai d’exister. Une des maladies les plus graves pour notre espèce serait rayée du globe.

L’humanité n’est pas à la veille de connaître ce beau jour. Les peuples incultes échappent encore ou totalement ou presque totalement à l’application des méthodes antisyphilitiques et, dans la plupart des pays civilisés, l’insouciance personnelle, une discipline individuelle incomplète, une organisation sociale défectueuse, l’indifférence des pouvoirs publics et des parlements, de coupables économies font obstacle à un progrès facile. En France, au lendemain de la paix, la syphilis avait subi un recul très notable. Depuis lors, le relâchement général, l’afflux incessant d’étrangers venant de pays largement contaminés et où la lutte antisyphilitique est incomplètement engagée, ont singulièrement réduit les bénéfices obtenus. Cependant, l’organisation s’étend, se perfectionne chaque jour ; et nous avons tout lieu d’espérer que la situation, un moment compromise, sera bientôt redressée.

La suppression totale de la syphilis ne peut donc être le résultat que d’une entente commune entre les hommes et de l’universalité de l’effort.

La fièvre typhoïde nous offre l’exemple d’une autre maladie vis-à-vis de laquelle nous savons nous défendre, qui recule devant les progrès de l’hygiène, dont il n’est pas absurde d’envisager la disparition comme possible et qui, cependant, ne disparaîtra peut-être jamais.

Comme la syphilis, comme les autres maladies dont nous traiterons ensuite, la fièvre typhoïde est spéciale à l’homme. Elle est due à un microbe assez peu résistant en dehors de notre organisme. Le réservoir du virus est l’homme malade ou le convalescent. Les matières fécales, l’urine sont les produits par lesquels la contagion se fait d’homme à homme, rarement par contact direct, le plus souvent par contamination de l’eau ou bien des légumes. Le microbe de la fièvre typhoïde ne se multiplie ni dans le sol ni dans les eaux.

Nous pouvons opposer à la propagation de la fièvre typhoïde un certain nombre de moyens.

Les premiers sont le dépistage des malades qui demande quelque temps, mais que les méthodes de laboratoire rendent aisé ; l’isolement de ces malades et des convalescents tant que leurs matières fécales et leurs urines montrent la présence de bacilles typhiques ce qui peut, pour les urines, demander un temps très long ; la stérilisation de ces produits. Ce sont là d’excellents procédés qu’on doit toujours recommander et suivre, mais dont l’application systématique, tentée en Rhénanie, en Alsace et en Lorraine avant la guerre, n’avait donné que de douteux bénéfices.

Les autres méthodes dont nous allons parler ne s’appliquent pas à empêcher qu’un cas reconnu n’essaime. La fièvre typhoïde est une maladie si répandue qu’on doit considérer sa menace comme constante. En empêchant tout microbe pathogène de pénétrer dans notre tube digestif, en créant, chez tous les individus, un état réfractaire au bacille typhique, on peut espérer de conjurer cette menace permanente.

La stérilisation des eaux d’alimentation, l’usage d’eaux naturellement pures, provenant de régions inhabitées, défendues contre l’accès des hommes, empêchera le bacille typhique de parvenir jusqu’à nous par son véhicule ordinaire. En proscrivant l’usage des légumes crus, des fruits que la terre souille, en les lavant tout au moins, en s’abstenant d’huîtres, quand celles-ci ne proviennent pas de parcs hygiéniquement organisés, on complètera la défense.

La vaccination contre la fièvre typhoïde est un moyen encore plus sûr. Elle permet d’échapper aux conséquences des défaillances toujours possibles des autres méthodes. La vaccination antityphoïdique ne doit pas cependant être employée à leur exclusion. L’isolement, la désinfection des produits sont des mesures générales qui s’adressent à toutes les maladies infectieuses et dont on ne doit jamais s’abstenir. L’usage d’eaux pures, la proscription des légumes, fruits et coquillages crus (sauf précautions indiquées) ne mettront pas l’homme qui les suit à l’abri de la seule fièvre typhoïde ; elles le protègeront des autres et nombreuses maladies qui se contractent de même manière : fièvres paratyphoïdes, dysenterie bacillaire, choléra, etc.

De toutes façons, voici une maladie contre la propagation de laquelle nous sommes particulièrement bien armés. De l’emploi de nos méthodes résultent déjà de grands bénéfices. Chaque individu, quel que soit le lieu qu’il habite, fût-il insalubre, peut se protéger contre la fièvre typhoïde. Elle est disparue de bien des villes civilisées ; elle ne peut y revenir que par suite d’importations et, là où la vaccination antityphoïdique est appliquée à tout le monde, ces importations ne sont guère à craindre.

Pouvons-nous espérer la disparition définitive de la fièvre typhoïde ? Pas avant que l’hygiène se soit répandue par tout le globe, pas avant qu’il se soit fait une entente entre tous les hommes ; c’est-à-dire pas avant des siècles et peut-être, sans doute (on choisira entre ces adverbes) jamais.

Le paludisme a pour seul réservoir l’homme malade et pour seuls agents de transmission certains moustiques, les anophèles. Il n’existe que là où ces deux facteurs se rencontrent ensemble : paludéen et insecte.

La suppression de l’un ou de l’autre amènerait la disparition du mal. On peut se protéger des anophèles en éloignant les habitations des eaux stagnantes, en défendant les ouvertures de ces habitations par des toiles métalliques ; on peut assécher, drainer, rendre régulier le cours des rivières paresseuses, réduire à l’extrême le nombre des moustiques en contrariant leur reproduction qui ne peut se faire que dans les eaux stagnantes ; si la localité, la région à protéger n’offrent pas trop d’étendue, on peut même arriver ainsi à les débarrasser entièrement des anophèles. Il est évident que les mêmes mesures ne sauraient être appliquées par toute la terre. Les régions les mieux assainies sont menacées sans cesse d’invasions nouvelles de moustiques venant d’endroits sauvages. Le bénéfice de la lutte contre les moustiques ne saurait être étendu à toutes les contrées ; il est des travaux surhumains. Ce n’est donc pas de la suppression totale du facteur moustique qu’on peut espérer la disparition du paludisme.

Le facteur homme nous est plus facilement accessible. En soignant le paludéen par la quinine, en le guérissant, on supprime le réservoir où le moustique vient puiser l’hématozoaire qu’il transmet ensuite à d’autres hommes. Par l’emploi préventif de la quinine, on peut rendre les gens sains réfractaires ou plutôt peu sensibles au virus inoculé par l’insecte. Ce sont des méthodes excellentes, surtout la première, pour protéger un groupe d’individus, un centre de colonisation. Lorsqu’on cherche l’application en plus grand, des difficultés inouïes surgissent. Comment arriver à traiter tous les indigènes d’un pays à la fois ? Comment arriver à stériliser, même progressivement, la totalité des paludéens du globe ? Et, si l’on omet quelques individus d’un foyer, comme il est impossible d’en détruire tous les moustiques, encore moins ceux du voisinage, ne voit-on pas qu’en dépit de tous les efforts ce foyer, un instant éteint, se rallumera. Nos meilleurs spécialistes de la question, Edmond et Étienne Sergent, Brumpt le répètent : la lutte antipaludique est un combat qu’il faut sans cesse poursuivre, ne jamais interrompre sous peine de voir, en une saison, se perdre le bénéfice de longues années d’efforts patients.

Peut-on espérer, dans ces conditions, la disparition du paludisme ? Il serait bien téméraire de répondre affirmativement.

Le typhus exanthématique nous offre un plus grand espoir. Comme pour le paludisme, deux facteurs obligés : l’homme seul réservoir du virus, l’insecte seul agent de transmission. Mais cet insecte, le pou, est singulièrement plus facile à atteindre que le moustique puisqu’il ne peut vivre que sur l’homme. La lutte contre le typhus se résume dans la lutte contre le pou. Si donc le pou venait à disparaître du monde, du même coup le typhus serait supprimé. Pouvons-nous espérer la suppression du pou ? Un tel résultat n’est certes pas au-dessus de notre effort. Le pou est disparu des nations civilisées par la simple habitude de la propreté. Si l’on parvenait à faire pénétrer cette habitude chez les peuples incultes, la disparition du pou suivrait et, avec elle, la disparition du typhus. La pénétration des notions les plus élémentaires de l’hygiène n’est possible qu’à condition qu’un contact soit établi entre tous les hommes.

Ce contact devient de plus en plus complet tous les jours ; il n’est pas encore total. Là où il existe, les préceptes de l’hygiène ne pénètrent que lentement ; leur expansion est gênée, du côté des populations mineures, par l’ignorance, les préjugés, le manque d’un suffisant bien-être, sans lequel il n’y a pas de progrès, du côté des nations civilisatrices ou simplement conquérantes, par l’indifférence, les préoccupations égoïstes, l’absence d’un programme d’exécution ou la défaillance de son application. Sans doute le typhus tend à se localiser dans des régions éloignées. Ces foyers sont encore multiples. Ils comprennent la majeure partie de l’Orient, en particulier la Chine, et certaines régions des pays civilisés ou considérés comme tels : pays slaves, Mexique. De ces bastions, le typhus menace toute l’humanité. Dès que les conditions favorables à la multiplication des poux redeviennent possibles, et ces conditions se résument en deux, la misère et l’encombrement, toujours le typhus accentue sa menace, sort de ses foyers et recommence la conquête humaine. On conçoit le rôle désolant et fatal que jouent dans son extension les souffrances collectives de l’humanité, les disettes, les révolutions et les guerres. Le typhus se présente à nous à la fois comme un fléau et comme une leçon morale. Il nous rappelle que l’homme ne fait que sortir de la barbarie, qu’il porte encore sur sa peau un parasite honteux comme ceux que portent les bêtes et que, quand l’homme se conduit en brute, ce parasite, en se multipliant et en lui inoculant le typhus, lui prouve qu’en effet, il n’est encore qu’une brute.

La disparition du typhus ne sera possible que le jour où, les guerres ayant disparu, l’œuvre d’une hygiène collective aura supprimé le pou. Cet immense progrès, l’homme le connaîtra quand il l’aura mérité. Le mériterons-nous jamais ?

Nous venons de voir, par quatre exemples, choisis parmi des maladies spéciales à notre espèce, condition particulièrement favorable, et vis-à-vis desquelles nous sommes déjà suffisamment armés pour protéger avec succès des individus, des collectivités, des nations même, que l’œuvre de suppression de quelques maladies infectieuses au moins peut être considérée comme chose possible ; ce qui ne veut pas dire que l’homme y parviendra jamais. On pourrait espérer un même résultat de maladies spéciales à une espèce animale domestique, à condition que leurs germes ne soient pas capables de se reproduire, de survivre longtemps dans le monde extérieur. La vie des animaux ne nous étant pas sacrée, l’abatage des malades d’un foyer peut rendre de grands services. Il faudrait, encore pour assurer l’efficacité des méthodes, une entente universelle.

Quand la maladie frappe deux espèces animales ou plusieurs, surtout lorsque l’une est sauvage, la disparition du mal peut bien difficilement suivre les efforts des hommes. Pourtant, dans certains de ces cas encore, l’œuvre ne paraît pas formellement irréalisable, en ce qui concerne la rage, par exemple.

L’homme ne joue aucun rôle dans la conservation de la rage. Elle lui est communiquée par la morsure de carnassiers, atteints du mal, en particulier par la morsure des chiens. Par les conditions sociales de son existence qui lui permettent de contaminer aisément ses congénères, le chien est le réservoir du virus rabique et son principal propagateur. Sans doute, les autres carnassiers peuvent convoyer ce virus dans la vie sauvage. Leur isolement relatif, même entre individus d’une seule espèce, ne permettrait pas la formation d’une longue chaîne de passages. C’est donc le chien, seulement le chien qui conserve le virus rabique dans la nature. L’œuvre de suppression de la rage en devient, pour l’homme, à la fois plus aisée et plus difficile. Plus aisée, puisque les chiens domestiques sont sous sa main et que les chiens errants sont en nombre minime, faciles à détruire. Plus délicate aussi, car les liens d’amitié et d’habitude anciens qui unissent les deux espèces, les services communs échangés font considérer le chien par l’homme comme un demi frère. C’est cet attachement sentimental qui empêche les mesures excellentes de police sanitaire de faire disparaître la rage de pays aussi civilisés que la France et l’Italie. À plus forte raison est-il difficile de la supprimer des nations arriérées. Avant que la guerre mondiale ait apporté, chez tous les hommes, un relâchement dans les qualités d’énergie, de conscience et de bonne organisation, certains grands pays, tels que l’Angleterre et l’Allemagne, s’étaient débarrassés de la rage par l’application pure et simple des règlements policiers : abatage des animaux mordeurs ou mordus, quarantaine sévère pour l’introduction de chiens étrangers. Depuis la fin de la guerre mondiale, ces pays ont abandonné la stricte application de si sûres méthodes et se sont laissés entamer, puis envahir. Ne restent plus indemnes de la rage que des presqu’îles comme la Scandinavie et des îles, fussent-elles immenses, comme l’Australie. Ces pays se défendent surtout par des mesures de quarantaine.

On conçoit, sans qu’il soit besoin d’insister, les difficultés qui s’opposent à la suppression de la rage. Pour être d’ordre sentimental, elles n’en sont pas moins, elles n’en sont même que plus fortes. Ce n’est pas l’atténuation des mesures policières et leur remplacement par la vaccination préventive des chiens qui rendra la disparition de la rage plus aisée. La meilleure méthode, pour nous en protéger, la faire disparaître, est l’abatage impitoyable, cruel, mais nécessaire de tous les animaux mordeurs et de tous ceux qu’ils ont mordus ou approchés.

En résumé, nous voyons que, si l’intelligence de l’homme a mis à sa disposition des moyens qui lui permettraient, par leur universelle application, de supprimer dans un délai plus ou moins long certaines maladies infectieuses, ce sont des raisons purement humaines qui l’empêchent et l’empêcheront peut-être toujours d’arriver à ce résultat. Pour la plupart des maladies infectieuses, l’œuvre semble dépasser actuellement nos moyens et nos efforts.

LES LIMITES DE L’EFFORT HUMAIN

Les difficultés matérielles ou sociales qui s’opposent aux efforts des hommes pour l’extinction des maladies infectieuses ne doivent pas diminuer, à nos yeux, la valeur des progrès déjà réalisés et leur importance pratique. Dans bien peu de sciences, les acquisitions récentes ont apporté d’aussi nombreux et d’aussi rapides bienfaits qu’en médecine. Certes, l’œuvre à entreprendre est immense, elle n’est qu’ébauchée ; mais les victoires nouvelles sont de tous les jours et ce serait blasphème de penser qu’en dépit d’un fléchissement indéniable, l’activité de l’homme ne réalisera pas, dans la voie ouverte, bien ouverte désormais, d’incessants et merveilleux progrès. Nous devons faire confiance à ceux qui viendront.

Nous avons montré impitoyablement, et avec raison, croyons-nous, les difficultés de la tâche, la précarité des meilleurs moyens. Nous n’avons pas à revenir sur ces précarités ; toute œuvre humaine est imparfaite. Celle de la nature l’est davantage.

Si, au lieu d’avoir affaire à un ennemi dont les armes, si fortes soient-elles, sont aveugles, qui ne sait pas prévoir, qui ne sait que profiter, nous avions devant nous un adversaire raisonnable, avec les avantages dont jouit la nature, aussi impuissants que nos ancêtres primitifs, nous n’aurions, comme eux, qu’à subir le sort. Nos meilleures méthodes, en admettant même qu’elles arrivent à protéger des individus, seraient incapables de s’opposer aux progrès des épidémies, de débarrasser un pays d’un mal. Or, ces résultats nous les obtenons souvent. Ce n’est que devant le problème entier d’extinction d’une maladie sur le globe que nous sommes ou nous sentons impuissants.

C’est que la maladie ne saurait se conserver et s’étendre que par la raison multiple, mais fragile des contacts. Lorsque nous en brisons une maille, les conséquences dépassent de beaucoup les résultats que nous enregistrons. Cet individu, cet animal que nous protégeons, c’était un des quelques maillons, peut-être le seul qui pouvait assurer, dans le moment, la continuité de la chaîne. Aussi, avec quelques coups de ciseaux, plus heureux que nous les estimons, la trame toute entière est détruite ; les fils nécessaires, irremplaçables ont cédé. La nature peut édifier quelquefois par hasard, elle ne peut réparer.

Ne désespérons donc pas. Ne désespérons pas de l’avenir, surtout de l’efficacité de nos méthodes pour la protection de ceux à qui nous pouvons les appliquer, hommes et bêtes.

LES FAIBLESSES DE L’EFFORT HUMAIN

Nous venons de voir que nous commettrions une erreur si nous surestimions notre adversaire. Nous en commettrions une autre toute pareille si nous croyions à la perfection de nos moyens. Je ne dis pas dans leurs applications souvent difficiles, parfois impossibles, mais dans leur qualité foncière. Les effets de ces armes ne sont pas, ne seront pas toujours ceux que nous supposons.

Bien souvent, et pour des raisons diverses, nous ne pouvons appliquer qu’incomplètement nos méthodes. Tel produit qui assurerait la protection du sujet, s’il était employé à dose suffisante, en temps favorable, pour les raisons inverses ou pour d’autres, ne crée qu’une demi résistance. Un médicament, inoculé au cours de la maladie, peut avoir un effet analogue. L’infection à venir ou en cours s’en trouvera modifiée. Reprenons des exemples déjà cités, leur répétition rendra l’enseignement plus clair. Au lieu de donner à un sujet une immunité complète contre la fièvre typhoïde, la pneumonie par exemple, nous l’aurons protégé vis-à-vis de la généralisation du microbe, et le microbe, gêné dans son expansion, ira se localiser sur un organe essentiel. Au danger aigu, momentané de la maladie générale, nous aurons substitué le danger tenace, plus important souvent, d’une localisation.

Avec certains microbes, tels le tréponème de la syphilis, les spirochètes des fièvres récurrentes, les trypanosomes, les inconvénients d’une médication insuffisante sont autres ; ils ne sont pas moins réels. Si la dose du produit curatif inoculée approche de la dose stérilisante, la plupart des germes périssent ; mais ceux qui ont résisté donneront une descendance qui témoignera, vis-à-vis du même médicament, de résistances plus fortes, parfois insurmontables. Le traitement aura donc eu pour résultat de créer des races microbiennes plus difficiles à détruire. Ainsi un tréponème qui n’aura pas été détruit par un composé arsenical deviendra, comme on dit, arsenorésistant. Nous avons vu que le contact du tréponème et du mercure, établi depuis Vigo et les empiriques de la Renaissance, avait changé le mode d’activité de la syphilis, diminué son action sur la peau et les muqueuses, mais augmenté, par contre, son pouvoir de localisation aux centres nerveux.

Dans le cas des vaccins vivants, tels ceux de la variole, de la rage, du charbon, il faut tenir compte des modifications que, du fait de la répétition des passages par mêmes animaux ou milieux de culture, les microbes de ces vaccins peuvent subir. Il est certain que, depuis qu’on l’emploie, le vaccin antirabique, passé par des milliers de lapins, a augmenté sa virulence pour cet animal et il paraît établi que, parallèlement, cette virulence a diminué pour l’homme. On peut craindre qu’un jour ses propriétés vaccinantes se trouvent réduites de ce fait au point que les résultats du traitement préventif de la rage s’en ressentent. Déjà certains Instituts Pasteur, pour éviter cet inconvénient possible, ont substitué à la souche, isolée par Pasteur en 1886, des souches d’isolement plus récent. Tous les Instituts antirabiques appliquent un traitement plus énergique que celui de Pasteur et qui, du temps de Pasteur, eût peut-être été dangereux.

Nous avons dit la transformation qu’un seul passage par lapin fait subir au virus de la vaccine et qui se traduit par la production de pustules hémorrhagiques et la tendance à la localisation sur l’encéphale. Ces passages par lapin, employés dans la plupart des Instituts antivarioliques pour purifier le vaccin de génisse, ont donc constitué une erreur biologique et devront être proscrits à l’avenir.

La leçon générale à retenir de tels faits aurait pu être prévue. Comme tous les êtres vivants, comme les microbes pathogènes naturels desquels ils procèdent, les microbes des vaccins sont sujets à des modifications de virulence. Nous ne devons donc pas considérer nos méthodes de vaccination par virus vivants comme définitives, si excellents que soient les résultats de leur application actuelle. Tôt ou tard, il faudra apporter des modifications à leur préparation. À peine sont-ils découverts qu’il faut les surveiller.

Nous exposerons plus loin que parfois l’effort intelligent que font les hommes pour la suppression d’une maladie infectieuse s’oppose à l’œuvre aveugle que la nature réalise de son côté vers le même but. Mais, avant de nous attacher à cette démonstration, nous devons revenir à notre point de départ et chercher les voies que la nature peut suivre pour amener la raréfaction, sinon la disparition des maladies qu’elle a créées. Nous savons qu’elle n’emploie aucune des méthodes qui réussissent entre les mains des hommes et que, par conséquent, la connaissance que nous avons acquise de ces méthodes ne pourra guère nous instruire sur les procédés naturels.

LES MÉTHODES DE LA NATURE

Le terme est inexact, la nature ne peut agir avec méthode et le pluriel est de trop, nous ne connaissons qu’un seul enchaînement naturel de circonstances qui puisse amener la disparition des maladies infectieuses.

On ne saurait, en effet, envisager ici, comme nous l’avons fait en parlant de la naissance des maladies, l’hypothèse d’une mutation qui ferait perdre brusquement à un microbe pathogène sa virulence. S’il peut suffire théoriquement qu’un microbe, inoffensif jusque-là, acquière, par suite d’une mutation, un pouvoir pathogène pour que, de ce fait, une maladie nouvelle apparaisse, il faudrait, pour que des phénomènes de même ordre amenassent la disparition d’une maladie existante, que tous les agents de cette maladie perdissent brusquement et ensemble leur virulence. Or, le nombre de ces germes est immense ; ils sont éparpillés sur des étendues souvent très vastes, parfois même sur tout le globe, et beaucoup peuvent se rencontrer à la fois chez des animaux différents. Certes, par suite de circonstances diverses dont l’une peut relever d’une mutation (cette dernière hypothèse est invérifiable), des microbes pathogènes peuvent retourner à l’état de saprophytes ; le fait est sans doute journalier ; l’existence de la maladie n’en est pas, ne saurait en être compromise.

La seule voie par laquelle une opération naturelle peut amener la disparition d’une maladie, c’est la répétition de cette maladie à toutes les générations sur les individus de l’espèce sensible pendant la durée de longs siècles. De ces atteintes héréditaires résulte, nous l’avons montré par l’exemple du typhus, une résistance de plus en plus grande des races sans cesse frappées.

Le typhus n’est pas le seul exemple que nous pouvons citer d’une maladie qui présente cette tendance vers la disparition naturelle. Étudiant une méthode de vaccination préventive contre la dysentérie bacillaire, nous n’avons trouvé, E. Conseil et moi, qu’exceptionnellement, dans la race indigène de Tunisie, des sujets sensibles à cette maladie et pouvant servir de témoins. (L’expérimentation humaine sur la dysentérie bacillaire est possible puisque nous possédons un remède, spécifique contre elle, le sérum antidysentérique qui permet de l’arrêter à coup sûr dès l’apparition des premiers symptômes. Et nous n’avons pas d’autres ressources dans l’étude de la maladie qui ne peut être reproduite dans une autre espèce que la nôtre.) Pour pouvoir établir que notre méthode donnait bien l’immunité, il nous a fallu faire appel à des sujets européens volontaires, des étudiants russes réfugiés en Tunisie avec les débris de l’armée de Wrangel. La résistance, présentée par les indigènes tunisiens, ne peut être due qu’à ce fait qu’ils boivent, dès la naissance, des eaux impures dans lesquelles la bacille dysentérique se rencontre et qu’ils se vaccinent ainsi insensiblement contre lui. La rareté extrême de la fièvre typhoïde sur la même population est due sans doute à une cause identique. Avec la répétition des souillures, l’immunité héréditaire, si elle ne joue pas encore actuellement de rôle, est en train de s’amorcer dans cette race.

Nous assistons à des faits analogues dans les pays d’Europe, pour la diphtérie et la scarlatine. On possède aujourd’hui, avec la réaction de Schick, un moyen de reconnaître si un sujet est sensible ou non à la diphtérie, si, par conséquent, il est susceptible de la contracter. Or, un certain nombre de personnes, même parmi les enfants, montrent par la recherche de cette réaction, qu’ils sont réfractaires. Dans les salles des hôpitaux d’enfants où la diphtérie se rencontre, Lereboullet, Robert Debré et Joannon ont remarqué que le nombre des sujets réfractaires s’accroît sans que ces enfants aient présenté cependant une atteinte clinique de diphtérie.

Ces auteurs ont donné à ce mode de vaccination naturelle le nom très juste d’immunisation occulte. Occulte de même est l’immunisation naturelle vis-à-vis de la scarlatine telle qu’elle s’est révélée en Pologne à Hélène Sparrow dans ses vastes enquêtes sur la sensibilité des enfants des écoles par emploi de la réaction de Dick. Plus le milieu familial où vit l’enfant est antihygiénique, c’est-à-dire plus il y a de chances qu’il soit en contact dès ses premières années avec le germe de la scarlatine, plus le nombre de réfractaires est grand.

Ces faits expliquent que ceux qui ont cherché la reproduction expérimentale de la scarlatine chez l’homme se sont heurtés à des échecs à peu près constants (on ne connaît que trois succès sur plus de cent tentatives publiées) ; car ils n’ont rencontré, expérimentant exclusivement sur des adultes, que des sujets vaccinés à la suite de contaminations occultes. Mêmes faits pour le rhumatisme articulaire aigu, pour la poliomyélite (paralysie infantile). Il est des maladies, comme celles que nous venons de citer, dont la rareté n’est qu’apparente, qui frappent la plupart de nous sous formes très bénignes (inapparentes) et ne se présentent à l’observation que dans leurs formes à grand éclat qui sont rares ou exceptionnelles.

Il est tout à fait probable que ces maladies nous offrent des exemples d’infections en voie de disparition. La poliomyélite (paralysie infantile) est, quand on l’observe à son début, extrêmement réduite dans ses symptômes généraux qui se résument en une fièvre sans caractères, d’une durée de quelques jours à peine. Cette fièvre laisse à sa suite des atrophies musculaires définitives très graves. Il est à supposer qu’autrefois la période fébrile de la maladie offrait un plus grand éclat et que, peut-être alors, la localisation nerveuse si sévère se montrait plus rare. Si la fièvre de début avait tout à fait manqué depuis qu’ont commencé les observations valables, on n’aurait sans doute pas su rattacher à un processus infectieux fébrile les symptômes de paralysie. Ils auraient paru constituer à eux seuls une maladie spéciale. Supposons la syphilis, modifiée du fait de son évolution naturelle ou du traitement de telle façon qu’elle se réduise à ses localisations nerveuses à longue échéance, paralysie générale et ataxie, nous nous trouverions devant des faits obscurs du même ordre.

Il est donc probable que, dans la voie d’atténuation progressive, d’effacement, les maladies infectieuses ont passé, passent, passeront par des formes inapparentes. Nous voyons l’importance capitale de ces formes de connaissance si récente. Première et dernière étape dans la vie des maladies, forme possible dans une espèce à la seconde de ces étapes quand l’infection est encore à la phase de symptômes dans l’autre, la maladie inapparente est le réservoir insoupçonné de bien des maux.

Aussi pouvons-nous dire que nous sommes environnés sans le savoir et porteurs, de temps er temps, sans le savoir davantage, de maladies inapparentes.

L’EFFORT HUMAIN CONTRE L’EFFORT NATUREL

Si l’intelligence de l’homme lui a permis de réaliser de grands progrès dans la lutte contre les maladies, si souvent son effort s’ajoute à celui de la nature pour limiter, peut-être un jour supprimer les maladies infectieuses, il ne faut pas croire que les deux forces s’additionnent toujours. L’effort limité, intelligent de l’homme peut parfois contrarier l’effort aveugle, mais continu de la nature.

Pour se rendre compte des deux sens contraires dans lesquels peut s’exercer l’effort humain, il suffit de se rappeler que la seule voie que peut suivre la nature pour réaliser la suppression d’une maladie est de frapper pendant des siècles toutes les générations de l’espèce sensible. L’immunité qui suit l’atteinte de l’individu par la maladie naturelle se transformera ainsi peu à peu en une résistance héréditaire de plus en plus grande qui doit aboutir, en fin de compte, à une véritable immunité de l’espèce.

Par l’emploi des vaccins préventifs, l’homme agit dans le même sens que la nature et son intervention s’ajoute, dans ces cas, à l’action de celle-ci.

Les méthodes qui soustraient les individus de l’espèce sensible à l’attaque de la maladie naturelle ont une action opposée.

Le civilisé qui boit une eau pure évite par cette précaution la fièvre typhoïde, la dysentérie, toutes les maladies qui se prennent par l’eau. Le non-civilisé, au contraire, absorbe dès le jeune âge les germes de ces maladies avec l’eau impure dont il s’abreuve. Ces germes lui communiquent ces maladies sous forme ou moyenne ou bénigne ou inapparente ; dans tous les cas, ils le vaccinent.

Les civilisés, s’ils se trouvent, du fait d’un changement dans leur vie, empêchés de suivre les précautions qui les protègent d’ordinaire rencontrent ces germes et contractent la maladie sous forme sévère. Si nous nous plaçons au point de vue de la disparition des maladies, ils constituent, à l’inverse des non-civilisés, une réserve excellente pour la conservation de l’agent pathogène et, par conséquent, de l’infection qu’il cause.

La suppression du pou, amenée dans les nations civilisées par les progrès de la propreté, a supprimé la résistance ancienne qu’offraient les hommes de ces mêmes nations quand le typhus sévissait sur elles à toutes les générations. Ces hommes offrent donc, à présent, une sensibilité extrême à la maladie lorsqu’ils s’y exposent. Ils constituent donc, eux aussi, une réserve de sujets sensibles pour la conservation du virus. La mesure prophylactique, excellente pour faire reculer le typhus, permet ses reprises le jour où, à la suite de misères ou de guerres, l’hygiène et la propreté fléchissant, le pou reparaît.

Ajoutons que ces considérations d’ordre prophylactique et général ne doivent pas empêcher les civilisés de suivre les méthodes rationnelles qui les protègent des épidémies, mais les engager, au contraire, à étendre le bénéfice de ces mesures à leurs semblables moins civilisés. Qu’importe que le typhus et la fièvre typhoïde résistent en quelques points du globe d’où nous pouvons espérer un jour les effacer, si un nombre de plus en plus d’humains leur échappe. Nous devons avoir plus de foi dans notre action rapide et logique que dans les voies obscures, hypothétiques, et à longue échéance de la nature.