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Notes et Sonnets/Sur la mort d’une jeune enfant

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À MADAME P.

(SUR LA MORT D’UNE JEUNE ENFANT)


Calme tes pleurs, elle a vécu sa vie ;
Ô tendre mère, elle a rempli ses jours ;
Ta belle enfant avant dix ans ravie
Des ans nombreux anticipa le cours.
Aux plus grands maux ainsi fait la nature :
Un bien chez elle achemine aux douleurs ;
Même en hâtant, elle incline et mesure,
Ce vert bouton, cette fleur était mûre ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

L’humain sentier s’échelonne en quatre âges :
Aux deux premiers tout enivre à sentir ;
L’été calmé peut plaire encore aux sages ;
L’hiver approche, il est mieux de partir.

De ces seuls lots où la vie est bornée,
Ta fille, ô mère, en eut trois, les meilleurs :
Rayons, parfums, la flamme de l’année,
Même des fruits la saveur devinée ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

joueuse enfant, qui donc connut plus qu’elle
Les longs ébats autour des gazons verts,
La matinée à durée éternelle,
Les coins chéris où finit l’univers ?
Qui mieux connut, sous l’œil sacré qui veille,
Quand tout lui fait joie et bruits et couleurs,
L’instant qui fuit et luit comme une abeille,
Et la minute à l’Océan pareille ?
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Mais de ces jeux jusque-là tant éprise,
Comme lassée, elle sortit un soir,
Et le matin la surprit seule assise,
Un livre en main pour unique miroir.
Qu’y voyait-elle ? Est-ce l’image encore ?
Est-ce le sens ? L’esprit va-t-il ailleurs ?
Elle a pleuré sur des vers de Valmore :
Germe, étincelle, elle a ce qui dévore !
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Elle à la flamme, elle attend, elle rêve,
Pauvre enfant pâle et qui trop tôt comprend.
Du gai buisson déjà son vol s’enlève ;
Elle soupçonne un univers plus grand.
Si quelque ami fatigué de sa route
Venait vers toi,… le soir ouvre les cœurs,
Ou s’épanchait ; elle assiste, elle écoute :

À voir son front je pressens et redoute.
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Ainsi mûrit sa jeunesse secrète.
De ses douleurs elle enferme l’aveu ;
Quand Je mal gagne, elle est plutôt muette,
Pense à sa mère et ne se plaint qu’à Dieu.
Dans son fauteuil, aux heures moins souffrantes.
Douce, au soleil ranimant ses pâleurs,
Quand fuit l’automne aux langueurs enivrantes,
Elle à joui des nuances mourantes ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Elle a joui des lenteurs refusées
À l’âge ardent qui foule le gazon ;
Elle a goûté les grâces reposées
Par où s’enchante une arrière-saison.
Quand toute enfance, égoïste en ses joies,
Au moindre choc exhale ses malheurs,
Elle sourit de peur que tu ne voies ;
C’est déjà l’Ange en ses célestes voies !
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Ou pour lui plaire, à mère inconsolée,
Pleure à jamais, mais sans un pleur amer ;
Pleure longtemps au fond de la vallée
Ta vie enfuie en un monde plus cher.
Dans un rayon vois l’Ange redescendre,
Bénir tes nuits et t’y jeter ses fleurs,
Et doucement te murmurer d’attendre,
Et te redire avec un deuil plus tendre :
Verse tes pleurs, verse tes pleurs !