Nouveaux contes à Ninon/Souvenirs/Chapitre X

La bibliothèque libre.
Souvenirs
Nouveaux contes à Ninon
Chapitre X
◄   Chapitre IX Chapitre XI   ►



X


Un jeune chimiste de mes amis me dit, un matin :

— Je connais un vieux savant qui s’est retiré dans une petite maison du boulevard d’Enfer, pour y étudier en paix la cristallisation des diamants. Il a déjà obtenu de jolis résultats. Veux-tu que je te mène chez lui ?

J’ai accepté avec une secrète terreur. Un sorcier m’aurait moins effrayé, car j’ai une peur médiocre du diable ; mais je crains l’argent, et j’avoue que l’homme qui trouvera un de ces jours la pierre philosophale me frappera d’une respectueuse épouvante.

_____


En chemin, mon ami me donna quelques détails sur la fabrication des pierres précieuses. Nos chimistes s’en occupent depuis longtemps. Mais les cristaux qu’ils ont déjà obtenus, sont si petits, et les frais de fabrication s’élèvent si haut, que les expériences ont dû rester à l’état de simples curiosités scientifiques. La question en est là. Il s’agit uniquement de trouver des agents plus puissants, des procédés plus économiques, pour pouvoir fabriquer à bas prix.

Cependant, nous étions arrivés. Mon ami, avant de sonner, me prévint que le vieux savant n’aimant pas les curieux, allait sans doute me recevoir fort mal. J’étais le premier profane qui pénétrait dans le sanctuaire.

Le chimiste nous ouvrit, et je dois confesser que je lui trouvai d’abord l’air stupide, un air de cordonnier hâve et abruti. Il accueillit mon ami affectueusement, m’acceptant avec un sourd grognement, comme un chien qui aurait appartenu à son jeune disciple. Nous traversâmes un jardin laissé inculte. Au fond, se trouvait la maison, une masure en ruines. Le locataire a abattu toutes les cloisons pour ne faire qu’une seule pièce, vaste et haute. Il y avait là un outillage complet de laboratoire, des appareils bizarres, dont je n’essayai même pas de m’expliquer l’usage. Pour tout luxe, pour tout ameublement, un banc et une table de bois noir.

C’est dans ce bouge que j’ai eu un des éblouissements les plus aveuglants de ma vie. Le long des murs, sur le carreau, étaient rangés des fonds de corbeilles lamentables, dont l’osier crevait, pleins à déborder de pierres précieuses. Chaque tas était fait d’une espèce de pierre. Les rubis, les améthystes, les émeraudes, les saphirs, les opales, les turquoises, jetés dans les coins comme des pelletées de cailloux au bord d’un chemin, luisaient avec des lueurs vivantes, éclairaient la pièce du pétillement de leurs flammes. C’étaient des brasiers, des charbons ardents, rouges, violets, verts, bleus, roses. Et l’on eût dit des millions d’yeux de fées qui riaient dans l’ombre, à fleur de terre. Jamais conte arabe n’a étalé un pareil trésor, jamais femme n’a rêvé un tel paradis.

_____


Je ne pus retenir un cri d’admiration :

— Quelle richesse ! m’écriai-je. Il y a là des milliards.

Le vieux savant haussa les épaules. Il parut me regarder d’un air de pitié profonde.

— Chacun de ces tas reviennent à quelques francs, me dit-il de sa voix lente et sourde. Ils m’embarrassent. Je les sèmerai demain dans les allées de mon jardin, en guise de graviers.

Puis se tournant vers mon ami, il continua, en prenant les pierreries à poignées :

— Voyez donc ces rubis. Ce sont les plus beaux que j’aie encore obtenus… Je ne suis pas satisfait de ces émeraudes ; elles sont trop pures ; celles que la nature fait ont toutes quelque tache, et je ne veux pas faire mieux que la nature… Ce qui me désespère, c’est que je n’ai encore pu obtenir le diamant blanc. J’ai recommencé hier mes expériences… Dès que j’aurai réussi, l’œuvre de ma vie sera couronné, je mourrai heureux.

L’homme avait grandi. Je ne lui trouvai plus l’air stupide ; je commençai à frissonner devant ce vieillard blême qui pouvait jeter sur Paris une pluie miraculeuse.

— Mais vous devez avoir peur des voleurs ? lui demandai-je. Je vois à votre porte et à vos fenêtres de solides barres de fer. C’est une précaution.

— Oui, j’ai peur parfois, murmura-t-il, peur que des imbéciles ne me tuent avant que j’aie trouvé le diamant blanc… Ces cailloux qui n’auront plus aucune valeur demain, pourraient aujourd’hui tenter mes héritiers. Ce sont mes héritiers qui m’épouvantent ; ils savent qu’en me faisant disparaître, ils enseveliraient avec moi les secrets de ma fabrication, et qu’ils conserveraient ainsi tout son prix à ce prétendu trésor.

Il resta songeur et triste. Nous nous étions assis sur les tas de diamants, et je le regardai, la main gauche perdue dans le panier des rubis, la main droite faisant couler machinalement des poignées d’émeraudes. Les enfants font ainsi couler le sable entre leurs doigts.

_____


Au bout d’un silence :

— Vous devez mener une vie intolérable ! m’écriai-je. Vous vivez ici dans la haine des hommes… N’avez-vous aucun plaisir ?

Il me regarda, d’un air surpris.

— Je travaille, répondit-il simplement, je ne m’ennuie jamais… Quand je suis en gaieté, mes jours de folie, je mets quelques-uns de ces cailloux dans ma poche, et je vais m’installer au bout de mon jardin, derrière une meurtrière qui donne sur le boulevard… Là, de temps à autre, je lance un diamant au milieu de la chaussée…

Il riait encore au souvenir de cette excellente plaisanterie.

— Vous ne sauriez vous imaginer les grimaces des gens qui trouvent mes cailloux. Ils frissonnent, ils regardent derrière eux, puis ils se sauvent avec des pâleurs de mort. Ah ! les pauvres gens, quelles bonnes comédies ils m’ont données ! J’ai passé là de joyeuses heures.

Sa voix sèche me causait un malaise inexprimable. Évidemment, il se moquait de moi.

— Hein ! jeune homme, reprit-il, j’ai là de quoi acheter bien des femmes ; mais je suis un vieux diable… Vous comprenez que, si j’avais la moindre ambition, il y a longtemps que je serais roi quelque part… Bah ! je ne tuerais pas une mouche, je suis bon, et c’est pour cela que je laisse vivre les hommes.

Il ne pouvait me dire plus poliment que, s’il lui en prenait la fantaisie, il m’enverrait à l’échafaud.

_____


Des pensées chaudes montaient en moi, sonnant à mes oreilles toutes les cloches du vertige. Les yeux de fées des pierreries me regardaient de leurs regards aigus, rouges, violets, verts, bleus, roses. J’avais serré les mains sans le savoir, je tenais à gauche une poignée de rubis, à droite une poignée d’émeraudes. Et, s’il faut tout dire, une envie irrésistible me poussait à les glisser dans mes poches.

Je lâchai ces cailloux maudits, je m’en allai avec des galops de gendarmes dans le crâne.