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Ordre des villes célèbres

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Ordre des villes célèbres
Traduction par Étienne-François Corpet.
C.L.F. Panckoucke, éditeur (Tome Ip. 237-251).

ORDRE DES VILLES CÉLÈBRES.


I. Rome.

La première entre les cités, c’est le séjour des dieux, c’est Rome dorée.


II. Constantinople et Carthage.

Carthage se lève par déférence devant Constantinople, sans tout à fait lui céder le pas, parce que le troisième rang lui répugne, bien qu’elle n’ose pas aspirer seule au deuxième, qui appartient à toutes deux. L’une prévaut par son antique puissance, l’autre par sa fortune récente. L’une a été, l’autre commence ; l’excellence de ses mérites nouveaux efface l’ancienne splendeur de sa rivale, et force Didon de s’incliner devant Constantin. Carthage accuse les dieux de la honte qui va la couvrir, si elle cède encore aujourd’hui, elle qui n’accorda qu’avec peine la préséance à Rome. Que le souvenir de votre antique fortune abaisse votre orgueil. Allez de pair, et rappelez-vous enfin que, sans un bienfait des dieux, vous n’auriez point changé votre puissance et vos noms si humbles autrefois, alors que vous étiez, toi Lygos la Byzantine, et toi la Punique Byrsa.


III. Antioche et Alexandrie.

Antioche, où se plaît le laurier d’Apollon, serait la troisième, si la colonie d’Alexandre acceptait la quatrième place. Mais toutes deux ont le même rang ; et dans le délire de leur ambition, toutes deux luttent de vices, bouleversées sans cesse l’une et l’autre par les désordres de la multitude, par les soulèvements d’une populace forcenée. L’une, défendue par le Nil, et reculée au loin au sein des terres, est fière de sa richesse et de sa sûreté. L’autre vante sa puissance rivale qui tient tête aux Perses infidèles. Et vous aussi marchez égales, soutenez la gloire du nom macédonien : car c’est Alexandre le Grand qui éleva l’une, et l’autre eut pour fondateur Seleucus, qui portait en naissant l’image d’une ancre sur la cuisse. Telle que l’empreinte d’un fer brûlant, cette marque resta gravée dans sa famille, et passa comme un signe naturel de sa race à toute la suite de ses descendants.


IV. Trêves.

Depuis longtemps la Gaule guerrière réclame mes chants en faveur de Treveri, la ville impériale, qui, voisine du Rhin, semble au sein d’un paix profonde et repose en sûreté, parce qu’elle nourrit, habille et arme les forces de l’empire. Ses épaisses murailles s’étendent sur le revers d’une colline. À ses pieds coule la Moselle, large et tranquille fleuve qui lui apporte les commerces lointains de toutes les contrées.


V. Milan.

À Milan, tout est merveille : abondance de biens, maisons nombreuses, élégantes, hommes distingués par le génie, l’éloquence, et la douceur de leurs mœurs. Un double mur agrandit l’aspect de la ville, où s’élèvent, un cirque, les délices du peuple ; un théâtre fermé, où s’échelonnent d’immenses gradins ; puis des temples, le Palais et ses remparts, et l’opulent hôtel de Moneta, et le quartier célèbre sous le nom de Bains d’Hercule, et partout des péristyles ornés de statues de marbre, et des murailles entourées de fossés en forme de circonvallation. Tous ces ouvrages semblent, par leurs vastes formes, rivaliser de magnificence, et ne sont point écrasés par le voisinage de Rome.


VI. Capoue.

Je ne tairai point Capoue, sa puissance maritime, son élégance, ses festins, ses délices, ses richesses, toutes ses vieilles gloires. Malgré les retours de l’inconstante fortune, elle eut confiance en sa prospérité, et ne sut point garder de mesure. Aujourd’hui l’esclave de Rome, elle était jadis sa rivale. Balançant toujours à observer ou à trahir sa foi, à mépriser le sénat ou à lui rendre hommage, elle osa espérer les curules pour ses auspices de Campanie, pour un consul tiré de son sein, et s’élever assez haut pour partager l’empire du monde. Bien plus, à la cité maîtresse de l’univers, à la mère du Latium, elle déclara la guerre : elle se fiait à ses généraux sans toge. Elle jura fidélité aux armes d’Annibal, et, bientôt déçue, elle passa, l’insensée ! sous le joug de cet ennemi, avec des airs de souveraine. Puis, entraînés à leur ruine par leurs vices communs, les Carthaginois se perdirent par la luxure, et la Campanie par le faste (jamais l’orgueil, hélas ! ne rencontre de solides fondements !) ; et cette ville, autrefois si puissante par sa force et par ses richesses, cette autre Rome, qui pouvait orner son cimier d’une aigrette rivale, la voilà reléguée au huitième rang, où encore elle se soutient à peine.


VII. Aquilée.

Ce n’était point ici ta place : cependant un surcroît d’éclat récent te range la neuvième, Aquilée, parmi les villes célèbres. Colonie italienne, assise en face des montagnes d’Illyrie, on vante ton port et tes remparts ; mais ton plus beau titre de gloire, c’est d’avoir été choisie par Maximus en ses derniers jours pour être témoin de l’expiation tardive, après un lustre entier, des crimes de cet ancien goujat de nos armées. Heureuse d’avoir pu contempler l’agréable spectacle d’un si grand triomphe, tu as vu punir par un guerrier de l’Ausonie ce bandit de la Bretagne.


VIII. Arles.

Ouvre, double Arélas, ouvre tes ports, aimable hôtesse, Arélas, petite Rome des Gaules, voisine de Narbo Martius, et de Vienna qui doit sa puissance aux colons des Alpes. Le cours rapide du Rhône te divise en deux parts si égales, que le pont de bateaux qui réunit les deux rives forme une place au milieu de ton enceinte. Par ce fleuve, tu reçois le commerce du monde romain, et tu le transmets à d’autres, et tu enrichis les peuples et les cités que la Gaule, que l’Aquitaine enferme en son large sein.


IX. Mérida.

Je dois te chanter après ces villes, Emerita, illustre cité des Ibères, qu’un fleuve arrose en courant à la mer, et devant laquelle toute l’Espagne abaisse ses faisceaux. Corduba ne peut te disputer ton rang, ni Tarraco avec sa puissante forteresse, ni Bracara si fière des trésors qu’elle puise au sein de l’océan.


X. Athènes.

Il est temps de chanter Athènes, fondée par des enfants de son sol, et qui fut autrefois le sujet d’un débat entre Pallas et Consus. La première elle vit naître l’olivier, symbole de la paix ; seule elle recueille toute la gloire de l’éloquence attique ; et de ses murs se répandirent, chez les peuples d’Ionie et de nom achéen, ces colonies grecques qui se dispersèrent au loin dans cent villes.


XI. Catane et Syracuse.

Qui pourrait oublier Catane et la quadruple Syracuse ? l’une célèbre par la piété de deux frères au milieu des flammes ; l’autre par les merveilles de sa fontaine et de son fleuve, qui, glissant tous deux sous les vagues salées de la mer Ionienne, se réunissent dans un lieu qu’ils préfèrent, et, joignant leurs flots doux encore, échangent les baisers de leurs eaux sans mélange.


XII. Toulouse.

Je ne laisserai jamais dans l’oubli Tolosa, ma nourrice. Un rempart de briques l’enveloppe de ses vastes contours : à ses côtés coule le beau fleuve de la Garonne. Des peuples sans nombre répandent la vie dans cette cité, voisine des Pyrénées chargées de neige, et des Cévennes couvertes de pins, assise entre les villes de l’Aquitaine et les nations de l’Ibérie. Elle a donné naissance à quatre villes, sans s’épuiser ou perdre un seul de ses habitants ; les colonies qu’elle a créées, elle les embrasse toutes en son sein.


XIII. Narbonne.

Je ne tairai point ta gloire, Narbo Martius. Sous ton nom, une province étendue au loin dans un immense royaume imposa les lois de son autorité à des peuplades nombreuses. Et la contrée où les Allobroges se mêlent aux Séquanes, et celles où les cimes alpestres arrêtent les limites de l’Italie, où les neiges des Pyrénées bornent l’Ibérie, où le Léman donne naissance au cours impétueux du Rhône, où les Cévennes enferment et resserrent les champs de l’Aquitaine, jusqu’aux Tectosages qui portent l’antique nom de Volces : tout cela fut Narbo. Tu arboras la première, dans les Gaules, le nom romain, et les faisceaux d’un proconsul du Latium. Qui rappellera tes ports, tes montagnes, tes lacs ? tes peuples divers, si différents de costume et de langage ? et ce temple antique de marbre de Paros, d’une si imposante magnificence, et que n’auraient méprisé autrefois, ni Tarquin, ni Catulus, ni enfin celui des Césars qui releva les combles dorés du Capitole ? C’est à toi que les mers de l’Orient et l’océan des Ibères versent leurs marchandises et leurs trésors ; c’est pour toi que voguent les flottes sur les eaux de la Libye et de la Sicile : et tous les vaisseaux chargés qui parcourent en tous sens les fleuves et les mers, tout ce qui navigue dans l’univers entier vient aborder à tes rives.


XIV. Bordeaux.

Depuis longtemps je me reproche un impie silence, ô ma patrie ! Toi, célèbre par tes vins, tes fleuves, tes grands hommes, les mœurs et l’esprit de tes citoyens, et la noblesse de ton sénat, je ne t’ai point chantée des premières ! comme si, convaincu de la faiblesse d’une pauvre cité, j’hésitais à essayer un éloge non mérité ! Ce n’est point là le sujet de ma retenue : car je n’habite point les rives sauvages du Rhin, ou les sommets de l’Hémus et ses glaces arctiques. Burdigala est le lieu qui m’a vu naître : Burdigala où le ciel est clément et doux ; où le sol, que l’humidité féconde, prodigue ses largesses ; où sont les longs printemps, les rapides hivers, et les coteaux chargés de feuillage. Son fleuve qui bouillonne imite le reflux des mers. L’enceinte carrée de ses murailles élève si haut ses tours superbes, que leurs sommets aériens percent les nues. On admire au dedans les rues qui se croisent, l’alignement des maisons, et la largeur des places fidèles à leur nom ; puis les portes qui répondent en droite ligne aux carrefours, et, au milieu de la ville, le lit d’un fleuve alimenté par des fontaines ; lorsque l’Océan, père des eaux, l’emplit du reflux de ses ondes, on voit la mer tout entière qui s’avance avec ses flottes.

Parlerai-je de cette fontaine couverte de marbre de Paros, et qui bouillonne comme l’Euripe ? Qu’elle est sombre en sa profondeur ! comme elle enfle ses vagues ! quels larges et rapides torrents elle roule par les douze embouchures ouvertes à son cours captif dans la margelle, et qui pour les nombreux besoins du peuple ne s’épuise jamais ! Tu aurais bien voulu, roi des Mèdes, rencontrer pour ton armée cette fontaine, quand les fleuves desséchés te firent faute ; et promener ses eaux par les villes étrangères, toi qui ne portais partout et toujours avec toi que l’eau du Choaspès.

Salut, fontaine dont on ignore la source, fontaine sainte, bienfaisante, intarissable, cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée. Salut, génie de la ville, qui nous verses un breuvage salutaire, fontaine appelée Divona par les Celtes, et consacrée comme une divinité. L’Apone ne donne pas un plus sain breuvage, le Nemausus un cristal plus pur, le Timave et ses vagues marines une onde plus abondante.

Que ce dernier chant ferme le cercle des villes célèbres. Si Rome brille à l’autre extrémité, que Burdigala fixe sa place à celle-ci, et partage ainsi le faite des honneurs. Burdigala est ma patrie ; mais Rome passe avant toutes les patries. Burdigala a mon amour, Rome a mon culte ; citoyen dans l’une, consul dans toutes les deux, mon berceau est ici, et là ma chaise curule.