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Origine des plantes cultivées/Troisième partie II

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Troisième partie
Résumé et conclusions.

CHAPITRE II

OBSERVATIONS GÉNÉRALES ET CONCLUSIONS

Article 1. — Régions d’où sont sorties
les plantes cultivées

Au commencement du XIXe siècle, on ignorait encore l’origine de la plupart des espèces cultivées. Linné ne s’était donné aucune peine pour la découvrir, et les auteurs subséquents n’avaient fait que copier les expressions vagues ou erronées dont il s’était servi pour indiquer leurs habitations. Alexandre de Humboldt exprimait donc le véritable état de la science en 1807 lorsqu’il disait : « L’origine, la première patrie des végétaux les plus utiles à l’homme et qui le suivent depuis les époques les plus reculées, est un secret aussi impénétrable que la demeure de tous les animaux domestiques Nous ne savons pas quelle région a produit spontanément le froment, l’orge, l’avoine et le seigle. Les plantes qui constituent la richesse naturelle de tous les habitants des tropiques, le Bananier, le Carica Papaya, le Manihot et le Maïs n’ont jamais été trouvés dans l’état sauvage. La pomme de terre présente le même phénomène[1]. »

Aujourd’hui, si quelques-unes des espèces cultivées n’ont pas encore été vues dans un état spontané, il n’en est pas de même de l’immense majorité. Nous savons au moins, le plus souvent, de quels pays elles sont originaires. Cela résultait déjà de mon travail de 1855, que les recherches actuelles plus étendues confirment presque toujours. Celles-ci ont porté sur 247 espèces[2] cultivées soit en grand par les agriculteurs, soit dans les jardins potagers ou fruitiers. J’aurais pu en ajouter quelques-unes rarement cultivées, ou mal connues, ou dont la culture a été abandonnée ; mais les résultats statistiques auraient été sensiblement les mêmes.

Sur les 247 espèces que j’ai étudiées, l’ancien monde en a fourni 199, l’Amérique 45, et 3 sont encore douteuses à cet égard.

Aucune espèce n’était commune aux parties tropicales ou australes des deux mondes avant d’être mises en culture. L’Allium Schœnoprasum, le Fraisier (Fragaria vesca), le Groseillier (Ribes rubrum), le Châtaignier (Castanea vulgaris) et le Champignon de couches (Agaricus campestris) étaient communs aux régions septentrionales de l’ancien et du nouveau monde. Je les ai comptés comme de l’ancien monde, parce que c’est là qu’est leur habitation principale, et qu’on a commencé de les cultiver.

Un très grand nombre d’espèces sont originaires à la fois d’Europe et de l’Asie occidentale, d’Europe et de Sibérie, de la région méditerranéenne et de l’Asie occidentale, de l’Inde et de l’Archipel asiatique, des Antilles et du Mexique, de ces deux régions et de la Colombie, du Pérou et du Brésil, ou du Pérou et de la Colombie, etc., etc. On pourrait les compter dans le tableau. C’est une preuve de l’impossibilité de subdiviser les continents et de classer les îles en régions naturelles bien définies. Quel que soit le mode de division, il y aura toujours des espèces communes à deux, trois ou quatre régions, et d’autres cantonnées dans une petite partie d’un seul pays. Les mêmes faits se présentent pour les espèces non cultivées.

Une chose vaut la peine d’être notée : c’est l’absence ou l’extrême rareté de plantes cultivées originaires de certains pays. Par exemple, aucune n’est venue des régions arctiques ou antarctiques, dont les flores, il est vrai, se composent d’un petit nombre d’espèces. Les États-Unis, malgré leur vaste territoire, qui fera vivre bientôt des centaines de millions d’hommes, ne présentaient, en fait de plantes nutritives, dignes d’être cultivées, que le Topinambour et des Courges. Le Zizania aquatica, que les indigènes récoltaient à l’état sauvage, est une Graminée trop inférieure à nos céréales et au Riz pour qu’il valût la peine de la semer. Ils avaient quelques bulbes et baies comestibles, mais ils n’ont pas essayé de les cultiver, ayant reçu de bonne heure le Maïs, qui valait infiniment mieux.

La Patagonie et le Cap n’ont pas fourni une seule espèce. La Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Zélande ont donné un arbre, Eucalyptus globulus, et un légume, peu nourrissant, le Tetragonia. Leurs flores manquaient essentiellement de Graminées, analogues aux céréales, de Légumineuses à graines comestibles, et de Crucifères à racines charnues[3]. Dans la partie tropicale et humide de la Nouvelle-Hollande, on a trouvé le Riz et l’Alocasla macrorhiza sauvages, ou peut-être naturalisés ; mais la plus grande partie du pays souffre trop de la sécheresse pour que ces espèces aient pu s’y répandre.

En général, les régions australes avaient fort peu de plantes annuelles, et, dans leur nombre si restreint, aucune n’offrait des avantages évidents. Or, les espèces annuelles sont les plus faciles à cultiver. Elles ont joué un grand rôle dans les anciennes cultures des autres pays.

En définitive, la distribution originelle des espèces cultivées était extrêmement inégale. Elle n’avait de rapport ni avec les besoins de l’homme ni avec l’étendue des territoires.

Article 2. — Nombre et nature des espèces cultivées depuis des époques différentes.

On doit considérer comme d’une culture très ancienne les espèces marquées A dans le tableau de la page 351. Elles sont au nombre de 44. Quelques-unes des espèces marquées B sont probablement aussi anciennes, sans qu’on ait pu le constater. Enfin les cinq espèces américaines marquées D sont probablement d’une ancienneté de culture à peu près aussi grande que celles de la catégorie A ou que les plus vieilles de la catégorie B.

Comme on pouvait le prévoir, les espèces A sont surtout des plantes pourvues de racines, fruits ou graines propres à la nourriture de l’homme. Viennent ensuite quelques espèces ayant des fruits agréables au goût, ou textiles, tinctoriales, oléifères, ou donnant des boissons excitantes par infusion ou fermentation. Elles présentent seulement deux légumes verts et n’ont pas un seul fourrage. Les familles qui prédominent sont les Crucifères, Légumineuses et Graminées.

Le nombre des espèces annuelles est de 22 sur 44, soit 50 0/0. Dans les cinq espèces américaines marquées D, il y en a deux annuelles. Dans la catégorie A se trouvent trois espèces bisannuelles, et D n’en a aucune. Dans l’ensemble des Phanérogames, les espèces annuelles ne dépassent pas 15 0/0, et les bisannuelles s’élèvent à 1 ou au plus 2 0/0. Il est clair qu’au début de la civilisation les plantes dont le produit ne se fait pas attendre sont celles qu’on recherche le plus. Elles offrent d’ailleurs l’avantage qu’on peut répandre et multiplier leur culture, soit à cause de l’abondance des graines, soit parce qu’on cultive la même espèce en été dans le nord et en hiver ou toute l’année dans les pays tropicaux.

Les plantes vivaces sont bien rares dans les catégories A et D. Elles ne s’élèvent pas à plus de deux, soit 4 0/0, à moins qu’on ne veuille ajouter le Brassica oleracea et la forme du Lin, ordinairement vivace (L. angustifolium), que cultivaient les lacustres suisses. Dans la nature, les espèces vivaces constituent à peu près 40 0/0 des Phanérogames[4].

A et D renferment 20 espèces ligneuses, sur 49, soit près de 41 0/0. Dans l’ensemble des Phanérogames, elles entrent pour environ 43 0/0.

Ainsi, les premiers cultivateurs ont employé surtout des plantes annuelles ou bisannuelles, un peu moins de plantes ligneuses, et beaucoup moins encore d’espèces vivaces. Ces différences doivent tenir à la facilité des cultures, combinée avec la proportion d’espèces évidemment utiles de chacune des divisions.

Les espèces de l’ancien monde marquées B sont cultivées depuis plus de 2000 ans, mais quelques-unes appartiennent peut-être à la catégorie A sans qu’on le sache. Les américaines marquées E étaient cultivées avant Christophe Colomb, depuis peut-être plus de 2000 ans. Beaucoup d’autres espèces marquées d’un (?) dans les tableaux datent probablement aussi d’une époque ancienne ; mais, comme elles existent surtout dans des pays sans littérature et sans aucun document archéologique, on ignore leur histoire. Il est inutile d’insister sur des catégories aussi douteuses : au contraire, les plantes qu’on sait avoir été cultivées dans l’ancien monde depuis moins de 2000 ans, ou en Amérique depuis l’époque de la découverte, méritent d’être comparées avec les plantes très anciennement cultivées.

Ces espèces, de culture moderne, s’élèvent à 61 de l’ancien monde, marquées C, et 6 d’Amérique, marquées F ; en tout 67.

Classées selon leur durée, elles comptent 37 0/0 annuelles, 7 à 8 0/0 bisannuelles, 33 0/0 vivaces et 22 à 23 0/0 ligneuses.

La proportion des annuelles ou bisannuelles est encore ici plus forte que pour l’ensemble des végétaux, mais elle est moins grande que parmi les espèces de culture très ancienne. Les proportions de plantes vivaces ou ligneuses sont moindres que dans le règne végétal tout entier, mais elles sont plus élevées que parmi les espèces A, de culture très ancienne.

Les plantes cultivées depuis moins de deux mille ans sont surtout des fourrages artificiels, que les anciens connaissaient à peine ; ensuite quelques bulbes, légumes, plantes officinales (Cinchonas), plantes à fruits comestibles, ou à graines nutritives (Sarrasins), ou aromatiques (Caféier), etc. Les hommes n’ont pas découvert depuis 2000 ans et cultivé une seule espèce qui puisse rivaliser avec le Maïs, le Riz, la Batate, la Pomme de terre, l’Arbre à pain, le Dattier, les Céréales, les Millets, les Sorghos, le Bananier, le Soja. Celles-ci remontent à trois, quatre ou cinq mille ans, peut-être même, dans certains cas, à six mille ans. Pendant la durée de la civilisation gréco-romaine et depuis, les espèces mises en culture répondent presque toutes à des besoins plus variés ou plus raffinés. Il s’est fait aussi un grand travail d’extension des espèces anciennes d’un pays à l’autre, et en même temps de sélection de variétés meilleures survenues dans chaque espèce.

Les introductions depuis deux mille ans ont eu lieu d’une façon très irrégulière et intermittente. Je ne pourrais pas citer une seule espèce mise en culture depuis cette date par les Chinois, ces grands cultivateurs des temps anciens. Les peuples de l’Asie méridionale ou occidentale ont innové, dans une certaine mesure, en cultivant les Sarrasins, plusieurs Cucurbitacées, quelques Allium, etc. En Europe, les Romains, et, dans le moyen âge, divers peuples, ont introduit la culture de certains légumes ou fruits et celle de plusieurs fourrages. En Afrique, un petit nombre de cultures ont commencé alors, isolément. Lorsque les voyages de Vasco de Gama et Christophe Colomb sont survenus, l’effet produit a été une diffusion rapide des espèces déjà cultivées dans l’un ou l’autre hémisphère. Les transports ont continué pendant trois siècles, sans qu’on se soit occupé sérieusement de cultures nouvelles. Dans les deux ou trois cents ans qui ont précédé la découverte de l’Amérique et les deux cents qui ont suivi, le nombre des espèces cultivées est resté presque complètement stationnaire. Les Fraisiers d’Amérique, le Diospyros virginiana, le Sea-Kale {Crambe maritima) et le Tetragonia expansa, introduits dans le XVIIIe siècle, n’ont guère eu d’importance. Il faut arriver au milieu du siècle actuel pour constater de nouvelles cultures de quelque valeur au point de vue utilitaire. Je rappellerai l’Eucalyptus globulus d’Australie et les Cinchonas de l’Amérique méridionale.

Le mode d’introduction de ces dernières espèces montre le changement énorme qui s’est fait dans les moyens de transport. Précédemment, la culture d’une plante commençait dans le pays où elle existait, tandis que l’Eucalyptus d’Australie a été planté et semé d’abord en Algérie, et les Cinchonas d’Amérique, dans l’Asie méridionale. Jusqu’à l’époque actuelle, les jardins botanique ou d’amateurs avaient répandu des espèces déjà cultivées quelque part. Maintenant ils introduisent des cultures absolument nouvelles. Le jardin royal de Kew se distingue sous ce rapport, et d’autres jardins botaniques ou des sociétés d’acclimatation, en Angleterre et ailleurs, font des tentatives analogues. Il est probable que les pays tropicaux en profiteront largement d’ici à un siècle. Les autres y trouveront aussi leur avantage, vu les facilités croissantes pour le transport des denrées.

Lorsqu’une espèce a été répandue dans les cultures, il est rare, et peut-être même sans exemple, qu’on l’abandonne complètement. Elle continue plutôt à être cultivée çà et là dans des pays arriérés ou dont le climat lui est particulièrement favorable. J’ai laissé de côté dans mes recherches quelques-unes de ces espèces à peu près abandonnées, comme le Pastel (Isatis tinctoria), la Mauve (Malva sylvestris), légume usité chez les Romains, certaines plantes officinales fort employées autrefois, comme le Fenouil, le Cumin, la Nigelle, etc., mais il est certain qu’on les cultive encore partiellement.

La concurrence des espèces fait que la culture de chacune augmente ou diminue. En outre, les plantes tinctoriales et officinales sont fortement menacées par les découvertes des chimistes. Le Pastel, la Garance, l’Indigo, la Menthe et plusieurs simples doivent céder devant l’invasion des produits chimiques. Il est possible qu’on parvienne à faire de l’huile, du sucre, de la fécule, comme on fait déjà du miel, du beurre et des gelées, sans se servir des êtres organisés. Rien ne changerait plus les conditions agricoles du monde que la fabrication, par exemple, de la fécule, au moyen de ses éléments connus et inorganiques.

Dans l’état actuel des sciences, il y a encore des produits qu’on demandera, je présume, de plus en plus au règne végétal : ce sont les matières textiles, le tannin, le caoutchouc, la guttapercha et certaines épices. A mesure qu’on détruit les forêts d’où on les tire et que ces matières seront en même temps plus demandées, on sera plus tenté de mettre en culture certaines espèces.

Elles appartiennent généralement aux flores des pays tropicaux. C’est aussi dans ces régions, en particulier dans l’Amérique méridionale, qu’on aura l’idée de cultiver certains arbres fruitiers, par exemple de la famille des Anonacées, dont les indigènes et les botanistes connaissent déjà le mérite. On augmentera probablement les fourrages et les arbres forestiers de nature à vivre dans des pays chauds et secs. Les additions ne seront pas nombreuses dans les régions tempérées, ni surtout dans les régions froides.

D’après ces données et ces aperçus, il est probable qu’à la fin du XIXe siècle les hommes cultiveront en grand et pour leur utilité environ 300 espèces. C’est une petite proportion des 120 ou 140 000 du règne végétal ; mais dans l’autre règne, la proportion des êtres soumis à l’homme est bien plus faible. Il n’y a peut-être pas plus de 200 espèces d’animaux domestiqués ou simplement élevés pour notre usage, et le règne animal compte des millions d’espèces. Dans la grande classe des Mollusques, on élève l’huître, et dans celle des Articulés, qui compte dix fois plus d’espèces que le règne végétal, on peut citer l’abeille et deux ou trois insectes produisant de la soie. Sans doute le nombre des espèces animales ou végétales qu’on peut élever ou cultiver pour son plaisir ou par curiosité est immense : témoins les ménageries et les jardins zoologiques ou botaniques ; mais je ne parle ici que des plantes et des animaux utiles, d’un emploi général et habituel.

Article 3. — Plantes cultivées qu’on connaît ou ne connaît pas à l’état sauvage.

La science est parvenue à constater l’origine géographique de presque toutes les espèces cultivées, mais elle a fait moins de progrès dans la connaissance de ces espèces à l’état spontané, c’est-à-dire sauvages, loin des cultures et des habitations. Il y a des espèces qu’on n’a pas trouvées dans cet état et d’autres pour lesquelles les conditions d’identité spécifique ou de véritable spontanéité sont douteuses.

Dans l’énumération qui suit, j’ai classé les espèces en catégories d’après le degré de certitude sur la qualité spontanée et la nature des doutes, lorsqu’il en existe[5].

I. Espèces spontanées, c’est-à-dire sauvages, vues par plusieurs botanistes loin des habitations et des cultures, avec toutes les apparences de plantes indigènes, et sous une forme identique avec l’une des variétés cultivées. — Ce sont les espèces qui ne sont pas énumérées ci-dessous. Leur nombre est de 
 169
Parmi ces 169 espèces, 31 appartiennent aux catégories marquées A ou D, de culture très ancienne ; 56 sont cultivées depuis moins de 2000 ans (C), et les autres sont d’une date moyenne ou inconnue.


II. Vues et récoltées dans les mêmes conditions, mais par un seul botaniste et dans une seule localité 
 3
Cucurbita maxima, Faba vulgaris, Nicotiana Tabacum.


III. Vues et mentionnées, mais non récoltées, dans les mêmes conditions, par un ou deux auteurs non botanistes, plus ou moins anciens, qui peuvent s’être trompés 
 2
Carthamus tinctorius, Triticum vulgare.


IV. Récoltées sauvages, par des botanistes, dans plusieurs localités, sous une forme légèrement différente de celles qu’on cultive, mais que la plupart des auteurs n’hésitent pas à classer dans l’espèce 
 4
Olea europæa, Oryza sativa, Solanum tuberosum, Vitis vinifera.


V. Sauvages, récoltées par des botanistes, dans plusieurs localités, sous des formes considérées par quelques auteurs comme devant constituer des espèces différentes, tandis que d’autres les traitent comme des variétés 
 15
Allium Ampeloprasum Porrum, Cichorium Endivia var *, Crocus sativus var., Cucumis Melo *, Cucurbita Pepo, Helianthus tuberosus, Lactuca Scariola sativa, Linum usitatissimum annuum, Lycopersicum esculentum, Papaver somniferum, Pyrus nivalis var., Ribes Grossularia *, Solanum Melongena, Spinacia oleracea var *, Triticum monococcum.
VI. Subspontanées, c’est-à-dire presque sauvages, semblables à l’une des formes cultivées, mais avec la chance que ce soient des plantes échappées des cultures, d’après les circonstances locales 
 24
Agave americana, Amarantus gangeticus, Amygdalus Persica, Areca Catechu, Avena orientalis *, Avena saliva, Gajanus indicus *, Cicer arietinum, Citrus decumana, Cucurbita moschata, Dioscorea japonica, Ervum Ervilia, Ervum Lens, Fagopyrum emarginatum, Gossypium barbadense, Holcus saccharatus, Holcus Sorghum, Indigcfera tinctoria, Lepidium sativum, Maranta arundinacea, Nicotiana rustica, Panicum milliaceum, Raphanus sativus, Spergula arvensis.


VII. Subspontanées comme les précédentes, mais ayant une forme assez différente des variétés cultivées pour que la majorité des auteurs les considèrent comme des espèces distinctes 
 3
Allium ascalonicum * (forme de l’A. Cepa ? ), Ailium Scorodoprasum * (forme de l’A. sativum ? ), Secale cereale (forme de l’un des Secale vivaces ? ).


VIII. Non découvertes dans un état sauvage, ni même dans un état subspontané, issues peut-être depuis le commencement des cultures d’espèces cultivées, mais trop différentes pour n’être pas appelées ordinairement des espèces 
 3
Hordeum hexastichon (dérivé de l’H. distichon ? ), Hordeum vtUgare (dérivé de l’H, distichon ? ), Triticum Spelta (dérivé du T. vulgare ? ).


IX. Non découvertes dans un état sauvage, ni même subspontané, mais originaires de pays qui ne sont pas suffisamment explorés, et qu’on soupçonne devoir être plus tard réunies à des espèces sauvages encore mal connues de ces pays 
 6
Arachis hypogaea, Garyophyllus aromaticus, Convolvolus Batatas, Dolichos Lubia *, Maninot utilissîma, Phaseolus vulgaris.


X. Non découvertes dans un état sauvage, ni même subspontané, mais originaires de pays qui ne sont pas suffisamment explorés, ou de pays de même nature qu’on ne peut pas préciser, plus distinctes que les précédentes des espèces connues 
 18
Amorphophallus Konjak, Arracacha esculenta, Brassica chinensis, Capsicum annuum, Ghenopodium Quinoa, Citrus nobilis, Cucurbita ficifolia, Dioscorea alata, Dioscorea Batatas, Dioscorea saliva, Eleusine Coracana, Lucuma mammosa, Nephelium Litchi, Pisum salivum *, Saccharum officinarum, Sechium edule, Trichosanlhes anguina *, Zea Maïs.

Total 
 247


D’après ces chiffres, il y a 193 espèces reconnues sauvages, 27 douteuses, en tant que subspontanées, et 27 qu’on n’a pas trouvées sauvages.

Il est permis de croire qu’on découvrira tôt ou tard ces dernières, si ce n’est sous une des formes cultivées, au moins sous une forme voisine, appelée espèce ou variété, selon l’idée de chaque auteur. Il faudra pour y parvenir que les pays tropicaux aient été mieux explorés, que les collecteurs aient fait plus d’attention aux localités et qu’on ait publié beaucoup de flores des pays actuellement mal connus et de bonnes monographies de certains genres, en s’appuyant sur les caractères qui varient le moins dans la culture.

Quelques espèces originaires de pays assez bien explorés et impossibles à confondre avec d’autres, parce qu’elles sont uniques chacune dans son genre, n’ont pas été trouvées à l’état sauvage, ou l’ont été une fois seulement, ce qui peut faire présumer qu’elles sont éteintes dans la nature, ou en voie d’extinction. Je veux parler du Maïs et de la Fève (voir p. 311 et 253). J’indique aussi, dans l’article 4, d’autres plantes qui paraissent en voie d’extinction depuis quelques milliers d’années. Ces dernières appartiennent à des genres nombreux en espèces, ce qui rend l’hypothèse moins vraisemblable[6] ; mais, d’un autre côté, elles se montrent rarement loin des cultures, et on ne les voit guère se naturaliser, — j’entends devenir sauvages, — ce qui montre une certaine faiblesse ou trop de facilité à de venir la proie d’animaux et de parasites.

Les 67 espèces mises en culture depuis moins de 2000 ans (C, F) se trouvent toutes à l’état sauvage excepté onze marquées *, qu’on n’a pas rencontrées ou sur lesquelles on a des doutes. C’est une proportion de 83 0/0.

Ce qui est plus singulier, la grande majorité des espèces cultivées depuis plus de 4000 ans (A), ou en Amérique depuis 3 ou 4000 (D), existent encore sauvages, dans un état identique avec l’une des formes cultivées. Leur nombre est de 31, sur 49, c’est-à-dire 63 0/0. Si l’on ajoute celles des catégories II, III, IV et V, la proportion est de 81 à 82 0/0. Dans les catégories IX et X, on ne compte plus que deux de ces espèces très anciennes de culture, soit 4 0/0, et ce sont deux espèces qui n’existent peut-être plus comme plantes spontanées.

Je croyais, à priori, qu’un beaucoup plus grand nombre des espèces cultivées depuis plus de 4000 ans auraient dévié de leur état ancien, à un degré tel qu’on ne pourrait plus les reconnaître parmi les plantes spontanées. Il paraît, au contraire, que les formes antérieures à la culture se sont ordinairement conservées à côté de celles que les cultivateurs obtenaient et propageaient de siècle en siècle. On peut expliquer ceci par deux causes : 1o La période de 4000 ans est courte relativement à la durée de la plupart des formes spécifiques dans les plantes phanérogames. 2o Les espèces cultivées reçoivent, hors des cultures, des renforts incessants par les graines que l’homme, les oiseaux et divers agents naturels dispersent ou transportent de mille manières. Les naturalisations ainsi produites confondent souvent les pieds issus de plantes sauvages, avec ceux issus de plantes cultivées, d’autant mieux qu’ils se fécondent mutuellement, puisqu’ils sont de même espèce. Ce fait est clairement démontré quand il s’agit d’une espèce de l’ancien monde cultivée en Amérique, dans les jardins, et qui s’établit plus tard en masse dans la campagne ou les forêts, comme le Cardon à Buenos-Ayres et les Orangers dans plusieurs contrées américaines. La culture étend les habitations. Elle supplée aux déficits que peut avoir la reproduction naturelle des espèces. Quelques-unes cependant font exception, et il vaut la peine d’en parler dans un article spécial.

Article 4. — Plantes cultivées qui sont en voie d’extinction on éteintes hors des cultures.

Les espèces auxquelles je viens de faire allusion présentent trois caractères assez remarquables :

1o Elles n’ont pas été découvertes à l’état sauvage, ou ne l’ont été qu’une fois ou deux, souvent même d’une manière contestable, bien que les régions d’où elles sont sorties aient été visitées par plusieurs botanistes.

2o Elles n’ont pas la faculté de se semer et de se propager indéfiniment hors des terrains cultivés. En d’autres termes elles ne dépassent pas en pareil cas la condition de plantes adventives.

3o On ne peut pas soupçonner qu’elles sont issues, depuis l’époque historique, de certaines espèces voisines.

Ces trois caractères se trouvent réunis dans les espèces suivantes :

Fève (Faba vulgaris). Tabac (Nicotiana Tabacum).
Pois chiche (Cicer arietinum) Froment (Triiicum vulgare).
Ers (Ervum Ervilia). Maïs (Zea Mays),
Lentille (Ervum Lens).

Il faudrait ajouter la Batate (Convolvulus Batatas), si les espèces voisines étaient mieux connues comme distinctes, et le Carthame (Carthamus tinctorius), si l’intérieur de l’Arabie avait été exploré et qu’on n’y eût pas trouvé cette plante indiquée jadis par un auteur arabe.

Toutes ces espèces, et probablement d’autres de pays peu connus ou de genres mal étudiés, paraissent en voie d’extinction ou éteintes. A supposer que la culture cessât dans le monde, elles disparaîtraient, tandis que la majorité des autres plantes cultivées se seraient naturalisées quelque part et resteraient à l’état sauvage.

Les sept espèces mentionnées tout à l’heure, excepté le Tabac, ont des graines remplies de fécule, qui sont recherchées par les oiseaux, les rongeurs et divers insectes, sans pouvoir traverser intactes leurs voies digestives. C’est probablement la cause, unique ou principale, de leur infériorité dans la lutte pour l’existence. Ainsi, mes recherches sur les plantes cultivées montrent que certaines espèces végétales sont en voie d’extinction ou éteintes depuis l’époque historique, et cela, non dans de petites îles, mais sur de vastes continents, sans qu’on ait constaté des modifications de climat. C’est un résultat important pour l’histoire des règnes organisés, à toutes les époques.

Article 5. — Réflexions diverses.

Je mentionnerai sommairement les suivantes :

1o Les plantes mises en culture n’appartiennent pas à une catégorie particulière, car elles se classent dans cinquante et une familles différentes. Ce sont toutes cependant des Phanérogames, excepté le Champignon des couches (Agaricus campestris).

2o Les caractères qui ont le plus varié dans la culture sont, en commençant par les plus variables : A, la grosseur, la forme et la couleur des parties charnues, quelle que soit leur situation (racine, bulbe, tubercule, fruit ou graine), et l’abondance de la fécule, du sucre et autres matériaux, qui se déposent dans ces parties ; — B, l’abondance des graines, qui est souvent inverse du développement des parties charnues de la plante ; — C, la forme, la grandeur ou la pubescence des organes floraux qui persistent autour des fruits ou des graines ; — D, la rapidité des phénomènes de végétation, de laquelle résulte souvent la qualité de plante ligneuse ou herbacée et de plante vivace, bisannuelle ou annuelle.

Les tiges, feuilles et fleurs varient peu dans les plantes cultivées pour ces organes. Ce sont les dernières formations de chaque pousse annuelle ou bisannuelle qui varient le plus ; en d’autres termes, les résultats de la végétation varient plus que les organes qui en sont la cause.

3o Je n’ai pas aperçu le moindre indice d’une adaptation au froid. Quand la culture d’une espèce avance vers le nord (Maïs, Lin, Tabac, etc.), cela s’explique par la production de variétés hâtives qui ont pu mûrir avant la saison froide, ou par l’usage de cultiver dans le nord, en été, des espèces qu’on sème dans le midi en hiver. L’étude des limites boréales des espèces spontanées m’avait conduit jadis au même résultat, car elles n’ont pas changé depuis les temps historiques, bien que les graines soient portées fréquemment et continuellement au nord de chaque limite. Il faut, paraît-il, pour une modification permettant de supporter des degrés plus intenses de froid, des périodes beaucoup plus longues que 4 ou 5000 ans, ou des changements de forme et de durée.

4o Les classifications de variétés faites par les agriculteurs et horticulteurs reposent ordinairement sur les caractères qui varient le plus (forme, grosseur, couleur, saveur des parties charnues, barbes des épis, etc.). Les botanistes se trompent quand ils suivent cette voie. Ils devraient consulter les caractères, plus fixes, des organes pour lesquels on ne cultive pas les espèces.

5o Une espèce non cultivée étant un groupe de formes plus ou moins analogues, parmi lesquelles on peut distinguer souvent des groupes subordonnés (races, variétés, sous-variétés), il a pu arriver qu’on ait mis en culture deux ou plusieurs de ces formes un peu différentes. C’est ce qui a dû se passer surtout quand l’habitation d’une espèce est vaste, et plus encore quand elle est disjointe. Le premier cas est probablement celui des Choux (Brassica), du Lin, du Cerisier des Oiseaux (Prunus avium), du Poirier commun, etc. Le second s’est présenté probablement pour la Gourde, le Melon et le Haricot trilobé, qui existaient à la fois dans l’Inde et l’Afrique, avant la culture.

6o On ne connaît pas de caractère distinctif entre une plante naturalisée issue, depuis quelques générations, de pieds cultivés, et une plante sauvage issue de pieds anciennement sauvages. Toutefois, dans la transition de plante cultivée à plante spontanée, les traits particuliers qui se propagent par la greffe dans les cultures ne se conservent pas de semis. Par exemple, l’Olivier devenu sauvage est à l’état d’Oleaster, le Poirier a des fruits moins gros, le Châtaignier marron donne un fruit tout ordinaire. Du reste, on n’a pas encore observé suffisamment, de génération en génération, les formes naturalisées d’espèces sorties des cultures. M. Sagot[7] l’a fait pour la vigne. Il serait intéressant de comparer de la même manière avec leurs formes cultivées les Citrus, le Persica et le Cardon naturalisés en Amérique, loin de leur pays d’origine, de même que l’Agave et la Figue d’Inde sauvages en Amérique avec leurs variétés naturalisées dans l’ancien, monde. On saurait exactement ce qui persiste après un état temporaire de culture.

7o Une espèce peut avoir eu avant la culture une habitation restreinte et occuper ensuite une immense étendue comme plante cultivée et quelquefois naturalisée.

8o Dans l’histoire des végétaux cultivés, je n’ai aperçu aucun indice de communications entre les peuples de l’ancien et du nouveau monde avant la découverte de l’Amérique par Colomb. Les Scandinaves, qui avaient poussé leurs excursions jusque dans le nord des États-Unis, et les Basques du moyen âge, qui avaient suivi des baleines peut-être jusqu’en Amérique, ne paraissent pas avoir transporté une seule espèce cultivée. Le courant du Gulf-Stream n’a produit également aucun effet. Entre l’Amérique et l’Asie, deux transports de plantes utiles ont peut-être eu lieu, l’un par l’homme (Batate), l’autre par l’homme ou par la mer (Cocotier).

FIN.



  1. Essai sur la géographie des plantes, p. 28.
  2. En comptant deux ou trois formes qui sont plutôt des races très distinctes.
  3. Voir la liste des plantes utiles d’Australle, par sir J. Hooker, Flora Tasmanniæ, p. ex, et Bentham, Flora australiensis, 7, p. 150, 156.
  4. Les proportions que j’indique pour l’ensemble des Phanérogames sont basées sur un calcul approximatif, fait au moyen des deux cents premières pages du Nomenclator de Steudel. Elles sont justifiées par la comparaison de quelques flores.
  5. Les espèces en italiques sont de culture très ancienne (A ou D) ; celles marquées * sont cultivées depuis moins de deux mille ans (C ou F).
  6. Par des raisons que je ne puis développer ici, les genres monotypes sont ordinairement en voie d’extinction.
  7. Sagot, Sur une vigne sauvage croissant en abondance dans les bois autour de Belley.