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Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/115

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ter chez elle en déshabillé, s’il avait été forcé de rester là près d’elle, à faire ce qu’elle voudrait ; alors combien tous les riens de la vie de Swann qui lui semblaient si tristes, au contraire parce qu’ils auraient en même temps fait partie de la vie d’Odette auraient pris, même les plus familiers — et comme cette lampe, cette orangeade, ce fauteuil qui contenaient tant de rêve, qui matérialisaient tant de désir — une sorte de douceur surabondante et de densité mystérieuse.

Pourtant il se doutait bien que ce qu’il regrettait ainsi, c’était un calme, une paix qui n’auraient pas été pour son amour une atmosphère favorable. Quand Odette cesserait d’être pour lui une créature toujours absente, regrettée, imaginaire ; quand le sentiment qu’il aurait pour elle ne serait plus ce même trouble mystérieux que lui causait la phrase de la sonate, mais de l’affection, de la reconnaissance ; quand s’établiraient entre eux des rapports normaux qui mettraient fin à sa folie et à sa tristesse, alors sans doute les actes de la vie d’Odette lui paraîtraient peu intéressants en eux-mêmes — comme il avait déjà eu plusieurs fois le soupçon qu’ils étaient, par exemple le jour où il avait lu à travers l’enveloppe la lettre adressée à Forcheville. Considérant son mal avec autant de sagacité que s’il se l’était inoculé pour en faire l’étude, il se disait que, quand il serait guéri, ce que pourrait faire Odette lui serait indifférent. Mais du sein de son état morbide, à vrai dire, il redoutait à l’égal de la mort une telle guérison, qui eût été en effet la mort de tout ce qu’il était actuellement.

Après ces tranquilles soirées, les soupçons de Swann étaient calmés ; il bénissait Odette et le lendemain, dès le matin, il faisait envoyer chez elle les plus beaux bijoux, parce que ces bontés de la veille avaient excité ou sa gratitude, ou le désir