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Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/128

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endroit, mais les raisins chez Crapote dont c’est la spécialité, les fraises chez Jauret, les poires chez Chevet, où elles étaient plus belles, etc. « chaque fruit visité et examiné un par un par moi ». Et en effet, par les remerciements de la princesse, il avait pu juger du parfum des fraises et du moelleux des poires. Mais surtout le « chaque fruit visité et examiné un par un par moi » avait été un apaisement à sa souffrance, en emmenant sa conscience dans une région où il se rendait rarement, bien qu’elle lui appartînt comme héritier d’une famille de riche et bonne bourgeoisie où s’étaient conservés héréditairement, tout prêts à être mis à son service dès qu’il le souhaitait, la connaissance des « bonnes adresses » et l’art de savoir bien faire une commande.

Certes, il avait trop longtemps oublié qu’il était le « fils Swann » pour ne pas ressentir, quand il le redevenait un moment, un plaisir plus vif que ceux qu’il eût pu éprouver le reste du temps et sur lesquels il était blasé ; et si l’amabilité des bourgeois, pour lesquels il restait surtout cela, était moins vive que celle de l’aristocratie (mais plus flatteuse d’ailleurs, car chez eux du moins elle ne se sépare jamais de la considération), une lettre d’altesse, quelques divertissements princiers qu’elle lui proposât, ne pouvait lui être aussi agréable que celle qui lui demandait d’être témoin, ou seulement d’assister à un mariage dans la famille de vieux amis de ses parents, dont les uns avaient continué à le voir — comme mon grand-père qui, l’année précédente, l’avait invité au mariage de ma mère — et dont certains autres le connaissaient personnellement à peine, mais se croyaient des devoirs de politesse envers le fils, envers le digne successeur de feu M. Swann.

Mais, par les intimités déjà anciennes qu’il avait