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Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/25

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manque de souplesse que certains êtres ont dans le corps, ceux-là qui au moment d’éviter un choc, d’éloigner une flamme de leur habit, d’accomplir un mouvement urgent, prennent leur temps, commencent par rester une seconde dans la situation où ils étaient auparavant comme pour y trouver leur point d’appui, leur élan. Et sans doute si le cocher l’avait interrompu en lui disant : « Cette dame est là », il eût répondu : « Ah ! oui, c’est vrai, la course que je vous avais donnée, tiens je n’aurais pas cru », et aurait continué à lui parler provision de bois pour lui cacher l’émotion qu’il avait eue et se laisser à lui-même le temps de rompre avec l’inquiétude et de se donner au bonheur.

Mais le cocher revint lui dire qu’il ne l’avait trouvée nulle part, et ajouta son avis, en vieux serviteur :

— Je crois que Monsieur n’a plus qu’à rentrer.

Mais l’indifférence que Swann jouait facilement quand Rémi ne pouvait plus rien changer à la réponse qu’il apportait tomba, quand il le vit essayer de le faire renoncer à son espoir et à sa recherche :

— Mais pas du tout, s’écria-t-il, il faut que nous trouvions cette dame ; c’est de la plus haute importance. Elle serait extrêmement ennuyée, pour une affaire, et froissée, si elle ne m’avait pas vu.

— Je ne vois pas comment cette dame pourrait être froissée, répondit Rémi, puisque c’est elle qui est partie sans attendre Monsieur, qu’elle a dit qu’elle allait chez Prévost et qu’elle n’y était pas.

D’ailleurs on commençait à éteindre partout. Sous les arbres des boulevards, dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables. Parfois l’ombre d’une femme qui s’approchait de lui, lui murmurant un mot à l’oreille, lui demandant de la ramener, fit tressaillir Swann.